Dune, film de science-fiction de Denis Villeneuve. Avec Timothée Chalamet, Zendaya, Oscar Isaac, Josh Brolin…
Le pitch : Dans un lointain futur, la planète Arrakis, aussi appelée Dune, est au centre des attentions. C’est en effet dans ses déserts que se récolte l’Epice, précieuse substance qui rend possible le voyage interstellaire mais qui permet aussi de décupler les facultés physiques et mentales. Mais lorsque le Duc Leto Atréides (O. Isaac) se rend sur Arrakis en compagnie notamment de son fils et héritier Paul (T. Chalamet), le complot des Harkonnen met en péril l’équilibre de tout l’Empire.
La critique : S’attaquer à Dune n’est pas une mince affaire. Monument de la littérature SF, tant pour la richesse de ses romans que pour l’ampleur de la saga qu’ils représentent, l’œuvre de Frank Herbert repose aux yeux de nombreux lecteurs et lectrices sur un inaccessible piédestal. Même David Lynch s’y est douloureusement cassé les dents dans les années 1980. Et comment ne pas penser au Dune de Jodorowsky, projet avorté car trop grand, tué par ses propres ambitions et auquel le documentaire de Frank Pavich (2016) rend si admirablement grâce ? Mais aujourd’hui, c’est à un cinéaste particulièrement en vogue que revient la lourde tache de porter la première partie des aventures de Paul Atréides sur grand écran : Denis Villeneuve.
Avant de parler du film en lui-même et de ce que j’en pense, je souhaiterais contextualiser un peu les choses et entamer cet article par une précision : je n’ai encore jamais lu Dune. Je connais cette saga pour sa réputation, pour ce que j’ai pu en lire çà et là, pour les analyses qui en ont été faites par bien des auteurs mais si les romans de Frank Herbert reposent sur ma liste d’œuvres à découvrir depuis longtemps, je dois bien admettre ne jamais avoir eu l’audace de me lancer dans cette lecture, sans doute intimidé que je suis par l’apparente ampleur de la tache. Aussi, n’attendez dans ce papier aucune comparaison entre le film et le roman d’origine. A titre personnel, je me contenterai sur ce point des avis que j’ai pu glaner auprès d’amis ayant lu et vu Dune et qui m’ont assuré que la fidélité au texte de Frank Herbert était bel et bien au rendez-vous. Ainsi, ma seule expérience avec cet univers ne repose que sur le visionnage, plutôt récent, du film de David Lynch paru en 1984. Un long-métrage dont la légende n’est d’ailleurs plus à raconter mais que je vais toutefois évoquer car j’ai l’envie de mettre un peu ces deux adaptations en parallèle.

Paul Atréides sous les traits de Kyle MacLachlan en 1984
A la moitié des années 1980 donc, le bon David Lynch envoie Dune sur les écrans des cinémas. Enfin, c’est plutôt Alan Smithee qui s’en charge. Mécontent du résultat final du film, sur lequel il estime ne pas avoir eu le contrôle adéquat, Lynch choisit de créditer Dune au nom de ce réalisateur fictif, dont le pseudonyme fut celui des cinéastes qui n’ont pas assumé la sortie d’un film le moment venu. Dans certains cas, c’est même le sobriquet de Judas Booth que Lynch choisit d’employer, en références au biblique Judas d’une part et à John Wilkes Booth, l’assassin de Lincoln, d’autre part. Un moyen de souligner toute la trahison dont il estime que les studios ont fait preuve à son encontre durant la gestation de ce vaste projet. Et il est vrai que ce Dune-ci a de sérieux soucis. Monté sans cohérence, il souffre d’une direction d’acteurs très aléatoire (pour ne pas dire déplorable) en dépit d’une mise en scène dont on sent tous les efforts pour maintenir le navire à flots. Sans oublier ces effets spéciaux d’autant plus ridicules qu’ils arrivent 7 ans après un Star Wars qui réussissait à faire plus crédible que cela avec 34 millions de dollars en moins dans le budget… Bref, on n’y croit pas un seul instant, le film peine à mettre en place ses enjeux et, au terme des plus de deux heures qu’il dure, on se demande bien quel OVNI on vient de voir passer. Film indigent, le Dune de Lynch n’est peut-être bien culte que parce qu’il est un immense raté, le plus grand de la carrière d’un réalisateur pourtant exceptionnel et sûrement aussi l’un des plus grands de l’histoire de la science-fiction. J’exagère sans doute, voyez-y un stress post-traumatique.
Tout ça pour dire qu’à l’annonce du reboot de la chose, je suis circonspect. Je le suis car j’ai le sentiment que le projet semble gargantuesque. S’il est annoncé d’entrée de jeu que l’objectif est bien de réaliser plusieurs films et non un seul, pour rendre honneur à toute la série littéraire (en tous cas ses premiers volumes), l’inquiétude demeure quant à la manière de transposer tout cela à l’écran. Car ce qui faisait souffrir le Dune de 1984, c’était son incapacité à planter clairement tous les enjeux du roman. En l’espace de presque 2h20, le long-métrage tentait vainement de nous faire prendre conscience de l’ampleur de ces derniers, à grands coups de personnages certes bavards mais en revanche incapables d’exposer avec netteté toute la complexité de la situation. Une complexité pourtant omniprésente, tant dans les bases-mêmes de l’univers créé par Herbert que dans les tenants et aboutissants des luttes intestines qui le secouent. Bref, au moment de débuter mon visionnage de la version 2021, je me demande comment tout cela va être présenté cette fois-ci.

Denis Villeneuve
L’autre élément de contexte sur lequel je souhaitais revenir, c’est mon rapport au cinéma de Denis Villeneuve. Si je reconnais volontiers ne pas suffisamment connaître la filmographie du monsieur, j’ai quand même deux ou trois repères pour aiguiller mes a priori. Il y a d’abord Enemy, que je n’ai même pas réussi à terminer. Il y a ensuite Premier Contact, que j’ai au contraire adoré et qui a contribué à me convaincre que le choix de Villeneuve pour relancer Dune n’était peut-être pas idiot. Il y a enfin mon plus gros problème avec lui : Blade Runner 2049. Dune n’est en effet pas la première œuvre culte de la science-fiction à laquelle s’attaque Denis Villeneuve.
Sortie en 2017, la suite qu’il a donnée au chef-d’œuvre Blade Runner de Ridley Scott n’avait pas manqué de me décevoir. Si l’on faisait exception de la photographie, techniquement parfaite, je n’ai jamais réussi à y voir autre chose qu’une réappropriation maladroite du film d’origine par un cinéaste bien déterminé à livrer sa vision des choses comme une vérité absolue. Tordant la mythologie du premier volet à son gré, réinterprétant ses grands thèmes, Villeneuve a finalement conçu un film merveilleux à regarder mais que j’ai malgré tout trouvé d’un ennui regrettable. Aux oubliettes aussi les choix de colorimétrie pourtant si importants du premier film, laissées pour compte au profit d’une dualité gris/orange bancale. Si chaque plan demeure une petite merveille (merci Roger Deakins), leur intérêt et leur cohérence au regard du film originel manquaient cruellement de panache et de pertinence, le tout au service d’un film qui, opportuniste, n’avait strictement rien de plus intelligent ou de plus malin à raconter que son prédécesseur.
Et c’est là que ce nouveau Dune me fait peur : et si Denis Villeneuve m’ennuyait de nouveau ? Va-t-il de nouveau se laisser noyer par l’aura de l’œuvre initiale et livrer un film certes somptueux mais vide dans le texte ? Va-t-il souffrir des mêmes maux que la première adaptation de Lynch et faillir à sa mission – essentielle ! – de mise en place des enjeux ? Ou bien au contraire le fait de porter à l’écran un scénario déjà préconçu par sa seule nature d’adaptation va-t-il lui permettre de solidifier son approche du projet ? Un seul moyen de répondre à ces questions : aller au ciné.
Me voilà donc installé dans mon fauteuil et le film commence. D’entrée de jeu, je me surprends à y trouver des accents qui me rappellent fortement la version de David Lynch. Encore assez fraîche dans mon esprit car vue il n’y a pas si longtemps, cette première adaptation ne se rappelle pas à moi que durant cette ouverture faite de voix off : elle semble être une ombre qui plane constamment au-dessus du film de Denis Villeneuve. Si au final, nous le verrons, les deux longs-métrages demeurent assez distincts l’une de l’autre, il me semble cependant que le réalisateur canadien n’a pas l’intention de faire oublier par sa propre proposition moderne celle qui fut portée par son illustre-malgré-tout prédécesseur. Tout au contraire, au-delà de porter une nouvelle fois à l’écran les aventures de Paul Atréides, Villeneuve semble avoir la ferme ambition de rendre un hommage certain au Dune de 1984. Qu’il s’agisse de procédés de narration, de composition générale ou d’idées de direction artistique, cette itération de 2021 emprunte autant à ce premier jet qu’elle lui adresse un clin d’œil amical bienvenu. Car aussi bancal puisse-t-il être, d’autant plus avec le poids des années, le film originel n’a pas manqué de devenir culte et Denis Villeneuve apparaît comme conscient de l’épaisse aura qui l’entoure et de la nécessité de faire preuve d’un certain respect, malgré tout.

La fameuse séquence du test, au début du film, est quasiment reprise plan par plan entre 1984 et 2021
Dès lors, le Dune moderne cite beaucoup, souligne des éléments de sa narration et de sa cinématographie de manière à créer une sorte de filiation entre les deux propositions.
Un acte respectable à mon sens qui laisserait presque croire que son réalisateur arrive à faire preuve d’humilité devant l’héritage, bel et bien présent, d’un film qui aura souffert de bout en bout. Par cette façon de ne pas couper tous les liens trop brutalement, le film de Villeneuve profite également d’un atout indéniable : une direction artistique quasi toute prête. En 1984, David Lynch avait en effet su proposer avec son propre film (que j’appellerai Dune 84 dans le reste de l’article pour le distinguer plus aisément de la version 2021) un univers visuel riche, précis et détaillé qui a imposé au public l’image que l’on se fait de l’univers créé par Frank Herbert, au-delà des descriptions qu’il aura pu donner dans ses romans ou des couvertures de ces derniers. Là encore, c’est une part d’héritage qui nous est ainsi parvenue et qui peut sembler être acquise pour le public, ou au moins pour les fans. Difficile donc d’arriver en 2021 avec une direction artistique qui dénote trop par rapport à ce qui ressemble énormément à un ça-va-de-soi après toutes ces années. En homme intelligent, Villeneuve va donc reprendre à son compte tous ces ingrédients qui font Dune visuellement parlant. Bien entendu, il va chercher à les revoir, à les inscrire dans un nouveau temps et c’est à mon sens là que le bas blesse déjà un peu.
S’il peut prétendre offrir un decorum général qui permet d’instantanément identifier son film comme un portage de Dune sur grand écran, comment ne pas noter cette espèce de facilité dont sa propre direction artistique fait finalement un peu preuve. Oh bien sûr, nous trouverons toujours des choses qui mériteront des louanges (rendu général, costumes pour certains magnifiques, vaisseaux dont les designs différents permettent de distinguer ceux des Atréides et ceux des Harkonnen par exemple…) mais il ressort de tout ceci un arrière-goût un peu terne. Loin de moi l’envie d’employer le mot « fade » mais c’est pourtant bien sur ce genre de ressenti que je me situe. Dune a ainsi beau vouloir offrir une expérience visuelle chiadée par la simple qualité de ce qu’il donne à montrer côté matériel, il n’arrive pas à éviter de ne ressembler qu’à « un blockbuster SF de plus ».
Peut-être me trouverez-vous un peu trop rude dans cette façon de présenter les choses mais à y regarder le plus près, on ne peut que voir la façon dont les designs au sens large s’inscrivent dans une mode déjà un peu éculée. Celle d’une vision militaro-SF froide et terne, où les textures des costumes d’antan laissent tristement la place à celle de tenues qu’on croirait parfois sorties de surplus de l’armée qu’on verra arriver dans 20 ou 30 ans… Je pense ici aux vaisseaux dit ornithoptères, lesquelles ressemblent à de grandes libellules mécaniques mais dont la familiarité avec les actuels hélicoptères militaires saute également trop vite aux yeux. Je pense également aux tenues du désert conçues par les Fremen, dont l’apparence est finalement autant hérité des concepts de Dune 84 que de combinaisons militaires aussi modernes qu’actuelles et qui ont déjà largement inspiré nos blockbusters de ces dernières années. Où l’on espérait découvrir un film qui se détache du reste, qui fasse preuve d’une vision portée dans chacun de ses pores – à défaut de révolutionner la science-fiction sur grand écran -, nous ne distinguons au final que trop cet écho à une façon un peu trop convenue et étriquée de concevoir l’avenir.

Heureusement, certains concepts comme ce gigantesque vaisseau tout en rondeurs viennent sauver la mise et donnent à voir une certaine originalité.
Et c’est éminemment dommage car Villeneuve nous donne aussi au sein de son film de multiples occasions pour voir toute la vision artistique qu’il peut projeter sur ce futur si lointain. Dans l’architecture comme dans l’apparence d’autres vaisseaux que ceux que je viens de mentionner, dans certains costumes également, Dune donne à voir une inspiration intéressante, faite de grandeur et d’objets monumentaux. Il n’est là encore pas question d’y trouver quelque chose de totalement inédit mais je dois bien admettre être resté admiratif devant certains designs comme celui du vaisseau impérial qui atterrit sur Caladan (la planète de la maison Atréides) au début du film. Mais ces éléments sont trop ponctuels pour pouvoir prétendre apporter une véritable patte à ce film dont l’hétérogénéité des visuels se fait finalement plus au détriment d’une cohérence dans la recherche de concepts qu’au bénéfice d’une volonté de distinguer les uns et les autres par leurs atours particuliers.

Ce genre de plan, en grande partie obstrué par l’immensité des vaisseaux dont l’échelle nous est donnée par les personnages, résume assez bien le gigantisme que l’on cherche à mettre en avant.
Malgré cela (le manque de panache des designs), on ne peut nier la volonté du cinéaste de composer des images qui marquent. Reconnu pour ses talents de faiseur – que je ne nie pas spécialement – Villeneuve semble vouloir apposer sa patte en livrant des plans léchés et sublimés par la photographie de Greig Fraser. Déjà à l’œuvre sur des films comme Rogue One, Foxcatcher, Vice ou le prochain The Batman de Matt Reeves, Fraser donne à Dune un merveilleux écrin dans lequel installer les événements. Accompagné de ce directeur photo, Villeneuve réussit alors à donner de la valeur à ce qu’il montre, à composer de véritables tableaux mouvants dont certains sont sans conteste magnifiques. Une partie des jeux d’ombres et lumières seront par exemple exceptionnellement bien employés tandis qu’un certain nombre de plans larges donneront toute latitude pour imposer des bâtiments, décors ou vaisseaux encore une fois monumentaux. En cela, je trouve que Denis Villeneuve renoue avec une certaine tradition de la science-fiction au cinéma, qu’on aurait presque perdue ces dernières années à tel point que même Star Wars ne s’encombre plus avec (hormis dans Les Derniers Jedi peut-être).
Une tradition faite d’accentuation, d’hyperboles visuelles nourries par l’immensité de l’espace et des contextes « géographiques » dans lesquels l’action prend place. Il s’agit de donner le sentiment de grandeur (au propre comme au figuré) par des plans immenses, aussi larges que possibles et où l’échelle permettra de souligner cela. Parallèlement, cela se traduit aussi par la nécessité parfois de mettre en scène des objets ou êtres gigantesques mais dans des cadres trop étroits pour eux. Ce dernier point est cependant risqué et j’ai le sentiment que Villeneuve ne parvient pas totalement à trouver l’équilibre nécessaire sur ce celui-ci. Ainsi en va-t-il du ver des sables, pour lequel le cinéaste joue constamment sur cette idée de « grandeur dissimulée ». Shai Hulud, puisque c’est son petit nom, n’apparaîtra jamais que sous le sable ou alors nous ne verrons que sa bouche, et quand enfin il se décide à se montrer, le cadre se révèle trop étroit. Si cela rentre dans l’optique que je soulignais juste au-dessus, je trouve tout de même dommage que Villeneuve n’ait pas cherché à la rompre pour enfin donner au ver son moment où il explose réellement à l’écran, où tout son gigantisme nous apparaîtrait dans un plan aussi large que possible et où il occuperait néanmoins toute la place.

Annoncée dès les premiers pas des Atréides sur Dune, la grande apparition tant attendue de Shai Hulud manque finalement du grandiose espéré, d’autant plus que quiconque aurait vu les trailers du film se serait gâché cet instant…
L’exercice de style demeure donc louable à mon sens, sur bien des points, mais s’avère toutefois un peu déséquilibré par des choix qui auraient peut-être pu être plus judicieux en certains instants. Particulièrement convainquant dans ses premiers moments, ce travail m’a hélas un peu lassé par la suite, Villeneuve donnant l’impression de ne plus s’intéresser qu’à cela, au détriment du reste et en particulier de son récit, sur lequel je reviendrai ensuite. Du reste, le fait est que ce Dune arrive finalement à composer son esthétisme autour du paradoxe d’être à la fois très beau la plupart du temps et en même temps d’une banalité certaine parfois. Cela renvoie bien sûr à ce que je soulignais plus haut concernant la recherche de designs mais on peut également en trouver des symptômes dans sa cinématographie au sens large. Car aussi travaillée que puisse être l’image de Dune sur le plan strictement technique, je ne peux m’empêcher d’y ressentir un manque de personnalité, pour les exactes mêmes raison que dans Blade Runner 2049.
Villeneuve fabrique certes des images fortes et techniquement impeccables mais il leur manque ce supplément d’âme qui les rendrait véritablement exceptionnelles. Parfaitement en adéquation avec son temps, le réalisateur « simplifie » les choses, remise les choix audacieux de couleurs ou de textures au placard pour mieux donner à voir un spectacle ambitieux mais en même temps trop lisse. Ceci s’observe notamment par la façon dont tout semble aseptisé, et surtout dans la manière dont il emploie les couleurs. Une intention qu’on retrouvait dans Blade Runner 2049, où Villeneuve mettait en opposition le orange, le bleu et le gris. Chacune de ces trois couleurs renvoyait ainsi à une symbolique propre et au-delà de la perte de grain et de chaleur que cela pouvait provoquer à l’écran, on pouvait encore comprendre le propos sous-jacent.

Cette monochromie est quand même un peu triste
Avec Dune, le réalisateur répète cette manière de faire mais on peine toutefois à en comprendre l’intérêt. Difficile en effet de trouver un vrai sens à tout cela ici, si ce n’est la seule volonté de dire « Ici, ce sont les Atréides », « Ici, ce sont les Harkonnen », « Ici, c’est Arrakis »… Une intention un peu vaine à mon sens. Ou plutôt, disons qu’elle aurait été réellement intéressante si elle avait été plus forte que cela, si ces distinctions strictement visuelles et chromatiques avaient été plus recherchées que simplement dire « Noir c’est pour les vilains », « Sable c’est pour la planète où il n’y a que du sable »… C’est à se demander si, au fond, Villeneuve ne fait pas des images que pour le plaisir de faire des images. Tant pis pour le sens, tant pis pour le propos, l’essentiel est que ce soit grandiose. Et s’il arrive à proposer une fresque dotée de sérieux atouts techniques visuellement parlant, il en oublie peut-être cependant de faire résonner le sens de l’œuvre dans l’illustration qu’il en propose. C’est d’ailleurs exactement le même problème qui nourrit tout ce qui touche au son dans Dune, le film jouissant d’ailleurs d’un sound design d’exception ainsi que de compositions louables de la part de Hans Zimmer (et encore, pas tout du long) mais que le réalisateur utilise presque pour accentuer trop fortement ce qui se passe à l’écran en montant le volume sonore d’un coup et à outrance, comme s’il se sentait le besoin de nous guider, d’annoncer avec force de répétition et d’insistance des choses que nous sommes cependant bien assez grands pour avoir compris par nous-mêmes.
Peut-être suis-je un peu sévère avec Dune au fond mais comment ne pas l’être ? Quand un projet se révèle si ambitieux par la seule nature du roman qu’il souhaite adapter, comment ne pas en attendre davantage ? Et surtout, je dois bien avouer que si je suis un peu déçu par tout ce que je viens de mentionner, c’est aussi parce que j’ai trouvé derrière tout cela d’autres intentions qui avaient tout pour faire de ce film un chef-d’œuvre de la SF sur grand écran. Ce nouveau Dune tache par exemple de réinscrire cette œuvre dans son temps en en modernisant plusieurs aspects. Une intention qui amènera à quelques facilités dans les designs donc mais qui donne toutefois aussi l’occasion de développer une narration plus moderne et un tantinet plus digeste que celle de Lynch, laquelle se trouvait rendue ardue par le style de l’époque en plus de celui propre au brumeux cinéaste. Certain(e)s y verront d’ailleurs probablement une nouvelle facilité de la part de Villeneuve qui ne chercherait peut-être qu’à remporter l’adhésion du plus grand nombre en rendant Dune plus accessible, j’en conviens. Mais à titre personnel, j’y vois surtout un film qui réussit de la sorte à ne pas paraître hors du temps, à très bien s’insérer dans le cinéma actuel (pour le bon comme pour le moins bon) et à donner en cela l’occasion à Dune en tant qu’objet culturel la chance qu’il n’a pas encore eu de frapper les esprits du grand public et d’attirer à lui un public neuf.

Le parcours initiatique de Paul m’est apparu ici beaucoup plus sincère et tangible qu’il ne l’était dans Dune 84
Surtout, je crois qu’il serait aussi faux de voir en cette modernisation de la narration une simplification malvenue du propos qui fait ce film et qui jaillissait avec difficulté de Dune 84, lequel s’avérait volontiers opaque. Au contraire, je trouve que Villeneuve et ses co-scénaristes Eric Roth et Jon Spaihts ont su réimposer les grands enjeux de Dune sans les dénaturer, sans leur ôter leur immense complexité au sein-même de l’univers dans lequel ils prennent corps et donc sans minimiser quoi que ce soit. Les trois auteurs vont en effet un peu plus vite sur certains points mais réussissent à conserver tout l’intérêt du récit tout en le rendant plus clair et plus prenant. Jointe à une volonté de rendre les choses plus fluides dans leur déroulé, cette intention permet alors de renouveler l’intérêt que l’on pourra porter au récit et à ses péripéties et problématiques assez régulièrement tout au long du film. Mieux encore, Dune façon Villeneuve recentre également son sujet sur la figure messianique de Paul Atréides, lequel est d’ailleurs idéalement interprété par un Timothée Chalamet tout à fait approprié. L’acteur porte en effet dans ses traits toute l’image que je me faisais de Paul Atréides, celle d’un jeune homme aux allures juvéniles, dont une espèce de naïveté d’enfance transparaît encore beaucoup pour mieux s’effacer à mesure que les péripéties s’enchaînent. Pour le dire tout net : je le trouve bien plus adéquat pour ce rôle que ne l’était Kyle MacLachlan en son temps. Bien que son interprétation ne me déplaît pas spécialement, je trouve qu’il apportait une sorte de dureté au personnage qui colle assez peu avec toute l’idée de parcours initiatique qui entoure ce dernier. La version plus douce qu’en livre Chalamet jouera à mon sens plus en faveur de ce propos, dans l’optique que je soulignais juste avant, à savoir de bien remettre en scène le fait que Paul Atréides n’est pas que l’héritier de sa famille mais bien le Messie de Dune. Villeneuve noue en effet un rapport à l’aspect messianique du personnage qui se veut bien plus fort et tangible que dans Dune 84, où Paul se faisait plus chef de guerre que véritable sauveur. Dans une approche beaucoup plus biblique, que le scénario réussit à prendre le temps d’installer par des évocations efficaces de la mythologie de Dune, cette nouvelle adaptation offre à voir un cheminement bien plus enclin à mettre en avant les aspects les plus spirituels de l’œuvre ainsi que tous les échos qui y sont faits aux religions occidentales comme orientales. Dans un habile melting pot, Villeneuve multiplie les échos religieux mais sans égratigner la spiritualité propre à Dune. Bien que certaines références soient peut-être un peu grossières, le tout s’articule globalement avec délicatesse et je me suis surpris à bien plus croire au parcours de Paul que ce ne fut le cas dans Dune 84.
Cette intention est d’autant plus appréciable qu’elle s’inscrit dans un effort de narration qui tache de tout mettre en place avec cohérence et faire dérouler les différents thèmes et arcs du récit avec une agréable fluidité. Villeneuve construit son Dune de manière à faire coexister les multiples enjeux qui animent cette histoire, plutôt que de seulement les juxtaposer. Cela étant, ce constat ne vaut véritablement que pour la première moitié du film. Pendant cette grosse heure et quart, je me suis en effet laissé transporter parce ce que Dune me racontait et les différentes péripéties qui l’animaient. La mise en place des situations initiales ne m’a en aucun cas parue laborieuse – au contraire – et le flot des événements m’a très facilement emporté avec lui. Dune saisit son public d’entrée de jeu et l’installe confortablement dans ses principes directeurs et sans jamais le perdre en chemin par des circonvolutions inappropriées ou un trop grand hermétisme de l’univers-même de l’œuvre.

Pourtant présent dans les trailers de Dune, ce plan bien précis est un exemple de ces images qui ne serviront à rien de plus qu’annoncer la suite dans le dernier tiers du film, renforçant le sentiment de ne plus assister qu’à une bande-annonce dissimulée
Pour autant, le film finit tout de même par se perdre un peu en cours de route. En dépit des qualités qui sont les siennes d’entrée de jeu et que je ne peux en aucun cas nier, ce Dune donne l’impression de ne plus savoir où donner de la tête alors que l’on s’enfonce dans sa seconde moitié. Prenons la narration par exemple, puisqu’on en parle. Alors que celle-ci – en tant qu’ensemble de propos à tenir et à faire cohabiter – semblait maîtrisée auparavant, la voici qui finit hélas par chanceler. Une perte d’équilibre que l’on doit moins à une éventuelle difficulté à continuer de suivre le fil rouge qu’à la façon de faire de Villeneuve, qui semble dès lors vouloir privilégier la forme sur le fond. Bien qu’installé dès les premières scènes du film, le style insufflé dans Dune prend le pas sur à peu près tout le reste et rend presque son scénario inaudible. Ce dernier demeurera solide en bien des points mais souffre alors d’une surenchère esthétique (dans l’écriture comme dans le visuel qui l’accompagne) qui vient brouiller le statu quo artistique que l’on pensait acquis. Si l’on ne perdra jamais de vue les enjeux qui gravitent autour de Paul Atréides, on ne pourra s’empêcher de remarquer la façon dont ils perdent progressivement en épaisseur à mesure que l’on approche de la conclusion.
Une fin qui, par ailleurs, se fait longuement désirer. Le réalisateur construit en effet les (longs) derniers instants de son Dune autour de l’annonce de sa suite et multiplie pour cela les appels du pied auprès des spectateurs et spectatrices, histoire de bien leur faire comprendre que « Oh là là, ça va envoyer Dune 2 ! ». Un teasing au sein-même du film dont on se demande régulièrement s’il porte sur des éléments qui se produiront dans celui-ci ou dans le prochain, tant et si bien qu’au moment où le générique débute, on hésitera entre se dire que tout ces effets d’annonce furent bien vain et se demander si l’on ne vient pas de regarder une bande-annonce dont les différents plans sont éparpillés dans le cours principal du film… L’autre problème de cette idée, c’est qu’elle passe par un usage outrancier des visions que Paul a de son avenir au contact de la fameuse Epice d’Arrakis. Ces instants, indissociables de Dune en tant qu’œuvre, deviennent alors prétextes à ces annonces de la suite à venir et hachent terriblement le rythme. Ils le font d’autant plus que ces prémonitions sont systématiquement au ralenti. Un choix qui ne me gêne pas du tout en soi mais qui commence à me déranger un peu plus quand il commence à déteindre sur le reste des séquences.

Où nous découvrons donc que l’Epice a aussi l’incroyable faculté de tout ralentir
Alors que la conclusion du film approche, tout semble plus lent. En vérité, tout l’est littéralement à l’écran et Dune n’en finit plus de s’étirer encore et encore. Un combat, une menace, une marche dans le désert : tout devient prétexte au ralenti, là où ce n’était pas le cas dans la première moitié du film. De séquences de batailles homériques et vives, nous passons à des combats lents et lourds, prolongeant parfois inutilement la sauce. Je prendrai pour exemple ici le tout dernier affrontement que livre Paul Atréides. Un duel dont je ne révélerai pas la teneur exacte mais qui doit en tous cas souligner une sorte de transition dans le personnage, lequel accepte de plus en plus le rôle qu’il aura à jouer sur Arrakis. Un combat qui doit au passage mettre en exergue ses performances de combattant et la manière dont il s’aguerrit peu à peu. Or, si Villeneuve souhaite me montrer quel guerrier Paul devient, pourquoi ne pas renouer avec le dynamisme des combats antérieurs ? Pourquoi ne pas de nouveau me montrer la brutalité dont pouvaient faire preuve d’autres personnages comme Duncan Idaho ou Gurney ? Au lieu de cela, des ralentis. A mon sens, cette séquence précise est la preuve que le cinéaste se perd lui-même en chemin. Il n’arrive alors plus si bien à jongler entre les codes qu’il a installés pour dépeindre des batailles, ceux mis en scène pour parler de l’aspect messianique de son héros et enfin son plaisir propre et personnel à faire de belles images. Tout ceci se mêle tant bien que mal dans toute la seconde moitié du film et rend cette dernière bien moins équilibrée que ce que l’on avait pu voir juste avant. Dans un élan mal tenu de « tout pour le style », le réalisateur gâche un tantinet la fin de son premier Dune par la seule perte des repères qu’il avait lui-même fixés en ouverture.
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A la relecture, je dois bien admettre que je trouve mon papier plus dur que je ne l’avais envisagé au moment de prendre mes notes. Je profiterai donc de cette conclusion pour souligner que, non, Dune n’est pas un mauvais film ou un strict raté. Loin de là, la proposition de Denis Villeneuve regorge de multiples qualités qui laissent de nouveau entrevoir tout le potentiel dont ce réalisateur peut faire preuve. Son principal écueil en revanche sera de ne pas réussir à tenir la cadence sur le long-terme, de se perdre au milieu de ses différentes propositions et de manquer d’un certain panache qu’on pourrait pourtant attendre d’une œuvre pareille. D’éventuel monument de la SF, nous passons hélas trop vite au statut de blockbuster trop classique pour être réellement saisissant. En dépit d’intelligentes idées et de partis-pris relativement audacieux, le film tombe trop facilement dans les travers des longs-métrages de la même trempe et en oublierait presque de se créer une véritable identité. Dune ne peut alors prétendre renouveler les choses ou avoir de quoi impacter l’avenir. Il ne sera « que » le nouveau Dune mais ce n’est déjà pas si mal.
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