Parlons jeu, parlons bien n°61 – « The Last of Us, Part II » [PS4]

Fallait-il une suite à The Last of Us ? Sorti en 2013, remastérisé en 2014, découvert en ce qui me concerne en 2020, le jeu de Naughty Dog ne semblait clairement appeler aucun second opus. Riche d’un scénario qui offre le plaisir d’assister à un périple dantesque dont on a clairement un début et une fin, laquelle peut amplement se suffire à elle-même, le premier volet des aventures d’Ellie et Joel aurait très bien pu rester le seul et unique. Mais voilà, sept ans plus tard le bon vieux Neil Druckmann et son équipe reviennent à la charge avec un deuxième épisode. Clivant (et je ne compte pas là-dedans le lots de petits connards réactionnaires dont l’avis importe autant que la merde d’une souris sur la pelouse du voisin), cette « deuxième partie » constitue finalement un pari un peu osé au regard de beaucoup de joueurs et joueuses qui ont expérimenté le premier volet.

Si vous me suivez un peu ici ou ailleurs, vous aurez sans doute noté il y a quelques mois la publication sur ce blog d’un article consacré au premier The Last of Us. Un opus fondateur que je découvrais alors pour la toute première fois, sept longues années après sa sortie, dans sa version remastered sur PS4. Je ne vous refais pas mon avis sur ce jeu (et vous renvoie si cela vous intéresse au papier en question) mais il est important de noter que malgré le caractère tardif de ma découverte de ce dernier, The Last of Us a su se faire une place dans ma culture vidéoludique bien avant cela. Il est en effet de ces jeux qui, qu’on y ait joué ou non, réussissent à se forger une aura et une influence telles qu’il n’est même plus nécessaire de s’y essayer pour en toucher du doigt l’importance. Sorti dans une période charnière pour le jeu vidéo, ce premier épisode fait ainsi partie de ces titres qui se sont rapidement érigés au rang de cultes. C’est sans doute pour cela que l’annonce de la seconde partie a éveillé ma curiosité dès ses premiers instants alors même que je n’avais jamais mis les mains sur TLOU.

Cette annonce, elle a eu lieu à Anaheim (Californie), lors de l’édition 2016 de la PlayStation Experience. C’est alors que Neil Druckmann a officialisé le développement du titre et en a même révélé la première bande annonce. Un trailer où nous retrouvions Ellie, quelques années plus tard et guitare en main, jurant de tous « les » trouver et « les » tuer. Qui ? La réponse viendra bien assez tôt. Le fait est en tous cas qu’en cet instant, tout le monde est content même si une partie du public émet des réserves (légitimes, à mon sens) quant à la pertinence d’une suite à The Last of Us.

Difficile d’échapper à cette image à l’époque du second trailer du jeu.

Puis vint une nouvelle bande annonce, à la Paris Games Week 2017 et là, ça a fait parler. Au cours d’une séquence de près de 5min où nous découvrions plusieurs nouveaux personnages, le titre de Naughty Dog affichait une violence jusqu’ici assez inédite. Car si le premier épisode avait eu son lot de scènes plus ou moins dures, jamais une violence physique aussi forte n’avait été directement mise sous les yeux des joueurs et joueuses. C’est alors que semble se détacher une des promesses de ce The Last of Us Part II : ne pas faire semblant et au contraire approfondir tout ce qui avait été touché du doigt dans le premier volet, à commencer par son ambiance et la dureté du monde dans lequel évoluent les personnages. Dès lors en tous cas, un débat s’est engagé quant à cette brutalité exacerbée qui semble partie pour être un des facteurs fondamentaux de l’identité du jeu. A la vue de cette bande annonce, d’aucuns accuseront déjà le titre, trois ans avant sa sortie, de jouer le jeu de la surenchère, voire même de glisser une apologie (volontaire ou non) de la violence dans son propos. A titre personnel, j’ai toujours trouvé qu’à l’époque il était évidemment beaucoup trop tôt pour en penser quoi que ce soit et tout ce que j’y ai vu, c’est la promesse d’un épisode qui, au moins partiellement, ne cherchera pas à contourner une question qui m’est toujours apparue fondamentale dans les bons récits post-apo.

Mais passons sur le sujet pour l’instant et revenons un peu sur les formes du titre avant d’en évoquer le fond. Dès la bande annonce de 2016, il y avait déjà une promesse de faite : celle de la qualité visuelle. Comment ne pas noter dans ce tout premier trailer la façon dont la vidéo insiste sur les gestes, même infimes, ou les regards, les plis du visage, les expressions de ce dernier ? Bien entendu, il convient de ne jamais s’arrêter à une bande annonce pour partir du principe qu’un jeu sera magnifique (nous avons été si souvent trompés sur la marchandise qu’il serait idiot de continuer à y croire) mais cela permet en tous cas de discerner des intentions.

Sérieux, c’est beau ! (capture par Golden Geek)

Dès les premiers instants de jeu cependant, la vérité éclate : The Last of Us 2 est visuellement somptueux ! On pourrait tartiner des pages et des pages pour évoquer ces décors incroyables, lesquels se placent en gros dans la veine du premier « mais en mieux ». Qu’il serait bon de s’extasier en 1000 mots sur ces forêts, cette végétation qui se mêle aux vestiges de l’urbain, ces lumières fantastiques dans les montagnes… Impossible de le nier, TLOU2 est un régal pour les yeux, une expérience visuelle tout ce qu’il y a de plus satisfaisante. Pourtant, comment ne pas noter ses petits défauts ? Il y en a, par-ci par-là, parsemant le jeu de ces tous petits écueils qui pourraient entacher l’ensemble si Naughty Dog n’avait pas ce talent pour les cacher. C’est toute la force de ce studio aux si grandes ambitions sur le plan esthétique, cette capacité à dissimuler ses points noirs derrière un fond de teint parfaitement apposé. Il n’est pas impossible de ne pas voir les quelques éléments un petit peu plus disgracieux que le reste mais pour cela, il faut les chercher, il faut retourner la map de fond en comble. Un constat qui sous-entend surtout que l’expérience immédiate sur le plan visuel est d’un niveau non seulement très haut mais aussi et surtout constant. Ce n’est qu’en se montrant au moins aussi tatillon que celles et ceux qui ont mis en image tout cela que l’on arrivera à dénicher leurs petits ratés. Et puis ces derniers sont si infimes face à l’étendue de beauté que ces équipes nous servent ici qu’on ne pourra que leur pardonner, franchement.

Ces lumières ! Ces couleurs ! (capture par Golden Geek)

Comment ensuite ne pas noter tout le travail mené sur les expressions des personnages ? Dans une ambition toujours plus réaliste, contribuant à sans cesse rapprocher le jeu vidéo made in Naughty Dog du cinéma, les différents protagonistes de ce TLOU2 jouissent en effet de détails et d’un soin remarquables quant à leur expressivité. En toute honnêteté, je n’ai pas souvenir d’avoir déjà vu des visages aussi parlants et marqués dans un jeu. Même Red Dead Redemption II, qui tâchait également d’apporter beaucoup à ce point précis, ne réussissait pas à aller si loin (et je le sais d’autant mieux que j’ai relancé RDR2 ces derniers jours). Il y a donc ici quelque chose qui va encore au-delà et qui confère aux différents personnages du jeu un supplément d’âme plus que bienvenu. En effet, dans une oeuvre où l’accent est tant mis sur la psyché des hommes et femmes mis en scène, leurs choix et leurs souffrances, il semblait de facto primordial de plancher là-dessus. C’est chose faite, avec un brio indéniable que l’on retrouvait par ailleurs déjà un peu dans le premier The Last of Us mais également dans la saga Uncharted, notamment le 4ème volet.
Tout cela pour dire en tous cas qu’avec ces performances plus que louables, qui confèrent au titre une beauté froide sans commune mesure, The Last of Us 2 enfonce un peu plus le clou des ambitions esthétiques et cinématographiques du studio. Une attention toute particulière qui resurgit dans chacune ou presque de ses œuvres les plus récentes et qui s’appuie à chaque fois sur les nouvelles prouesses technologiques que les différentes machines permettent, laissant alors la part belle au souci de la mise en scène et – par extension – de la narration qui transpire dans chaque séquence du soft, jouée ou non. En soi, The Last of Us 2 n’est pas un jeu next gen bien sûr mais il augure déjà des horizons visuels qui nous attendent avec les Series X et autres PS5. Un appel du pied qui était déjà fait avec Red Dead Redemption II en 2018 ou Death Stranding l’an passé (pour ne citer que ces deux-là) et qui trouve ici un écho retentissant.

En revanche, sur le plan du jeu pur et dur, de ce que l’on fait une fois la manette dans les mains, ça ne fait pas spécialement next gen cette fois-ci. Autant le dire d’emblée et sans tourner autour du pot : The Last of Us 2 ne révolutionne rien par son gameplay. Tout au contraire, le jeu préfère plutôt grandement s’appuyer sur son prédécesseur d’il y a sept ans, quitte à paraître parfois un peu dépassé.

Les chiens sont une source de méfiance supplémentaire.

TLOU2 va donc sans vergogne reprendre la recette établie par le premier épisode, y adjoignant divers ajustements dont certains sont par exemple inspirés d’Uncharted 4, rappelant encore un peu la proximité entre les deux licences. Au rang des quelques petites nouveautés de game design, on pensera notamment à la possibilité de briser des vitres, action qui pourra autant servir pour se frayer un chemin que pour créer une diversion ; les chiens sont à noter ensuite, eux qui peuvent flairer et attaquer notre personnage ; la possibilité également d’employer cordes et tuyaux pour se trouver de nouveaux cheminements, amenant par la même occasion un peu plus de verticalité dans le jeu, ce dont le premier opus manquait un peu ; et enfin de nouveaux ennemis bien entendu, humains comme infectés.

Ceci étant dit, le jeu s’avère finalement assez classique sur le seul plan du gameplay et du game design, nous laissant ainsi retrouver nombre de features et approches qui faisaient déjà le socle de TLOU en 2013 : exploration, infiltration, crafting, etc. Quant au level design, si l’on exclut la verticalité que je soulignais rapidement juste avant, le constat demeure assez similaire, le joueur/la joueuse devant arpenter de longs couloirs faussement ouverts pour finalement tomber le plus souvent dans une arène sur un ou plusieurs niveaux et dans laquelle il faudra éliminer les ennemis présents. Un cheminement global qui, ici encore, s’apparente pour beaucoup à celui d’Uncharted 4 notamment. Néanmoins, les diverses propositions nouvelles que je citais ci-dessus permettent au soft de se renouveler un tant soit peu sur la question, épargnant à son public le désagréable sentiment d’une redite sans inventivité. Il n’en demeurera pas moins que malgré ces légers efforts fournis ici, quiconque aurait joué à The Last of Us premier du nom retrouvera dans cette suite un jeu similaire à ce dernier sur 90 % de son contenu et de son identité ludiques.

Comme dans le 1er, Ellie dispose ici d’un arbre de compétences lui permettant de s’améliorer sur les plans du crafting, de la discrétion ou encore de la létalité.

Pour autant, la chose fonctionne. Si l’on ne s’arrête pas à la seule répétition que cela donne vis-à-vis du précédent épisode, on ne pourra nier que le système de jeu mis en place ici reste efficace. On se plait à progresser dans le jeu, dans les zones qu’il nous demande d’explorer et si cela ne fait pas toujours preuve de la plus grande inventivité, il s’y trouve une sorte de naturel très plaisant qui rend l’expérience assez fluide finalement. Ellie répond très bien aux commandes et jouit d’une agilité notamment qui rompt avec la raideur parfois gênante de Joel dans le premier volet. Son gameplay se veut plus souple, moins redondant aussi qu’il ne pouvait l’être alors, et il convient également de souligner la correction apportée aux sidekicks qui nous accompagnent parfois.
Là où Ellie se trouvait dans le premier jeu à courir n’importe où et en dépit du bon sens au milieu des ennemis sans pour autant se faire remarquer – rompant alors durement l’immersion – les quelques personnages qui nous suivent ainsi de temps en temps se font plus malins cette fois-ci. Discrets, bien plus capables de reconnaître une bonne couverture sans avoir à errer sur le champ d’affrontement, mais aussi particulièrement efficaces au combat, les voilà qui apportent une vraie plus-value à cet aspect du jeu. L’ensemble n’est cependant pas sans petits ratés par moments et renvoie très vite TLOU2 à son statut de jeu vidéo. C’est le cas notamment lorsque le soft exige sans te le dire que tu attendes qu’un autre personnage passe par tel chemin avant que tu ne puisses l’emprunter. Tu auras beau avoir très bien compris par où tu dois passer : non. C’est à l’autre de passer en premier parce que le script prévoit les choses comme ça et pas autrement. Si cela découle certainement du désir de Druckmann et son équipe de raconter l’histoire à leur façon, sans intervention extérieure, on ne pourra nier que cela reste un peu frustrant parfois.

Dina constitue une alliée de choix. A la réflexion, je regrette peut-être un peu l’absence de contrôle sur les sidekicks, un peu de la même manière que dans le dernier God of War avec Atreus.

Mais à l’instar de TLOU, ce nouveau titre ne voit-il par résider son intérêt ailleurs ? A l’époque du premier opus, ce qui avait soulevé les joueurs et joueuses, c’était moins la proposition faite en matière de jeu à proprement parler, d’actions à accomplir avec les touches et sticks de la manette que la façon dont tout cela se met au service d’une ambition narrative. Il suffit d’en parler avec les fans de la première heure : si certain(e)s évoqueront la façon dont le gameplay ne transcendait pas spécialement l’expérience, ce qui sera le plus vite amené sur la table c’est avant tout la façon dont le soft effectue des choix tranchés en matière d’histoire et de la manière dont il va la raconter. Voilà ce qui a marqué à l’époque, d’autant que le titre arrivait dans un temps où l’idée de choix laissé aux joueurs et joueuses s’imposait de plus en plus tandis que celui-ci préférait quant à lui tout au contraire dicter son récit avec précision et sans possibilité d’échapper à ses intentions.

Le poids de la fin de TLOU se fait toujours aussi lourd dans cette suite.

Avec The Last of Us 2, ce sont les mêmes règles, les mêmes codes qui vont régir le jeu, son récit et la manière dont tout cela va nous être offert. Il serait aisé sur la base de ce constat préliminaire de ne plus voir en TLOU2 qu’une grande redite de son prédécesseur, mais il n’en est rien. Si elle en reprend les tenants et aboutissants dans ses mécaniques générales, cette suite s’avère redoutablement efficace et se paie même le luxe de s’offrir une véritable identité vis-à-vis du premier jeu. On ne peut pas dire qu’il y a clairement The Last of Us d’un côté et The Last of Us 2 de l’autre mais les choses sont faites de manière à parfaitement dissocier les deux, à y voir deux expériences distinctes et le résultat final va très élégamment dans ce sens. Cette élégance, on la retrouve surtout dans la façon dont les deux parties de cette longue épopée se rejoignent. C’est en effet autour de la fin du premier jeu que le second se construit et j’insiste énormément sur l’emploi de « autour » et non de « à partir de ». Si cette dernière formulation est évidemment exacte, le récit du 2 s’ouvrant sur le rappel de cette fin, c’est bien la première qui reflète à mon avis le plus la manière dont les éléments se construisent dans le récit que Neil Druckmann et Halley Gross nous proposent ici. Non contents de se servir de cette conclusion comme point de départ de TLOU2 (même s’il se déroule 5 ans plus tard), les deux scénaristes tâchent d’y revenir sans cesse.
L’intégralité du scénario va alors graviter autour de cette fin pour mieux amener de nouveaux éléments, toujours avec une grâce et une élégance qui force le respect. Les échos que les ultimes instants de The Last of Us trouvent dans cette suite font partie intégrante du récit qui nous est narré, ils en sont à la fois le socle et la justification. En cela, Druckmann et Gross réussissent à ne pas en faire qu’un prétexte pour lancer de nouvelles péripéties. Bien entendu, c’est pourtant le cas au tout début du jeu et cette introduction de près de trois heures nous le rappellera sans détours, durement, avec brutalité même. Mais à mesure que l’on avance, les renvois à cette fin, au choix que Joel y avait fait, se font plus malins, plus insidieux même, aiguillant toujours plus la personne qui joue vers de nouveaux questionnements. En développant son propos autour des ultimes événements survenus 5 ans plus tôt, le jeu remet systématiquement les choses en perspective. Il les questionne. Il va tordre certaines opinions que nous avions ou au contraire va remettre d’aplomb des éléments que l’on pensait acquis mais qui se révèlent ne pas l’être du tout. TLOU2 joue sans cesse sur ce tableau et s’il s’appelle spécifiquement Part II, c’est au final pour souligner la façon dont cette suite peut rapidement paraître essentielle au regard de la narration et de l’intégralité du récit développé depuis les premiers instants du premier épisode.

TLOU2 s’ouvre sur la confession de Joel à son frère Tommy, occasion idéale de raccrocher les wagons entre les deux jeux à partir de la fin du premier.

Je répète d’ailleurs depuis tout à l’heure que le jeu se construit autour de la fin du premier volet et cela pourrait laisser poser la question suivante : puis-je jouer à TLOU2 sans avoir fait le 1 ? En soi, c’est possible. Le nouveau-né de Naughty Dog débute en effet par un rappel de la bouche-même de Joel, des événements finaux de son prédécesseur. Du coup, le joueur/la joueuse qui n’aurait pas eu le loisir de jouer au titre de 2013 se voit ainsi remettre en main les cartes qui lui permettront de comprendre ce qui se déroule cette fois-ci. Cependant, ne pas y avoir joué reste malgré tout préjudiciable, tout simplement au regard de la charge émotionnelle. Si la fin de TLOU a tant marqué les esprits, c’est non seulement pour ce qu’elle représente en tant qu’instant et par la force de ce qui s’y déroule mais aussi et surtout parce qu’elle frappe de plein fouet les joueurs et joueuses qui ont parcouru les 14-15 heures de jeu qui la précèdent. Elle est entrée dans les mémoires parce qu’elle met en scène des personnages que l’on a suivis et incarnés tout ce temps, au cours duquel le titre a su poser et développer la relation entre Joel et Ellie. Or, cette relation est tout aussi primordiale dans ce nouveau chapitre de l’aventure.

C’est alors ici que réside toute la force de The Last of Us 2. Il a une manière bien à lui de nous installer sur des éléments connus pour ensuite nous prendre à revers et nous surprendre. Une force qui se cache dans la construction du récit, fait notamment de retours en arrières qui complètent chaque fois le parcours des personnages mis en scène, revenant notamment pour une partie d’entre eux sur l’évolution de la relation entre Ellie et Joel durant les 5 ans qui séparent les deux jeux. Au cours de ces flashbacks, qui ponctuent intelligemment le scénario dans son ensemble, nous nous retrouvons à vivre différentes séquences de vie qui n’ont parfois l’air de rien vues comme ça, hors contexte, mais qui trouvent toute leur puissance dans la façon dont elle résonne avec ce que l’on vient généralement de faire quelques instants auparavant, dans le « temps présent ».

Exemple de flashback très réussi.

Il suffit parfois d’une phrase prononcée par tel ou tel personnage pour que le souvenir qui se présente juste après prenne une saveur particulière, faite de douceur et d’amertume, parfois de révélations. Pas de celles qui font découvrir un événement jusqu’ici caché au public (même si c’est parfois le cas) mais plutôt de celles qui viennent apporter une autre lumière sur des choses que nous pensions sûres de manière ferme et définitive. Les flashbacks contribuent alors grandement à ce travail de prise à revers que j’évoquais plus haut et s’ils ne sont jamais des grands moments de gameplay, ils sont systématiquement des instants de récit forts qui témoignent de toute l’attention portée sur le sens du rythme dans The Last of Us 2.
La démarche de retournements non pas de situation mais plutôt de statu quo voulue par Druckmann et Gross s’appuie alors beaucoup sur cette impeccable rythmique. Le scénario d’infliger alors régulièrement de petites ou grosses claques qui viennent toujours replacer les choses dans une nouvelle perspective. Parti dans ses certitudes durant les premières heures de jeu, le joueur/la joueuse se retrouvera finalement rattrapé par les événements, le titre n’hésitant pas tout particulièrement à lui mettre ce stop violent devant les yeux, après une bonne dizaine d’heures. un coup d’arrêt brutal mais parfait qui vient radicalement changer la donne. A cet instant du parcours, l’histoire que l’on veut nous raconter se dresse face à nous et nous met face à tout ce qui a pu être dit, fait, ou même seulement pensé jusque là. Il nous dit : « Voici ce que tu as accompli, commis et contribué à faire, voici les personnages que tu as rencontrés : maintenant, contemple les conséquences de tes actes ». Et dans un revirement que je n’avais personnellement pas du tout vu venir (mais je dois bien admettre que je suis un public très naïf et que je vois rarement venir ce genre de choses), me voilà à partir sur un autre chemin dont je me passerai bien de vous glisser le moindre détail afin de ne pas spoiler les quelques un(e)s qui parcourraient éventuellement ces lignes sans s’être prêtés au jeu auparavant.

Et soudain, tout bascule.

La question qu’on peut légitimement se poser cependant, c’est de savoir pourquoi on serait tant touché par les conséquences des choix faits durant l’histoire si ceux-ci ne sont même pas les nôtres ? En effet, le joueur n’a strictement aucun champ libre quant à l’issue des événements qui se déroulent devant ses yeux. Le récit est intégralement prédéterminé par le scénario : Druckmann a une histoire à raconter et on ne peut pas y déroger, à aucun moment. De la même manière, certaines séquences nous poussent à faire des choses que l’on n’a pas nécessairement envie de faire. Des actes violents auxquels nous sommes confrontés et même contraints de participer car telle est la volonté du scénariste.
Ces séquences rejoignent ce que j’évoquais plus haut concernant la façon dont le jeu nous met face à ce que nous accomplissons en tant que joueurs et joueuses. Elles reposent sur un équilibre volontairement (mais intelligemment) rompu parfois afin de créer toujours plus de charge émotionnelle par une mise en distance du joueur et de l’avatar qu’il incarne à l’écran. Certains voient dans ces instants brutaux une forme d’apologie de la violence. En ce qui me concerne, j’y vois bien plus une manière franche et tout ce qu’il y a de plus directe de nous mettre dans cette position de contradiction. Celle-là même qui se noue alors entre nous et notre personnage. Se développe par ce procédé une façon de déjà commencer à voir les choses sous un autre angle, à s’interroger, à remettre en question la pertinence des choix faits par ce protagoniste que nous croyions jusqu’alors profondément légitime. C’est ici exactement le même procédé qu’à la fin de The Last of Us 1 qui se construit et qui se répète en l’occurrence deux ou trois fois dans cette suite.

Quel regard portons-nous sur Ellie à l’issue de tout ce périple ? C’est la question qui demeure en suspens à la fin du jeu.

Pour en revenir à la question que je posais au début de ce paragraphe, il serait alors aisé de croire que l’on peut totalement se distancier vis-à-vis d’Ellie lors qu’elle agit de telle ou telle manière, refusant tout simplement d’y voir quelque chose que l’on cautionne. Néanmoins, le jeu est suffisamment fin dans son art d’amener les choses sur la table pour que l’on y croit toujours et qu’il réussisse à nous convaincre que le déroulement des événements auxquels nous participons nous-mêmes, aussi tragiques puissent-ils être, va dans le « bon » sens, que la façon dont Ellie voit les choses est la « bonne », que sa quête enfin est juste et justifiée. A nous alors de composer avec le paradoxe qui se créé entre notre attachement pour le personnage que l’on incarne et ce que nous, en tant que spectateurs et surtout en tant que personnes, nous ressentons. Il est impossible de bien vivre les séquences auxquelles je fais ici référence (je ne les nomme pas, si vous avez joué au jeu, vous savez très bien de quoi je parle) et chacun(e) se forgera sa propre opinion sur le sujet. A titre très personnel, j’y vois des séquences parmi les plus fortes que j’aie pu vivre dans un jeu. Je ne dis pas que The Last of Us 2 est une pépite d’expérience ludo-narrative dans son intégralité mais il réussit à offrir ces quelques grands moments où le jeu prend la main avec force de conviction et emmène le joueur/la joueuse avec lui.
De la même manière que certains films nous donnent à voir des scènes que l’on préférerait ne pas voir car le héros y accomplit des choses qui vont à l’encontre de nos attentes développées par l’attachement, les séquences de jeu les plus fortes de ce titre créent ce malaise. Dans les deux cas, la réussite tient à une écriture qui sache rendre le tout pertinent. C’est le cas ici, où l’effet est par ailleurs renforcé par notre rôle dans l’affaire : de spectateurs, nous devenons acteurs. C’est un des aspects les plus formidables du jeu vidéo quand il cherche à offrir une expérience ludique et narrative forte avec cette façon qu’il a lui seul de nous plonger littéralement dans l’action et donc de nous faire ressentir les différentes émotions au premier degré.

Abby mérite toute notre attention.

Je conclurai tout cela par un point rapide sur le personnage d’Abby. Car après tout, comment ne pas l’évoquer ? Cette dernière est l’autre grand personnage du jeu, une jeune femme dont le destin croise brutalement celui d’Ellie et Joel et qui va être le pivot principal de toute l’aventure. Si l’on prend la licence The Last of Us dans son ensemble, il y a selon moi clairement un avant et un après Abby. L’avant, c’est celui des actions, l’après celui de la réaction. En nous plongeant au cœur du point de vue de ce nouveau personnage, Neil Druckmann et Halley Gross nous imposent une fois de plus cet exercice schizophrénique que je soulignais précédemment. Ou plutôt, c’est clairement ce pan du jeu qui en constitue le fondement le plus solide.
C’est avec Abby que nous nous retrouvons à nous poser beaucoup trop de questions que nous n’avions pas envisagé de nous poser. Des interrogations sur lesquelles nous avions posé un mouchoir, induit par la façon dont nous prenons toujours automatiquement et instinctivement le parti du personnage que nous jouons dans un jeu vidéo. Abby permet de renverser la table, d’inverser le sens de la marche et nous force ainsi à ne pas rester dans nos préconçus. C’est elle qui amène pour l’essentiel les questions de dualité et de dilemme moral qui se posent sans cesse dans The Last of Us 2. Et je ne parle pas ici que de questions qui se posent dans le récit, parce qu’écrit de cette manière, mais également de celles que nous nous posons fatalement, pris dans un paradoxe auquel nous n’étions pas prêt et que, pourtant, la fin de The Last of Us premier du nom amorçait déjà. Abby est un personnage exceptionnel mais, mieux encore, elle est le résultat de cette fin, sa conséquence la plus directe et jamais je n’aurais pu rêver mieux en la matière.

____________________

Comme souvent avec ce genre de jeux, je conclus mon article avec le sentiment d’avoir omis plein de détails que je voulais pourtant partager. C’est le problème de ces œuvres majeures qui ponctuent nos parcours de joueurs. Il y a tant et tant de choses que l’on pourrait en dire qu’on peine finalement à tout évoquer. Un titre comme The Last of Us 2 mérite qu’on s’y attarde bien plus longuement qu’avec un post de blog comme celui que je vous ai proposé ici. C’est une oeuvre qui demande à être contextualisée, à voir son gameplay analysé malgré son apparente banalité, à être étroitement mis en relation avec le premier épisode… Bref, c’est un jeu qui appelle à écrire un bouquin entier à son sujet. J’espère cependant, au moment de composer ces ultimes lignes, avoir su vous donner une vue d’ensemble de mon ressenti à son égard. J’ai vécu avec TLOU2 un moment de jeu incroyable. Sur une trentaine d’heures, j’ai assisté à des séquences comme rarement j’en ai vues jusqu’ici. Le titre fait preuve d’une grande intelligence dans son propos et la manière avec laquelle il est développé. Ce n’est pas un jeu parfait mais c’en est un qui laisse au final ce goût amer quand on sait qu’on n’aura pas tout de suite droit à un jeu de cette trempe avant un petit moment. Et pour répondre à la question qui ouvrait cet article : non, il ne fallait pas de suite à The Last of Us. Mais heureusement, on en a quand même eu une.

3 réflexions sur “Parlons jeu, parlons bien n°61 – « The Last of Us, Part II » [PS4]

  1. Le jeu ne m’a pas plus hypée que ça, malgré les différents streams que j’ai pu regarder. Mais je peux comprendre qu’il y ait un public assez conséquent.

    • Ah je comprends tout à fait que ça ne parle pas à tout le monde. Le gameplay peut en rebuter certains, tout comme le scénario ou l’ambiance générale en rebutera d’autres. Quand ce n’est pas les deux en même temps ! 🙂

  2. Pingback: ABC du jeu vidéo 2010-2019 – Partie III : de Q à Z | Dans mon Eucalyptus perché

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