Parlons jeu, parlons bien n°53 – « Star Wars Jedi – Fallen Order » [Xbox One]

La genèse de Fallen Order peut prêter à sourire quand on y repense. Annoncé au cours de la conférence EA de l’E3 2018, la révélation de ce projet pouvait à l’époque paraître plus que bancale. Pour celles et ceux qui ne se souviendrait pas trop de l’histoire, l’on avait alors pu assister à l’annonce la moins enthousiaste de tout le salon. Un titre balancé comme ça par un gars de Respawn Entertainment assis dans le public et dont on se demanderait presque s’il était prévu que ce pauvre homme intervienne. Un manque de passion et d’extase assez peu habituel pour les annonces de cette envergure sur ce salon qui, pire encore, rappelait aux fans de Star Wars que le projet Star Wars 1313 porté par LucasArts jusqu’en 2013 et la fermeture dudit studio était bel et bien définitivement enterré. Mais peu importe, Fallen Order est là désormais !

Petit saut dans le temps et nous voilà un an plus tard, à l’E3 2019, où EA (au détour d’une des conférences les plus insipides, sinon insupportables, de son histoire) nous révèle pas moins de 15 bonnes minutes de gameplay pour ce nouveau titre. Si l’on savait déjà que dans le cadre de la grande campagne de rédemption de l’éditeur, ce futur jeu ne contiendrait ni loot boxes, ni la moindre microtransaction, il était cependant plus difficile de le cerner sur le plan de ses mécaniques de jeu. Un bon quart d’heure plus tard, je me souviens être resté assez circonspect face à Fallen Order. Si le jeu avait l’air plaisant à parcourir, le côté « cumul des références » m’échaudait un peu. C’était un jeu Star Wars inédit certes, mais on nous promettait une expérience qui conjugue des aspects de jeu tirés de God of War (celui de 2018 spécifiquement), de Bloodborne (et des Dark Souls de manière générale), d’Uncharted ou encore de la trilogie Metroid Prime… Oh bien sûr, il y a pire références que celles-ci mais, qu’elles soit explicitement annoncées ou non, elles posaient une question : Fallen Order ne va-t-il pas manquer d’âme finalement ? A vouloir tant tirer chez les autres de quoi faire sa propre expérience, ne prend-il pas le risque de cruellement manquer de personnalité ? De se forger sa propre identité ludique ?

De toute évidence, ce risque existait bel et bien. On ne peut pas arriver avec un AAA qui cite autant ses prédécesseurs (dont certains particulièrement récents) sans courir le danger d’un manque d’initiative criant. Reste qu’un nouveau bond temporel plus tard, nous voilà au 15 Novembre dernier et à la sortie du titre. Entre temps, je dois bien avouer que mon enthousiasme à son égard (qui existait toujours malgré tout) ne tenait plus qu’à la seule évocation de Star Wars. Le reste… « eh bien nous verrons », me disais-je en attendant patiemment l’arrivée du soft chez moi.

Difficile de ne pas se sentir comme à la maison pour un(e) fan de Star Wars une fois sur Kashyyyk.

Tout ceci étant dit, j’ai toutefois d’assez bonnes premières impressions au moment de lancer le jeu dans ma Xbox One.
Esthétiquement, je n’ai pas grand-chose à lui reprocher. La direction artistique a certes un travail « facilité » par un long héritage visuel induit par le pan cinématographique de la licence mais également tous les jeux précédentes mais il ne faut pas pour autant en minimiser les qualités. Fallen Order réussit en effet à se construire un univers riche de moult détails tout en respectant les standards qui sont imposés consciemment ou non par la saga. Ce travail de conjugaison entre l’inédit et l’hérité, il se résumerait facilement en évoquant brièvement le fait que Kashyyyk (que nous avions découverte dans l’épisode III au cinéma) est aussi réussie que Zeffo par exemple. Cela peut sembler bateau mais lorsque l’on tâche de donner vie à un jeu se déroulant dans un univers déjà aussi riche et précis que celui de Star Wars, il est important d’offrir de la cohérence, de faire en sorte que rien dans ce que l’on proposera d’inédit ne jure avec ce qui était déjà établi. Sur ce plant-là, Fallen Order n’a pas à rougir et ce constat vaut non seulement pour les planètes sur lesquelles il propose de s’aventurer mais aussi pour des choses qui sont plus petites, parfois des détails. Ainsi en va-t-il par exemple du droïde BD-1 qui nous accompagne tout du long de l’épopée ou du vaisseau de Greez que nous emprunteront bien des fois pour voyager de planète en planète. L’idée n’est pas ici de vous citer ce qui est nouveau et ce qui ne l’est pas mais plus de vous affirmer qu’à mon sens, les équipes artistiques ont fait du très bon boulot sur ce jeu afin qu’il s’inscrive très naturellement dans la licence dont il dépend.

Adorable et indispensable BD-1.

Ce qui est dommage en revanche dans cet ordre d’idée, c’est que la concrétisation de tout cela souffre pas mal de plusieurs défauts. Pour la faire courte, le titre pèche pas mal sur le plan technique. Malgré l’usage d’un moteur Unreal Engine dont on pourrait penser qu’il est maîtrisé sur le bout des doigts en 2019, Fallen Order manque un peu de finition. Je tiens à souligner ce point que je trouve qu’il est réellement dommage de bénéficier d’une direction artistique de cette mesure pour finalement flancher lorsqu’il s’agit de la mettre en oeuvre in game ! C’est d’autant plus frustrant qu’il s’agit parfois de choses dont on pourrait vraiment espérer ne pas y assister, comme des problèmes de textures qui peinent parfois longuement à s’afficher.

Il est d’autant plus dommage que la technique ne suive pas toujours que certains décors sont somptueux…

Vous me croirez ou non mais, ayant eu du temps devant moi, j’ai fait l’expérience et à un moment où j’ai assisté pour la énième fois à ce souci, je me suis arrêté et suis resté devant l’objet du problème. En l’occurrence, il s’agissait d’un élément de décor assez imposant, à savoir que je me trouvais dans un sas assez petit sur la gauche duquel se trouvait un empilement de caisses. Essayez de visualiser la chose et comprenez que je vous parle là d’un morceau de décor qu’on voit forcément, puisque c’est la seule chose à voir dans ce sas. Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’un banal rocher parmi tant d’autre en extérieur par exemple ou de quelque chose d’autre d’aussi anecdotique. Non là c’est vraiment la seule chose que tu peux voir distinctement en dehors des murs, du sol, du plafond et des portes du lieu. Eh bien croyez-le ou non encore une fois mais les textures définitives de ces caisses ont mis une bonne minute à s’afficher. Une minute, ce n’est quasiment rien en vrai mais dans un jeu, lorsqu’il s’agit d’afficher quelque chose, bon dieu ce que c’est long !
Je ne vous dis pas ça pour tacler bêtement ce jeu ou faire preuve de mauvaise foi (d’autant que, vous le verrez par la suite, j’ai finalement beaucoup aimé Fallen Order) mais parce que ce n’est qu’un point parmi bien d’autres qu’on aurait pu citer sur ce souci beaucoup trop fréquent dans le soft. S’il n’y avait eu que ces caisses, je n’aurais très certainement rien dit sur le sujet, mais voilà : je me suis arrêté devant parce que j’en étais à un point où je me suis demandé jusqu’où on pouvait aller dans cette difficulté dont souffre le jeu. Alors non, ce n’est pas un problème à 100 % rédhibitoire, fort heureusement, et je suis passé outre pour mon plus grand plaisir à bien des reprises. Mais c’est frustrant. Ça l’est tout autant que le clipping qui ponctue (plus rarement) le jeu, les temps de chargements infernalement longs, ou bien les difficultés qu’éprouve le moteur à afficher certains ennemis lors des réapparitions.

Par contre, je suis navré, mais les Wookies sont moches.

Je râle, je râle, on pourrait presque croire que j’en rajoute alors passons. De toute façon, je suis resté fidèle à mes vieux principes en jouant Fallen Order et je vais tâcher d’en faire de même dans ces lignes : juger le jeu à l’aune de ses qualités ludiques et de son fond, plutôt qu’à celle de ses formes. Evidemment, ce dernier point ne pas être totalement oblitéré, histoire de ne pas trop biaiser le jugement, mais j’ai toujours eu plus de compassion à l’égard d’un jeu techniquement imparfait mais qui sache néanmoins m’emmener avec lui dans son propos, son univers et, tout bonnement, m’amuser.

Les nouveaux personnages, au premier rang desquels Cal et Greez, sont plutôt bien pensés et m’ont donné envie de les revoir.

Cela va fatalement passer par deux choses : le scénario et le gameplay. Concernant le premier des deux tout d’abord, je pense qu’on pourrait résumer mon avis à son sujet en disant que si Fallen Order ne brille pas spécialement par un récit aux tenants et aboutissants réellement saisissants, il s’en tire davantage par sa rythmique et, surtout, son aptitude à ne pas faire tâche au sein du vaste lore de Star Wars. Je reprends ici l’idée que j’évoquais un peu plus haut d’inscription naturelle dans la continuité des films notamment car, qu’il s’agisse d’ambiance ou de péripéties à développer, Fallen Order réussit à parfaitement faire figure de bon épisode de la saga. Avec le recul, et même si j’ai à titre personnel beaucoup aimé Rogue One, je trouverais presque que ce jeu s’insère avec bien plus de fluidité dans la licence que ne le faisait le film de Gareth Edwards (qui ne déméritait donc pourtant pas). Ce n’est pas qu’une question de mettre ou non en scène des gens avec des sabres-laser, c’est surtout une question d’atmosphère, de thématiques et ce genre de choses.
Sur ce plan, Fallen Order a plutôt bien travaillé son contenu et sa proposition, livrant une histoire qui ne casse sans doute pas trois pattes à un bantha mais qui réussit un minimum essentiel : saisir l’essence de la licence. Sans révolutionner pour autant la recette, Respawn applique cette formule dans son jeu en abordant tant les fondamentales question de lutte entre le bien et le mal que des aspects plus inhérents à Star Wars et à son univers, sa continuité. Cela passe autant par les références nécessaires aux autres épisodes (et notamment au III) que par l’inclusion de personnages venus d’autres films à l’image de Saw Guerrera (Rogue One) ou le chef Wookie Tarfful (La Revanche des Sith), ou bien l’apparition de planètes éminemment importantes dans l’univers étendu (Ilum et Dathomir en premier lieu).
Alors non, l’histoire que narre ce titre n’est pas la plus incroyable jamais écrite, ni pour Star Wars, ni de manière générale, mais elle a plusieurs mérites dont celui de respecter sa licence, de mettre en place des personnages, des lieux, des enjeux qui tiennent la route non seulement au regarde de cette dernière mais également dans le seul cadre du jeu qui les développe. Si tout n’est pas parfait dans cette narration ou dans ce qu’elle propose de raconter, on ne peut s’empêcher de penser que Fallen Order est, sur la plan du scénario, un Star Wars tout à fait convenable. Mieux encore, j’attends fermement de retrouver les protagonistes qu’il a créés et développés au cours de cette aventure pour voir ce qu’il va en advenir par la suite. Rien que pour cela, je ne cracherai pas sur un Fallen Order 2. Enfin, je ne vous en révèle comme toujours aucun détail, mais le final du jeu illustre à lui seul tout ce que je viens d’essayer de souligner ici concernant l’intelligence de ce soft dans la manière qu’il a de comprendre qu’il fait désormais partie d’un univers bien plus grand que lui.

Malgré l’inégalité de tout ce qui fait Star Wars aujourd’hui, il est plaisant de voir que l’on cherche de nouveau à développer l’univers au-delà des seuls films et de la famille Skywalker.

Toujours dans l’optique de se concentrer plus sur les idées concrètes du jeu que sur ses seuls atours esthétiques, c’est aussi au gameplay qu’il convient de s’intéresser, forcément. Pour ne rien vous cacher, lorsque j’ai entamé ma partie sur Fallen Order, j’avais oublié tout le côté Bloodborne que les développeurs ont choisi de distiller dans leur oeuvre. Quelle ne fut donc pas ma surprise en me retrouvant, très rapidement, aux prises avec des ennemis vifs, brutaux et surtout bien plus costauds que moi !

Fallen Order nous met régulièrement au défi avec des combats de boss à la difficulté croissante et souvent dantesques.

Le rappel de la composante Souls-like passé, non sans immédiatement calmer mes ardeurs, vient le moment de prendre le temps de bien apprivoiser les mécaniques de jeu du titre. A l’instar des softs dont il s’inspire ici, Fallen Order exige – mais sans trop de fermeté – que l’on accorde du temps à l’apprentissage. Un élément finalement assez intéressant dans le sens où nous incarnons Cal Kestis, un ancien padawan Jedi ayant survécu à l’Ordre 66 et qui s’et globalement coupé de la Force et de son usage pour se protéger en ces temps impérieux troublés. Kestis doit alors reprendre le chemin de son propre apprentissage et c’est le nôtre qui se fera en parallèle, découvrant progressivement de nouveaux coups, de nouvelles techniques et de nouveaux pouvoirs qui seront tout autant d’éléments qui forgeront notre style de jeu. Exigeant mais aussi très précis, ce gameplay est en tous cas l’une des gageures de ce jeu. Difficile à maîtriser, certes, mais néanmoins très agréable en mains, il implique un investissement certain des joueurs et joueuses et leur impose, non sans se montrer gratifiant, un beau défi, du challenge brut afin de se laisser dompter. Evidemment, le niveau de difficulté n’est pas à la mesure d’un Dark Souls (sauf si vous plongez dans le mode Grand Maître Jedi ou même Maître Jedi, respectivement Difficile et Très difficile) mais il est suffisamment coriace pour nous empêcher d’être passif devant notre écran.

L’arbre de compétences est très bien intégré dans la progression générale du jeu et constitue un atout à ne surtout pas négliger.

Cet aspect très important du gameplay confère alors au titre un bien beau dynamisme – conjugué à une certaine brutalité, à ne pas confondre avec de la seule violence – qui lui permet finalement de faire briller l’intégralité de ses mécaniques de jeu. Car au-delà de ce seul aspect, il faut également prendre en compte d’autres éléments tels que l’arbre de compétences ou encore la progression en allers et retours héritée de Metroid (et plus particulièrement de Metroid Prime 3 je trouve), pour ne citer que cela. Des éléments qu’on a désormais vus et revus dans bien des œuvres et qui pourraient aisément lasser s’ils étaient servis seuls.
La qualité de Fallen Order sera alors de contrebalancer ces points-là, qui peuvent s’avérer plus prompts à temporiser la progression, par cette vivacité que j’évoquais plus haut. Ainsi en va-t-il également de cette approche exploratoire héritée de jeux comme les plus récents Tomb Raider ou la saga Uncharted. Ce sont là des mécaniques de progression et de level design qui sentent bon le réchauffé là encore mais, par on ne sait trop quel miracle, Respawn semble avoir été touché par la grâce et réussit à assez savamment mélanger ses idées (recyclées ou originales) pour permettre aux propriétaires de son jeu de ne pas avoir l’impression de jouer à un banal pot pourri de ce qui s’est fait de mieux dans différents registres ces dernières années.

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De jeu tristement annoncé, Star Wars Jedi – Fallen Order aura donc effectué une belle mue. Là où il aurait été facile de voir à l’époque un jeu sans prétention et potentiellement aussi peu enthousiasmant que ne l’était sa révélation en 2018, EA et Respawn ont réussi un bien joli coup en livrant finalement un jeu vidéo particulièrement emballant. Sans être exempt de plusieurs défauts, notamment techniques, ce nouvel opus vidéoludique de Star Wars fait preuve d’une très belle volonté qui, adjointe au dynamisme et à la férocité de son gameplay, permet à son public de s’y retrouver et surtout de profiter d’un titre prenant et qui sache proposer un joli challenge. En quelques mots, c’est tout bonnement une excellente surprise !

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