Three Billboards : Les Panneaux de la Vengeance, comédie dramatique de Martin McDonagh. Avec Frances McDormand, Woody Harrelson, Sam Rockwell, Lucas Hedges…
Le pitch : Quelque temps après le drame qui a frappé sa famille, Mildred Hayes (F. McDormand) en a assez de rester sans réponses. En passant sur la route qui amène chez elle, elle a une idée : louer les trois grands panneaux publicitaires qui s’y trouvent pour laisser un message à l’attention du shérif Willoughby (W. Harrelson) et réclamer justice. Mais cette provocation ne sera pas sans conséquences, qu’elles viennent de la police, de sa famille ou de la petite ville d’Ebbing, Missouri.
La critique : Je ne le savais pas en entrant dans la salle de mon cinéma ce jour-là mais j’avais déjà vu les deux précédents films de Martin McDonagh : Bons Baisers de Bruges et Sept Psychopathes. Le premier m’avait d’ailleurs assez plus tandis que le second ne m’avait laissé aucune véritable souvenir, tant et si bien que quand je l’ai revu il y a quelques jours justement, j’avais même oublié l’avoir déjà regardé. Comment ne pas avoir fait le rapprochement alors ? Tout simplement parce que j’avais envie avec Three Billboards de me laisser le plaisir de la surprise, que j’attendais grande. Aucune bande-annonce, rien sur le réalisateur, tout juste savais-je le nom des trois principaux interprètes de cette comédie dramatique.
Et franchement, je crois que ça faisait des années qu’un film dont je ne savais strictement rien ne m’avait pas autant touché ! Je vous le dis tout de suite, Three Billboards est une réussite. Non, mieux que ça encore, c’est une des plus grandes réussites de son temps. Ça semble pompeux et/ou exagéré de le présenter comme tel mais ce film est une merveille de bout en bout, dans tous ses aspects. C’est terrible d’ailleurs d’avoir assisté à un tel moment de cinéma (mot auquel j’aurais presque envie de mettre une majuscule tant c’était incroyable) car, à l’heure où j’entame ces lignes, je ne sais absolument pas par où commencer. Je pourrais en fait tout simplement vous laisser partir dès maintenant avec pour seule conviction que Three Billboards est une pépite ou alors enchaîner des lignes se résumant ad lib à dire « Three Billboards est génial », tel un Jack Torrance en moins psychotique. J’ai envie de vous parler de ce film pendant des heures sans savoir quels mots employer hormis d’élogieux superlatifs que certains pourraient trouver aussi exagérés que d’autres jugeraient sans doute on ne peut plus appropriés.
Enfin bref, tâchons de nous recentrer un peu et voyons ce qu’on arrive à tirer de tout cela. Tiens, parlons du scénario déjà. Ecrit par McDonagh lui-même, comme il l’a fait sur ces précédents films, le script de Three Billboards peut déjà faire l’objet de bien des compliments et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, et de manière assez anecdotique, c’est un scénario qui réussit à s’approprier ses influences sans pour autant se laisser happer par ces dernières, s’oublier derrière elles ou finalement emmener le spectateur sur cette fameuse pente glissante où il ne voit plus un film de tel réalisateur mais plutôt un film qui fait penser à tel autre cinéaste. En l’occurrence, c’est aux frangins Coen que l’on ne peut que penser. J’avais d’ailleurs remarqué, tant dans mon entourage que sur internet, une certaine confusion à l’époque de la sortie française du film, certains croyant tout bonnement qu’il s’agissait d’un nouveau film des deux prolifiques frères. Cela me surprenait beaucoup étant donné que je suis assez bien la carrière des Coen et que je n’avais entendu parler de rien à ce sujet. Et pour cause, ils n’ont rien à voir avec Three Billboards si ce n’est une patte dans l’écriture de McDonagh leur emprunte volontiers. « Leur emprunte » seulement car le cinéaste est plus malin que ça et il va aller chercher, tout au long de son histoire, les moyens de dépasser un peu ses illustres modèles. Et si l’on ne peut que sentir l’influence dans le déroulé de l’intrigue, la composition des personnages ou les dialogues, cela va tellement plus loin. Bijou d’écriture, Three Billboards s’offre le luxe de trouver son modèle mais de le dépasser, le transcender pour devenir quelque chose d’encore plus vibrant.

Sans doute la présence de Frances McDormand aura contribué à cette brève confusion attribuant le film aux frères Coen, dont elle est une fidèle actrice (en plus d’être l’épouse de Joel).
A mon sens, et tant pis ça heurte la sensibilité des plus jeunes, Martin McDonagh surclasse les Coen les temps de ce film et la comparaison, si tant est qu’elle ait lieu d’être, se fera largement en sa faveur. Car au regard des œuvres les plus récentes de Joel et Ethan, le dernier film de McDonagh ne peut que finir d’imposer toutes ses immenses qualités, en particulier celles relatives à l’écriture et à la construction du scénario. En fait, c’est sûrement ici que Three Billboards est le plus admirable, en réussissant à saisir le spectateur sans laisser son attention se disperser à un quelconque moment. Pour cela, la recette est ici simple : McDonagh relance sans cesse l’intrigue sans pour autant proposer, par instants, des respirations bienvenues car intelligentes. Il multiplie les éléments perturbateurs et autres péripéties dans une accumulation qui va crescendo, faisant sans cesse passer ses protagonistes à un autre niveau d’action et de réaction et provoquant à chaque étape franchie un sentiment teinté de surprise et d’enthousiasme chez le spectateur.
Un enthousiasme inhérent au plaisir de voir se dérouler devant nos yeux un film qui va systématiquement plus loin dans sa folie douce si réaliste sans pour autant se perdre dans un loufoque ou un absurde qui eurent été de moindre intérêt que la réalité de réactions humaines brutales mais plausibles le plus souvent. Et c’est leur outrance qui, justement, donne à Three Billboards son humour caustique si fin. L’histoire, enfin, se déroule ainsi selon une rythmique ultra solide et se regarde comme l’on écouterait une belle composition classique qui saurait aller de douces nappes en brutales envolées jusqu’à un final qui, franchement, est l’un des plus jolis que j’aie vus depuis longtemps, tant dans le fond que dans la forme.
Et la mise en scène ne fait qu’ajouter à cette maîtrise qui confierait presque à la splendeur si on se laissait aller à l’emphase la plus complète. Tout dans ce domaine est au service du récit, McDonagh réussissant à allier images et propos avec une force certaine. Rien ne semble avoir été laissé au hasard, jusque dans ce montage d’une fluidité et d’une précision à souligner. Quant à la photographie, Ben Davis réalise un somptueux travail. Renouant avec McDonagh après Sept Psychopathes et être passé par les plateaux de trois films Marvel, le directeur photo propose ici l’une de ses plus belles contributions à un film, certains plans se laissant tout bonnement admirer (ils contribuent d’ailleurs aux respirations que j’évoquais plus haut).
Mais Three Billboards ne serait certainement pas le même sans ses personnages, tous mieux composés les uns que les autres. Pour dire les choses comme elles le sont : il n’y a aucun personnage de trop dans cette histoire. Chacun participe de près ou de loin aux événements qui s’y déroulent et apporte sa pierre à l’édifice. Rares sont les films à proposer une telle qualité dans son lot de personnages secondaires voire même encore plus mineurs ! Prenons par exemple James, campé par Peter Dinklage : assez peu présent sur l’ensemble des 115 minutes du film, il n’en demeure pas moins un protagoniste efficace qui contribue non seulement à l’intrigue mais arrive aussi à toucher le spectateur. Et l’on pourrait en dire autant, pour différentes raisons, d’Abercrombie (Clarke Peters), de Penelope (Samara Weaving, nièce d’Hugo Weaving pour l’anecdote) ou bien sûr de Red, incarné à la perfection par un Caleb Landry-Jones toujours plus remarquable de rôle en rôle.
Mais c’est clairement sur le trio de tête de cette galerie de personnages qu’il convient de s’arrêter car Mildred Hayes, Bill Willoughby et Jason Dixon sont des protagonistes incroyables.
Ils forment ensemble un formidable trio-malgré-lui, chacun évoluant au gré des deux autres et leurs relations étant parmi les pierres angulaires du récit. A l’image du film dans sa globalité, ces personnages évoluent, emmènent les spectateurs vers différents horizons, les touchent, voire même les bouleversent, le tout avec une justesse folle. Du rire aux larmes, du calme à la stupéfaction, ces trois individus sont marquants à plus d’un titre, d’autant que leurs « cadres » sont aussi définis qu’évolutifs. McDonagh donne en effet à voir trois personnages aux caractères changeants, rappel constant dans chacun de leurs actes que la nature humaine n’est jamais figée ou prédéterminée quelle que soit la personne concernée. Les rapports entre Mildred, Willoughby et Dixon en sont le témoignage régulier, leurs rapports jouant dans une sorte de géométrie variable où, par exemple, la haine laisse si aisément et naturellement la place à la compassion que l’on peut, devant notre écran, qu’être touchés par ces êtres humains. Three Billboards en est blindé d’ailleurs, d’humanité, et ça fait un bien de dingue.
Reste enfin à évoquer la distribution, dernier mais essentiel rouage de toute cette mécanique. Et l’on ne peut que comprendre pourquoi Frances McDormand et Sam Rockwell ont été si largement récompensés pour ce film.
La première propose, avec toute la mesure qu’on lui connaît, une interprétation impeccable où son impérieuse présence se révèle essentielle à son tour, comme s’il s’agissait de l’un des piliers qui soutiennent les fondations de Three Billboards. On aurait pu croire avant les Oscars que Meryl Streep serait à nouveau couronnée (car c’est Meryl Streep tout de même et que sa participation à Pentagon Papers était de très bonne facture) mais là, quelle claque vient mettre Frances McDormand au public ! Elle joue avec les émotions avec une intelligence rare et semble avoir connu ce personnage toute sa vie. Elle en devient finalement indissociable. Il y a peu de mots pour décrire pareille prestation alors on se contentera d’en employer un seul : parfaite.
Quant à Sam Rockwell, c’est un acteur que je peux tantôt adorer, tantôt trouver somme toute banale. Passablement bancal dans Iron Man 2 par exemple ou Sept Psychopathes justement, il était au contraire royal dans Confessions d’un Homme Dangereux ou encore La Ligne Verte. Ça dépend des fois et celle qui nous intéresse ici en est une bonne. Renouant avec un rôle de benêt pas si tendre comme on l’a vu en endosser plus d’un, Rockwell laisse parler tout son talent et livre une prestation de calibre supérieur dont le meilleur vient à mesure que le film progresse, l’évolution de son personnage de Dixon laissant toujours plus de champs à ses capacités de comédien.
Un mot rapide enfin sur Caleb Landry Jones que j’évoquais très succinctement plus haut pour rappeler encore une fois que cet acteur en passe de devenir réellement incontournable ne cesse de se bonifier. Un tout dernier également pour saluer l’interprétation de Woody Harrelson qui, pour la toute première fois, m’a ému comme jamais.
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Concluons, je crois avoir fait preuve de suffisamment d’enthousiasme dans cet article pour vous faire comprendre quelle claque j’ai prise en regardant Three Billboards. D’une maîtrise indiscutable, surtout au regard des précédents films de ce réalisateur, c’est un chef-d’œuvre. J’ai attendu avant d’écrire à son sujet car je pensais que le sentiment à la sortie du cinéma s’estomperait peu à peu mais voilà que, deux semaines après, je n’en suis toujours pas revenu. Et dire que j’ai failli ne pas le voir sur grand écran ! Il est certain qu’en le découvrant chez moi le moment venu, j’aurais nourri bien des regrets si j’étais passé à côté de ça dans les salles obscures ! Quinze jours après, je suis toujours aussi ravi et, ayant vu The Shape of Water depuis, je n’ai qu’une chose à ajouter : on s’est trompé de vainqueur.
Hey
Je me suis imaginé avoir cet enthousiasme à la fin du visionnage de ce film, mais je reste sur une petite frustration.
Pas sur le casting et le jeu, tu as tout dit, ni sur l’ambiance de cette petite ville. La photo est superbe, les lieux sont vivants. On perçoit les histoires et les fêlures des habitants.
J’éprouve comme un sentiment d’inachevé dans le manque de développement de certains persos, ou au contraire une évolution trop rapide pour d’autres. Et une dernière partie un peu déconcertante.
Ces relances de l’intrigue m’ont cueilli un peu trop vite ne me laissant pas vraiment le temps d’apprécier son déroulement et l’évolution des acteurs.
Il y a tellement à raconter sur les destins de tous ces personnages, c’est typiquement le genre de long métrage qui m’amène à penser qu’en format série sur 8 ou 10 épisodes ça ne m’aurait pas déplu.
Aucunement déçu cependant, je compte bien en conseiller le visionnage à d’autres, j’en profiterais pour le revoir.
Je comprends très bien ton impression puisque c’était aussi la mienne en sortant de la salle, plus ou moins. Ce n’est qu’en y repensant dans les quelques jours qui ont suivis que j’en suis arrivé à ce que je dis dans l’article. 🙂
Par contre je n’y avais pas pensé mais oui, un format série en 10 épisodes aurait été vachement bien ! 😮
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