Parlons jeu, parlons bien n°68 – La trilogie « Hitman » [Xbox One]

Au tout début des années 2010, on se demandait bien ce qui se passait avec Hitman. Après 4 épisodes parus entre 2000 et 2006, la série était au point mort et, une fois Blood Money passé, les fans n’avaient plus rien à se mettre sous la dent. En 2012 cependant, la machine semble se relancer avec la sortie de Hitman: Absolution, épisode plutôt bien accueilli mais qui parut un temps n’être qu’un soubresaut. Il faudra donc attendre 2016 pour que l’agent 47 reprenne réellement du service avec ce qui fut le premier épisode d’une trilogie qui aura marqué la fin de la décennie. Avant de commencer toutefois, une petite précision : cet article sera moins une critique de la trilogie et de chacun de ses épisodes qu’un retour sur mon expérience personnelle avec ces derniers, sur la façon dont Hitman m’a emporté pour la première fois dans son univers et sur la manière dont je me suis laissé apprivoiser par ses propositions.

Hitman, c’est avant tout la licence d’un studio : IO Interactive (ou IOI). Fondé en 1998 à Copenhague, le studio danois ressemble bien vite quand on regarde son CV à celui d’une seule série et ce ne sont pas les deux opus de Kane & Lynch ou Freedom Fighters et Mini Ninjas qui seront suffisants pour qu’on voie en IOI autre chose que la maison de l’agent 47, celle qui l’a créé, forgé, développé et consacré comme l’un des personnages les plus emblématiques de l’histoire du jeu vidéo.

Hitman, version 2016 : la renaissance de l’agent 47

Bien que passé successivement sous la houlette d’Eidos, de Square Enix et de Warner Bros. Interactive Entertainment, IOI a su se payer le luxe de ne jamais se départir de cette œuvre qui l’a fait connaître et de ne jamais avoir à travailler sur des dossiers plus prioritaires au regard des différents éditeurs qui furent les siens. Un gage de qualité qu’on peut facilement estimer comme mérité avec le recul et qui n’est sans doute pas pour rien dans la liberté laissée au studio par Warner d’éditer lui-même le tout récent Hitman III, dernier épisode de la trilogie qui nous intéresse ici.
Je parlait juste au-dessus de héros emblématique mais, une fois n’est pas coutume, j’ai longtemps été loin de bien connaître la licence Hitman. Assez peu (voire pas du tout) attiré par la série à ses débuts, je ne m’y suis finalement intéressé qu’au cours des cinq dernières années avec l’arrivée de cette trilogie qui aura tant fait couler d’encre par ses nombreuses qualités. Avec le temps et maintenant que j’ai moi-même goûté au plaisir d’incarner 47, je me rends compte que mon désintérêt poli pour ces jeux dans les années 2000 découlait pour l’essentiel d’une fausse idée que je me faisais de ces titres. Des a priori que je n’ai pas eu le loisir de compenser à l’époque par d’éventuels camarades qui auraient tenté l’expérience (je ne connaissais personne qui jouait à Hitman, croyez-le ou non) et que la piètre qualité des adaptations ciné n’aura fait que renforcer au contraire… Fort heureusement, je crois être tout sauf un garçon buté-borné et quand j’ai observé l’engouement qui se nouait autour de l’épisode de 2016 puis de sa suite en 2018, j’ai commencé à me pencher sur le phénomène. De loin d’abord puis plus attentivement quand j’ai écouté et lu les retours plus qu’enthousiastes de certains de mes amis dont les prouesses sur ces deux titres ont fini de me convaincre : je devais jouer à Hitman moi aussi ! Alignement des planètes ou simple coïncidence (j’ai envie de croire à l’alignement, désolé) : le premier épisode fut gratuit sur le Xbox Store quelque temps après cette décision. Puis j’ai trouvé le 2 en occasion quelques semaines après. Combo idéal s’il en est puisque j’ai ainsi pu découvrir l’ensemble de ce qui n’était alors qu’un diptyque dans sa meilleure forme, à savoir avec toutes les améliorations que le deuxième volet apportait, y compris sur les niveaux du premier. Je vous la fais courte mais on développera ensuite : j’ai pris une claque. Hitman et Hitman II m’ont impressionné sur tous les plans, balayant avec fracas au passage tous les fameux préjugés que j’avais sur la licence auparavant et ne suscitant enfin qu’une chose : l’envie d’en avoir davantage. Aucune surprise donc à ce que je me rue sur Hitman III en ce mois de Janvier.

A trilogie exceptionnelle, conclusion épique ?

Ceci étant dit, si claque il y a eu, ce fut en deux temps. Il y a d’abord eu le moment où Hitman m’a saisi par les épaules, fixé droit dans les yeux et m’a dit, avec la sobriété d’un gentleman : « Eh bien, il était temps ». Comment ne pas acquiescer ? A l’heure de découvrir ces deux titres, je me rends compte de ce à côté de quoi j’ai failli passer, et croyez bien que je suis heureux de ne pas avoir commis ce faux-pas qui m’aurait entraîné – peut-être sans retour – sur un chemin où Hitman n’existe pas du tout et n’existera jamais. Séduit, je le suis instantanément. Rien que le tout premier niveau du premier volet de la trilogie me met dans le bain et me fait réaliser toute l’ingéniosité de cette licence (en tous cas dans sa mouture actuelle). Les niveaux suivants quant à eux se chargent de finir de me convertir. Mais malgré cela ce n’est pas un véritable coup de foudre. Je fais les missions, j’y reviens volontiers et même si j’admets plus que volontiers ne pas être bien doué, je m’amuse franchement. Mais je peine encore à saisir tout l’enthousiasme qui anime mes camarades sur ces jeux. J’ai du mal à me projeter au-delà de ce que le jeu me demande « de base » (NB : je dirai parfois « le jeu » dans cet article pour désigner tout ou partie de la trilogie, ne soyez pas surpris(e)s).
Cependant je refuse de m’avouer vaincu et je décide d’apprendre. Pour cela, rien de mieux que de regarder des gens jouer, que ce soit en stream (ceux de Noddus auront été fondamentaux dans ma nouvelle appréhension de ces softs) ou même en vrai lorsque mon camarade Dehell débarque chez moi au détour d’un concert et me montre l’étendue de ses talents (même s’il râle parce que ma télé est trop petite, gna gna gna). C’est là, devant ces démonstrations de ce qu’il est possible de faire, que je prends conscience du plein potentiel qui se cache derrière Hitman. je vois alors nettement à quel point ma façon de jouer était banale, dictée par des années de jeux où j’ai suivi les objectifs à la lettre, pas bêtement mais parce que c’est ce qu’on attendait de moi dans lesdits jeux. C’est aussi là que je comprends que j’ai dès le départ mal envisagé Hitman, y compris lorsque j’ai décidé de m’y mettre à mon tour.

A chaque mission ses particularités : à vous de préparer votre entrée en scène en fonction.

Il s’agit moins de jeux d’action/infiltration que de puzzle games. Malgré tous les atours qui orientent un peu la première appréhension dans ce sens (un tueur à gage, des armes, des cibles, une vue à la troisième personne…), IOI livre ici un game design qui emprunte aux jeux d’action, d’infiltration, aux shooters plus qu’il n’applique strictement leurs codes. Au lieu de cela, le studio compose des jeux où chaque mission est un nouveau puzzle aux formes multiples et mouvantes dont le cadre dépendra des intrigues que l’on suivra ou non, du chemin que l’on choisira de tracer soi-même, des opportunités qui tombent parce qu’on est au bon endroit au bon moment… Les pièces du puzzle sont alors les objets que l’on va dénicher un peu partout, les pièges que l’on va tendre, les personnages dont on va pouvoir se débarrasser pour mieux piquer leurs costumes…
J’ai bien conscience en rédigeant ces lignes que je n’apprends sans doute rien à grand-monde mais si je précise ces états de fait, c’est essentiellement pour souligner et surligner la révélation que ma découverte de Hitman I puis II fut. La vérité qui m’a éclaté au visage est bien simple : on ne joue pas à Hitman en une seule fois, loin de là. Tous les niveaux peuvent être refaits un nombre incalculable de fois en en modifiant tout simplement les critères que l’on se fixe soi-même, lesquels sont autant de paramètres invisibles qui viendront renouveler le challenge à chaque essai. Vais-je faire exploser une bonbonne de gaz ou empoisonner un whisky qui traînait là ? Vais-je passer par les toits et me laisser tomber du haut du plafond ou bien vais-je pénétrer dans la maison par le sous-sol et une entrée dérobée ? Toutes ces questions et mille autres se posent en continu lors de la préparation des missions. Mieux encore, leur nombre croît à mesure que l’on expérimente, que l’on observe et que l’on découvre ce faisant un détail qu’on n’avait pas remarqué ou que l’on apprend de mieux en mieux la routine de nos cibles et des PNJ qui les entourent. Au final, Hitman est profondément roleplay dans ses concepts de base puisque le jeu va demander aux joueurs et joueuses l’exacte même chose que l’ICA exige de l’agent 47 : de l’observation, de la précision, de la patience et un sens certain de l’improvisation.

Sur cette seule photo de Dehell, j’imagine déjà toute une myriade de possibilités.

Cet ensemble d’idées (qui n’est en fait qu’une multiplicité d’applications d’un dogme principal particulièrement fort : la liberté de mouvement) permet en tous cas de largement contrebalancer le très faible nombre de niveaux présents par jeu. Avec seulement six lieux différents par titre (auxquels s’ajoutent les éventuels DLC), il serait facile de s’attendre à un jeu trop court pour y prendre un réel plaisir. Et il est vrai que si l’on se contente de parcourir lesdites six destinations d’une traite en suivant scrupuleusement nos intrigues principales et en n’allant absolument pas chercher beaucoup plus loin, une run sur Hitman ou sur Hitman II ou III se fait en une poignée d’heures (entre cinq et six je dirais, voire même moins si l’on s’en sort vraiment bien).
Mais jouer ainsi reviendrait à passer à côté de l’essentiel du jeu. Comme je le disais précédemment, ces titres sont avant tout des jeux de réflexion dans lesquels, certes, la résolution passe par l’application de codes et principes propres aux softs d’infiltration et d’action à la troisième personne mais où ceux-ci ne sont que des outils mis entre les mains des joueurs et joueuses. Alors évidemment, on peut se contenter de venir sur le lieu de la mission, éliminer la ou les cible(s) visée(s) et ne pas se poser plus de question, chaque opus le permet parfaitement et considère même cela comme un façon de mener sa partie qui fonctionne sans aucun souci. Mais on vise toujours plus loin. Hitman appelle à l’ingéniosité et le mieux dans tout cela, c’est qu’il le fait sans forcer. Jamais le titre ne contraint qui que ce soit à jouer de telle ou telle manière, l’essentiel étant toujours d’accomplir sa mission. C’est la seule chose qui nous est demandée finalement. Du reste, il suffit de finir un niveau pour que le titre renouvelle sa dynamique.

Exemple de récompense : sur le domaine viticole de Mendoza, je peux désormais faire introduire un objet (arme, accessoire, poison…) dans les toilettes !

Accomplir un chapitre pour la première fois, c’est remporter automatiquement – par le simple fait d’avoir su tracer sa route jusqu’à la cible – un nouvel accessoire, un point de départ inédit ou encore un lieu où glisser un objet en contrebande avant même de démarrer la mission la prochaine fois. Une prochaine fois qu’en conséquence le titre provoque de manière extrêmement naturelle.
Quand on regarde nos points s’accumuler en fin de mission et que l’on voit juste après que l’on peut débuter directement dans les cuisines plutôt que dans le hall d’entrée, on a tout de suite l’envie de tenter le coup par ces autres moyens qui s’offrent à nous. IOI pousse ainsi toujours à réexpérimenter ses niveaux, à les découvrir sous de nouveaux jours et c’est très clairement l’une des plus grandes forces de sa trilogie. C’est une espèce d’aptitude bien maligne à pousser au défi, au challenge constamment renouvelé par une multiplicité de scénarios possibles qui se laissent découvrir au fur et à mesure que l’on progresse. Un appel du pied à prendre le temps de visiter la map, quitte à lancer une mission où l’on ne cherchera pas à faire le meilleur temps possible mais plutôt à comprendre tous les rouages du niveau visité, tous ses accès, tous ses secrets pour ensuite se livrer à l’exercice de l’assassinat parfait.
Impossible de ne pas accrocher au délire tant le sentiment de satisfaction est grand lorsque l’on accomplit son contrat et que l’on a en tête tous les autres cheminements qu’on aura entraperçus au passage. On revient encore et encore sur chaque niveau pour découvrir de nouvelles façons de faire, lesquelles s’enrichissent continuellement grâce aux différents défis que l’on aura remportés et aux multiples coups malins que l’on aura su mettre en place et qui nous auront donné droit à toujours plus de gratifications dans notre arsenal ou dans les spécificités du niveau. Le cycle s’est alors mis en marche et c’est bien lui qui fait tourner Hitman sur la longueur, ce cercle vertueux où tout effort pour progresser et récompensé par de nouvelles ouvertures sur des performances et un score encore meilleurs, qu’on s’efforcera d’améliorer de nouveau grâce auxdites ouvertures et ainsi de suite… Le scoring est d’ailleurs un élément qu’on peut appréhender de différentes manières sur la trilogie Hitman. Parfaitement anecdotique pour celles et ceux qui voudront simplement s’amuser à zigouiller les cibles de mille façons, il sera un marqueur essentiel et très efficace de la progression pour les autres.

4 étoiles : je peux donc mieux faire et le pire, c’est qu’en farfouillant sur la map pour trouver une solution, j’ai aperçu comment.

En voyant nos propres scores sur différents essais d’une même mission, on devine à tâtons la marge de progression possible, tout comme la comparaison (possible directement in game) avec les totaux d’autres joueurs sera un bon moyen de comprendre qu’il nous reste encore des tas de potentiels à exploiter pour avoir fait le tour de la question. Bien sûr, il n’est pas difficile d’imaginer qu’on ne poussera pas forcément toutes et tous le délire jusqu’au fameux SOSA (Silent Assassin, Suit Only), façon de jouer où l’on ne porte que le costume emblématique à cravate rouge de 47 et où l’on ne se fait pas repérer une seule fois. Mais à moins d’être totalement hermétique à l’ensemble du game design de cette saga, ce qui n’est certainement pas impossible, je ne vois pas comment quelqu’un qui prendrait du plaisir sur Hitman pourrait ne jamais se laisser emporter par la furie de ce scoring si gratifiant. Je vois du coup en Hitman une manière assez cool de mêler un côté très arcade – par l’obtention pure et dure d’un score qui appelle à tout le temps tenter de faire mieux – à quelque chose de plus fluide, de plus naturel et qui réussit à transformer la façon dont on appréhende cette obtention de points. Plus que leur accumulation au moment de faire les comptes, c’est la méthode employée pour les obtenir qui prime. Finalement je me dis que cette trilogie récompense moins l’excellence que l’originalité et la capacité d’adaptation.

Je parle de divers aspects de game design depuis tout à l’heure mais j’en oublie tout de même l’un des éléments clés : le level design. La trilogie Hitman ne serait certainement pas la même sans cette construction de niveaux absolument parfaite ! Je vais tout de suite évacuer un truc cependant : il y a quelques niveaux que je trouve un peu plus faibles, ou plutôt moins intéressants que les autres. C’est en particulier le cas dans Hitman III avec la ville de Chongqing en Chine ou encore le niveau du train dans les Carpates. Dans le premier cas, j’ai trouvé le niveau un peu tiré par les cheveux et, à bien y regarder, assez peu inventif ou ouvert aux opportunités. Cela étant je ne nie pas que je dois sans doute encore explorer cette map pour en dénicher quelques détails qui me seraient jusqu’ici passés inaperçus. Concernant le train en revanche, difficile de changer d’avis. Contrairement à tous les autres niveaux de la trilogie, il s’agit ici d’un cheminement rectiligne sans grande saveur. L’agent 47 doit « simplement » remonter le train du wagon où il se réveille jusqu’au wagon de tête tout en évitant de nombreux gardes. De multiples accessoires et stratagèmes pourront être mis à profit pour progresser sans encombre mais cette linéarité pure et simple coupe court à tout ce qui fait l’essence d’un niveau de Hitman. C’est d’autant plus dommage qu’il s’agit du tout dernier chapitre du jeu et donc de la trilogie, qui ne réussit ainsi pas à s’offrir un grand final spectaculaire…

Un niveau peu inspiré hélas. Pour le final épique, c’est raté…

Hormis ces deux écueils en ce qui me concerne, comment ne pas s’extasier devant l’impeccable conception des différentes maps de la trilogie ?  Certaines d’entre elles comme Paris, Miami ou encore Sapienza constituent de mon point de vue des exemples à suivre en la matière. Conçus comme des bacs à sable globalement ouverts – ce qui répond bien sûr à la philosophie de jeu que j’évoquais plus haut – les niveaux des Hitman sont clairement la fondation de toute la qualité de ces titres. Socle indestructible de tout le game design, ils sont autant le lieu où la partie va se dérouler qu’une force essentielle de son déroulement.

Les environnements de la trilogie Hitman sont somptueux. Ici un aperçu des détails du manoir de Dartmoor par Dehell.

Grâce à la multiplicité des routines, des PNJ, des lieux dans lesquels pénétrer et tant d’autres aspects qui sont autant d’ingrédients dans la recette générale qui régit le game design de la trilogie, chacune de ces aires de jeu offre aux joueurs et joueuses le sentiment de liberté qu’IOI promet dans ses productions. Je réalise en rédigeant ces lignes qu’à un an près, on retrouvait finalement la même idée dans Hitman et dans Metal Gear Solid V, à savoir cette volonté d’offrir des lieux à infiltrer pour y atteindre un objectif par le moyen que l’on souhaite et sans que le jeu ne pose de véritable barrière à la progression autre que d’éventuelles limitations techniques par exemple. Déambuler avec l’agent 47 dans Sapienza pour entrer dans la villa de la cible du moment ou pénétrer une base ennemie avec Big Boss sans se faire gauler, c’est un peu du pareil au même quand on regarde les choses avec une vue d’ensemble. Là où Hitman se démarque cependant c’est dans la qualité d’exécution de l’idée.
Car si cette dernière est excessivement similaire sur le papier dans les deux cas, il est indéniable qu’IOI a bien mieux géré son application in game que ne l’a fait Kojima en 2015. Attention toutefois, je ne dis pas que l’infiltration dans MGS V est ratée et, tout au contraire, j’en garde un excellent souvenir (les gardes qui s’adaptaient progressivement à nos techniques, c’était top). Le fait est malgré tout que si l’on applaudira plus celle mise en œuvre dans Hitman et ses suites c’est parce qu’elle y est bien plus concentrée qu’elle ne l’était chez Big Boss. Avec le recul, on se rend bien compte que le « souci » de MGS V était de proposer une aventure en monde ouvert. Ce faisant, le titre diluait son expérience d’infiltration dans un ensemble beaucoup plus vaste et si l’on gardera en tête la variété de possibilités offertes pour tous les camps à infiltrer, on se rend bien compte que la mécanique – sans vraiment tourner en rond – se répétait assez d’un emplacement à l’autre. A l’inverse, Hitman fait le choix de construire son level design sur des niveaux nettement indépendants les uns des autres et privilégie à un monde ouvert qui aurait sans doute été hors de propos une fabrique de bonnes grosses sandboxes limitées géographiquement, certes, mais en conséquence bien plus riches car permettant de concentrer sur des espaces relativement réduits toutes les bonnes idées des développeurs.

Mille solutions, tout autant de costumes !

Ainsi, les niveaux de la trilogie Hitman sont tous (ou presque) de petites pépites de level design. Bien plus vastes qu’ils n’y paraissent pour la plupart (je pense ici au village de Colombie en particulier), ils sont riches d’une ingéniosité à toute épreuve. Je me surprends encore aujourd’hui à arpenter certains niveaux (y compris dans les deux premiers opus) et à me demander comment ils ont réussi à penser à tout cela. Je serais tellement curieux de découvrir les travaux préparatoires qui ont permis d’esquisser puis construire ces niveaux et de suivre leur développement sur le long terme ! Le fait est pour résumer que tout ceci constitue une arme incroyable du jeu pour fidéliser les joueurs. Au-delà même des mécaniques inhérentes à la trilogie qui amènent à recommencer plusieurs fois les différents chapitres, le seul et véritable plaisir que l’on a à explorer ces niveaux et à en apprendre les moindres recoins constitue un atout indéniable dans la logique de rappel des joueurs et joueuses par la relance du défi.

La rejouabilité des titres est exceptionnelle.

Cette dernière enfin se réalise également par la proposition de missions annexes, dont les missions Escalade.
Celles-ci sont des missions dont le nombre varie selon les niveaux et dont la difficulté va croissante. A titre d’exemple, si je choisis la première mission de ce type sur le niveau Colorado, le jeu me demandera d’éliminer un personnage donné en étant déguisé en hacker. Une fois le contrat rempli, la mission passe au niveau supérieur et me demande cette fois-ci d’éliminer deux cibles, toujours dans le même déguisement, et ainsi de suite… Chaque mission de ce type comprend généralement trois étapes de difficultés et l’on peut trouver une bonne grosse demi-douzaine d’entre elles sur chaque destination. Je ne vais pas faire de savant calcul mais il me semble bien que si l’on multiplie tout cela ensemble, voilà qui décuple sans conteste la durée de vie de la trilogie toute entière ! Petite nuance cependant : Hitman III ne jouit pour le moment d’aucune mission Escalade sur aucune de ses nouvelles destinations, ce qu’une future mise à jour devrait prochainement corriger. D’ici là il faudra se contenter des contrats du scénario principal et rien d’autre…

Par ailleurs et pour conclure sur ce point, le fait d’apporter aux niveaux des jeux précédents les améliorations du dernier en date relève du génie et contribue encore à cette envie d’y replonger, qu’il s’agisse de features de gameplay ou de seuls éléments esthétiques et graphiques qui ajoutent encore à la beauté des environnements traversés. On pensera tout particulièrement ici à la gestion des miroirs de Hitman II qui a par la suite été appliqué dans les niveaux du premier volet avec non seulement un travail sur les reflets qui impose le respect mais en plus l’idée toute bête que les ennemis peuvent nous repérer grâce à eux !

Un vrai foutoir et une perte de temps impossible pour télécharger 12 pauvres niveaux venus de jeux qu’on a déjà…

En revanche, impossible de souligner et louer cette formidable intention sans évoquer la catastrophe de son exécution. Déjà, à l’époque de Hitman II, le seul fait de trouver le Legacy Pack qui permettait de transférer et mettre à jour les maps du précédent titre était une tannée. Je me souviens avoir énormément galéré pour réussir l’opération – pourtant toute bête sur le papier -, le magasin in game ne m’emmenant pas de lui-même sur la bonne page du store Xbox, entre autres frustrantes péripéties. J’ai néanmoins réussi à obtenir mon sésame à la force de mon obstination. Je n’imaginais cependant pas que le souci se présenterait de nouveau en 2021 avec l’opération similaire proposée avec Hitman III… Je suis même proprement effaré de constater à quel point la galère du Legacy Pack n’a à aucun moment permis de trouver une solution plus simple à mettre en œuvre cette année. A l’heure où j’écris ces lignes, j’ai passé quelque chose comme 1h/1h30 à récupérer le contenu de Hitman I et II dans le dernier volet. J’ai d’abord cherché pendant un bon moment où trouver le fameux Access Pass qui me permit (finalement) de transférer le contenu de Hitman II dans le III. Le menu d’achat du dernier opus me renvoyait vers une page du Xbox Store où l’on me réclamait 59,99€ pour un contenu prétendument gratuit. Pire encore, en faisant la même recherche depuis mon disque de jeu de Hitman II, j’ai même réussi à me retrouver sur une page où il voulait me le vendre à 99,99€ ! Je me suis arraché les cheveux à trouver le pourquoi du comment et la FAQ sur le site d’IOI ne m’aidait pas plus que ça… J’ai toutefois compris la solution : alors que j’avais déjà mes deux jeux installés sur la console, il fallait en plus que je télécharge le Starter Pack gratuit de Hitman II (lequel comprend la toute première mission du jeu, un peu comme une démo tout bonnement) et que, ceci fait, je retourne dans ledit jeu après avoir redémarré la console : cette fois-ci, son onglet « boutique » me renvoyait bien vers l’Access Pass désiré et avec la merveilleuse mention « Gratuit ». C’est idiot mais hourra ! Enfin presque : alors que j’avais compris que tout ceci me permettrait d’importer l’intégralité du contenu de mon Hitman II (et donc les cartes du premier volet, que j’y avais transférées à l’époque, j’espère que vous suivez), que nenni ! Il ne s’y trouvait que celles de ce deuxième épisode. Fortement courroucé mais absolument peu résolu à m’avouer vaincu, me voilà qui perd de nouveau un long moment à chercher la solution, laquelle est une fois de plus complètement tirée par les cheveux. Depuis la boutique de Hitman premier du nom, on me propose seulement de choper l’édition GOTY de ce dernier pour 29,99€ et depuis celle de sa suite directe, c’est l’édition GOTY du Legacy Pack que l’on me propose cette fois-ci pour 23€ (parce qu’il est en soldes sinon ça serait 69,99€…). Eh bien figurez-vous qu’il fallait en fait que je me rende sur la version web du Xbox Store, que j’y cherche le fameux pack annoncé comme gratuit. Ici, toujours ces 29,99€ qui s’affichent mais à leur côté figure le sacro-saint bouton qui me permet de contourner le paiement et de l’installer directement sur ma console sans frais supplémentaires.
Tout cela pour dire : je ne sais pas pourquoi cette affaire est si compliquée (et encore, je ne suis pas un joueur PC, c’est encore pire par là-bas…) mais je trouve ça honteux, rien de moins. Ce n’est pas normal que ce soit aussi compliqué d’effectuer les démarches pour obtenir ce qui s’apparente à une banale mise à jour de contenus. Ça l’est encore moins que la communication de IOI soit aussi floue sur le sujet. Oh bien sûr ils ont tâché de faire les choses bien, à base de site dédié, de FAQ aussi complète que possible mais on n’y pipe rien quand même. Le studio a tellement d’informations différentes à lâcher selon que l’on joue sur PC ou sur console, avec des versions dématérialisées ou physiques, qu’il se noie clairement dans un flot impossible de détails et de précisions trop nombreux pour être lisibles aisément. Si on devait chercher LE point noir de la trilogie, c’est celui-ci, qui vient entacher des intentions pourtant plus que louables et même à mon sens exemplaires pour toute l’industrie.

Arrivé à ce stade de l’article, je pourrais vous parler un peu de ce que raconte Hitman mais je n’en ferai pratiquement rien. Ce n’est même pas parce que c’est nul, c’est surtout parce que c’est inexistant. IOI n’a vraiment pas conçu sa récente trilogie sur l’intention de raconter une histoire forte. Il y a bien un fil rouge qui guide tout cela et l’agent 47 n’agit pas de manière gratuite et sans but mais ce n’est ni plus, ni moins qu’un énorme prétexte pour multiplier les cibles à éliminer en les liant plus ou moins étroitement aux intrigues qui secouent le monde du tueur à gages. Le studio tâche cependant de glisser quelques éléments de narration forts dans sa trame principale, détails que l’on gardera volontiers en tête mais qui n’auront à aucun moment une quelconque force vis-à-vis de notre expérience de jeu. Tout juste cela sert-il à filer un peu les missions entre elles et à offrir quelques assez jolies séquences cinématiques entre deux contrats. Je ne pense d’ailleurs pas que ma faible expérience sur cette licence biaise réellement mon propos et si je ne doute pas que les péripéties que traverse l’agent 47 évoquera plus de choses aux ancien(ne)s fans, il me semble malgré tout indéniable que si l’on vient à Hitman, ce n’est pas pour son récit. C’est un pari osé en quelque sorte étant donné qu’on ne développe aucun attachement particulier aux personnages, ni aucune véritable inimité à l’égard de nos victimes à venir, lesquelles sont pour beaucoup d’énièmes itérations de clichés du cinéma d’espionnage à la James Bond.

Le développement n’en est qu’à ses débuts mais nous savons déjà que le jeu sera détaché des films, introduira son propre James Bond et nous racontera l’obtention de son statut 00 (autorisé à tuer).

Et oh ça alors, que voilà le mot magique ! James Bond ! Que vient donc faire 007 ici, me demanderez-vous. Pour la poignée d’entre vous qui ne suivraient pas assidûment l’actu jeux vidéo, sachez que IOI a récemment annoncé être au travail sur Project 007, titre provisoire d’un jeu inspiré de l’œuvre de Ian Fleming, rien que ça ! J’évoque ce projet à venir ici car si je fus parmi les premiers surpris (et ravis) par cette annonce, je me dis avec le recul que le choix de ce studio pour ressusciter James Bond en jeu vidéo est évident. Prenez Hitman, remplacez-y l’agent 47 et l’ICA par Bond et le MI6 et vous n’y verrez que du feu. La saga Hitman puise beaucoup de ses inspirations dans les récits classiques d’espionnage et en particulier dans tout ce que Fleming et les films tirés de ses romans auront apporté au genre. Organisation secrète qui tire les ficelles et complote dans l’ombre, gadgets en tous genres, destinations variées de par le monde et tant d’autres éléments indéboulonnables de ce type d’univers sont ainsi présents dans cette trilogie (et dans les jeux précédents, je me suis quand même renseigné un peu, faut pas croire) et leur confèrent cette ambiance si particulière. Il est vrai après tout que si le scénario qui guide le déroulé des événements de Hitman n’est pas folichon, il donne cependant une consistance intéressante au tout, laissant flotter dans l’air l’atmosphère des romans d’espionnage. Oh sur le sujet, la trilogie n’invente rien de bien nouveau mais elle a le mérite de mettre tout cela en place avec une certaine adresse, pour ne pas dire de l’élégance.

En découle cette interrogation : après avoir brillamment relancé Hitman sur nos machines, que va bien pouvoir faire IOI avec 007 ? En soi, il serait éminemment facile de se contenter de calquer tout ce qui fait la trilogie sur l’univers de James Bond sans autre forme de réflexion. Le pire dans tout cela, c’est que ça fonctionnerait plus que bien puisque tout y est pour faire de ce Project 007 un éventuel excellent Hitman-like. En ce qui me concerne en tous cas, je serais prêt à payer pour la même recette dans l’univers imaginé par Ian Fleming. Mais nonobstant mes affinités personnelles avec tout ceci, ne serait-ce pas une solution de trop grande facilité ? Dans le monde actuel il est facile d’imaginer un studio céder à la tentation de reproduire des schémas de son cru qui ont déjà prouvé leur efficacité mais est-ce ce que l’on souhaite ?
Après avoir si magistralement mené la barque sur la trilogie Hitman, ne doit-on plus espérer que de revoir les méthodes qui sont les siennes dupliquées à l’envie sur telle ou telle autre licence, qu’elle soit aussi forte et évocatrice que James Bond ou non ? De toute évidence, il y aurait dans ce cas le goût doux-amer de la satisfaction d’obtenir un soft qui tienne parfaitement la route et de la déception de ne pas avoir voulu ou su viser plus loin. Je serais bien malin si j’étais capable en l’état actuel des choses de vous dire à quoi pourrait ressembler Project 007. A peine annoncé, le développement du titre n’en est vraisemblablement qu’à ses premiers babillages et tout ce dont on peut être certain, c’est que si IOI a été choisi pour tenir ce projet, ce n’est pas pour rien.

47 auréolé sous l’œil de Dehell, pour le plaisir des yeux.

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Voilà donc l’histoire de cette séduction dont j’ai fait l’objet. Comment Hitman est entré dans ma vie de joueur avec presque 20 ans de retard et comment je me suis aperçu de tout ce à côté de quoi j’étais passé tout ce temps durant. IOI a en tous les cas réussit quelque chose de grandiose avec cette nouvelle trilogie. Bien que marquée par quelques menus défauts qui ne sont cependant en rien rédhibitoires, le triptyque de l’agent 47 donne à voir un œuvre dont l’élégance réside dans la capacité à offrir un jeu vidéo de très grande qualité mais sans jamais afficher la moindre prétention. Contrairement à nombre de jeux AAA ou même AA, Hitman version 2016 et ses suites n’apparaissent jamais comme les titres qui veulent tout casser et trôner à la place des plus grands. En aucun cas vendus comme tel, ils se présentent à nous – et Hitman III poursuit bien cette vision des choses – comme les titres qui souhaitent « tout simplement » améliorer leur formule encore et encore. D’ajouts successifs en idées neuves, cette trilogie jouit d’une ingéniosité rafraichissante qui sait piocher dans ses différentes influences, dans de multiples genres pour finalement composer un style qui n’appartient qu’à elle et à la licence à laquelle elle appartient.
Les développeurs d’IOI quant à eux finissent de s’ériger comme des acteurs importants de la scène vidéoludique actuelle. Les ayant-droits de
James Bond ne s’y sont pas trompé en leur confiant leur poule aux œufs d’or et j’ai une indescriptible hâte de voir ce que le studio danois va proposer sur ce projet ! D’ici là, je me souviens que j’avais réussi à obtenir un précédent Hitman (Absolution ou Blood Money, je ne sais plus…) grâce au Xbox Live Gold. Ni vu, ni connu, à l’image de 47, le voilà qui se faufile dans ma liste de jeux à faire tout prochainement.

2 réflexions sur “Parlons jeu, parlons bien n°68 – La trilogie « Hitman » [Xbox One]

  1. En réaction à ton intro et ta conclusion (j’ai aussi lu le reste, mais y’a rien à dire, c’est parfait) : vérifie bien le titre qui est dans ta liste de jeux à faire. Absolution c’est vraiment du caca qui semble plus inspiré par les productions Europa Corp que par la série auparavant. Quant à Blood Money, c’est clairement la source d’inspiration principale de cette nouvelle trilogie et c’est du très très bon.
    Bisous.

    • Merci pour ton commentaire !

      Bon ça m’a fait paniquer cette histoire d’inspirations à la Europa Corp par contre alors je suis allé vite vite vérifier de quoi il en retournait et, ô soulagement, c’est Blood Money qui est dans ma collection !

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