Retour à la première partie du dossier
Après avoir parlé de The Legend of Zelda – Echoes of Wisdom en tant que jeu la semaine dernière, démarrons notre extrapolation. Comme rappelé précédemment, l’une des grandes nouveautés de Echoes of Wisdom réside dans le fait de nous faire incarner la princesse Zelda elle-même et non l’indéboulonnable Link et sa tunique verte. Un twist qui est aussi et surtout l’aboutissement d’un long cheminement qu’a parcouru la princesse depuis ses débuts sur NES. De demoiselle en détresse tout ce qu’il y a de plus classique à héroïne de sa propre aventure, Zelda a connu bien des évolutions. Et si le parcours jusqu’ici a été long, il a aussi été celui d’une maturation de la princesse, dont la figure s’est peu à peu détachée du second plan.
Cette deuxième partie du dossier sera donc l’occasion de dresser un historique du personnage, de voir comment Nintendo a progressivement travaillé pour détacher Zelda de l’archétype étroit dans lequel elle s’inscrivait et comment, enfin, Echoes of Wisdom tente de parachever tout cela. Tente, mais ne réussit peut-être pas totalement.
– Avertissement –
En vue de développer ce sujet, je vais très certainement devoir évoquer des points de scénario de plusieurs jeux de la licence, dont les récents Echoes of Wisdom et Tears of the Kingdom. Gare aux spoilers donc !
Merci !

Zelda, ex-princesse en détresse
Si Echoes of Wisdom fait figure de petit événement en soi, c’est évidemment parce que Zelda est au centre de l’aventure, mais cette fois-ci en tant qu’héroïne et non en tant que princesse à délivrer. Quelques personnes viendront bien ergoter que ce n’est pas la première fois et que la princesse pouvait déjà être incarnée dans The Wand of Gamelon et Zelda’s Adventure sur CD-i mais il sera ici considéré que la sortie de ces jeux est nulle et non avenue. Concentrons-nous plutôt sur les « vrais » Zelda.
La figure-même de la princesse éponyme a beaucoup évolué depuis les débuts de la saga. Orignellement, Zelda repose pour l’essentiel sur l’archétype de la demoiselle en détresse. Stéréotype culturel extrêmement récurrent, la demoiselle en détresse se retrouve dans bien des histoires et sous diverses formes dès la mythologie (Andromède notamment, sauvée par Persée) puis dans les contes (Blanche-Neige, Cendrillon, La Belle au Bois Dormant et tant d’autres…), les romans (par exemple Constance Bonacieux dans Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas devra être sauvée par D’Artagnan), les comics et la bande dessinée (Olive chez Popeye, Loïs Lane chez Superman…), le cinéma (Leia dans Star Wars, Ann Darrow dans King Kong…) et bien entendu le jeu vidéo.
Nintendo a d’ailleurs été un acteur fondamental dans l’installation de cette figure dans le secteur, comme le rappelle Sébastien Genvo, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine :
« La figure de la princesse a été centrale dans plusieurs œuvres qui ont joué un rôle déterminant dans la ludicisation des dispositifs numériques depuis près de trente ans, notamment les jeux de la firme Nintendo. Du fait de leur succès global, ces jeux ont figé un temps le rôle ludique conféré à ce personnage dans les jeux vidéo. »
Sébastien Genvo, « La Princesse est une bombe atomique : approche ludologique du personnage de la princesse dans Braid », in « Genre et Jeux Vidéo », Fanny Lignon (dir.), Presses Universitaires du Midi, 2015
Et il est effectivement indéniable qu’entre Super Mario et The Legend of Zelda, la firme japonaise a très clairement contribué à imposer cet archétype dans nos jeux dès la moitié des années 1980. Dans les deux premiers épisodes de Zelda notamment, la princesse n’est rien d’autre qu’un objectif en soi : une femme à délivrer en même temps que l’on ramène la paix en Hyrule. La chose est encore plus flagrante dans Zelda II : The Adventure of Link, où elle est tout bonnement endormie et doit être réveillée par Link, à la manière de bien des princesses de contes et légendes.

Avec A Link to the Past, l’affaire n’évolue pas vraiment mais se dote tout de même d’une fine épaisseur supplémentaire. En effet, là où le fait de sauver la princesse se justifiait lui-même dans les deux opus précédents (il fallait sauver la princesse parce qu’il fallait la sauver), l’objectif prend une nouvelle tournure dans ce troisième épisode. Si Zelda demeure une demoiselle en détresse (cette fois-ci aux côté de six autres jeunes filles), la libérer revêt une importance particulière puisque la princesse et ces six autres victimes sont les successeuses de Sages que Link doit libérer afin qu’elles lui donnent la possibilité d’aller affronter Agahnim puis Ganon, les deux antagonistes de l’aventure. C’est ténu, certes, mais partir à la rescousse de la demoiselle s’avère ici justifié par le scénario, dans un élan plus ou moins similaire à ce que mettra en place Ocarina of Time, première véritable rupture dans la composition du personnage.
Zelda : la princesse qui veut sauver le monde
Lorsque Zelda revient sur Nintendo 64 en 1998 avec Ocarina of Time, bien des choses sont bouleversées dans la licence, à commencer par ce passage à la 3D bien sûr. A côté de cela, Nintendo profite de son envie de livrer un grand jeu marquant pour composer un scénario plus travaillé qu’auparavant, mettant en scène un certain nombre de personnages au-delà de la trinité habituelle composée par Link, Zelda et Ganon. Profitant de cet élan d’écriture, Zelda se verra de nouveau confier un rôle un peu plus travaillé qu’à l’accoutumée. Si son statut de demoiselle en détresse demeure malgré tout (à la fin du jeu, il faudra bel et bien la libérer de nouveau), la jeune princesse affiche une résolution certaine, se montrant très tôt à la manœuvre pour contrer les plans de Ganondorf.
C’est elle qui, après que Link se soit introduit dans le château d’Hyrule, lui explique les dangers qui gravitent autour de cet homme et mettra à sa disposition divers moyens pour avancer dans son périple : la lettre pour accéder au Mont du Péril, l’intervention de sa nourrice Impa pour sortir du château sans être vu et pour apprendre la Berceuse, l’Ocarina du Temps ultérieurement… A l’âge adulte, sous couvert de l’identité de Sheik, Zelda continuera d’apporter son aide à Link pour progresser et affronter Ganon*. Mieux encore, elle se révélera être une sorte de deus ex machina à l’issue du combat final afin que le héros porte le coup fatal à l’ennemi.

*On pourra tout de même s’interroger sur la signification de Sheik et du fait
que ce soit dans la peau d’un homme que Zelda vienne le plus en aide à Link,
mais cela mérite une analyse que je ne développerai pas aujourd’hui.
Parler de ce premier épisode sur Nintendo 64 est aussi l’occasion de s’arrêter un moment sur un constat : The Legend of Zelda regorge de personnages féminins qui vont avoir une importance plus ou moins notable dans la quête de Link ou, de manière générale, une influence sur l’univers de la licence. Comme vu plus haut, dans A Link to the Past, si Link doit sauver sept jeunes femmes (dont Zelda), c’est qu’elles sont les successeuses des Sages. Sept demoiselles en détresse, oui, mais ce sont bien elles qui, une fois délivrées et réunies, abattront le sceau qui bloquait jusqu’alors l’accès à la Tour de Ganon.
Bien que cantonnées au second plan, ces sept femmes se retrouvent néanmoins investies d’un pouvoir qui leur confère de facto une importance à l’égard du contexte dans lequel se déroule le jeu. Evidemment, avec le recul nous n’y verrons pas grand-chose de plus que le témoignage d’un outil de scénario transformant un objectif initial en moyen de progression selon une logique toute bête de récompense, mais l’intention de faire de chacun de ces personnages des femmes – pour ce que cette idée apporte à la diégèse – demeure intéressante à observer.

Ceci étant, c’est bien avec Ocarina of Time que le tout prendra un peu plus d’importance. Hormis le nouveau rôle accordé à Zelda elle-même, comme évoqué un peu avant, une multiplicité de personnages féminins vont venir contribuer à la quête de Link tout en bénéficiant d’un souci d’écriture accru. Zelda, Impa mais comment ne pas évoquer également Navi, petite fée qui guidera le héros tout au long de sa quête, ou encore les Sages de cet épisode. Au nombre de sept encore une fois, cinq sont des femmes : Zelda, Impa, Saria, Nabooru et Ruto.
Par ailleurs, si le rôle de Sage peut se révéler déjà prestigieux et important par rapport à la quête à accomplir, au sauvetage d’Hyrule et à la mythologie du jeu, il est aussi intéressant de noter que parmi ces cinq femmes, trois sont déjà des figures importantes du royaume : Zelda est la princesse d’Hyrule, Ruto la princesse des Zora et Nabooru est la cheffe du peuple Gerudo. Si leur écriture n’est pas toujours d’une finesse absolue (on pense à Ruto et son insistance pour faire de Link son époux…), chacune d’entre elle demeure une personnalité marquée, forte et rigoureusement investie d’un sens du devoir dans la lutte contre le mal.

Pour en revenir rapidement aux Gerudos, il s’agit, rappelons-le, d’un peuple uniquement constitué de femmes. Leur cas est alors intéressant à plus d’un titre. Femmes du désert, fortes et rebelles, elles sont entièrement émancipées de la moindre présence masculine (et mettent même aux fers tout homme qui s’introduirait chez elles). Seule une prophétie annonce l’arrivée d’un « mâle », lequel sera alors leur chef « naturel ». Une annonce qui questionne pour son côté très masculin où l’homme devrait par essence conduire les femmes, mais qui trouve une résonnance particulière en ce sens que l’homme en question n’est autre que Ganondorf et qu’en définitive, Nabooru se rebellera contre son autorité, consciente du danger qu’il représente, appuyant même Link dans sa quête à son tour. L’on n’ira sans doute pas dénicher une véritable prise de position antipatriarcale de la part de Nintendo dans cette approche (le souci de Nabooru dans le jeu étant surtout que Ganondorf soit diabolique et non qu’il soit un homme) mais cela offre une perspective intéressante.
Nous pourrions évoquer bien d’autres personnages féminins d’envergure tout au long de la saga (Taya dans Majora’s Mask, Midona dans Twilight Princess, Fay dans Skyward Sword, Urbosa, Mipha ou encore Riju dans Breath of the Wild/Tears of the Kingdom…) mais je ne voudrais pas tomber dans une énumération trop longue d’exemples.
Dès Ocarina of Time en tout cas, Zelda se pare de nouveaux atours. S’il faut encore et toujours la sauver en définitive, son intervention au sein de l’intrigue se veut plus riche, plus active, même si elle reste un personnage non jouable que l’on croisera finalement assez peu. La série poursuivra ce travail d’approfondissement avec The Wind Waker en 2002 sur Gamecube, dans lequel la princesse, amnésique, évolue dans un premier temps sous l’identité de Tetra, capitaine d’une bande de pirates qui sillonne l’océan.

Tetra est une jeune fille assurée et forte, au caractère bien trempé. Dans cette aventure, le fait de la sauver est finalement moins important que le fait de sauver la jeune sœur de Link d’abord et le monde ensuite. Si la menace de Ganondorf pèse sur elle et que le secours de Link ne sera une fois de plus pas de trop, il n’en demeure pas moins que Tetra passe la majeure partie du jeu à évoluer librement en compagnie de son équipage. Bien qu’elle finisse tout de même pas être enlevée par l’ennemi, Tetra devenue Zelda contribuera encore plus fortement que dans Ocarina of Time à la défaite de ce dernier. Lors du combat final en effet, Link évolue aux côtés de la princesse, laquelle se chargera de décocher bon nombre de flèches sur Ganondorf afin que Link puisse l’attaquer également. Au final, la victoire en revient autant à ce dernier qu’à Zelda, qui ont terrassé leur adversaire en binôme. Au passage, il est amusant de constater que ce n’est qu’une fois la révélation faite de l’identité véritable de Tetra qu’elle se fait enlever par Ganondorf. Ce n’est qu’en redevenant la princesse qu’elle est censée être qu’elle retrouve son statut de demoiselle en détresse, ce qui ajoute encore à la symbolique du rôle que l’on attribue volontiers à la princesse – en tant qu’archétype de fiction – depuis les débuts de la licence dans les années 1980. Un archétype qui sera retravaillé dans la suite des années 2000, Nintendo décidant de faire de la princesse un personnage agissant, dont le statut princier la revoie surtout à la notion de responsabilité qu’à celle de personnage à délivrer.
Twilight Princess et le gain en maturité
Cet aspect franc, de premier plan et même combattant que l’on peut déceler chez Tetra, on le retrouve dans Twilight Princess, paru en 2006 sur Gamecube et Wii. Bien que le personnage féminin le plus emblématique de l’épisode soit certainement Midona (il faudrait un article entier pour évoquer cela, aussi nous ne nous attarderons pas dessus cette semaine), Zelda affiche ici une teneur à l’image de l’épisode : plus sombre et plus mature. Accablée par le poids de son rôle en tant que princesse, par l’adversité et par son propre échec face à l’ennemi (on se souvient de la séquence, assez marquante, où Zelda rend les armes face à Xanto), elle permet cette année-là d’approfondir un peu le personnage, de le complexifier.
Zelda n’est alors plus seulement une princesse en détresse ou une alliée qui saura nous aider à un moment donné. Elle est une figure à part entière du lore, un protagoniste dont les actes et décisions jouent un rôle déterminant dans la fabrication de celui-ci. Comme le soulignent Nicolas Courcier et Mehdi El Kanafi dans leur ouvrage Zelda : Chronique d’une saga légendaire :
« Zelda fait piètre figure, même si cet épisode la voit gagner en responsabilité et en consistance, en la menant pour la première fois à pleinement assumer son rôle de princesse, avec sérieux et dévouement. »
Nicolas Courcier et Mehdi El Kanafi, « Zelda : Chronique d’une saga légendaire », Third Editions, 2016

En explorant les raisons de la terrible situation initiale dans laquelle nous plonge le jeu, et en faisant de Zelda l’un des visages essentiels de ces événements, Twilight Princess permet en effet de donner corps à sa place dans l’univers général d’Hyrule. Si son investissement pouvait déjà être attesté dès Ocarina of Time, c’est très nettement à partir des années 2000 que Zelda devient autre chose qu’une princesse à délivrer du mal, et son royaume avec. Que ce soit par des flashbacks, une mise en avant dans la narration ou des sous-entendus, Zelda voit sa stature prendre de l’ampleur à cette époque, afin que son sauvetage ne se cantonne plus à un banal objectif répétitif, un gimmick ou un prétexte, à la manière de celui de Peach dans les Super Mario.
Désormais, sauver Zelda prend une nouvelle dimension où l’on sauve finalement moins la princesse que tout ce qu’elle représente au sein-même du lore, ce que Skyward Sword viendra poursuivre en 2011. Sorti sur Wii, ce titre explore plus encore la place de Zelda dans l’univers général d’Hyrule et de la licence, en en faisant une des clés de la fondation du royaume. Ici, son sauvetage n’est plus seulement une finalité en soi : c’est aussi et surtout, canoniquement, le point de départ de la légende.
La légende de Zelda, pour conclure sur ce point, connaîtra enfin une dernière évolution avec Breath of the Wild et davantage ensuite avec Tears of the Kingdom.
Dans ce diptyque sorti sur Switch entre 2017 et 2023, plus encore que dans les jeux précédents, Zelda fait l’objet d’un étoffement toujours plus prononcé, en particulier par un effort nouveau de mise en scène via des cinématiques particulièrement travaillées, et par ailleurs doublées. Cette histoire de doublage pourra sembler bien anecdotique mais au-delà d’apporter une nouveauté au sein de la saga, c’est aussi l’occasion d’enrichir un peu plus le personnage (et les autres) par le simple geste d’une intonation donnée. Tout ce que Zelda pense ou ressent nous est servi avec franchise, directement du personnage au public. Déployé dès Breath of the Wild, c’est toutefois avec Tears of the Kingdom que ce travail portera le plus ses fruits. Car si elle conserve une finalité de princesse à sauver dans le premier volet, elle occupe un tout autre rôle dans sa suite.

Très tôt dans l’aventure, la princesse disparaît mystérieusement et Link sera sommé de la retrouver bien sûr mais à mesure que nous progressons dans l’histoire, nous comprenons justement par tout un pan cinématique strictement centré sur la princesse que cette dernière n’a pas véritablement à être sauvée. Envoyée dans le passé et par conséquent dans son propre axe narratif, Zelda évolue sans rapport ou presque avec Link, suivant son propre chemin. Devenant de plus en plus consciente des enjeux et des impératifs de sa situation dans cette histoire, elle n’est pas prisonnière de l’ennemi comme à l’accoutumée et peut librement progresser elle aussi, sans contrainte de captivité. Tout ce qui la retient ici et l’empêche d’intervenir plus directement en appui de Link, c’est ce paradoxe temporel dans lequel elle se retrouve coincée. Mais elle n’est ni enchaînée, ni enfermée dans un donjon, ni prisonnière d’un cristal magique comme autrefois. Zelda a alors toute latitude pour devenir la clé de son propre salut.
On la suit en conséquence se développer selon deux axes, l’un centré sur sa psychologie, laquelle n’a jamais été aussi précise dans la saga ; l’autre sur sa propre quête qu’elle mène en parallèle de celle que Link conduit dans le présent. Le scénario, en nous empêchant d’avoir la moindre prise sur ce que vit Zelda puisque tout passe par des cinématiques, nous la présente alors moins comme une princesse que l’on devrait sauver que comme une princesse qui, à l’instar de son homologue de Twilight Princess, cherche à participer à la victoire par ses propres moyens, s’émancipant presque elle-même de sa stature de prisonnière à libérer.

Le récit de Tears of the Kingdom poussera ce développement jusqu’à une forme de point de non retour où Zelda comprend que le salut d’Hyrule devra peut-être passer par son propre sacrifice. L’abnégation dont elle fait alors preuve, dans la continuité des thématiques abordées dans Twilight Princess finalement, installe alors cette incarnation de la princesse comme l’une des plus importantes, des plus responsables et des plus fortes de la saga. Et si l’issue du combat final amènera tout de même à la sauver d’une mort certaine, cet ultime sauvetage ressemble alors surtout à la réunion de deux combattants qui ont lutté chacun de leur côté avant se rejoindre pour le pinacle de l’aventure. Mieux encore, il ne serait pas erroné d’affirmer au regard du scénario que, sans Zelda, la cause aurait pu être perdue pour Link.
« Echoes of Wisdom » : Zelda héroïne assumée (ou presque)
Voir la princesse endosser le premier rôle d’un nouveau jeu en 2024 fait donc totalement sens. Fruit d’une lente mais perceptible progression, ce nouveau statut résonne logiquement avec l’héritage du personnage. Et que cela en profite pour devenir un prétexte pour expérimenter un nouveau gameplay, c’est encore mieux.
Equipée de son bâton magique, la princesse arpente alors Hyrule à son tour, accompagnée seulement de Tri, sans chevalier servant pour lui tenir la main ou prendre la tête des opérations à un moment. Je l’ai déjà mentionné dans la précédente partie de ce dossier mais la chose se révèle très plaisante. Au-delà du simple fait de voir Zelda accéder à ce nouveau rôle, je trouve que le jeu s’en sort admirablement avec son gameplay, quoique puisse en dire la partie du public qui le trouve ennuyeux. Avec l’immense variété d’échos mis à disposition sur le long terme, les solutions sont aussi nombreuses que possible et offrent à chaque personne la possibilité de jouer à sa manière, de trouver sa solution à un problème et non forcément la solution. Par ailleurs, il est amusant que la démarche de mettre Zelda sur le devant de la scène soit allée jusqu’à l’idée de proposer des affrontements entre elle et une version possédée de Link. Renversant définitivement les habitudes, ces combats sont une bonne occasion de mettre en valeur les aptitudes offensives et défensives de cette mécanique de jeu.

Cependant, et tout en gardant avec le recul une excellente impression de ces idées neuves, il est vrai que Nintendo semble avoir raté le coche sur deux aspects. Premièrement, Echoes nous donnera en réalité assez vite la possibilité de nous accaparer les aptitudes de Link. Si celles-ci ne pourront être utilisées que de manière temporaire (avec une jauge d’énergie), elles ont surtout été vues comme un « aveu d’échec » par une partie de la critique.
A titre personnel, je dois dire que je ne suis pas entièrement d’accord avec ce point de vue, notamment parce qu’il est impossible de se contenter de jouer à l’épée. Si cette forme d’épéiste permettra en effet de venir plus aisément à bout des ennemis que l’on croisera, j’y vois surtout une façon de se sauver la mise parfois in extremis alors que l’on peine à appliquer la bonne stratégie avec les échos à notre disposition. Il demeure à mon sens bien plus amusant de faire preuve de créativité en utilisant les bons échos au bon moment et face au bon ennemi plutôt que de simplement foncer dans le tas et tacher d’en venir à bout avec l’armement de Link avant d’épuiser notre jauge d’énergie.

Non, en ce qui me concerne, je n’y vois pas vraiment un aveu d’échec mais plutôt un pas de côté occasionnel que nous serons parfaitement libres d’effectuer ou non. Je rejoins cependant le reste de la critique pour ce qui est de dire que nous aurions toutefois pu parfaitement nous en passer, histoire de valoriser encore le gameplay de cet épisode.
Là où je rejoins cette approche également, c’est en ce qui concerne le combat final, ce qui est le deuxième point où je pense que Nintendo manque son coup. C’est ici que je vais sans doute un peu spoiler le jeu alors attention. Lors du combat contre Nihil, le boss final, nous ne combattons plus seul mais bien aux côtés de Link, libéré un peu plus tôt. Le renversement des habitudes trouve donc ici un premier frein en ce sens que Link n’est pas libéré parce que nous avons vaincu le dernier boss mais bien en vue de le combattre. Car en effet, le petit héros à la tunique verte sera dès lors à nos côtés pour toute la fin du jeu.
On pourrait alors se dire qu’après tout, ce retournement de situation pourrait être une forme de référence à certains combats finaux de la licence dans lesquels Zelda intervenait à son tour (Ocarina of Time, The Wind Waker…). Mais si le gameplay original de ce nouvel épisode demeurera mis en œuvre pour cet ultime affrontement, il apparaît bien vite que c’est bien Link qui fait le plus gros du boulot. Nous aurons évidemment le loisir de faire appel à nos échos les plus puissants pour asséner des coups à Nihil mais c’est sans aucun doute l’épée de Link qui sera la plus acharnée. Zelda de son côté se rendra surtout utile en saisissant les bras de Nihil afin que Link ou l’écho invoqué vienne les trancher.
Dans un dernier rebond très étonnant par rapport à tout ce qui a pu être proposé auparavant, Zelda perd donc un peu de son nouveau statut afin de revenir à ce qu’elle a régulièrement été : une aide utile à Link pour que celui-ci martèle l’ennemi de coups. Et si la finalité du jeu sera peut-être plutôt de nous dire que nous avons vaincu le boss ensemble et non en laissant Link faire le gros du boulot, cette remise à égalité des deux personnages étonne en cela qu’elle retire un peu de crédit à Zelda, qui avait pourtant mené sa barque toute seule jusqu’ici, sans l’aide de personne. Il aurait été à mon sens plus intéressant de faire de Link le chevalier en détresse jusqu’au bout et, sans doute, de composer un boss final en conséquence, plus ouvert à la possibilité de n’utiliser que les échos dont nous disposons, à bon escient.

Le fait de voir ainsi un personnage masculin intervenir frontalement là où l’héroïne aurait sans doute pu s’en sortir seule rappelle d’autres exemples. L’on pensera par exemple à Resident Evil. Dans le premier épisode de la franchise horrifique de Capcom, Jill Valentine (lorsque l’on a décidé de jouer ce personnage plutôt que Chris Redfield) avance dans son exploration du manoir Spencer et affronte nombre d’infectés. L’on a donc rapidement d’elle l’image d’une femme d’expérience et aguerrie, d’autant plus qu’elle fait partie d’une unité d’élite (S.T.A.R.S.). Le scénario (je me base ici sur le scénario canonique et j’exclus donc les possibilités de voir certains PNJ alliés mourir) l’amène alors en toute logique à rencontrer son lot de mésaventures et de pièges.
Reste qu’au lieu de la laisser se sauver toute seule, c’est Barry Burton qui lui sauvera la vie plus qu’à son compte, que ce soit lorsqu’un plafond descend doucement et manque de l’écraser ou quand elle confronte Wesker et découvre la traîtrise de ce dernier. A cet instant, c’est bien Barry qui neutralise Wesker avant que le Tyran (le boss final du jeu) ne soit libéré, offrant donc à Jill le champ libre pour affronter la bête, tout en lui évitant surtout d’être plus que vraisemblablement abattue par le traître. Dans cet arc, alors que Jill est tout à fait capable, il nous est fait comprendre que si Barry n’intervient pas, elle meurt et Wesker gagne.

Si le fait que Barry soit toujours présent au bon moment se trouve justifié par le scénario (il est censé piéger Chris et Jill pour le compte de Wesker et va de fait suivre Jill dans le manoir Spencer), il est intéressant de constater que le phénomène ne s’observe pas de la même manière dans une partie où l’on incarnerait Chris. Ce dernier est en effet accompagné pour sa part de Rebecca Chambers. Et si cette dernière saura porter secours à Chris, notamment lors de l’affrontement avec la Plante 42, elle sera plus régulièrement placée dans un rôle de victime. Attaquée par un hunter (une des créatures du jeu), elle ne devra son salut qu’à Chris. Enfin, lors de leur propre confrontation avec Wesker, ce dernier tire sur Rebecca et la laisse pour morte, ne lui donnant donc aucun rôle dans la victoire de Chris face au Tyran. Rebecca ne fera alors plus office que de deus ex machina puisque c’est elle qui déclenchera l’auto-destruction qui provoquera l’explosion du manoir et des différentes installations d’Umbrella sur ce site.
Le choix fait lors du final de Echoes of Wisdom rejoint cet autre moment de jeu vidéo. Son aveu d’échec concerne donc à mon sens moins le game design général du titre, que je continue de trouver globalement impeccable, que la tonalité et le propos du jeu. Ouvert à l’envie de faire de Zelda l’héroïne qu’elle mérite de devenir après toutes les étapes de sa carrière en tant que personnage, il échoue finalement à l’imposer comme telle dans les deniers instants de l’aventure, préférant lui adjoindre un Link dont nous avions pourtant très bien su nous passer jusqu’alors.
Echoes of Wisdom est donc en somme un très bon jeu, nous avons déjà abordé la question la semaine dernière et un peu encore aujourd’hui. Créatif et ingénieux, il est un bel écrin pour offrir à la princesse Zelda l’occasion de s’illustrer en tant qu’héroïne.
Une princesse qui, nous l’avons vu aujourd’hui, est loin de n’être qu’une banale demoiselle en détresse. Tout du moins ne l’est-elle plus depuis un moment, s’émancipant dès les années 1990, et assez progressivement, de cet archétype pour peu à peu se bâtir une véritable aura, une personnalité que ses différentes incarnations partagent et peaufinent au gré des jeux successifs. Nintendo a doucement mais sûrement doté sa princesse d’un rôle au sein de la licence qui dépasse son seul statut d’objectif à atteindre. Echoes of Wisdom aurait alors dû être une forme d’aboutissement en la matière. Malheureusement, si l’effort demeure louable et accompli dans les grandes largeurs, le rapport qu’entretient le jeu avec son personnage central se trouve finalement déséquilibré en ne réussissant pas à s’empêcher de faire intervenir Link activement dans la victoire finale. Une approche en fin de compte bancale, qui ne réussit pas totalement à parachever tout le travail accompli jusqu’ici pour faire de Zelda un peu plus qu’une victime.
Bancal donc, à l’image peut-être de la façon dont Nintendo a traité ses trois icones féminines au cours des trois dernières décennies : Zelda mais aussi Peach et Samus. Un sujet que nous aborderons dans la troisième et dernière partie de ce dossier.

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