Il aura suffi d’un banal jeu sur Twitter pour que la question soit posée. Le sujet était pourtant simple a priori : « Poste un jeu rétro que tu aimes sans explication ». Et soudain, la question : qu’est-ce qu’on entend par « jeu rétro » ? Dès que j’ai lu ces mots, je me suis effectivement interrogé. On parle tous de rétrogaming mais qu’est-ce que c’est ? Un jeu est-il rétro à partir d’un certain temps ou bien parce que nous, en tant que joueurs et joueuses avec nos propres vécus/pratiques/expériences, le considérons comme tel ? L’est-il parce que son support n’est pas de la génération actuelle, même s’il est récent ? Et surtout, est-ce objectif ou subjectif comme concept ? Bref, en une phrase comme en mille : c’est quoi le rétrogaming en fait ? Pour tenter d’y apporter un début de réponse, je m’appuierai notamment sur plusieurs échanges lus sur Twitter au moment où j’ai posé cette même question à mes abonnés.
Le jeu vidéo rétro : essais de définition objective
Le fait est que le rétrogaming existe et occupe une place prépondérante dans l’univers vidéoludique actuel, quelle qu’en soit la définition qu’on lui donne. Il y a une tendance qui est bel et bien là et qui se concrétise notamment via le youtubing/podcasting (avec La Caz Rétro ou le Joueur du Grenier par exemple), la littérature spécialisée (on pensera notamment aux éditions Pix’n Love ou aux Cahiers de la Playhistoire) ou tout simplement un marché de l’occasion qui s’est de plus en plus organisé autour de ce juteux créneau. Comprenez par là qu’on n’hésite plus à utiliser l’argument du rétrogaming pour justifier de manière éhontée des tarifs exorbitants sur les jeux et machines concernés. Les cash converters l’ont bien compris, les particuliers en vide-grenier ou sur internet ont suivi… Le phénomène a créé la mode, qui a conduit à la demande et, en raison de l’ancienneté, à la rareté. Et comme on dit : ce qui est rare est cher. Hélas… La légitimité de cette hausse des prix au cours des presque 10 dernières années pourrait et devrait sans doute être questionnée mais c’est un autre débat. Tout ça pour dire que le phénomène du rétrogaming existe, est omniprésent et peut être interrogé pour savoir de quoi on parle exactement.
Or, à chaque mot sa définition. Aussi, le terme de rétrogaming n’a peut-être pas encore sa place dans nos dictionnaires mais les tentatives de définition existent. Je dis bien « tentatives » car, encore aujourd’hui, il reste difficile de s’accorder sur un sens fixe à donner à cette appellation. En 2010 pourtant, dans un article du Monde.fr daté du 16 Avril, Chloé Woitier (@W_Chloe) tente de définir ce qu’est cette pratique :
Au sens large, le rétrogaming est le fait de jouer à des jeux vidéo antérieurs à la génération actuelle de consoles ou d’ordinateurs.
C’est une vision assez simple que la journaliste nous propose ici, basée sur l’idée toute bête et somme toute assez logique que « rétro = avant ». Si ce n’est pas actuel, joué sur du matériel d’aujourd’hui, c’est rétro. On pourrait alors se contenter de cette définition qui a pour elle le mérite de la clarté et d’une objectivité certes froide mais tranchée.
Pourtant, Chloé rappelle dans la foulée qu’une autre définition « plus restrictive » existe et « limite ces jeux aux consoles ou ordinateurs qui ne sont plus disponibles sur le marché » . Si l’on suit cette logique, le rétrogaming part des tous premiers jeux vidéo et va jusqu’à inclure la génération PS3/Wii/Xbox 360, ces consoles ne se vendant plus que par le biais d’un marché de l’occasion émancipé des enseignes spécialisées ou de grande distribution (Micromania, Fnac, Cultura, Amazon…) ainsi que via la vente entre particuliers, avec ou sans les fameux cash converters comme intermédiaires. Notons que dans cette définition, « plus disponibles sur le marché » implique une fin de production des machines concernées. Dès lors, la Wii U entre également dans ce cadre malgré son jeune âge, ce qui ne manquera pas d’en faire tiquer certains, déjà.
Mais le jeu vidéo dit rétro n’est pas qu’un objet. A l’instar du jeu dans sa globalité, c’est aussi et surtout une pratique à laquelle on s’adonne. Il s’agit alors de s’interroger sur la manière dont on « devrait » le faire pour pouvoir parler légitimement de rétrogaming. La question qui se pose est alors celle qui cherche à savoir si le rétrogaming se définit via le seul jeu et des critères temporels/économiques, ou s’il inclut toute la dimension liée à la pratique concrète.
Si l’on penche pour la première option, les définitions de Chloé Woitier peuvent convenir à un grand nombre, malgré les lacunes qu’elles peuvent présenter et sur lesquelles on reviendra plus tard. Dans le second cas en revanche, la définition qui pourrait légitimement s’imposer serait à résumer ainsi, en complément des termes employés plus haut :
Le rétrogaming est le fait de jouer à des jeux vidéo antérieurs à la génération actuelle, sur leurs supports d’origine.
Là encore, l’idée serait de proposer une définition relativement restrictive et objective. Hélas, dans tous les cas cela ne pourra que poser problème à un plus ou moins grand nombre de joueurs et il est impossible d’affirmer que ces définitions peuvent prétendre faire l’unanimité. On pensera notamment à ceux qui, pour différentes raisons (souvent d’ordre matériel), jouent à ces anciens jeux grâce à des émulateurs. Est-ce moins du rétrogaming de jouer à Super Mario Bros. sur émulateur plutôt que sur une NES ? Ceci étant dit, ces essais de définition pourront tout au moins être vus comme les points de départ d’une réflexion sur cette pratique emprunte de nostalgie.
La difficulté de définir un phénomène pourtant si présent est bien là. Tout objectif et plein de bonnes intentions que l’on puisse être, le rétrogaming est complexe à réellement et définitivement borner. C’est une pratique globale, démocratisée, aussi volontaire qu’involontaire, contestée parfois, appropriée par le joueur le plus souvent. Des gamers qui, comme je vais tâcher de vous le montrer, ont des visions du rétrogaming aussi multiples que possible.
Le rétrogaming : un concept singulier mais au pluriel
Cette question de définir le rétrogaming, je l’ai posée sur Twitter du coup, histoire de voir ce qu’on en pense parmi mes abonnés. Et quand je demande ainsi à tout un chacun de me donner sa vision propre du jeu rétro, le premier réflexe partagé par le plus grand nombre, c’est de répondre en termes de temporalité, ce qui se fait d’ailleurs de deux manières.
Dans le premier cas, il s’agit de penser en années, tout simplement. Un peu comme lorsque l’on se dit que l’adolescence se termine à tel âge, il y aurait donc un cap qu’une console et/ou un jeu franchirait à partir de tant de temps, basculant alors dans le rétro. C’est notamment la politique de La Caz Rétro, podcast référence en matière de rétrogaming, qui considère un jeu vidéo comme rétro dès qu’il a plus de 10 ans.
Une limite décennale franche rejointe notamment par mes camarades Winston, du podcast Backlog, et Natsu, que vous pouvez retrouver en stream sur sa chaîne Twitch. La définition serait alors toute bête : le rétrogaming, c’est le fait de jouer à un jeu vidéo qui a plus de 10 ans. Facile.
Dans le second cas, la temporalité ne se compte plus en années mais en générations de machines. Peu importe le nombre d’années dès lors qu’une génération a été remplacée par une autre. Ou plutôt deux autres. Car dans cette vision des choses, comme le souligne notamment DoCorbac, le point sur lequel on s’accorde le plus se résume en affirmant que le rétro implique un écart de deux générations avec l’actuelle. Dès lors, la génération PS2/GameCube/Xbox serait rétro tandis que les PS3/Xbox 360/Wii ne le seraient pas encore étant donné qu’elles n’ont qu’une génération d’écart avec les machines actuelles. Là encore, facile.
Une autre façon de définir le rétrogaming ne s’appuie plus sur des critères de temporalité mais va plutôt aller s’intéresser à des préoccupations d’ordre plus technique. A la fois à part et liées aux précédentes définitions (un changement de génération est toujours marqué par un certain gap technologique), cette autre façon de voir les choses pense « le rétro en termes de hardware » , comme le souligne Sailor Mood. Ce dernier pousse même l’idée en évoquant le fait qu’une console est rétro à partir du moment où elle n’est plus en vente ou qu’elle a une succession. Voilà qui fera grincer les dents des amateurs de la Wii U…
Cet état d’esprit en tous cas peut donner lieu à des cas comme celui de A-Key, pour qui une console de salon est rétro quand elle se branche sur une télévision cathodique. Le passage progressif du péritel au HDMI serait donc un critère pour dire ce qui est rétro et ce qui ne l’est pas. Mon cher camarade Hibou s’insère aussi dans cette catégorie lorsqu’il évoque le passage de la 2D à la 3D dans les années 1990. Pour les consoles portables, on pourra sans doute parler de l’abandon des connexions filaires entre machines, de la colorisation des écrans, du tactile, des écrans 3D, etc. Enfin, on trouve aussi sur internet tout un pan de joueurs qui considèrent comme rétro tout ce qui vient avant l’avènement du disque optique comme support principal des jeux vidéo. Bref, le rétrogaming, ce serait le fait de jouer sur des machines à la technologie dépassée au vu des standards actuels.
Il y a enfin, plus brièvement, ceux qui vont penser le rétrogaming non en termes temporels ou technologiques mais en termes de contenu de jeu. Le critère essentiel devient alors le gameplay, les graphismes, la musique… Intimement lié à la question technologique, ce choix de définition peut néanmoins sembler pertinent. Le gameplay par exemple repose sur une constante course à l’évolution et il apparaît clairement qu’on ne joue plus aujourd’hui (pour la grande majorité des titres) de la même manière que l’on jouait hier. Mais, on le verra après, cet aspect doit être nuancé et est porteur de quelque chose qui va encore un peu plus loin que le « simple » rétrogaming.
On pourrait en tous cas avoir le sentiment que ces définitions se rejoignent et pourtant : rien ne s’accorde avec le reste. La définition générationnelle par exemple exclut les PS360 et Wii du champ du rétrogaming alors que celles de Chloé Woitier ou des « décennaux » les incluent. Quant aux critères technologiques ou de remplacement d’une machine par une autre, ça voudrait dire comme je le soulignais que la Wii U, qui n’a que 5 ans, est une console rétro ! Il apparaît donc clairement que l’objectivité dont chacun tâche de faire preuve au premier abord se heurte vite à des contradictions avec soi-même, en particulier avec l’épineux cas des générations de consoles.
Sailor Mood demande par exemple : « La génération PS360 est terminée* mais encore très jouée : est-elle rétro ? » . Si l’on en croit Chloé Woitier ou même Sailor Mood lui-même, oui, c’est du rétrogaming. Reste qu’on peine cependant à considérer cette génération comme tel, ce que Winston et Natsu résument très bien en parlant d’un entre-deux dans lequel les PS3, Xbox 360 et Wii se trouveraient. Voilà donc déjà qu’on s’arrange, qu’on module ses définitions pour essayer de mettre d’accord l’envie froide de définir les choses clairement avec un composant essentiel qu’on aurait presque oublié de mentionner au début de ces échanges : le ressenti.
*Fins de production : PS3 en 2017 ; Xbox 360 en 2016 ; Wii en 2013
Ni rétro, ni actuelle, il y aurait donc « un entre-deux bâtard » (dixit Natsu) à cheval sur ces deux acceptions qui viendraient tout bêtement nous sauver de l’incapacité dont nous faisons tous preuve à absolument borner les choses. Cette complexité s’explique sans doute en partie par cette logique générationnelle qui depuis longtemps permet d’établir l’arbre généalogique des consoles de jeux. Et le principal souci que pose cette logique très binaire (génération actuelle vs. générations passées), Natsu met parfaitement le doigt dessus :
Le problème c’est que l’on classe les générations en deux : actuelle et rétro. Il y a en fait un entre-deux bâtard dont font partie la DS et la PS2 par exemple. La PS1 commence doucement à être acceptée parmi les consoles rétro et ça sera bientôt le tour de la PS2.
Tout le monde ne sera pas forcément d’accord avec les exemples qu’elle donne mais le point qu’elle soulève demeure pertinent. Ne sachant pas quoi faire des générations terminées mais trop récentes pour avoir un vrai côté rétro, on s’invente une troisième catégorie, sans nom, qui permettrait de couper court au débat par un simple mais efficace : « Ouais non mais c’est pas pareil pour ces consoles-là… ». La « générationnalité » des consoles est de toute évidence un concept à revoir également. Là où il était aisé de l’employer et de mettre tout le monde d’accord quand on est passé des 8bits aux 16bits, de la 2D à la 3D, de la basse définition à la HD, la chose s’avère de plus en plus complexe. Pas dans le sens où les représentants de chaque génération sont difficiles à désigner mais plutôt dans celui où le passage de l’une à l’autre ne se marque plus autant qu’avant par ce coup de vieux qui était d’un coup assené sur la tête des consoles alors remplacées. Comme le dit Kahn :
Rétro, c’est un mot qu’on pose sur un ressenti. […] J’ai du mal à considérer la génération HD (PS360) comme rétro. Tout comme la PS2 étrangement qui est tellement restée ancrée encore aujourd’hui alors que la Dreamcast, qui est de la même gen, paraît rétro. Son statut de console morte aide peut-être aussi.
Il faudrait presque un article entier pour essayer de comprendre pourquoi la PS2 est encore aujourd’hui à peine considérée comme rétro, à l’instar de la PS1. Sans doute est-ce une question d’impact. L’avènement du disque comme support des jeux apporté par la PS1 explique peut-être, dans un monde où c’est toujours le format le plus répandu, pourquoi cette console est à cheval entre rétro et pas rétro. Quant à la PS2, sans doute peut-on voir là comme des répliques du séisme qu’elle a provoqué dans l’industrie toute entière du jeu vidéo, la console et les jeux qu’elle a accueillis étant presque (?) l’alpha et l’omega du jeu vidéo tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Tout ça pour dire que la dimension du ressenti est indiscutablement partie prenante de la vision que nous nous faisons individuellement du rétrogaming. Hibou et A-Key abondent d’ailleurs dans ce sens, le premier trouvant déjà difficile de considérer la GameCube comme rétro tandis que la seconde admet n’avoir accepté que récemment le début de l’ère PS2 comme tel et ce malgré l’écart de deux générations avec les machines et titres d’aujourd’hui. Moi-même je me retrouve parfois avec le cul entre deux chaises, si vous me permettez l’expression, comme ce fut le cas avec mon article sur Red Dead Redemption que j’ai longtemps hésiter à classer en rétrogaming ou non.
Impossible donc de s’arrêter sur une définition qui prétendrait satisfaire tout le monde, ou tout du moins la majorité. L’objectivité et la désignation de critères stricts, qu’ils soient temporels ou technologiques, mettra toujours dans l’embarras tel joueur ou telle joueuse qui se refusera à dire de telle ou telle console qu’elle est rétro. Le rétro, dans la façon dont on l’aborde, n’est finalement question que de contextes : contexte en matière de générations de consoles, contexte technologique général, contexte personnel du joueur/de la joueuse… Heureux sont ceux qui arrivent à se baser sur une vision objective du rétrogaming mais plus nombreux sont peut-être encore ceux qui vont très étroitement lier ce concept à leurs propres expériences. A l’approche de ma propre trentaine, il m’est ainsi plus facile de considérer un jeu parcouru dans l’enfance comme rétro, plutôt qu’un titre que j’aurais connu lorsque j’étais au lycée ou, pire encore, en fac. A cette dernière époque par exemple, la GameCube tournait encore à plein régime dans mon 25m² où nous nous affrontions sans cesse sur Mario Kart : Double Dash!! et même si une voix au fond de moi ne cesse de répéter que ce jeu et cette console sont officiellement rétro, je ne peux jamais me résoudre à définitivement les voir ainsi.

Mario Kart : Double Dash!! est, en ce qui me concerne, un de ces jeux à la charnière entre ce qui est rétro et ce qui ne l’est pas, à l’instar au final de toute cette génération PS2/Xbox/GameCube.
Le rétrogaming reste donc un terme certes largement répandu, une pratique reconnue, mais sur laquelle on peine rapidement à mettre des mots, des bornes… Tout le monde connaît ce mot mais personne ne parle de la même chose, pourrait-on dire si l’on voulait synthétiser avec un semblant de caricature ! Et pourtant, on fait tous du rétrogaming, on emploie ce terme, on nous en vend même à tour de bras ! Comment expliquer cette mouvance générale alors si son cœur même est si difficile à définir ?
De la nostalgie à la poule aux œufs d’or ?
Après tout, si chacun peut ainsi s’approprier le terme de rétrogaming et le modeler à sa façon, le rendant éminemment personnel, pourquoi essayer encore d’en faire un concept rassembleur et partagé ? Un genre presque, lequel évoluerait et grandirait avec le temps, forcément. Pourquoi autant en parler si on peine tant à s’accorder sur ce qu’il représente ? Et au final, pourquoi est-il si omniprésent ? La première réponse qu’on pourrait apporter tiendrait en un seul mot : nostalgie.

Suites, spin-offs, réadaptations et autres remakes vont bon train au cinéma et notamment chez Disney.
Il y a, de manière générale, une certaine tendance dans le monde du jeu vidéo qui consiste à regarder en arrière ces derniers temps. Un mouvement que ce loisir partage d’ailleurs avec son cousin le cinéma. Dans les deux cas, les sorties remastérisées, les remakes, les reboots et autres suites de franchises au long cours sont légions désormais. Regardez par exemple le programme de Disney pour les deux prochaines années : entre la continuation de l’Univers Cinématographique Marvel, les toutes nouvelles adaptations en live action de vieux classiques animés comme Dumbo ou Le Roi Lion et diverses suites ou nouveaux projets fondés sur d’anciennes œuvres, on aurait presque le sentiment qu’on ne crée rien de neuf ! Un sentiment que les joueurs connaissent bien, surtout dans la période actuelle où les portages d’anciens jeux (remis au goût du jour ou non) sortent à tout-va, comme si l’on avait le besoin de revenir aux fondamentaux, aux bases de ce loisir qu’on considérerait alors comme des valeurs sûres. En fait, bien malin sera celui qui saura expliquer cette mouvance nostalgique et ses causes/origines mais le fait est que le « vieux jeu » trouve aujourd’hui un second souffle.
On peut établir bien des hypothèses sur les raisons de ce nouveau succès et peut-être est-ce là la manifestation d’un loisir qui, arrivé comme à la fin de son insouciante adolescence et mûrissant, regarde parfois (et les joueurs avec lui) vers son passé avec la même tendre affection que nous avons souvent pour nos propres souvenirs d’enfance. Alors le jeu vidéo semble regarder en arrière pour identifier ce qu’il faisait et qu’il ne fait plus, ses réussites et ses échecs… Et cela donne l’ère des remakes, remasters et autres reboots. Ce faisant, il réussit à nous emmener avec lui dans cet état d’esprit et on en redemande, sans doute parce qu’en nous remettant dans les mains des titres qui ont fait les jours heureux des petits joueurs et petites joueuses que nous fûmes, ce mouvement en arrière réussit à s’appuyer sur des souvenirs flous et fugaces où le bon l’a largement emporté sur le mauvais, le temps qui passe contribuant alors à ériger certains jeux de nos enfances respectives au rang de grands titres. A tort ou à raison cela dit…
Mais peu importent les raisons que l’on peut donner à ce phénomène, le fait est que cela a provoqué depuis quelques années une sorte de bouleversement du marché du jeu vidéo et de son économie, conduisant tout bonnement à faire de ce sentiment presque mélancolique un élément de stratégie commerciale pur et dur. Et si les différents portages de vieux titres et autres remastérisations vont autant dans ce sens que les possibilités de rétrocompatibilité offertes par certaines machines (en particulier sur Xbox One et 3DS et, prochainement, sur Switch), le marché des consoles d’occasion s’en fait également le témoin : les NES, Super NES, Mega Drive et autres Master System se vendent à des prix virevoltant entre 70 et 100€ la machine, parfois plus.

La part de responsabilité des cash converters dans ce phénomène est à prendre en compte : cavernes d’Ali Baba ou antres de la spéculation, ces boutiques sont devenues incontournables dans le marché du rétrogaming.
La PS2 reste quant à elle plus abordable (comptez entre 25 et 40€ la console selon le modèle), sans doute trop omniprésente encore une fois dans nos foyers et greniers pour se permettre d’être trop chère, même en 2018. Mais le fait est que les prix ont augmenté en quelques années et si l’on trouve aujourd’hui des NES à 100€, ce n’était pas le cas il y a quelques années encore, où il fallait se contenter de débourser la moitié de cette somme pour s’en procurer une en bon état de fonctionnement. Alors sans doute l’ancienneté croissante de ces vieilles machines joue un rôle dans cette inflation mais il semble évident que la demande est elle aussi plus forte. Elle crée alors la rareté et, par conséquent, la hausse des tarifs.
On me répondra alors peut-être que le lien de cause à effet entre demande et augmentation des prix est ici assez ténu mais il y a une autre part de marché qui permet d’abonder dans le sens d’une observation où la demande en anciennes consoles se fait toujours plus pressante : celui des mini-consoles. Les succès fulgurants des NES Mini et Super NES Mini en attestent : le jeu rétro a encore de beaux jours devant lui. Reste que s’il a fallu attendre les mini-machines de Nintendo pour que ce type d’offre atteigne pleinement le grand public, cela fait en réalité bien plus longtemps que le modèle existe. On se souviendra ainsi du TiviPAD de Lansay sorti dans les années 2000 et qui permettait de jouer à quelques classiques de l’arcade (Pac-Man, Dig-Dug, Bosconian…), d’Atari Flashback dès 2004 ou de la Mega Drive Classic d’AT Games… La console de SEGA aura d’ailleurs bientôt droit à sa version mini éditée cette fois-ci par son constructeur d’origine, profitant de l’engouement provoqué par son éternel concurrent Nintendo.
Le rétrogaming a donc réussi à se tailler une belle part dans le marché vidéoludique actuel et si les rééditions en masse de jeux et consoles s’en font la principale illustration, il apparaît néanmoins que le jeu rétro arrive à se glisser dans nos ludothèques d’une autre manière également. Certains jeux en effet, sans qu’ils soient des portages ou autres rééditions de titres classiques, proposent une approche en matière de gameplay et surtout d’esthétique qui ne fait qu’évoquer les styles d’antan. C’est le cas notamment de Shovel Knight, paru en 2014 mais qu’on croirait tout droit sortie de l’aube des années 1990. Hibou pose alors la question : doit-on considérer un jeu de ce genre comme rétro ?
La réponse dépendra donc finalement de la définition qu’on aura choisi de suivre parmi celles que j’évoquais plus haut. Ou alors se rangera-t-on cette fois-ci aux côtés des partisans du néo-rétrogaming, ce fameux néologisme à deux doigts d’être schizophrène et qui désigne des jeux récents dans lesquels nous irions rechercher des expériences et propositions passées. Cela rejoint la vision de DrNostal qui estime que « rétro, c’est un style de jeu. Un graphisme, une musique, un gameplay particuliers » . Une définition que je ne rejoins pas trop dans le sens où si le terme de rétro doit évoquer des aspects particuliers sonores ou visuels, cela signifie que dans 30 ou 40 ans, nos actuels jeux auront beau être datés ils n’en seront pour autant pas rétro ? Le jeu rétro est voué à devenir beaucoup trop polymorphe et l’on ne pourra alors plus parler d’un style bien particulier. Ou alors, l’on ne devra définir comme rétro qu’un type bien précis de jeux et cela brouillera encore plus la question, avec en plus le risque de multiplier les dénominations pour les autres dans ce cas.
Et pour en revenir à ces titres d’aujourd’hui qui se donnent des allures d’autrefois, si la dimension artistique de tels projets est évidemment à prendre en compte elle pourra sembler bien opportuniste aux yeux de certains qui ne voient dans le jeu rétro qu’une façon bien maligne de créer une envie pour mieux la satisfaire. Il n’y a qu’à voir les vagues d’enthousiasme suscitées par les retours successifs de Crash Bandicoot et Spyro pour se poser la question : le rétrogaming, tel que saisi par les professionnels du jeu vidéo, n’est-il pas qu’un vaste plan marketing, un dévoiement quasi-complet d’une pratique auparavant grandement cantonnée au si doux statut de madeleine de Proust ? Tout ceci, on pourrait le résumer avec l’avis tranché de Neights, qui regrette l’emploi-même du terme « rétrogaming ».
[C’est] un terme par essence parfaitement con, posé là pour définir une catégorie « bac bordélique » de vieux jeux et finalement faciliter le triage au moment de la communication.
Un point de vue qu’il pousse un peu plus loin en faisant une intelligente analogie avec le cinéma : « Quand je mate un Corbucci, je ne fais pas du rétrocinoche : je mate un vieux film » . Ce que Neights souligne finalement, c’est cette nécessité si actuelle (mais pas forcément pertinente) de mettre un nom sur tout, tout le temps. Comme si rien ne pouvait être fait sans être conceptualisé et formellement nommé, il a dû sembler opportun à un moment donné de distinguer le rétrogaming du « jeu classique », de la même manière que l’on a divisé les joueurs entre les core gamers, les casuals et pour ce qui nous intéresse les retrogamers…
Et en ce qui me concerne, je dois bien avouer que je partage grandement l’opinion de Neights sur le sujet, considérant finalement que le terme « rétrogaming » est bien pratique pour aiguiller les gens afin qu’ils saisissent de quoi tu parles mais que ce n’est aussi et surtout qu’une étiquette parmi tant d’autres. Pire, c’est un « genre » que personne ne s’accorde à définir et qui n’a vocation qu’à muter avec le temps. Déjà qu’on n’arrive pas à être d’accord aujourd’hui, imaginez le débat que ça sera quand il s’agira de considérer comme rétro non seulement les jeux des 8 et 16 bits mais aussi ceux de la génération HD et, plus tardivement encore, les titres 4K qui commencent progressivement à envahir le marché ! Un marché qui, lui, n’a pas fini de s’en donner à cœur joie.
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Le rétro est donc un vaste sujet. A la fois polymorphe, personnel, pertinent ou non, il est avant tout multiple. Du simple plaisir de la découverte d’œuvres passées à la tendance marketing du moment en passant par une fibre artistique à la sauce revival, le concept est aussi prégnant qu’incertain. Il donne le sentiment que tout le monde le connaît, s’en empare, mais sans que personne ne sache vraiment de quoi il s’agit. Ou plutôt, personne ne semble parler de la même chose. Selon mon humble avis, il est surtout le témoignage d’une culture gaming encore largement à écrire, plutôt qu’à définir. Car sans être balbutiante, elle se cherche encore beaucoup. Cela passe par ces joueurs et joueuses qui tentent, honorablement ou non, de la construire par des catégorisations ou par l’élaboration précise de son historiographie. On acceptera ou non de rejoindre alors cette vision presque académique des choses, en dépit ou à cause de son instabilité. Ou bien l’on préférera prendre le jeu pour ce qu’il est, sans se soucier de la case dans laquelle on entrerait alors.
Le rétrogaming témoigne je crois de tout cela, rappelant ce que l’on voit parfois dans le domaine de la musique quand il faut à tout prix classer un groupe dans un genre donné. Peut-être le mieux serait-il alors de simplement laisser tomber cette pseudo nécessité. Peut-être faudrait-il, comme le dit si bien Neights, « savoir s’affranchir des étiquettes et des genres, les considérer au mieux comme très secondaires, comme du détail » .
Source image à la Une : Community Impact Newspaper
C’est très intéressant. Très bonne analyse.
On pourrait en parler durant des heures 😂
Oh oui, c’est le genre de sujet où il y a tant à dire et surtout tellement d’opinions différentes qu’on pourrait en discuter encore et encore mais avoir toujours plus de trucs à dire au fur et à mesure !
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