Je n’ai pas su résister. Je sais pourtant que j’aurais dû, qu’il aurait été préférable d’aller voir autre chose, ou même de rester chez moi. Je sais tout cela mais, non, je n’ai pas su résister. Je suis allé voir Spider-Man – No Way Home il y a quelque temps. Ultime volet de la trilogie de Jon Watts pour le compte de l’univers cinématographique Marvel, No Way Home demeurait l’objet d’une curiosité que j’ai enfin assouvie.

AVERTISSEMENT
J’ai eu beau me creuser la cervelle, il est difficile pour moi de vous parler de No Way Home sans spoiler un peu. Certaines choses que je souhaite vous raconter nécessitent d’expliciter ce qui se passe dans le film. Attention donc, cet article contient des révélations sur des éléments majeurs de l’intrigue de Spider-Man – No Way Home. Si vous comptez voir le film, je vous invite donc à ne lire cet article qu’après votre séance.
Je ne suis pas spécialement client de cette nouvelle itération de l’Homme-Araignée, qu’on se le dise. Je n’en avais d’ailleurs jamais touché un mot sur ce blog mais cet article va être l’occasion d’évoquer un peu pourquoi ces trois derniers films m’ont déçu. Vous voilà d’ailleurs prévenu(e)s de cette manière : non, je n’ai pas franchement aimé No Way Home. Pas plus que Homecoming et Far From Home avant lui. Avant de revenir sur le détail concernant mes réserves au sujet de cette trilogie, il convient aussi de rappeler que j’en ai marre du MCU. On est en 2022, je suis cette énorme machine depuis 2008 et j’en ai fait le tour. Mes super-héros favoris de la franchise sont partis tandis que ceux qui restent vont soit m’ennuyer, soit ne même pas m’intéresser. J’ai pourtant tenu quelque temps encore après ce final que fut Avengers – Endgame : j’ai regardé WandaVision, Loki, Falcon & The Winter Soldier… A chaque fois le même constat : c’est banal, ça n’invente plus rien, ça n’ose plus rien si ce n’est cette surenchère progressive sur le fameux Multivers, lequel n’est finalement rien d’autre qu’une astucieuse pirouette marketing pour faire venir toujours plus d’acteurs et actrices dans le giron d’une Maison des Idées qui ne mérite même plus ce vieux sobriquet. Lassé, je ne suis pas allé voir Black Widow, Shang-Chi et Les Eternels, j’ai abandonné What If avant même d’avoir fini la saison…
Et puis il y a Spider-Man, ce cas à part. Comme énormément de monde, j’aime beaucoup ce héros. C’est un personnage auquel il est aisé de s’identifier et que j’ai toujours aimé suivre, que ce soit dans les comics, avec la série animée des années 1990 ou bien dans les deux précédentes sagas au ciné : les Spider-Man avec Tobey Maguire puis les Amazing Spider-Man où c’était cette fois-ci Andrew Garfield qui incarnait le personnage. Bien qu’inégales, ces adaptations avaient eu le mérite de donner vie au Tisseur sur grand écran en se montrant globalement respectueuses du personnage, dans certains aspects ou dans d’autres. C’est cette même affection pour Spider-Man qui m’a évidemment poussé à suivre d’un œil plus que curieux son entrée dans le MCU lorsque Tom Holland l’a campé pour la toute première fois dans Captain America – Civil War. Un rôle alors secondaire qui donnait déjà un ton qui m’aura laissé circonspect d’entrée de jeu, sans pour autant m’empêcher de découvrir son premier film solo au sein de cette vaste franchise avec Homecoming en 2017. C’est alors Jon Watts qui passe derrière la caméra, succédant ainsi à Sam Raimi et Marc Webb en tant que metteur en scène de Spider-Man. Watts est à l’époque assez méconnu du grand public : il n’avait à son actif que deux films, Clown et Cop Car, passés relativement inaperçus l’un comme l’autre et qui avaient d’ailleurs eu du mal à se frayer un chemin jusqu’en France (le second ne sortira d’ailleurs qu’en vidéo, près d’un an après sa sortie américaine). Cela dit, ce n’était pas spécialement gênant sur le papier. Difficile en effet d’avoir des a priori sur le bonhomme et cela pouvait même donner quelque chose d’intéressant d’aller chercher ce jeune cinéaste, visiblement peu habitué des blockbusters.
Malgré cela, je dois bien confesser avoir eu du mal à me sentir concerné dans Homecoming.
J’y découvrais un Spider-Man et, par extension, un Peter Parker qui ne me parlaient pas, à tel point que je me suis un temps demandé si j’étais toujours le public-cible pour ce héros. Un revisionnage de mes opus favoris des précédentes adaptations, au moins parcellaire, aura permis de me rassurer : oui, je suis toujours le public-cible. Nous le sommes toutes et tous en ce sens que Spider-Man est l’incarnation de ces gens qui font ce qu’ils peuvent, aussi bien que possible avec les moyens du bord. La sortie ultérieure de l’excellent film d’animation Spider-Man – Into the Spider-Verse n’aura d’ailleurs fait que confirmer la chose, à l’instar des deux jeux vidéo Spider-Man et Spider-Man – Miles Morales, respectivement sortis en 2018 et 2020 sur consoles PlayStation. Non, définitivement, ce problème ne venait pas de moi mais bien du film, de ce qu’il mettait en scène et des personnages qu’il développait. Au premier rang de ces derniers, Peter Parker m’est en fait apparu transfiguré. Si je ne suis pas contre le fait qu’une adaptation joue avec son matériau de base pour se l’approprier un tant soit peu (Sam Raimi et Marc Webb l’ont fait, avec réussite à mon sens), ce Parker là n’était pas pour moi. Trop cabochard, trop adolescent finalement mais d’une adolescence qui n’est pas la mienne mais celle de nos ados actuels. Résumons cela en parlant d’une espèce d’incompatibilité d’humeurs en quelque sorte.
Ce n’est donc pas que je ne suis pas le public-cible de Spider-Man mais bien que je ne suis pas celui de CE Spider-Man. Surtout, ce qui m’aura le plus choqué, c’est la manière dont le jeune héros nous est présenté. Directement pris sous son aile par Tony Stark dans une espèce de relation père-fils de substitution qui peinait à convaincre, Spidey version Tom Holland manquait d’à-propos sur un grand nombre d’aspects pourtant fondateurs du personnage et que chaque cinéaste avant Jon Watts avait su préserver malgré leurs idées propres. Je pense à la dualité entre un Peter Parker gauche et un Spider-Man à la personnalité bien plus libérée. Ici, on assiste à une sorte de fusion des deux, l’un comme l’autre étant à la fois maladroit et cabotin (trop, dans les deux cas). Je pense également au côté « débrouillard sans le sou » inhérent au personnage, mis à mal dès le premier film et totalement anéanti dans le deuxième, Far From Home, où c’est toute la technologie de pointe de Stark Industries (Happy Hogan inclus apparemment) qui lui tombe tout cuit dans le bec… Far From Home qui, dans la continuité de Homecoming, éloignait considérablement « l’araignée sympa du quartier » de son quartier justement, privant alors ce Spider-Man de tout un pan de sa personnalité et de sa vision du monde, fondée sur l’importance des gens du quotidien. Là encore, tant Into the Spider-Verse que les deux jeux mentionnés plus haut auront fait mille fois mieux.
Mais ce qui m’aura le plus navré au fond, c’est le ton général de ces films. Cherchant à faire la balance entre le trop grand sérieux du MCU et la nécessaire légèreté de Spider-Man, cette trilogie ne réussit jamais à faire naître le bon équilibre. D’autres films de la saga ont d’ailleurs su prouver que ce jeu de funambule n’était pas tenable. On pense ici aux Gardiens de la Galaxie ou à Thor Ragnarok, qui ont aussi tenté de trouver cet équilibre mais qui ont néanmoins chaque fois choisi de privilégier le pan « comédie » afin de livrer avant tout un divertissement qui fonctionne. Que l’on aime ou non ces deux exemples, il faut au moins leur reconnaître cela, cette envie de se donner une patte propre au sein du MCU avec un humour gentiment décalé, sans rien enlever cependant à leur intégration dans la plus large fresque que représente la saga et dans son atmosphère partagée. Chacun(e) jugera de la force de la personnalité dont font preuve ces films-ci et de la qualité de leur expression à l’écran mais l’intention demeure louable en soi.
De son côté, Spider-Man par Watts n’y arrive pas. Cramponné à l’esprit le plus « héroïque » du MCU, parrainé par la seule présence d’Iron Man aux côtés de Spider-Man dans le premier film, le spectacle que livre Jon Watts n’arrive pas à savoir sur quel pied danser et oscille ainsi constamment entre cet aspect-ci et l’autre, pétri d’humour et de gags en tous genres. Maladroits dans leur exécution, les trois films pâtissent par ailleurs du fait que cet humour est bien souvent assez peu convaincant. Mou du genou, pour ne pas dire bas du front, l’humour de ces Spider-Man repose sur des ressorts plus qu’usés et des vannes d’une gratuité affolante, l’une des dernières en date en date (dans No Way Home donc) étant la moquerie de Peter Parker et de ses amis à l’encontre d’Otto Octavius parce que ce dernier s’appelle ainsi. La scène se révèle assez nulle, sans intérêt quelconque (la séquence tombe totalement à plat) et est en plus de cela terriblement mal jouée (ça faisait longtemps que je n’avais pas vu des rires forcés aussi ridicules). Elle est en définitive à l’image de ce que Marvel et Disney ont tenté de faire avec Spidey sur cette trilogie : une adaptation plus moderne mais beaucoup trop chancelante. On y essaie de mettre l’humour au goût du jour, de s’attacher l’attention d’un public neuf, plus jeune que celui qui regardait les Spider-Man de Sam Raimi puis de Marc Webb, non seulement pour apporter une nouvelle jeunesse à l’auditoire du super-héros concerné mais aussi pour renouveler un peu celui du MCU.

Avec Thor Ragnarok en 2017, Marvel confirmait son envie de jongler entre les tons après un tournant très sérieux pris par exemple avec le deuxième Captain America. Depuis, chaque film tache dans une plus ou moins grande mesure d’apporter du comique dans son récit.
Ma théorie – bien personnelle, j’en conviens – c’est qu’avec bientôt 14 ans de durée de vie, cette grande fresque cinématographique semble être arrivée à un moment de bascule où une partie du public va certainement devoir être renouvelée, à défaut d’être maintenue devant les écrans. Avec Avengers – Endgame, c’est toute une ère qui s’est refermée, remisant au placard un certain nombre de héros que nous ne verrons plus et qui assuraient pourtant de voir revenir les spectateurs de film en film. Sauf que les adolescent(e)s et jeunes adultes qui allaient voir les premiers épisodes de la saga en salles à la fin des années 2000 ont vieilli, se sont pour certain(e)s lassé(e)s, et ont en plus perdu ces fameux repères : on sait le sort réservé à Iron Man et Captain America dans Endgame notamment. Une mue s’opère donc pour relancer la machine, quitte à conserver le cap initial du « grand divertissement multi-millionnaire » mais en s’y dirigeant avec de nouveaux gros sabots faits de cet humour que Les Gardiens de la Galaxie auront été les premiers à clairement instiller dans cet univers. Certains héros de l’écurie auront alors assumé cette mue, à l’image de ce Thor transfiguré dès qu’il fut passé entre les mains de Taika Waititi, de ce Loki qui (notamment dans sa série propre) coupe de plus en plus sa cape de méchant pour revêtir la casquette d’anti-héros sympathique, charmeur et volontiers rigolo, ou enfin de ce Spider-Man intégralement repensé pour séduire nos adolescent(e)s d’aujourd’hui. Logique et compréhensible en soi, l’idée est cependant inégalement exécutée dans les différentes œuvres du MCU. Et si Thor Ragnarok aura su globalement séduire, il est difficile d’en penser tout autant de Spider-Man. La différence tient à peu de choses finalement : un réalisateur.
Or, clairement, Jon Watts n’est pas Taika Waititi ou même James Gunn. Là où ces deux derniers ont su se forger une patte, un style qui sache régulièrement mêler les tons (avec une plus ou moins grande réussite, bien sûr), Watts et les scénaristes qui ont travaillé avec lui semblent bien moins à l’aise avec ce jeu d’équilibriste. Waititi comme Gunn savent composer sur plusieurs tableaux à la fois, jonglant volontiers entre les humeurs mais en évitant autant que possible de faire le pas de côté de trop qui viendrait rompre le charme. A mon sens, et hors du cadre du MCU, Jojo Rabbit est par exemple une bonne illustration de ce phénomène. Pour en revenir à No Way Home, cet ultime épisode de la trilogie souffre finalement du même mal que ses deux prédécesseurs : de la difficulté à se trouver un ton original (qu’il ne semble même plus chercher finalement, au profit d’un produit aseptisé et bien calé dans son moule « à la Marvel »), découle tristement une incapacité à en trouver un qui ne soit pas fade. Il y a des gags mais ils ne font pas rire (je n’ai pas entendu un seul rire de toute la séance dans la salle où j’étais !), les scènes plus « sérieuses » se prennent trop au sérieux justement, et ainsi de suite… Ce pan des adaptations ciné du super-héros ne cherche au final pas à proposer quelque chose qui lui soit propre mais se repose quasi intégralement sur l’aura de ce dernier et ne chercher à rien en faire, ne rien en dire. C’est Spider-Man, voilà, contentez vous de cela. C’est une version réactualisée du personnage, certes, mais c’est Spider-Man et quand ce seul alias suffit à vendre, pourquoi s’emmerder à proposer plus, à creuser les protagonistes, à questionner leurs personnalités, à poser de nouveaux jalons de référence vis-à-vis de l’Homme-Araignée ? Sans rien faire de tout cela, No Way Home arrive quand même à devenir un succès gargantuesque, avalant toute la concurrence sur son passage ! Ça fait un moment que le MCU a perdu de sa superbe (mais pas de sa rentabilité, notez), mais là, il atteint le stade de la feignantise pure et simple.

Spider-Man mise donc sur l’humour mais avec une maladresse incroyable, à l’image de ce moment où MJ cherche à reporter la faute du multivers sur Dr Strange et, surtout, où elle veut lui apprendre la politesse en plus de ça. Une situation cocasse, certes, mais bien peu pertinente.
On me rétorquera peut-être que je suis trop difficile ou trop sévère ou je ne sais quoi d’autre encore mais je n’y peux rien : j’ai trouvé cette écriture totalement indigente et j’en suis bien le premier navré. Se contentant d’aborder ses thématiques en surface uniquement, No Way Home ne prend le temps de rien et ne cherche finalement à capitaliser que sur son fan service outrancier, lequel était d’ailleurs le principal (le seul ?) argument du film depuis ses premières annonces. Mais on reviendra sur cet élément ensuite. Pour le moment, constatons l’étendue des dégâts en découvrant ces personnages notamment, tous plus bêtes les uns que les autres. Souffrant de ce que j’aime appeler le « syndrome de Buzz l’Eclair », chacun des protagonistes de ce No Way Home a réussi (sur la longueur ou juste ponctuellement) à me sembler frappé par une idiotie d’autant plus navrante que ce n’était pas vraiment leur principale caractéristique auparavant mais qui se retrouve ici accentuée dans une optique humoristique assumée. « Syndrome de Buzz l’Eclair » donc puisque c’est exactement le sort réservé au fameux Ranger de l’Espace dans Toy Story 4, mille fois hélas.
Ainsi en va-t-il d’un Happy Hogan qui finit de s’enfoncer dans le rôle du faire-valoir rigolo (mais totalement inutile). On pourra aussi évoquer ce bon Dr. Strange, notamment lors de la séquence du sort qui doit permettre à Peter Parker de ramener un statu quo quant à son identité secrète. Parker, insupportable, ne cesse de l’interrompre durant l’incantation. On s’imagine alors Strange arrêter le processus, demander au jeune homme de se taire puis recommencer son sortilège en toute quiétude. Au lieu de cela, histoire de nourrir un comique de répétition malvenu, le sorcier du MCU corrige son sort en cours de route, à chaque nouvelle intervention de Peter. « Raturant » ainsi sa tentative, il passe à mes yeux pour un bien piètre « grand sorcier », semblant incapable de prévoir la catastrophe que de telles hésitations peut entraîner. Cela même alors que Strange et Wong ont bien répété que, de base, c’était quand même une assez mauvaise idée de réaliser cette opération. Aucun sens, donc. Pas plus que les errances autour de la composition de MJ ou Ned, eux aussi touchés par ce triste mal.

A trop vouloir faire rire malgré tout, Marvel vide tout ou partie de la substance initiale de ses personnages.
Alors, je râle, je râle mais je ne suis pas bête, je sais bien que tout ceci est finalement logique, que ça se déroule selon un plan et, surtout, que c’est dans la droite continuité des deux opus précédents. Et j’ai parfaitement conscience de ne pas être le public idéal pour ce genre de réécriture de Spider-Man et de ses potes. Mais d’y observer cet effort, ce côté forcé dans l’envie d’en faire toujours plus sur un humour parfois totalement dispensable, ça m’attriste. Je ne suis pas agacé par ce film parce qu’il ne s’adresse pas à moi – ça peut arriver, je m’en remettrai -, je le suis parce qu’il s’exprime mal, parce qu’il ne vise que des ambitions qui gravitent autour du MCU et du besoin de faire toujours plus exploser le box-office, sans se soucier des qualités propres au divertissement qu’il est censé être avant tout ou encore de celles qu’on recherche naturellement dans une œuvre de cinéma. No Way Home n’écrit ni des personnages, ni des péripéties : il installe des individus dans des situations données qui ponctuent et nourrissent un schéma plus large que le seul film dans lequel ils apparaissent. Quant à Spider-Man lui-même, je le trouve (une fois de plus pour cette trilogie) totalement inconséquent et incapable de prendre autre chose que des décisions inconsidérées et irréfléchies. C’est censé faire rire mais ça ne viendra que le faire passer pour un idiot (alors qu’on est en présence d’un gamin loin d’être abruti, visant même le prestigieux MIT pour ses études supérieures). Seul le final de No Way Home laissera entrevoir une lueur d’espoir quant à cette incarnation du héros : mûri par la force des choses, dénué de tout ce qui lui était jusqu’alors acquis, le Peter Parker que nous laissons au moment où le générique débute ressemble (enfin !) à peu près à celui qu’on aurait aimé avoir dès le départ, à celui que les comics nous ont appris à connaître et aimer. Le retour de la licence dans le seul giron de Sony sera peut-être l’occasion d’exploiter cet aspect-là. Ceci étant dit, quand on voit ce que cette autre entreprise a fait avec Venom, le doute est permis quant à la qualité final des productions à venir…
Reste qu’en conséquence de ce que je viens d’évoquer, il ne faut plus être étonné quand on voit des protagonistes aussi mal amenés que cette chère tante May. Qu’on ne se méprenne pas cependant : je n’ai rien contre elle à la base. Au contraire, j’aime assez l’idée qu’on l’ait rajeunie, ça ne me choque pas spécialement et je me suis même dit au début de cette trilogie que ce serait l’occasion d’en faire quelque chose de nouveau. Il n’aura cependant pas fallu attendre plus longtemps que le premier film pour comprendre que ce ne serait pas spécialement le cas. Personnage très secondaire, elle bénéficiera certes de quelques légers coups de projecteur mais cela demeurera au rang du background général (sauf quand il s’agit de la foutre en couple avec Happy, ah là, on insiste hein, c’est rigolo, oh là là). Mais voilà que tout le monde se réveille dans No Way Home et se dit qu’on aurait effectivement pu faire quelque chose de May. Et quoi de mieux alors – attention, spoil majeur – que de la sacrifier dans un élan d’héroïsme aussi courageux qu’incompréhensible. Et quand je dis « incompréhensible », ce n’est pas dans le sens où je ne comprends pas son geste mais dans celui où, d’un coup d’un seul, les scénaristes se sont dit qu’il fallait vite vite donner à tante May cette épaisseur dont ils l’ont privée si longtemps. En un claquement de doigts, la voilà héroïque puis morte et on devrait trouver que c’est savamment amené ? Non, à titre personnel, j’y vois surtout le triste constat qu’en dépit des aventures cosmiques qu’il a vécues jusque là, Spider-Man version Holland n’a aucun bagage émotionnel, aucune charge qui pousserait à réellement compatir pour lui. Alors la voilà qui tombe ici, histoire que le personnage soit enfin raccord avec les précédentes incarnations du héros, qui déboulent justement dans le film.

On n’aura tellement rien donné à la pauvre tante May que sa seule punchline dans toute la trilogie est la même que celle de l’oncle Ben dans le premier Spider-Man il y a 20 ans !
Ce retour des anciens est d’ailleurs, à mon sens, le seul vrai bon côté de No Way Home. Ce qui ne veut pas dire que c’est réussi de bout en bout cependant. Il n’en demeure pas moins que je vous mentirais si je vous disais que la réapparition de Tobey Maguire et Andrew Garfield ne m’a pas enchanté malgré tout. J’aime beaucoup ces deux précédents interprètes du Tisseur et je trouve que ce retour dans le costume ne se fait pas sans réussite. Oh bien sûr, il y aura bien des choses à redire toutefois. Comme cette scène d’introduction des personnages, dans la cuisine où Ned et MJ les font arriver par accident. Une séquence, une fois de plus, où tout le monde a beau être conscient du grand danger qui pèse et menace, on prend quand même le temps de faire des frasques et de multiplier des gags un peu relous. Je pense notamment au comportement de MJ, dont on peut comprendre qu’elle soit un peu chamboulée par ces Spider-Men qui ne sont pas SON Spider-Man, mais qui se comporte comme une gamine en demandant par exemple à Andrew Garfield de marcher au plafond pour prouver qu’il est un Spider-Man (alors même qu’il y est déjà suspendu). Oh et puis tant qu’à faire, faisons donc intervenir la tante de Ned, qui va lui demander de nettoyer les toiles d’araignée dans les coins au passage, c’est rigolo hein (bof).
Dans ce registre, No Way Home cumule une fois encore les errances d’écriture mais on comprend pourquoi : parce qu’il faut que tout ceci colle au ton général du film. Il ne faut pas que Tobey Maguire amène l’aura des Spider-Man de Sam Raimi avec lui, ni Andrew Garfield celle des Amazing Spider-Man. Il convient aux yeux de Disney que tout ce petit monde rentre dans le moule du MCU et n’en dépasse pas un seul instant, triste constat là aussi de l’uniformisation/la standardisation des longs-métrages issus de l’écurie Marvel depuis son rachat par la maison de Mickey. Nulle surprise donc à voir les personnages ainsi intégrés se livrer à une espèce de mue pour rentrer dans le cadre. Personne n’y échappe et si je dois admettre que l’affaire n’est pas trop violente concernant Maguire et Garfield, elle m’a déjà un peu plus choqué en ce qui concerne Norman Osborn notamment. Le patron d’Oscorp fait en effet son retour sous les traits de Willem Dafoe, qui lui offrait tout son charisme naturel et froid dans les films de Sam Raimi. Le personnage se trouve ici transfiguré, impliqué lui aussi dans ce chantier de recomposition visant à ne surtout pas dénoter. Qui aurait cru qu’un jour on entendre ce Norman Osborn là dire qu’il prendrait bien un burrito avec une nonchalance pareille, digne d’un mec posé sur le canapé avec la main dans le slibard ? Et en quoi était-ce utile d’ailleurs ? Qu’est-ce qu’on cherche à nous dire avec ce revirement de personnalité ? Qu’il n’est pas le Bouffon Vert mais bien Norman et seulement Norman ? Je suis navré mais le Norman de Sam Raimi n’aurait jamais eu cette légèreté d’esprit et de ton. Il n’en aurait même jamais eu besoin pour se distinguer de son alter ego maléfique, parce qu’on avait affaire à un comédien et un directeur d’acteur qui savaient ce qu’ils faisaient. S’il pouvait se montrer sympathique, Osborn restait toujours relativement froid et distant.
Je m’emporte peut-être sur des détails mais tout cela, je trouve que c’est tout à fait symptomatique.
C’est l’expression du besoin inconditionnel de Disney de tout mettre à sa sauce, de tout reprendre pour tout mieux en faire SON œuvre. Dans son entreprise de mainmise sur le grand secteur du divertissement mondial (et j’exagère à peine au fond), la boite ne cherche même plus à prendre en compte le passif des personnages qu’elle a acquis, à respecter ce que d’autres ont pu faire avant, avec leurs intentions propres. Il faut tout passer à la moulinette de Disney et le servir tiède et prémâché de manière à ce que tout le monde obtienne la même chose : un divertissement plat, sans personnalité, fade au service de codes ultra-convenus et aseptisés qui permettront de se mettre le grand public dans la poche avec une facilité déconcertante. On s’étonne encore qu’aucun réalisateur, même de renom, n’arrive à asseoir sa patte dans les films Marvel mais c’est tout simplement parce que Disney s’en fout de ça. Ce qu’ils veulent c’est associer un nom à un film pour amener le public dans les salles (et maintenant sur sa plateforme de streaming également). Que ce soit Kenneth Branagh déjà à l’époque, Ryan Coogler sur Black Panther ou bientôt Sam Raimi justement (pour le prochain Dr. Strange) qui soient derrière la caméra, cela ne change rien : les films Marvel sont des films de producteurs, rien de plus. Ils ont trouvé une recette, préconçue par Jon Favreau, définitivement assaisonnée par les frères Russo, et voilà à quoi il faudra s’en tenir. On pourra encore une fois citer James Gunn ou Taika Waititi comme des exceptions mais en sont-ils réellement ? Après tout, et malgré la liberté de ton dont ils donnent l’impression de faire preuve dans Thor ou Les Gardiens de la Galaxie, ils ne proposent au final « que » la même chose que les autres, une relative liberté de ton en plus. Mais une liberté encadrée et qui ne viendra jamais, ô grand jamais, trop s’éloigner du carcan principal dans lequel le MCU s’enlise. Qu’on aime ou non les films de ces deux cinéastes, peu importe (je les aime en partie moi-même d’ailleurs). Le constat demeure : Marvel et Disney ne savent pas laisser de place aux créatifs, il ne le veulent même pas. Le studio attend seulement des films avec des noms bankable devant et derrière la caméra, le tout au service de longs-métrages aussi homogènes que possible les uns par rapport aux autres, point final. Et pour tout ce que je viens de mentionner, ce Spider-Man : No Way Home en est un énième témoignage.
Malgré ça, je n’arrive pas à absolument dire que je n’aime pas ce film. J’ai beaucoup de reproches à lui faire mais s’il y a un truc où il m’a touché quand même, c’est bien dans l’apparition de ces deux autres Spider-Men. Je le disais et je le redirai, ce n’est pas à 100 % réussi mais il y a un je ne sais quoi qui fonctionne quand ils apparaissent enfin à l’écran. Sans doute est-ce l’affect pur et simple pour ces deux personnages qui ressurgit. Parce que même s’il est impossible de considérer l’intégralité des Spider-Man de Sam Raimi ou des Amazing Spider-Man de Marc Webb comme des chefs-d’œuvre, ils ont su chacun en leur temps nous imposer ces Peter Parker avec talent. Leur retour se fait donc avec une certaine tendresse, un plaisir qu’on ne se dissimulera pas, une nostalgie aussi. Ce qui était moins prévisible, c’est la façon dont ces deux autres Hommes-Araignées mettent en lumière tout le manque d’empathie que j’ai pour celui de Tom Holland, finalement peu épais en comparaison. Le Spider-Man façon MCU est allé dans l’espace, il a lutté aux côtés de certains Avengers contre l’autre partie de la super-équipe, il a affronté avec eux la plus grande menace qui ait pu peser sur cet univers… Et pourtant, non, je n’ai aucune affection pour ce Peter Parker là, pas beaucoup en tous cas. Car comme je le disais plus haut, il manque cruellement d’un fond émotionnel qui soit à-même de me toucher. A l’inverse, les Parker de Maguire et Garfield, n’auront même pas eu besoin de sortir de New-York pour faire naître en moi une empathie à leur égard dont je me rends compte en les retrouvant ici que les années ne l’a absolument pas estompée.

Le retour des anciens met en avant les lacunes qui entachent la construction de ce Spider-Man bien spécifique.
Ces deux-là sont des super-héros, certes, mais ils sont mille fois plus humains que leur homologue Holland. Je ne jette d’ailleurs pas la pierre strictement à Tom Holland, que j’apprécie malgré tout (regardez Le Diable Tout le Temps !), mais bien à la version du personnage qu’on lui demande d’incarner. Si j’emploie le nom de l’acteur c’est plus dans une optique de différenciation et de clarté. Enfin bref, tout cela pour dire que si le retour de ces deux anciens Spideys fonctionne si bien, c’est parce qu’on les aime. Qu’on préfère l’un ou l’autre, cela importe bien peu : ils portent chacun une charge qui permet à leur présence dans ce film d’être un bonbon bien agréable. Parce qu’on se souvient tout ce que Spider-Maguire a pu prendre dans la gueule en trois films à l’époque ou de comment les choses se sont tragiquement terminées pour Spider-Garfield. Des événements qui les ont marqués et nous avec, qui aura fait d’eux des personnages attachants, auxquels il est donc assez aisé de s’identifier.
Tout ce que n’a pas su être Spider-Holland avec ses milliards de dollars de technologie qui lui tombent sur la tête dans le deuxième film, avec ses aventures cosmiques ou avec ses voyages à l’autre bout du monde… Jamais on ne m’a donné l’impression que ce Spider-Man là était la fameuse « araignée sympa du quartier ». Or, c’est exactement ce qu’ont su être les deux autres et c’est ce qui fait que leur retour, au-delà de l’événement voulu par les décideurs du MCU, fonctionne. On est contents de les retrouver comme on serait heureux de revoir de vieux copains. Ainsi, je suis ravi de retrouver Tobey Maguire et de voir le rôle de « vieux sage » qu’ils ont essayé de confier à son Spider-Man (bien que ce soit parfois un peu maladroit ou faiblichon dans la façon de le faire), tout comme je le suis de retrouver mon Spider-Garfield d’amour, ses mimiques et sa gestuelle qui me renvoient à tant de choses que j’aie pu dire, entendre ou faire à l’adolescence (voilà une des principales causes de mon amour pour cette version du personnage, ne cherchez pas plus loin). Et comment vous dire autrement que de cette manière le fait que, sans conteste, l’écho fait ici au drame qui frappe le personnage à la fin de The Amazing Spider-Man 2 m’a fendu le cœur.

Il y avait tant et tant à faire autour de cette réunion. Elle sera hélas trop tardive et trop plate, en dépit du plaisir indiscutable à retrouver Garfield et Maguire.
Il faut cependant que cela soit en quelque sorte gâché par ce même mécanisme d’intégration au moule général que je présentais plus haut. De fil en aiguille, et en dépit de tout le plaisir que j’ai ressenti à la vue de ces personnages, le retour de Maguire et Garfield m’est un peu gâché, oui, par les écueils dans lesquels l’écriture de ce film s’envoie à tour de bras. Et vas-y que je fais des blagues un peu nunulles, et vas-y que je te fais répéter trop de fois à Maguire que le Spider-Garfield est « amazing » , etc. Cette dernière vanne est d’ailleurs révélatrice de ce que Disney cherche à faire en partie, à savoir ramener dans son giron un public sans cesse renouvelé, aussi grand que possible et qui n’a donc pas toujours toutes les clés de compréhension liées à Marvel au sens le plus large. Alors quand on nous dit que Garfield est « amazing » , beaucoup comprendront bien sûr la référence aux titres des films dans lesquels il portait le costume. Mais il faut aussi penser à celles et ceux qui découvrent tout cela courant 2021-2022 et qui ne capteront pas la référence du premier coup. Mais plutôt que de les laisser en suspens là-dessus et leur inciter peut-être une recherche rapide pour démêler la blague, on va répéter cette dernière encore et encore parce qu’il faut que tout le monde comprenne tout de suite, sans plus attendre, car il n’y a pas de temps à perdre. Il faut que, si vous êtes nouvelle ou nouveau dans ce public, vous soyez embarqué(e) du premier coup. Aucun temps ne doit être laissé à la digestion ou à la naissance d’une quelconque curiosité. Les films Marvel actuels se veulent ainsi être des manifestes qu’il faut prendre pour argent comptant et comme seule et unique source. Peu importe le passé de l’éditeur, peu importent les anciens films, peu importent les comics même ! Regarde ton film et passe à la suite, basta. C’est d’une tristesse…
Ce qui gâche aussi le plaisir, c’est l’incapacité de Marvel de ménager l’effet de surprise. Avec l’arrivée du multivers dans le microcosme de Spider-Man, on savait toutes et tous très bien à quoi s’attendre par ailleurs. En soi ce n’était pas forcément une mauvaise idée (Into the Spider-Verse nous aura prouvé à quel point la chose peut être réussie) mais là encore, l’ambition n’a pas trouvé d’équilibre avec l’exécution. Il n’y a qu’à voir les campagnes promotionnelles autour du film et les bandes-annonces : avant même que le long-métrage ne sorte, on avait déjà tout vu, à un truc près. Tous les méchants emblématiques des précédents films Spider-Man avaient été dévoilés par un trailer qui ne misait que sur cela et par des affiches-personnages exhaustives ne laissant place à aucun doute : le Bouffon Vert, Electro, Doc Octopus, l’Homme-Sable et le Lézard. C’est le vieux fantasme de fans de voir naître les Sinister Six sur grand écran qui se trouve esquissé ici. Malheureusement, l’excitation laisse vite place à l’écœurement devant pareil déballage. Aucune surprise n’est gardée pour le film, exception faite de l’apparition des Spider-Men que sont Tobey Maguire et Andrew Garfield. Et de surprise, la chose n’en a même plus l’aura finalement parce que c’était évident. Parce que Marvel a tout fait pour qu’on le devine avant que le film sorte, avec la conscience que c’est bien cela qui allait vendre le film : la réunion des trois Spideys emblématiques du grand écran dans un seul film.
____________________
Il y a plusieurs choses que je n’ai pas évoqué dans cet article, qu’il s’agisse de la construction du scénario, des effets visuels ou de la musique mais je pense que cela aurait été vain. Quel intérêt aurais-je eu à vous détailler tout cela à travers le prisme de la déception que j’essaie de vous témoigner dans ces paragraphes ? C’eut été une bien triste lecture pour vous par ailleurs… No Way Home conclut en tous cas une trilogie Spider-Man bien triste, paradoxalement extrêmement riche et en même temps si pauvre. Confiant au jeune super-héros l’immense pouvoir de devenir un porte-étendard pour le MCU (malgré son retour chez Sony) et d’ouvrir en grand les portes des prochains temps de cet univers cinématographique, Marvel et Disney sapent tous les efforts sous l’effet de ces ambitions purement commerciales. Il n’y a pas de cinéma là-dedans, il n’y a même presque plus de divertissement. Il n’y a même plus des sens des responsabilités.

Pingback: « Doctor Strange in the Multiverse of Madness : Raimi sur les rails | «Dans mon Eucalyptus perché