La preuve qu’on n’est jamais déterminé à quoi que ce soit dans la vie, c’est qu’en dépit d’un bac littéraire, d’un goût pour la lecture et d’un emploi dans une des plus grandes bibliothèques du monde, je lis très peu. Trop peu même, de toute évidence. Par manque de temps ou d’équilibre entre mes différentes occupations, que sais-je ? Le fait est en tous cas que la dernière fois où j’ai parlé d’un livre sur ces pages, c’était pour évoquer l’excellent Sykes de Pierre Dubois et Dimitri Armand il y a plus de deux ans maintenant ! Il est donc plus que temps de rattraper ce manque de notes de lecture sur ce blog et pour ce faire, c’est d’un gros pavé que je vais vous parler aujourd’hui : l’intégrale d’Albator : Le Pirate de l’Espace !
Ceux qui me suivent depuis suffisamment longtemps savent qu’après le koala, mon animal-totem c’est Albator. Figure animée marquante de mon enfance aux côtés des Tortues Ninja et de Batman, le corsaire spatial créé par Leiji Matsumoto fut pendant longtemps mon avatar sur les différents sites que j’ai fréquentés. Tant et si bien qu’on aurait pu croire que j’étais « un grand fan qui s’y connait ». Et pourtant, hormis le visionnage incomplet des séries Albator 78 et Albator 84, je reste un assez grand néophyte en la matière, n’ayant par exemple jamais lu l’intégralité de ses aventures papier ! C’est désormais chose réparée mais il aura fallu du temps.
Car si le manga original est sorti entre 1977 et 1979 au Japon, il ne fut édité en France pour la première fois qu’avec les 5 volumes de Kana en 2002-2003, lesquels furent rapidement épuisés et jamais réédités jusqu’à la sortie, fin 2013, d’un épais volume intégral regroupant l’ensemble du récit (toujours chez Kana). A nous alors les 1088 pages d’aventures spatiales et de lutte contre les Sylvidres. D’ailleurs, pour des raisons de simplicité, je me permettrai ici de reprendre les terminologies et noms employés dans la VF proposée par cette intégrale : Miimé ne s’appellera donc pas Mima ou Clio (comme ce fut le cas respectivement dans Albator 84 et Albator 78), Kei Yûki ne s’appellera pas Nausicaa et Yattaran ne portera enfin pas le nom d’Alfred. Un prénom qui avait été donné tant à Yattaran qu’à Toshiro dans les deux séries animées de l’époque, ce qui n’avait pas manqué d’entretenir des confusions déjà trop nombreuses.
Bref, lorsque l’on découvre l’intégrale de Capitaine Albator en 2018 (ou 2013 donc, si l’on n’a pas mis comme moi 5 ans avant d’acheter le bouquin), on peut être surpris par plusieurs choses. L’épaisseur du volume déjà. Réunissant en toute logique les cinq tomes qui composent ce récit, cette intégrale compte tout bonnement plus de 1000 pages ! L’ouvrage se lit alors comme une grosse épopée, aussi dense et prenante qu’elle peut être lourde dans les mains. C’est un long voyage, fait d’allers et de retours, de détours et de grandes avancées, que nous raconte Leiji Matsumoto dans son manga dont la fin compose l’autre surprise : arrivé au terme de ce millier de pages, l’aventures n’est pas terminée. Le néophyte s’empressera alors sans doute de chercher une éventuelle suite à cette intégrale qui, par définition, ne devrait pas en avoir mais ce sera en vain. Et ça, la personne qui connaît l’affaire ne serait-ce que de loin sait de quoi il en retourne : les aventures d’Albator n’ont jamais été terminées par leur auteur. Peut-être la nouvelle série reboot intitulée Capitaine Albator – Dimension Voyage (chez Kana également) permettra-t-elle enfin de conclure le récit mais c’est encore un autre sujet.
Le fait est donc que l’on arrive à l’ultime page du manga et que Leiji Matsumoto nous abandonne, les bras ballants et frustrés de ne pas voir l’issue de la guerre que mènent Albator et son équipage face aux Sylvidres. Car tel est le pitch de ce vaste manga d’ailleurs. En 2977, une sphère noire s’écrase sur Terre et il ne s’agit de rien d’autre qu’une annonce de l’invasion imminente de la planète bleue par les Sylvidres donc, une race extra-terrestre désireuse d’étendre son emprise sur la galaxie. Et là où les humains et leurs gouvernants restent terriblement passifs face à la menace, Albator et ses pirates luttent pour protéger leur planète d’origine. Ils sont notamment rejoints dans leur combat par le jeune Tadachi Daiba, fils du célèbre professeur assassiné par une Sylvidre. Je vous passe les détails et me contenterai de ce résumé qui correspond grosso modo au point de départ de l’intrigue. Celle-ci se développe alors sur les 1000 pages à venir et l’on se laisse aisément prendre au jeu. L’histoire se révèle relativement riche et la narration intéressante, se permettant notamment un développement sur le long terme qui relance régulièrement les choses en apportant sans cesse de nouveaux détails qui enrichissent toujours un peu plus l’intrigue. La rythmique narrative de Capitaine Albator est donc relativement soutenue et a donc fréquemment relancé l’intérêt du lecteur que je suis. Les péripéties s’enchaînent bien, dans un schéma certes plutôt classique mais qui permet de ne pas noyer l’attention sous un flot d’événements qui seraient trop nombreux. On reprochera peut-être cependant un style un peu pompeux parfois, quitte à en devenir lourd. C’est le cas notamment lorsque l’auteur fait répéter deux ou trois fois à Albator son laïus sur le fait qu’on l’appelle le pirate de l’espace et qu’il navigue sous la bannière de la liberté, bla bla bla… Lors de ces instants, sur une ou deux pages, la lecture en deviendrait presque ennuyeuse, et Albator avec.
Ce serait dommage d’ailleurs car le travail mené sur le pirate de l’espace est intéressant à plus d’un titre. On pourrait évoquer déjà son apparence, qui le détache grandement du reste des personnages, notamment masculins. L’occasion de souligner par ailleurs qu’aussi cool qu’il puisse être, le dessin peut s’avérer assez inégal selon les planches. Le chara-design reste quant à lui culte, à raison. Mais pour en revenir à Albator lui-même, il est indéniablement à part. Là où les autres hommes de ce manga sont globalement ridicules, petits, gros, avec des visages disgracieux, le capitaine sort du lot : grand, fin, beau, charismatique… Il se dégage de lui un côté hors du commun renforcé également par son côté mystérieux et relativement taiseux et qui contribue pour l’essentiel à la légende (tant dans le manga que dans notre propre sphère littéraire), au mythe du héros que Matsumoto s’emploie à soigneusement construire au fil des pages.
Pour autant, Albator n’est pas un héros, ce que Matsumoto rappelle régulièrement (peut-être bien malgré lui parfois). Albator est un pirate et si l’anime de 1978 puis celui de 1984 ont contribué à construire de lui l’image d’un héros romantique, au sens littéraire du terme, il reste un pirate, un hors-la-loi violent et résolu. Un homme qui ne croit plus en l’espère humaine, qui la déteste et souhaite parfois sa destruction ainsi que celle de la Terre, aussi paradoxal que cela puisse être par rapport au combat qu’il mène à bord de l’Arcadia. Il s’en empêche toujours mais le ressentiment est là. Albator est assez complexe à comprendre finalement, oscillant régulièrement entre l’espoir et le désir de liberté d’un côté, et un comportement désabusé et vengeur de l’autre. Il est changeant, caractériel même, pour ne pas dire autoritaire, laissant constamment les lecteurs et lectrices dans l’incertitude quant à ce qu’ils doivent penser de lui.
C’est également le cas pour les Sylvidres. Si elles endossent, avec la volonté d’invasion de leur reine Sylvidra, le rôle des méchantes, l’avancée dans le récit atténue peu à peu leur place. Là où elles font d’abord figure de froides et cruelles guerrières (leurs premières apparitions sont des assassinats), elles s’avèrent ensuite de plus en plus humanisées. Elles rient, jouent, pleurent leur planète natale en perdition. Sont-elles réellement un impitoyable peuple envahisseur ou simplement une espèce en quête de refuge ? Evidemment, l’armada mise sur pied leur laisse le statut d’antagonistes mais il y a souvent de quoi atténuer notre vision de ces personnages.
Je crois au final que toute la série doit être lue avec du recul. Il convient de relativiser les choses et de comprendre que rien n’est tout noir ou tout blanc dans l’univers de Capitaine Albator. Ce n’est pas un manga pour enfants, au contraire, et les quelques uns de la « génération Club Dorothée » qui crucifient aujourd’hui ce corsaire devraient, je pense, avoir en tête que l’Albator de l’anime de leur enfance et celui du manga originel se ressemblent, certes, mais diffèrent néanmoins sur bien des points.
Cela n’enlève cependant rien à certaines critiques que l’on peut formuler à l’égard de cette œuvre de Leiji Matsumoto. Et de celles-ci, je ne retiendrai ici que celle qui pointe du doigt la misogynie dont ce manga peut faire preuve. Cela passe par le fait que les personnages féminins à bord de l’Arcadia sont considérablement reléguées au second plan : l’une en cuisines, l’autre (Miimé) qui chantonne plus souvent qu’autre chose et une dernière (Kei-Yûki) dont on nous vante la bravoure mais qui n’a hélas que peu d’occasions de nous la prouver. Que dire aussi de l’orgueil de Tadashi qui vit excessivement mal le fait d’être mis sous les ordres de cette dernière et qui digère mal le fait qu’elle soit plus douée que lui ? Face à elles, les Sylvidres pourraient équilibrer la balance mais ces femmes menaçantes et dangereuses ne seront finalement évoquées la plupart du temps que pour leur beauté apparemment incomparable, elles qui sont grandes, fines et avec de longs cheveux… « Idéal féminin » d’après le docteur Zéro. Seuls Albator et Tadashi semblent (parmi les membres masculins de l’équipage) se rappeler de la menace qu’elles représentent mais même eux se laissent régulièrement aller à une extase limite hors de propos devant leur beauté.

Bah oui, les hommes ils bossent dur alors faut bien que les femmes les laissent s’amuser un peu hein…
____________________
Captaine Albator est donc bien une oeuvre culte à plus d’un titre. Je me suis plongé dans ce manga comme dans aucun autre avant et en suis ressorti avec la satisfaction d’avoir parcouru une sorte d’Odyssée réellement prenante. Des défauts, le récit de Leiji Matsumoto en a évidemment : pompeux parfois, limite réac à certains instants, longuet dans quelques moments… Sans être parfait, Capitaine Albator reste néanmoins une oeuvre majeure de son temps et même encore aujourd’hui. Découvrir cette intégrale à mon âge, avec un souvenir relativement estompé des dessins animés vus pendant mon enfance et desquels je gardais le souvenir d’un héros au grand cœur et généreux, tout cela amène une approche intéressante du support original, bien plus en nuances qu’il n’y paraît.
Quant à moi, je vous laisse avec cet ultime article et vais de ce pas m’accorder une pause bien méritée de trois semaines ! Evidemment, je resterai actif pendant ce temps sur mon compte Twitter et sur la page Facebook du blog mais il n’y aura pas de nouvel article avant Septembre désormais. On se retrouve donc à la rentrée, le 12 Septembre, pour une nouvelle saison tout aussi riche !
Je suis une méga fan d’Albator et cette intégrale est un régal
Voilà une personne de goût ! Nous sommes bien d’accord ! 😀
Oui hein… On a beaucoup de goût 🙂
Pingback: Note de lecture n°33 : « Capitaine Albator – Dimension Voyage , Leiji Matsumoto & Kouiti Shimaboshi | «Dans mon Eucalyptus perché