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Mission: Impossible – Rogue Nation, film d’espionnage de Christopher McQuarrie. Avec Tom Cruise, Rebecca Ferguson, Simon Pegg, Jeremy Renner…
- Ce film est la suite de Mission: Impossible – Protocole Fantôme (B. Bird, 2011).
- Il est suivi par Mission: Impossible – Fallout (C. McQuarrie, 2018).
Le pitch : Agissant en solo, l’agent Ethan Hunt (T. Cruise) intercepte un gaz toxique qui devrait lui permettre de démontrer l’existence du groupe terroriste dénommé Syndicat. Capturé dans un relais londonien de l’agence Mission Impossible, il parvient néanmoins à s’enfuir et devient alors un fugitif. En effet, entre temps, la CIA par l’intermédiaire de son directeur Alan Hunley (A. Baldwin) obtient devant une commission du gouvernement le démantèlement de l’agence et l’intégration de ses agents à la CIA. Hunt refusant cette décision, il poursuit cette mission en solitaire tout en étant traqué par son propre gouvernement.
La critique : Reprise en ce début 2019 de la rétrospective Mission: Impossible avec le cinquième volet de la licence, Rogue Nation. A ce stade de ce long passage en revue de la série, nous arrivons dans le champ des films que je n’ai pour l’instant vus qu’une seule fois. Je le précise car, en entamant la rédaction de nouvel article, je me dis que ce visionnage unique va peut-être impacter sur le contenu de cette critique. Car si j’ai pris de nombreuses notes juste après avoir vu le film pour la première fois l’été dernier, il n’en demeure pas moins que mes souvenirs se sont un petit peu estompés et surtout qu’en le découvrant, je n’était pas dans le même état d’esprit qu’avec les quatre précédents épisodes. Là où j’avais jusqu’alors regardé des films que je connaissais finalement plutôt bien, c’est ici une vraie découverte.
Mais commençons par un peu d’histoire si vous le voulez bien. Car Rogue Nation, c’est aussi l’histoire d’un film qui aurait très bien pu voir le jour plus tard que ce ne fut le cas. Sorti quatre ans après Protocole Fantôme, ce cinquième opus de la licence aurait en effet facilement pu voir sa sortie décalée si Tom Cruise avait accepté l’offre qui lui avait été faite à l’époque : jouer dans Agents Très Spéciaux : Code UNCLE de Guy Ritchie. Un film dans lequel Cruise aurait voulu jouer le personnage de Napoleon Solo, rôle finalement tenu par un Henry Cavill qui fera d’ailleurs son entrée en scène dans l’univers Mission: Impossible trois ans plus tard. Enfin bref, Cruise a beau avoir pensé se tourner vers cet autre projet, formulant même l’idée d’en faire le point de départ d’une nouvelle série de films d’espionnage, il finira toutefois par se concentrer sur M:I5. Nous sommes alors en 2013 et, dès lors, les choses s’accélèrent. Au printemps de la même année, Drew Pierce est annoncé au scénario, un choix audacieux puisqu’il s’agit alors d’un monsieur particulièrement méconnu bien que cette année 2013 lui permettra de se révéler avec la sortie d’Iron Man 3 dont il signe le scénario avec Shane Black. Et, très personnellement, j’aurais su ça en entamant le visionnage de Rogue Nation, ça ne m’aurait pas franchement rassuré (je ne porte pas particulièrement Iron Man 3 dans mon cœur pour tout vous dire…).
Mais le plus intéressant dans tout cela, c’est bien entendu l’annonce du réalisateur de ce cinquième volet. Et alors que Brad Bird avait les faveurs de la production pour revenir derrière la caméra, ce dernier déclina l’offre pour se tourner vers un projet qui lui tenait plus à cœur : A la Poursuite de Demain, ce film de science-fiction avec George Clooney et inspiré par la section Tomorrowland des parcs Disneyland (chez nous, cette section s’appelle Discoveryland). Il ne faudra toutefois pas longtemps à Tom Cruise, J.J. Abrams et les autres pour lui trouver un remplaçant. J’irais même jusqu’à dire que le choix semblait presque évident et c’est ainsi Christopher McQuarrie qui devient réalisateur de Rogue Nation. Pourquoi évident ? D’abord parce que McQuarrie a prouvé en 2012 que le cinéma d’action, qui plus est avec Tom Cruise dans le rôle principal, ça lui parle. Jack Reacher fut en effet une très belle réussite et cela ne surprend au final personne que Tom Cruise ait immédiatement pensé à lui. Et la surprise est encore moins grande quand on sait que Rogue Nation n’est en fait pas la première incursion du réalisateur sur la licence Mission: Impossible. En effet, et bien que non crédité à l’époque, Christopher McQuarrie était déjà venu prêter main forte pour Protocole Fantôme, sur le scénario duquel il avait apporté son appui à André Nemec et Josh Appelbaum. Encore une fois donc, Mission: Impossible semble continuer de s’inscrire dans cet esprit de relations étroites où chacun se connaît, y compris les nouveaux arrivants. McQuarrie n’est d’ailleurs pas arrivé les mains vides puisqu’il a amené avec lui Joe Kraemer, compositeur de la bande originale de Jack Reacher qui va donc ici remplacer Michael Giacchino. Il faut dire aussi qu’Hollywood s’arrache alors le compositeur de Protocole Fantôme et, de 2013 (début du projet M:I5) à 2015 (sortie du film), il composera la musique de pas moins de sept films et pas des moindres puisque l’on retrouvera dans le lot La Planète des Singes : L’Affrontement, Star Trek : Into Darkness, Vice Versa, Jurassic World et, tiens donc, A la Poursuite de Demain ! Depuis 2014, il compose d’ailleurs environ 4 bandes originales par an, je vous dis ça juste pour l’anecdote.
Quoiqu’il en soit, le choix de placer McQuarrie en maître d’œuvre sur Rogue Nation a payé, et pas qu’un peu. Il faut dire aussi que le monsieur connaît son affaire. En 2012, pour revenir à cela, il m’avait déjà énormément séduit avec son Jack Reacher, lequel offrait selon moi une approche du thriller d’action très intéressante et, surtout, plus originale que ce que ce genre avait à donner à la même époque, voire même depuis quelque temps alors. C’était d’autant plus plaisant de voir ce tour de force (si l’on veut) réussi que ce n’était alors que la deuxième réalisation de McQuarrie après le méconnu Way of the Gun (2000) et une déjà relativement longue carrière de scénariste (notamment à plusieurs reprises auprès de Bryan Singer). Enfin bref, je me rends compte que j’ai déjà presque plus évoqué Jack Reacher que M:I5 et je me permets de vous dire que je risque d’ailleurs de citer ce précédent film à plusieurs reprises au cours de cet article car il m’apparaît comme une évidence que sans ce dernier, il n’y aurait non seulement peut-être pas eu de Mission: Impossible réalisé par McQuarrie mais aussi et surtout pas de Rogue Nation tel qu’on le connaît désormais. La filiation entre les deux œuvres, que ce soit dans le fond ou dans la forme, me paraît somme toute très naturelle et j’en profite pour recommander à celles et ceux qui ont vu l’une sans avoir regardé l’autre de rattraper cette petite lacune.
Le fait est en tous cas que Mission: Impossible – Rogue Nation se démarque alors par une mise en scène ô combien léchée et indubitablement marquée par ce style que Christopher McQuarrie semble vouloir confirmer après Jack Reacher donc. Et l’un des facteurs d’identité fort de ce style-là, c’est clairement la façon dont le cinéaste va tourner ses scènes nocturnes, qu’il semble particulièrement adorer si l’on en croit leur niveau de réussite sur tous les plans. Et l’exemple qui vient immédiatement en tête, c’est évidemment celui du passage viennois à l’opéra, majestueux.
Au cours d’une séquence toute en tension, McQuarrie s’en donne à cœur joie sur le plan visuel, offrant un jeu d’ombres et de lumières remarquable, pour ne pas dire exemplaire, ainsi qu’une photographie de qualité qu’on doit évidemment à Robert Elswit (Magnolia, The Town, There Will Be Blood…) qui œuvrait certes déjà sur Protocole Fantôme mais qui se surpasse encore ici. Et toute cette gestion des scènes nocturnes, je ne peux m’empêcher de trouver que cela donne à Rogue Nation (bien spécifiquement sur ce type de passages, attention) un côté film noir hautement appréciable. Evidemment, nous ne sommes pas devant Le Faucon Maltais, Boulevard du Crépuscule ou, pour citer un film plus récent, L.A. Confidential, mais Rogue Nation emprunte suffisamment de choses à ce fabuleux genre pour qu’on l’en rapproche un peu. Car le film noir, c’est aussi et peut-être même avant tout la création d’une atmosphère par l’image, par le jeu des ombres et des lumières justement avec des lourds contrastes, ce que l’on observe soit clairement, soit par simples évocations dans cette séquence à Vienne. Qui dit film noir dit également un environnement urbain nocturne, étroit, étouffant et sans échappées possibles sur des espaces ouverts tels qu’une place ou une grande avenue. Cela, McQuarrie s’en inspire également avec le passage à Londres, lorsque Hunt se fait piéger par le Syndicat dans ce qu’il croyait être un relais sûr de la Force Mission Impossible. Dans cette optique, on pensera notamment à ces plans nous révélant Ethan enfermé dans une cabine téléphonique qui se trouve dans une petite rue de la capitale britannique, laquelle prend des allures de goulot d’étranglement visant à concrétiser par l’image tout l’isolement dans lequel se trouve le fameux agent à ce moment de l’intrigue. On retrouve la même idée lorsque l’on observe la rue où se situe le fameux relais de l’agence Mission Impossible, rue dans laquelle on entre en passant sous une épaisse arcade lui donnant des airs de tunnels, histoire de continuer à enfermer notre personnage.
Il est donc très appréciable de voir ainsi McQuarrie apposer sa patte sur ce volet de la saga en y appliquant, parfois par simples touches évocatrices, les influences qui sont les siennes. Le film noir est d’ailleurs au cœur de son cinéma puisque Jack Reacher y empruntait quelques aspects lui aussi tandis que Way of the Gun se voulait être de base un audacieux mélange entre ce genre et celui du western spaghetti. Mais cela ne fait pour autant pas le cœur du film, qui reste avant toute autre chose un Mission: Impossible. Et sous cette appellation se cache un cahier des charges désormais bien établi dont j’ai déjà tâché de présenter les différentes pièces au cours des quatre précédentes critiques de cette rétrospective. Il est donc on ne peut plus naturel de voir Christopher McQuarrie réaliser son film en tant que tel, comme une part intégrante d’une œuvre générale aux codes bien posés. Rogue Nation ne déroge donc pas plus que cela à la règle et s’inscrit dans les idées habituelles de Mission: Impossible. Cela passe donc par de l’action pure et dure bien entendu ainsi que différentes séquences plus tranquilles, censées apporter des éléments d’information au regard de l’intrigue ou donner lieu à d’incontournables préparations de missions.
Tout cela, le réalisateur de ce cinquième volet le met parfaitement en scène, soucieux de donner aux spectateurs et spectatrices un film qui reste dans la lignée de ce qui a été fait auparavant, malgré les ajouts esthétiques qu’il fait donc en puisant dans ses influences propres. Le cinéaste arrive ainsi à mettre en images un film adroit qui mêle avec finesse et intelligence l’héritage de ses prédécesseurs et son envie personnelle d’y apporter encore autre chose. McQuarrie ne privera donc pas son public de quelques grands moments évidemment attendus comme cet envol de Hunt sur l’aile d’un avion ou cette très bonne scène d’apnée, toute en plan séquence et dont l’orchestration se veut magistrale dans son ensemble. Cette scène, qui est l’une de mes préférées dans le film mais également dans l’ensemble de la saga, résume à elle seule tout ce que l’on est en droit d’attendre d’un Mission: Impossible après toutes ces années. Ce doit être quelque chose qui soit prenant, saisissant même, tenant le spectateur en haleine dans un moment d’audace de la part du héros, tout en y apportant un savoir-faire cinématographique qui rappelle toutes les prétentions qui peuvent être celles d’un Mission: Impossible à ce moment de l’existence de cette saga : un film d’action, certes, mais qui n’en oublie pas pour autant de tâcher de rester du cinéma avec un grand C. Au terme de Rogue Nation, Christopher McQuarrie semble en avoir été pleinement conscient. Et pour tout cela, on ne pourra passer outre la filiation qui existe de manière nette entre ce film-ci et son prédécesseur, plus encore qu’entre n’importe quels autres épisodes jusqu’ici.

La séquence en apnée me rappelle, par ses intentions en tant qu’objet de cinéma, tout ce que celle de l’infiltration à la CIA dans le premier Mission: Impossible tâchait de mettre en oeuvre.
Mais faire appel à McQuarrie pour réaliser Rogue Nation, ce n’est pas seulement venir profiter de ses talents de metteur en scène et de faiseur d’images, c’est également apporter une autre vision à la licence. Un regard qui va certes aller dans le sens de ce qui est développé depuis Mission: Impossible III mais qui va être porté d’une autre manière. Pour cela, le scénario de M:I5 va lui aussi tâcher de s’inscrire dans la lignée du précédent et de M:I3 en abordant des thématiques qu’il leur emprunte, ou plutôt qu’il va essayer de développer encore un peu.

Alan Hunley est là pour cristalliser tous les questionnements autour de la légitimité de Hunt et de ses collègues agents.
C’est notamment le cas avec le propos initial du film, qui s’ouvre sur une remise en question de l’organisation M:I elle-même. Si, en 2015, le climat post 11 Septembre a évolué, ce postulat reste tout de même intéressant dans une époque où la défiance vis-à-vis des services de ce type demeure malgré tout, que ce soit aux Etats-Unis ou ailleurs. Le scénario de Rogue Nation nous renvoie alors régulièrement à ce questionnement via les quelques séances devant la commission du gouvernement ou le seul personnage d’Alan Hunley, directeur de la CIA incarné par Alec Baldwin. Avec le recul, on se dit aussi que ce background renvoie également à des interrogations précédemment formulées dans la saga quant au crédit que le spectateur accorde à cette agence secrète pour laquelle travaille Ethan Hunt et dont le rôle et la légitimité ont toujours semblé un peu flous.
Mais le mieux reste encore que tout ce propos-là se dilue très bien dans le film grâce à son scénario et en particulier la façon dont il souhaite aborder « l’esprit M:I », qu’on a déjà évoqué à de multiples reprises dans cette rétrospective. Cet esprit, il est toujours présent et ce serait faux de prétendre le contraire. Cela passe donc par la mise en scène qui, comme je l’évoquais avant, reprend fidèlement nombre de codes établis dans cette licence, mais également par le ton employé de manière générale.

Ilsa Faust, Solomon Lane, le Syndicat… Tout cela contribue à la dimension thriller de ce film et évoque un schéma de personnages et d’interactions que Jack Reacher développait déjà.
Toujours présent donc et globalement fidèle à sa saga, cet esprit, cette identité se voit toutefois ajouter par McQuarrie ce qui avait fait le sel de son Jack Reacher encore une fois. Rogue Nation, tout Mission: Impossible fidèle à ses racines qu’il puisse être, se pare alors d’une sorte d’atmosphère faite de complots et de jeux de pouvoirs, d’intérêts qui se rejoignent puis sont en conflit, d’opportunités à saisir et d’opportunisme… Ce sont des éléments sur lesquels J.J. Abrams avait appuyé dans son propre épisode de la saga, évoquant alors des choses que Brian De Palma avait esquissées en son temps. En effet, tout cela évoque particulièrement ce que M:I3 avait tenté d’établir avec les personnages d’Owen Davian et de John Musgrave, respectivement incarnés par Philip Seymour Hoffman et Billy Crudup. Néanmoins, Christopher McQuarrie va ici encore un peu plus loin, rebondissant sur des choses que Protocole Fantôme a installées afin d’étirer encore plus cette toile, ce que M:I4 ne faisait pas vraiment jusqu’au bout malheureusement. On passe ici à un schéma un peu plus précis, qui donne une bien plus grande tonalité de thriller au film et qui, en un sens, fait écho une nouvelle fois au genre du film noir. A l’instar de ce dernier, Rogue Nation se révèle finalement assez souvent pessimiste quant au destin de ses personnages et au contexte dans lequel ils évoluent tout en mettant en scène un protagoniste central (Hunt) pris au piège de machinations et de situations dont il n’est pas responsable, dont il ne maîtrise pas les tenants et aboutissants et qui vont alors le mettre dans une position plus que délicate, pour ne pas dire désespérée. Hunt, à l’image des détectives privés de bien des films noirs, est acculé dans Rogue Nation.
Il y a donc dans ce cinquième film tout un travail de mené sur le background de la série. Tout en se voulant aussi respectueux que possible de l’ensemble, de l’héritage et des codes que cela implique, le réalisateur a cherché à redéfinir une partie de cet « esprit Mission: Impossible » dont on parle régulièrement sur ces pages. Par ce travail de fond, cet esprit en question passe alors de celui des films d’espionnage « classiques » dans lesquels la saga puis ses influences et ses racines les plus profondes à celui de ces films qui mêlent espionnage, thriller politique et action.
Tout ceci s’avère évidemment être une nouvelle étape dans un travail de redéfinition mené depuis le passage de J.J. Abrams sur la saga. Cette nouvelle approche correspond à celle d’œuvres issues de cette nouvelle vague du genre assez récemment mise en lumière (depuis le début des années 2010 essentiellement) avec des films comme Jack Reacher donc mais aussi la saga Jason Bourne (qui a quant à elle précédé tout cela en proposant ce format dès 2002) mais aussi, dans un sens, La Taupe de Tomas Alfredson dans un style plus sombre encore mais néanmoins proche dans la façon dont il traite ses personnages et les situations dans lesquelles ils se retrouvent. A mon sens, tout cela modernise finalement encore un peu plus Mission: Impossible, dans le sillage de M:I3 et M:I4 qui tâchaient déjà de proposer une autre lecture et une autre structure de récit que leurs deux prédécesseurs. Le travail est d’ailleurs d’autant mieux accompli ici que M:I5 répond avec excellence à ce modèle grâce à nombre de qualités dont on en a déjà évoqué plusieurs jusqu’ici.
Et toujours pour répondre à cette volonté de remodeler « l’esprit M:I », on appréciera aussi notamment l’absence de précipitation dans le déroulé des événements du film. C’est une chose qui n’est pas anodine puisqu’elle s’inscrit à mon sens parfaitement dans la logique de cette nouvelle approche que j’essayais de décrire juste au-dessus. Cela donne alors lieu à des séquences de dialogues peut-être plus longues, plus denses et plus nombreuses qu’à l’accoutumée mais c’est l’idéal quand on souhaite tourner un film qui, comme semble le vouloir Rogue Nation, cherche à densifier son contexte. Et finalement, tout ce traitement – fait de l’apport d’influences un peu plus variées – conduit joliment à redorer le blason du genre espionnage. Ce que je veux dire par là c’est qu’en allant chercher au-delà de ce seul genre et de l’action inhérente à cette saga, Mission: Impossible arrive à piocher les éléments les plus judicieux de ces influences nouvelles que j’évoquais pour nourrir son essence d’origine. Vous me suivez ? En bref, Rogue Nation est un très bon film d’espionnage. Et je crois que la scène de l’opéra (encore elle) résume à elle seule toute la réflexion de McQuarrie sur Mission: Impossible dans ce film. D’une maîtrise et d’une classe folles, elle s’offre le luxe de voir chacun de ses éléments parfaitement exécuté, de la photographie à l’acting en passant par cette impeccable mise en scène toute en crescendo où rien n’essaie d’aller trop vite. Tout s’y déroule au contraire assez doucement, sans pour autant être trop lent, et contribue à créer cette ambiance et ce jeu en chassé-croisé où bien des intérêts semblent entrer en conflit, tissant déjà la toile relativement complexe qui va servir de fond au film et à son intrigue.
Tout ce dont je viens de parler, cela amène aussi à regarder un film qui se veut globalement franchement bien équilibré. Tout du moins l’est-il plus que Protocole Fantôme qui, rappelons-le, baissait de régime dans son tout dernier tiers. Lui qui semblait chercher un juste dosage entre l’espionnage, l’action et l’humour, il manquait le coche de peu mais ce n’est visiblement pas le cas de sa suite donc. Car il est ici finalement ce juste dosage que recherchait M:I4 ! Plus mesuré dans l’humour (mais qui reste néanmoins présent), ce film-ci apporte également un bel équilibre en matière d’action, réduisant au minimum syndical les grandes scènes d’action réellement spectaculaires, ce qui colle à l’idée de départ. Elles sont deux finalement : le décollage sur l’aile de l’avion et la séquence d’apnée. A la rigueur ajoutera-t-on à cette courte liste la course-poursuite en moto au Maroc. Dans tous les cas, la juste mesure dans l’emploi de ces passages-clé et surtout dans leur récurrence contribue à finir de poser cette atmosphère générale. Et comme si le fait de s’insérer correctement dans cette optique ne suffisait pas, elles sont par ailleurs très réussies bien que pas totalement exemptes de défauts. De mon point de vue, Hunt aurait dû mourir deux fois au Maroc (en voiture après les tonneaux puis suite à l’accident de moto) mais je chipote un peu et ce sont là les seuls vrais bémols de cet épisode dont on retiendra de toutes façons bien plus volontiers toute la maîtrise dans le spectaculaire ainsi que son intrigue principale.
Une intrigue servie non seulement par ses qualités propres, des tenants et aboutissants relativement forts et somme toute particulièrement prenant mais également par un scénario construit sur du béton dans l’ensemble. Cela vaut tant pour l’ambiance qu’il instille que pour son déroulé à la mécanique presque parfaite et son histoire tenue avec brio. L’absence de précipitation que je mentionnais plus haut va ainsi dans ce sens et sert admirablement la chose, donnant un film qui fait montre d’une belle intelligence, ou tout du moins d’une finesse dans son aptitude à mêler plein de choses, anciennes et récentes, proches ou non qui font de Rogue Nation un beau résultat et un film d’espionnage haletant. On lui trouvera d’ailleurs un petit côté 007 avec le Syndicat, quasi homologue du SPECTRE qu’affronte James Bond dans un certain nombre de ses missions. D’ailleurs, Spectre (dernier film James Bond en date) est sorti la même année, comme si la mode revenait aux organisations criminelles de l’ombre. Mais il ne faut pas nier que cela évoque aussi et surtout les racines les plus profondes de Mission: Impossible, la série originelle des années 1960 ayant déjà instauré une organisation du même type portant l’exact même nom (la série 20 Ans Après, plus remake que suite comme on le disait dans l’article sur le premier film, la fera également apparaître).
Le Syndicat devient par ailleurs très vite un excellent prétexte pour servir cet « esprit M:I » remis à neuf car il s’offre le luxe de se poser à la croisée des chemins entre le vieux schéma so 60’s des fameux groupes criminels secrets et sa version plus moderne remise en avant au cinéma et à la télévision depuis la moitié des années 2000 environ. De ce fait, le Syndicat s’inscrit dans la logique qui est visiblement celle de McQuarrie sur l’ensemble du film avec cette idée de mêler influences modernes et plus anciennes pour redonner toute sa saveur à la fibre espionnage de Mission: Impossible. Il est seulement un peu dommage cela dit que le grand méchant de l’histoire n’apparaisse pas ici un peu plus éclatant. Un constat qui vaut justement aussi pour Spectre la même année, continuant ainsi la longue tradition d’échos involontaires que se sont toujours faits les deux licences.
Mais s’il y a quelque chose qui me ravit aussi dans Rogue Nation, c’est certainement la place accordée à la figure féminine dans ce film. Enfin, elle a été repensée ! Il aura fallu 17 ans à cette licence pour y arriver mais c’est enfin chose faite : la femme n’est plus seulement un sidekick séduisant. Paula Patton et son personnage de Carter avaient déjà entamé le processus de mue tant attendu mais c’est clairement Rebecca Ferguson et sa Ilsa Faust qui portent l’idée jusqu’au bout (ou presque). Aussi désexualisée que possible, cette femme n’est pas là pour jouer de ses charmes afin d’obtenir ce qu’elle veut. Elle tue, elle se bat, elle se fait la malle à toute blinde en moto… Et surtout, elle n’est ni gentille, ni méchante, effaçant tout le manichéisme qui est souvent le lot des femmes dans les films de cette série. Ceci, on le doit je pense aussi à l’influence du film noir (encore, oui) qui pèse sur Rogue Nation.
Ilsa Faust va alors se dresser en travers du chemin du héros dans la presque pure tradition du personnage de la femme fatale, emblématique du genre. Sauf que McQuarrie et son scénariste Drew Pierce gomment globalement tout ce qui relève de la féminisation à outrance de cet archétype et préfèrent se concentrer sur ce qui touche à l’ambivalence inhérente à la femme fatale, manipulatrice et souvent traîtresse. Alors oui, il y a bien la scène où on la voit en bikini ou bien en train de se changer, mais c’est si peu de chose, si anecdotique au regard du personnage dans sa globalité qu’au final, on passe outre et l’on préfère garder en tête le traitement dont elle fait l’objet : Ilsa Faust n’en devient alors que plus forte et intéressante, ce que l’interprétation de Rebecca Ferguson ne manque pas de renforcer. La comédienne semble avoir saisi pourquoi elle est là. Pas pour séduire ou jouer de ses atouts comme d’autres ont pu le faire avant elle dans les précédents Mission: Impossible mais bien pour livrer un personnage dont la complexité intrinsèque vaut bien plus qu’une potentielle sexualisation inappropriée, peut-être pas à 100 % effacée donc mais si réduite que ça en reste louable.
A ses côtés, que dire ? Que Tom Cruise est toujours au niveau ? Cela semble clair, l’acteur donnant dans Rogue Nation une interprétation d’Ethan Hunt qui colle à ce qu’il cherche à travailler depuis Mission: Impossible III. Je ne m’éterniserai donc pas sur son cas et vais simplement me contenter de dire que c’est toujours aussi plaisant, tout comme ça l’est toujours de voir Simon Pegg en Benji. Mais d’ailleurs, en ce qui le concerne, ça l’est peut-être même un peu plus grâce au traitement apporté à la juste mesure de l’humour dans ce nouveau chapitre.
Car si c’était évidemment cool de voir Pegg apporter ce supplément dans Protocole Fantôme, il n’en demeure pas moins que la chose tendait à s’essouffler à la longue. Ce n’est donc pas le cas ici, le scénario insérant avec bien plus de justesse les séquences ou simples répliques humoristiques, les rendant ainsi d’autant plus appréciables. Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est qu’en maîtrisant mieux ce pan là du personnage sans pour autant réduire son temps à l’écran, cela donne l’occasion à Simon Pegg de le développer un peu plus, d’y apporter autre chose que tout ce côté « humour britannique » qu’on semble être venus chercher sous l’égide de J.J. Abrams à l’époque. Et Pegg de s’en rendre compte et d’arriver à pousser son Benji un tout petit peu plus loin encore, en faisant un personnage secondaire désormais essentiel auprès d’Ethan Hunt, au moins de la même importance que Luther Stickell (Ving Rhames), pour lequel l’ancienneté accompagnera et renforcera toujours l’affection que le public lui porte.
A ce stade, il ne me reste plus qu’à évoquer, histoire de conclure tout de même, quelques cas sur lesquels je passerai aussi brièvement que possible. Le premier est celui de Jeremy Renner. A l’image de son personnage, l’acteur semble beaucoup plus effacé ici qu’il ne l’était dans Protocole Fantôme, où il faisait donc sa première apparition dans le rôle de l’agent Brandt. Lorsque l’on parlait de M:I4 justement, j’évoquais l’idée que Brandt pouvait être un personnage proposé pour amener un éventuel remplaçant à Hunt et, par extension, à Tom Cruise. Loin d’être indispensable à l’intrigue, il semblait n’être là que pour ça. Or, Hunt/Cruise étant de retour et vraisemblablement pour un petit moment (même à l’époque et l’on a appris récemment que deux nouveaux films sont prévus pour 2021 et 2022), quel besoin de lui préparer un remplaçant ? Ainsi Brandt s’efface et Renner avec lui, le comédien livrant un strict minimum dans son interprétation.
Concernant Alec Baldwin, c’est toujours un plaisir de le voir mais j’avoue avoir un goût particulier pour sa façon d’incarner des gars forts en gueule comme peut l’être le directeur Hunley ici. Aussi drôle qu’il puisse être, Alec Baldwin reste un excellent acteur de manière générale et rate rarement une occasion de s’imposer dans un rôle plus sérieux, comme ici.
Un mot enfin sur Sean Harris, qui campe donc le grand méchant de cette histoire. Je disais plus haut que je regrettais le manque d’éclat dont son personnage souffre dans Rogue Nation et je crois que l’acteur en pâtit au final autant que lui. Livrant pourtant une partition correcte (il s’en sort notamment mieux que Michael Niyqvist dans Protocole Fantôme), l’acteur n’arrive pas à imposer son personnage de manière ferme et concrète. Il faudra pour cela attendre Fallout mais on en parlera le mois prochain.
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On y est presque ! Déjà 5 films sont passés à la moulinette de cette rétrospective Mission: Impossible. Et c’est avec celui que je considère comme mon favori que je vais maintenant vous laisser jusqu’à la conclusion de ce gros dossier le mois prochain. A mon sens, Rogue Nation réussit à offrir le parfait mélange dont Mission: Impossible pouvait avoir besoin. Influencé par l’histoire de la licence (les films comme la série originale), il se drape d’un esprit remis au goût du jour par l’apport d’autres richesses venues des inspirations propres à Christopher McQuarrie. Ce dernier, en puisant dans ses références les plus fortes, compose alors un film fort et dense, divertissant et prenant mais aussi et surtout emprunt d’une cinéphilie assumée et très intelligemment utilisée. Si l’on doit comparer avec le reste des films jusqu’alors sortis, et de mon seul point de vue, M:I5 est finalement celui qui se rapproche le plus du premier film dans sa tonalité tout en réussissant à prendre pour lui le meilleur des idées des troisième et quatrième volets. Tout cela mène à la réponse que McQuarrie donne à la volonté de nouveau souffle que réclamait la licence et à laquelle Brad Bird essayait déjà d’apporter des éléments.
Pour la suite de la rétrospective, je vous donne rendez-vous le 20 Février pour évoquer Mission: Impossible – Fallout et conclure ce vaste dossier !
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