« The Highwaymen », John Lee Hancock, 2019

The Highwaymen, biopic de John Lee Hancock. Avec Kevin Costner, Woody Harrelson, Kathy Bates, Kim Dickens…

Le pitch : Dans la première moitié des années 1930, Bonnie Parker et Clyde Barrow sèment la terreur aux Etats-Unis. Braqueurs et tueurs, les amants criminels sont les fugitifs les plus recherchés de leur temps. Face à la menace qu’ils représentent, « Ma » Ferguson (K. Bathes), alors gouverneure du Texas, décide d’envoyer sur leur piste l’ancien Texas Ranger Frank Hamer (K. Costner). Accompagné de son ancien collège Maney Gault (W. Harrelson), il va se livrer à une chasse à l’homme qui mènera inéluctablement à la chute du gang Barrow.

La critique : Initialement, j’avais prévu de vous parler de Us aujourd’hui. Mais devant l’étendue de ma déception face au dernier film de Jordan Peele, je me suis contenté d’un simple En Bref sur la page Facebook du blog et ai donc pris le parti de parler plutôt d’un autre film sorti tout récemment et qui ne bénéficie en aucun cas de toute la machine marketing que le réalisateur de Get Out a sous la main. Ce film c’est The Highwaymen, arrivé toute fin Mars dans le catalogue Netflix et que l’on doit à John Lee Hancock.

John Lee Hancock

Le nom d’Hancock parle assez peu aux oreilles du grand public mais il se cache quand même derrière lui quelques œuvres de qualité puisqu’il a signé les scénarios de Un Monde Parfait et Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal de Clint Eastwood et qu’il a lui-même réalisé plusieurs films assez positivement reçus par le public et la critique : Dans l’Ombre de MaryThe Blind Side ou encore Le Fondateur. On passera cependant sous silence sa participation à des films comme Bad Boys 2 et Blanche-Neige et le Chasseur, pour le bien commun… Bref, deux ans après avoir sorti celui consacré à l’homme qui a « créé » (« volé » serait un terme plus exact) McDonald’s, Hancock revient avec un nouveau biopic, lequel relate cette fois-ci un pan de la vie de Frank Hamer et Maney Gault, les deux Texas Ranger (comme dans Walker Texas Ranger, oui) qui ont abattu Bonnie Parker et Clyde Barrow dans un piège tendu par la police en 1934.

En soi, la chose me parle pas mal de base mais le fait est qu’il s’agit d’un film Netflix et qu’hormis La Ballade de Buster Scruggs, Okja ou The Meyerowitz Stories, rien parmi les productions cinématographiques du distributeur américain n’a jamais réussi à paraître à mes yeux un tant soit peu correct jusqu’ici. Netflix fait à mon sens preuve de grosses faiblesses dans ses productions de longs-métrages et offre généralement à ses abonné(e)s des œuvres bancales, sinon globalement mauvaises. Je pense notamment aux ratés que furent, dans leur ensemble, AnnihilationThe Cloverfield Paradox ou encore Special Correspondents… La plupart du temps, j’ai le sentiment de regarder des films paresseux, peu inventifs et par conséquent bancals qui ne réussissent forcément jamais à marquer ma mémoire.
Pour autant, Netflix semble depuis peu se donner des moyens plus conséquents qu’auparavant, que ce soit en faisant appel à des cinéastes de renom comme les frères Coen ou Alfonso Cuarón (dont je n’ai toujours pas vu le Roma) ou des acteurs et actrices en vue à l’image de Kevin Costner et Woody Harrelson pour ce qui nous concerne ici ou bien Ben Affleck, Oscar Isaac, Natalie Portman… Et si cela ne fait évidemment pas tout, c’est néanmoins le signe de moyens toujours plus grands alloués à la branche cinéma de l’entreprise et, surtout, cela semble payer si l’on en croit par exemple les récompenses obtenues par Roma justement entre la fin 2018 et le début 2019. Et puis je dois bien avouer que la bande-annonce de The Highwaymen m’a laissé espérer bien des choses.

Il faut dire que le film semble s’être donné les moyens de réussir. Son sujet, déjà, est une belle promesse. Bonnie et Clyde sont des figures qui suscitent bien des fantasmes et leurs aventures/méfaits ont été racontés de nombreuses fois, en particulier avec des accents romantiques. Mais surtout, leur aura dépasse celle du gang et renvoie à une image bien particulière de l’Amérique, celle des années 1930, fougueuses et sauvages en partie en raison de la crise qui touche les Etats-Unis alors, une période propice à la starification des personnages de ce genre, en atteste le grand nombre de films qui sortaient à l’époque pour mettre en scène gangsters et bandits de grands chemins (le film J. Edgar de Clint Eastwood évoque assez bien la chose d’ailleurs). Et à titre personnel, c’est aussi quelque chose qui m’intéresse beaucoup, cette espèce de retour de l’Amérique sauvage qui prend forme à cette époque. Alors que la loi a réussi à s’imposer partout, mettant fin au temps des cow-boys et du Far West, voilà que le rapport de force essaie de s’inverser, la loi se heurtant désormais à un nouveau genre de criminels (le tout dans une période politique propice au renouveau de cette atmosphère).
Parallèlement, The Highwaymen se donne aussi des moyens derrière et devant la caméra. Comme je le disais, John Lee Hancock est un réalisateur qui n’impose peut-être pas encore le respect dans l’esprit de tout le monde mais qui a d’ores et déjà su proposer des œuvres de très bonne facture. A côté de cela, le film s’offre une sorte d’avant-goût de qualité par la seule présence de Kevin Costner et Woody Harrelson. Les deux acteurs sont en effet deux excellents comédiens dont les prestations les plus récentes prouvent régulièrement qu’il n’y a strictement aucun doute quant à leur capacité à faire profiter de leur aura quasiment tous les films dans lesquels ils apparaissent. Mieux encore, ils peuvent se contenter de seconds rôles et rester marquants malgré tout. C’est le cas de Costner dans Man of Steel, son interprétation de Jonathan Kent étant l’une des rares choses à sauver de cette adaptation de Superman, tout comme Harrelson se livre au même exercice dans 3 Billboards. Tout cela pour dire que placer ces deux acteurs en tête d’affiche, c’est a priori s’offrir une sérieuse assurance quant à la qualité globale de l’œuvre.

De base, les personnages d’Hamer et Gault ressemblent énormément aux flics et détective de polars à l’ancienne.

Mais revenons-en au résultat de tout cela.
Globalement, The Highaymen est un film qui s’en sort très bien. Que ce soit sur le fond ou la forme, John Lee Hancock a fait un boulot des plus appréciables et a su livrer, autant le dire tout de suite, la première production Netflix qui soit réellement intéressante depuis bien longtemps (depuis toujours ?). Mais son principal pari réussi, c’est la façon dont le cinéaste a fait de ce film une sorte de polar aux allures de western. Hancock va alors faire cohabiter différents codes inhérents à ces deux genres pour faire de The Highaymen un plaisant hybride. Pour cela, il va conférer à son film l’ambiance de ces polars « à l’ancienne », que l’on retrouve souvent dans les œuvres du même tonneau qui se déroulent dans les années 1930. Une sorte de rapprochement avec le film noir qui épaissit l’atmosphère et se développe dans le scénario par la façon dont il installe progressivement un goulot d’étranglement dans lequel les personnages se glissent, jusqu’à la conclusion, évidemment brutale. La chose devient cependant plus intéressante en nous plaçant cette fois-ci nous pas du côté du traqué, ni de l’inspecteur sans cesse menacé, mais bien du côté du traqueur qui va inéluctablement mettre un terme aux agissements des criminels. Un postulat forcément induit par la connaissance du parcours de Bonnie et Clyde par une grande partie du public mais qui permet du coup de proposer cette approche un peu différente de la question.

A tout ceci, Hancock ajoute des allures de western qui offrent un autre regard encore. Si ce choix peut sembler hasardeux aux yeux de certain(e)s, je trouve au contraire qu’il est des plus judicieux. La traque de Bonnie et Clyde est la dernière traque « à l’ancienne » que les Etats-Unis ont connue et cela rejoint ce que j’évoquais plus haut concernant cette espèce de revival de l’Amérique sauvage à une époque où le sceau de la loi semble avoir mis un terme définitif à ces vies dignes de cow-boys.
Les deux amants, eux, se sont dressé face à cet ordre établi et ont choisi de suivre leur propre voie, pourchassés finalement par des hommes qui semblent avoir compris que pour répondre à une criminalité de cow-boy, il fallait des types de la même trempe. Le film ne manque pas de poser ce propos noir sur blanc dans le texte avec notamment cette réplique de la gouverneure Ferguson qui compare les anciens Texas Rangers que sont Hamer et Gault à des cow-boys. Il faut dire que les Texas Rangers ont toujours suscité pas mal de fantasmes dans la culture populaire américaine, eux qui sont assez souvent présentés comme les derniers vestiges d’une application de la loi sauce Far West. La série Walker Texas Ranger par exemple, et quoi qu’on en pense, repose beaucoup sur cette imagerie.

Les chevaux sont sous le capot désormais mais l’imagerie reste.

La traque de Bonnie et Clyde prend alors vite les allures de celles que les westerns nous livrent : de dangereux bandits pourchassés par des sheriffs/marshalls. Et si les voitures ont remplacé les chevaux, le délire reste un peu le même. Le film alors de se retrouver intégralement saupoudré d’une esthétique qui emprunte énormément auxdits westerns. La mise en scène et la photographie évidemment reposent pour beaucoup sur différents codes inhérents au genre mais il est à noter toutefois que le réalisateur n’en fait pas trop non plus, n’oubliant pas que son The Highwaymen n’est pas qu’un western.

Kevin Costner est idéal pour jouer les cow-boys en plus.

C’est par à-coups judicieux donc que le cinéaste va ainsi appliquer ce fameux genre à son film, à l’occasion de plans bien précis ou de séquences construites autour de l’hommage. Car plus que de s’en servir comme une influence, je pense en effet que John Lee Hancock a voulu rendre hommage aux westerns à travers son film et celui-ci est d’autant plus joli qu’il est fait avec douceur, sans forcer le trait ni vouloir absolument trop se mettre en avant. C’est par des images presque succinctes ou simplement la façon dont il met en scène ses personnages et les filme que Hancock se livre à l’exercice. La musique accompagne également ce processus. C’est à Thomas Newman que nous la devons. Un nom qui n’est pas anodin puisqu’il s’inscrit dans une belle lignée de compositeurs pour le cinéma : son père Alfred Newman a remporté 9 Oscars pour ses compositions, son cousin Randy Newman n’est plus à présenter (en particulier aux fans de Pixar) et son frère David Newman compose pour le cinéma depuis 1986. Thomas Newman a donc la fibre musicale dans le sang et est un fidèle de réalisateurs de renom comme Steven Soderbergh et Sam Mendes. Enfin bref, sa musique se veut ici idéalement insérée dans le film et contribue à lui offrir son atmosphère si particulière, entre film noir et western donc. Par séquences, elle oscille agréablement entre les deux genres elle aussi et si elle manque de morceaux plus percutants que d’autres peut-être, elle reste une très belle toile de fond pour The Highwaymen.

A tous ces partis pris que John Lee Hancock installe dans son film avec intelligence, il en ajoute un autre qui tourne cette fois-ci autour de la manière dont on va représenter Bonnie et Clyde à l’écran. Avant toute chose, il faut comprendre toute l’aura qui entoure cet iconique couple, qu’on a depuis longtemps maintenant érigé en une sorte de duo romantique, substituant une sorte d’amour fou pour le danger et l’interdit à leur simple cruauté. C’est une image que le film Bonnie and Clyde d’Arthur Penn construit en grande partie et qui a inspiré à Serge Gainsbourg sa fameuse chanson du même titre. Deux amants follement épris l’un de l’autre, vivant de leurs braquages jusqu’à leur fin aussi inéluctable que tragique. Mais l’on n’a pas attendu avant de développer cette imagerie autour du duo et de leur gang. Déjà à l’époque, alors qu’ils semaient la terreur où ils passaient, Bonnie et Clyde ont fait l’objet d’une attention particulière, comparés à des Robins des Bois modernes et au final grandement starifiés. Ce serait aujourd’hui, ils seraient dans les magazines people.

Bonnie et Clyde

Cela, le film met plutôt bien l’accent dessus mais il le fait de façon contrastée. Bonnie et Clyde, en tant que personnages, apparaissent excessivement peu à l’écran et jamais en entiers. C’est un bras, une jambe, un dos mais rien de plus. Leurs visages ne sont visibles qu’en une seule occasion également.

Bonnie et Clyde sont, dès le départ, suggérés et évoqués plus que véritablement montrés.

Hancock joue donc un jeu amusant en contre-balançant toute l’aura qui les entourait par une présence à l’écran aussi minimaliste que possible. En cela, il rappelle quelle menace ils furent et, peut-être, ajoute un peu à l’idée qu’il ne faut pas tomber dans l’idolâtrie avec n’importe qui. Faire de Bonnie et Clyde des icônes, c’est le même principe que mettre Mesrine sur un piédestal dans les années 1970 en France. Il y a un paradoxe derrière tout cela que le réalisateur met intelligemment en scène dans son film où les deux amants ne sont montrés que par le prisme de leur violence. Il va même encore un peu plus loin en jouant sur cette image ambivalente non seulement par la seule force de ce contraste mais aussi par la mise en opposition avec les deux héros du film. Hamer et Gault sont présentés ici à l’exact opposé du traitement dont Bonnie et Clyde font l’objet. Leur présence à l’écran est évidemment toute autre mais, surtout, Hancock insiste sur leur discrétion et le fait qu’ils évoluent sans cesse loin des projecteurs, y compris lorsque leur mission est accomplie. La synthèse de tout cela, c’est évidemment cette séquence en toute fin de film où Hamer refuse de donner une interview pourtant payée 1000 $ et où Gault affirme que la personne ayant proposé cela devrait avoir honte. Alors oui, ça donne peut-être un côté un peu éculé à la chose et à la façon dont Hancock construit ses personnages. C’est le rappel d’un cinéma d’autrefois où les gentils étaient vraiment gentils et intègres et où les méchants était d’augustes salauds sans vergogne. C’est le même cinéma que J. Edgar Hoover aimait voir renaître à l’écran à une époque où Hollywood se rendait compte que les films mettant en scène des gangsters comme des héros romantiques modernes rapportaient justement beaucoup plus d’argent. Certain(e)s trouveront cela un peu vieux jeu, peut-être même un tantinet réac sur les bords mais je crois qu’il faut y voir l’application d’archétypes inhérents au genre, surtout quand on mêle polar et western comme The Highwaymen le fait si bien.

Des héros très discrets.

Quelques mots pour terminer concernant le duo de tête que forment Kevin Costner et Woody Harrelson. Je ne dirai en effet rien ou presque sur les seconds rôles tant ils paraissent mineurs en comparaison de ces deux acteurs. L’on pourrait pourtant sans peine souligner leur qualité d’ensemble, avec quelques mentions particulières pour Kathy Bates, John Caroll Lynch ou Kim Dickens. Mais Costner et Harrelson tirent tant la couverture à eux qu’il serait vain de vouloir parler de quelqu’un d’autre.
Les deux comédiens figurent parmi la liste étroite de ceux que j’apprécie le plus de manière générale mais il convient de souligner que, depuis quelque temps, il y a un truc en plus qui marque leur jeu et mon appréciation de leurs prestations. Une forme de maturité exacerbée, qu’on pourrait peut-être résumer sous le terme de vieillesse (sans les côtés péjoratifs de la chose). Tant Costner qu’Harrelson sont arrivés à un stade de leurs carrières respectives où, s’il leur arrive encore de jouer les héros fringants, on aime les voir évoluer dans des registres où leur âge est un atout plus qu’autre chose. C’est un peu ce qui paraissait déjà concernant Costner dans la série Hatfields & McCoys, hautement recommandable, ou pour Harrelson dans le récent 3 Billboards. Les deux acteurs campent volontiers des personnages usés, sinon désabusés et cela leur va à merveille.
Dans The Highwaymen, ils incarnent chacun un homme fatigué, un vieux pourrait-on presque résumer. Ils n’hésitent pas à leur donner des faiblesses et des failles, physiques ou mentales. Et ils le font à merveille. Il y a un côté brut et naturel dans leurs interprétations respectives qui donne du corps aux personnages, une sorte de réalisme sans fard qui les rend d’autant plus intéressants et attachants. Mieux encore, Kevin Costner et Woody Harrelson forment un excellent binôme et se trouvent bien vite indissociables. Et si leurs performances individuelles sont parfaites, le souvenir le plus prégnant à l’issue du visionnage sera sans doute celui de la rencontre entre ces deux excellents acteurs.

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The Highwaymen ne sera peut-être pas le plus grand succès de Netflix. Il est arrivé sans crier gare ou presque et se fait depuis sa sortie assez discret mais on ne peut qu’encourager quiconque a accès au service à regarder ce film. John Lee Hancock y a réalisé une sorte d’épopée de très bonne facture, inspirée et intelligente qui jouit par ailleurs d’un cast des plus appréciables. C’est un film mesuré et réfléchi que le réalisateur nous offre ici. Sans précipitation ni artifices spectaculaires facultatifs, The Highwaymen se démarque en un sens et réussit à captiver par son atmosphère et la tension qui l’accompagne naturellement. C’est sans doute le meilleur film Netflix que j’aie pu voir et c’est moins parce que les autres ne sont pas terribles que parce que celui-ci est vraiment bon.

Une réflexion sur “« The Highwaymen », John Lee Hancock, 2019

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