[Rétrospective] « Mission : Impossible – Protocole Fantôme », Brad Bird, 2011

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Mission: Impossible – Protocole Fantôme, film d’espionnage de Brad Bird. Avec Tom Cruise, Paula Patton, Simon Pegg, Jeremy Renner…

Le pitch : Au cours d’une mission à Budapest, un agent de la Force Mission Impossible est assassiné par une tueuse à gages : Sabine Moreau (L. Seydoux), laquelle s’empare de codes nucléaires. L’agence secrète orchestre alors l’évasion d’Ethan Hunt (T. Cruise), prisonnier en Russie suite à d’obscurs événements, afin qu’il mette sur pied une équipe en vue de récupérer les codes, vraisemblablement en route pour être remis au terroriste répondant au surnom de Cobalt. Mais un attentat perpétré au cours d’une mission au sein du Kremlin remet toute l’agence en question et lui impose d’activer le protocole fantôme : Hunt et son équipe n’ont alors plus aucun soutien et doivent accomplir leur mission seuls.

La critique : Le mois dernier, nous avons vu comment J.J. Abrams avait réussi à sauver une licence bien mal en point. Malgré des débuts prometteurs dus à l’excellence de Brian De Palma, Mission: Impossible s’était empêtrée dans un grand n’importe quoi avec John Woo et il fallut bien l’audace du créateur d’Alias et Lost pour relancer la machine. La chose a d’ailleurs été faite avec un talent certain qui fut en tous cas suffisant pour attendre avec hâte la suite des événements, cinq ans plus tard.

Le succès aidant, et bien que ce dernier ait plus été critique que financier, on aurait pu croire que J.J. Abrams allait reprendre son poste derrière la caméra pour ce quatrième volet de la saga. Que nenni cependant car, fort de cette réussite mais aussi de celle de ses séries Alias et Lost, le réalisateur a été approché pour un autre projet d’envergure : relancer Star Trek sur grand écran, ce qu’il fera avec ce qui sera le premier épisode d’une trilogie sorti en 2009 et dont on connait là aussi le succès. Deux ans plus tard, il sort également un film plus personnel, largement imprégné de ses propres références et de son amour pour le cinéma : Super 8, lequel arrive dans les salles obscures en 2011, la même année que Protocole Fantôme. Abrams reste cependant dans l’ombre de la licence d’espionnage puisqu’il continue d’officier comme producteur, sa société Bad Robot étant devenue un gros pilier de la production sur Mission: Impossible. Qui alors pour lui succéder à la réalisation ? La réponse fut apportée en 2010 avec l’annonce de Brad Bird, ce qui n’a pas manqué de piquer la curiosité à l’époque. Bird est en effet alors principalement connu pour avoir travaillé dans le monde de l’animation, au sein duquel il a commencé à évoluer en réalisant plusieurs épisodes des Simpsons, puis en offrant aux enfants de 1999 un film devenu culte : Le Géant de Fer. Non content de marquer la fin des années 1990 avec ce chef-d’oeuvre, Brad Bird a également rejoint les rangs de Pixar pour réaliser Les Indestructibles en 2004 puis Ratatouille en 2007. Voir arriver cet homme, certes plein de talent, derrière la caméra pour diriger un nouvel opus de Mission: Impossible avait donc de quoi désarçonner.

André Nemec (gauche) et Josh Appelbaum (droite) sont les deux nouveaux scénaristes de cette suite.

J.J. Abrams n’est donc plus réalisateur mais son ombre continue toutefois de planer sur la licence puisque ce sont deux proches de ce dernier qui vont officier à la scénarisation de Protocole Fantôme : Josh Appelbaum et André Nemec, tous deux ayant auparavant écrit et produit différents épisodes d’Alias. On retrouve la même idée quand on regarde qui compose la musique de cette nouvelle aventure : revenu de l’équipe de Mission: Impossible III, le très bon Michael Giacchino est à nouveau en charge de la bande originale, lui qui a notamment collaboré avec Abrams sur Lost et Alias et qui le retrouvera sur Star Trek et ses suites ainsi que Super 8 avant de devenir un des compositeurs les plus en vue d’Hollywood aujourd’hui. Mais il convient de noter que Giacchino est également un collaborateur de Bird puisque les deux hommes ont travaillé ensemble sur Les Indestructibles et Ratatouille. Bref, si je vous dit cela, ce n’est pas tant pour vous faire une énumération vaine du travail de chacun mais plutôt pour souligner qu’il y a comme une idée sous-jacente dans ce projet : réunir une équipe, ce qui se trouve être fort à propos quand on développe un Mission: Impossible. Sous la supervision d’un Tom Cruise toujours grand maître d’œuvre, ce sont des gens qui se connaissent déjà très bien qui se réunissent pour plancher sur la suite à donner à un Mission: Impossible III qui demande encore, aussi bon ait-il pu être, à pleinement s’accomplir en étant le support sur lequel baser une suite conséquente. Autrement dit : Protocole Fantôme doit être le prolongement encore plus abouti du troisième épisode mené par Abrams et ce dernier tâche, en sa qualité de producteur, de rassembler des talents sûrs, quitte à faire appel à un réalisateur que le monde du cinéma d’action et du cinéma en live action de manière générale ignorent encore.

Brad Bird, en compagnie de Tom Cruise et Jeremy Renner, sur le tournage de M:I4.

Et le moins que l’on puisse dire c’est que cette association de types qui se connaissent déjà bien n’a pu que porter de très beaux fruits. Autant vous le dire tout de suite : à l’époque, Protocole Fantôme s’est immédiatement imposé comme mon Mission: Impossible favori, celui que je trouvais le mieux foutu, le plus équilibré, le plus beau à regarder aussi… Et s’il a depuis été détrôné (nous verrons par lequel dans les semaines à venir !), je continue de lui trouver d’immenses qualité qui en font un des meilleurs opus de la série, devant même l’originel Mission: Impossible de De Palma.
Je vais bien évidemment tâcher de développer autant que possible mon propos mais commençons par dire que je trouve encore aujourd’hui que ce quatrième film s’insère idéalement dans la lignée du précédent. En fait, j’irais même jusqu’à dire que c’est Mission: Impossible III mais en mieux et à quelques nuances près, dont le fait que cet épisode s’en distingue par une approche, notamment cinématographique et cinéphile, différente. Protocole Fantôme se veut ainsi à mon sens bien moins référencé que M:I3. Souvenez-vous, nous avions souligné le mois dernier les échos faits à Hitchcock en particulier dans le film d’Abrams. Je ne retrouve pas spécialement ce genre de choses dans M:I4 mais sans doute est-ce lié au fait que ce film arrive à suffisamment se montrer fin pour ne pas avoir à renvoyer aux influences de son réalisateur ou de ses scénaristes.
Mais il n’en demeure cependant pas moins que Brad Bird reprend et applique ici les idées principales et, de manière générale, la recette de J.J. Abrams, en particulier sur la question de l’équilibre à apporter dans le propos et le ton global du film. Le réalisateur des Indestructibles y ajoute toutefois une sorte de maîtrise supplémentaire, une technique excellente et indéniable qui contribuent amplement à apporter ce fameux second souffle qui se trouvait finalement vite court sur M:I3. Et, déjà, on arrive à ce point où effectivement, M:I4 devient le film qui tire opportunément profit du tremplin que constitue avec le recul le troisième volet pour conduire la licence vers de nouveaux sommets, comme je l’évoquais plus haut. La question demeure alors de savoir comment.

Protocole Fantôme vise à allier sens du grand spectacle et art de la mise en scène.

Cela va essentiellement passer, comme je le mentionnais, par la réutilisation des codes employés par J.J. Abrams dans M:I3. Nous parlions à ce sujet de la volonté qui émanait de ce précédent film de revenir aux bases de la licence, d’en saisir de nouveaux les piliers fondateurs tout en les tordant un petit peu pour en offrir une nouvelle version mais sans les dénaturer comme a pu le faire Woo en 2000. Brad Bird s’emploie alors avec Protocole Fantôme à réaliser le même travail, construit sur les mêmes idées directrices.

La scène de la poursuite dans la tempête de sable rappelle qu’on peut créer une intensité dans l’action tout en étant dans la retenue.

C’est ainsi qu’à l’instar de Mission: Impossible III, ce film-ci va tâcher de proposer un équilibre aussi parfait que possible entre l’action et l’espionnage, l’un ne devant pas trop empiéter sur l’autre, au risque de créer un film qui ne s’imprègnerait pas suffisamment de l’esprit de la série. Fort heureusement, Protocole Fantôme s’offre le luxe de maîtriser cet équilibre mieux encore que ne le faisait son prédécesseur. En un peu plus de deux heures, le scénario tâche d’alterner les scènes dans ces deux registres, aussi distincts que complémentaires dans le cadre de cette licence. C’est ainsi qu’à la scène de traque en ouverture, qui brille plus par son ambiance que son action, succède celle mémorable de l’évasion de Hunt. Parallèlement, l’infiltration au Kremlin (espionnage) précède l’évasion de Hunt (action) qui précède elle-même le classique briefing en équipe (espionnage). Le film va ainsi constamment jongler entre action et espionnage ou, pour préciser un peu mieux ma pensée, entre séquences où l’ambiance feutrée prime et d’autres où c’est au contraire le dynamisme qui prévaudra. Notons cependant que les deux se mêlent régulièrement comme c’est le cas avec la fameuse séquence du Burj Khalifa de Dubaï, caution « grand spectacle » de ce quatrième épisode. Répondant à la lettre à ce qui semble être devenu le cahier des charges officiel de la licence, ce passage, de l’arrivée de l’équipe dans la tour à la fin de la tempête de sable, semble finalement synthétiser tout ce que Protocole Fantôme tâche de faire, le point-clé étant la coexistence des différents registres dans lesquels évoluent le film et la série dont il dépend. Tout ce qui se déroule à Dubaï se fait alors dans une très bonne association de tons, laquelle est révélatrice d’une écriture de qualité de la part de Nemec et Appelbaum. La succession de l’escalade de la tour puis de cette organisation en parallèle des deux rencontres mises en place en urgence se fait alors dans une fluidité exemplaire et sans que quoi que ce soit dénote trop par rapport à autre chose. C’est au final l’un des points forts de Protocole Fantôme que cette capacité à passer d’une ambiance à l’autre, d’un rythme à l’autre également, le tout en un claquement de doigts mais avec un naturel bienvenu.

M:I4 profite de nombreuses respirations qui ne gâchent en rien le dynamisme général du film.

Ajoutons à cela que Brad Bird a beau se caler sur la cadence de son prédécesseur, il ne manque toutefois pas d’apporter sa propre vision au film en ajoutant notamment une dose d’humour loin d’être maladroite. L’humour d’ailleurs a toujours été un tant soit peu présent dans la licence mais à différents degrés. Caustique dans le premier volet, il devenait balourd dans sa suite (je ne me suis toujours pas remis des « gags » tournant autour du style de Luther…), pour finalement un peu plus s’effacer dans M:I3. Sans être absent pour autant, il se faisait plus discret afin de laisser de plus grandes possibilités au retour de la saga sur les rails qui sont les siens par nature. Bird quant à lui n’hésite pas à faire preuve d’une certaine drôlerie dans son propre épisode de Mission: Impossible en s’amusant en particulier de certains points classiques de la série. Ainsi en va-t-il du message de présentation de mission qui ne s’autodétruit pas correctement, Hunt devant taper sur la machine pour que la chose se produise ; du protocole de sécurité du wagon dans lequel se cache une base mobile de la Force Mission Impossible qui devient plus contraignant que pratique ; le gant magnétique et la « machine à masques » qui fonctionnent par intermittences lors de l’opération de Dubaï…
Notons en passant que le personnage de Benji Dunn, campé par un irrésistible Simon Pegg, contribue pour beaucoup à ce pan du film, les traits qui lui ont été établis dans l’opus précédent étant ici largement grossis pour participer à cet élan humoristique général. Bird s’inscrit alors dans une optique de déconstruction du mythe assez amusante et qui se paie en plus le luxe d’être bien amenée. Cela fait d’ailleurs suite un autre mythe un peu détricoté dans M:I3, celui du héros infaillible que M:I2 avait quant à lui très largement contribué à entretenir. A mon sens, le cinéaste poursuit un peu ici le travail qu’il avait alors déjà entamé avec Les Indestructibles, où c’était cet autre mythe si américain du super-héros auquel rien ne résiste qui était passé en revue, là encore avec un humour aussi fin que délicat. On se demandera tout de même si ce n’est pas parfois un peu trop dans le cas de Protocole Fantôme, certains dialogues à visée purement comique rendant quelques menus passages un peu plus longs qu’ils n’auraient dû l’être, quitte à frôler le bouche-trou. Je pense notamment au passage où l’agent Brandt échange avec Benji justement sur la dangerosité ou non de se jeter au-dessus d’une espèce de turbine géante malgré son équipement de sécurité.

Benji Dunn apporte un petit vent de fraicheur sur la licence.

Cette approche laissant donc une plus large place à l’humour témoigne en tous cas d’une volonté de trouver le juste dosage entre le sérieux inhérent à Mission: Impossible et une volonté de dédramatisation qui oriente alors la saga vers un registre plus tourné dans le sens du divertissement grand public, avec ses bons et ses mauvais côtés. En puisant son eau dans différents puits, Protocole Fantôme tâche de créer ce mélange et le fait encore une fois plutôt bien car, sans oublier ses racines fondamentales, ce M:I4 va offrir grâce à son humour notamment des respirations agréables, régulières et (autant que possible) bien insérées dans le tout. Je dis bien « autant que possible » car cet équilibre que l’on tente de construire et consolider dans la première moitié ou les deux premiers tiers du film, voilà qu’il peine un peu à tenir la route dans la dernière ligne droite. C’est sans doute le principal défaut de cet épisode, son incapacité à maintenir cette approche de A à Z. En l’occurrence, l’humour devient trop présent.

Dès l’Inde, Protocole Fantôme devient presque longuet.

Mais il convient de toute façon de nuancer l’idée qui consisterait à dire que M:I4 est intégralement réussi sur le plan de l’écriture. En effet, à mesure que l’histoire avance, on ne peut qu’observer que cet équilibre commence à perdre pied à partir d’un certain point. En fait, l’on pourrait même dire qu’après les événements de Dubaï, Protocole Fantôme entre dans une deuxième phase où le scénario penche de plus en plus en faveur de l’action, au détriment des aspects les plus liés au genre espionnage. Il essaie pourtant de garder cette veine active jusqu’au terme du film mais il le fait en réalité beaucoup plus maladroitement qu’avant. Ainsi, cette rencontre improvisée entre Hunt et un indicateur n’arrivera pas à recréer cette ambiance qui se perd alors, tout comme la séquence chez le magnat indien à Bombay tente avec maladresse de renouer avec ce penchant-ci de la licence. C’est dommage parce qu’avec ce juste dosage qu’il semblait être prêt à nous proposer jusqu’à la fin, M:I4 ressemblait à s’y méprendre au Mission: Impossible parfait, ce sur quoi je reviendrai un peu après. Malheureusement, la deuxième moitié du film et plus précisément encore son dernier tiers, se veulent décidément plus faibles que le reste, ce qui pousse Protocole Fantôme à rompre bien involontairement avec cette promesse. Et s’il demeure toutefois divertissant, tenant en haleine jusqu’au bout, on regrette qu’il ne porte pas les postulats de départ aussi loin qu’on l’aurait souhaité.

L’agent Carter a plus d’une fois l’occasion de prouver qu’elle aussi peut être badass !

Ce tout dernier constat, il vaut d’ailleurs également (et en complément de ce que je disais) pour le seul personnage de l’agent Jane Carter, incarnée par Paula Patton. Carter, c’est un peu une « James Bond Girl » qui se voudrait plus moderne que ce stéréotype et qui s’émanciperait alors de ce triste carcan de faire-valoir féminin que même les plus récentes « girls » de 007 n’arrivent pas à dépasser. Je me permets une petite digression mais c’est d’ailleurs sans doute un des rares gros échecs du reboot de la licence depuis Casino Royale : ne pas avoir réussi à replacer les femmes dans un autre statut que celui de séductrice ou de séduite malgré quelques atours d’action woman assez peu finement dessinés. Tant Vesper dans Casino Royale que Camille dans Quantum of Solace ou Madeleine dans Spectre n’arrivent en aucun cas à reformuler ce personnage-clé. La palme revient néanmoins dans le pourtant très réussi Skyfall à Séverine, parfaitement inutile, et à Eve, promesse d’une agente de terrain forte qui se dissoudra finalement pour devenir la nouvelle Miss Moneypenny. Enfin bref, si je dis cela, c’est parce que je trouve l’idée intéressante de voir au contraire Mission: Impossible essayer d’imposer un autre type de personnage secondaire féminin phare dans ce type de films. Et Carter se voulait être une belle proposition de ce point de vue, le personnage étant mis d’entrée de jeu sur un pied d’égalité avec celui de Hunt. Pourquoi ? Parce que les deux sont doués dans leur travail mais ont également des fêlures liées à leurs parcours personnels, ce qui ne les empêche pas d’être des personnages costauds et droits dans leurs bottes.
Reste qu’à l’instar du film dans son ensemble, ce point-ci dévisse dans le dernier tiers. Alors que Carter avait su nous prouver quelle force elle pouvait recéler, notamment dans son affrontement avec Sabine Moreau à Dubaï, voilà qu’une fois en Inde, elle n’est plus que la femme fatale dont la beauté restera la meilleure arme. Vêtue d’une robe ô combien chatoyante, ses atouts ne sont plus que physiques pour séduire la cible de l’équipe et lui soutirer les informations recherchées. Carter joue alors à la belle plante et c’est un bien triste spectacle de voir cette femme pleine d’allant se retrouver réduite à ce pauvre rôle. En soi, le fait de jouer de ses charmes n’est pas une idée que je récuse en totalité mais il aurait fallu que cela soit bien fait, contre-balancé pendant et après le moment où ceci se met en œuvre par le rappel constant de la véritable teneur du personnage. On me dira que c’est bien un peu le cas une fois dans la chambre dudit magnat mais je trouve cela très insuffisant. Et, hélas, cette « opération séduction » restera le dernier fait d’arme notable de l’agent Carter.

Dommage.

Pour en revenir maintenant à cet équilibre qui se perd, ce sera finalement au public de voir ce qu’il attend du film et, plus particulièrement, d’un Mission: Impossible après toutes ces années. Si votre préférence va à l’épisode initial et à son atmosphère feutrée, Protocole Fantôme vous séduira sans doute jusqu’à une certaine limite. Si c’est l’action décomplexée et outrancière du 2 qui vous fait envie, le film vous frustrera peut-être un tantinet dans sa façon d’être plus mesuré, à l’image de son prédécesseur dont il se rapproche beaucoup. A voir donc selon vos attentes et vos envies mais je ne m’ôte pas de la tête l’idée que ce M:I4 s’apparente à la recherche (difficile) du Mission: Impossible parfait. Car s’il tisse des liens nets et forts avec M:I3, il n’en demeure pas moins très proche également du film de Brian De Palma, à qui il emprunte une certaine aisance dans les instants de construction d’ambiance. Protocole Fantôme est finalement un assez juste dosage entre action et espionnage d’une part mais aussi sérieux et humour d’autre part, empruntant aux trois précédents films (même si l’influence du 2 reste plus que mineure) leurs atouts et leurs idées afin de les faire siens et de les remodeler pour en offrir un résultat qui soit une synthèse générale satisfaisante. M:I4 est, sur le papier, un mélange entre M:I1 et M:I3 où les qualités de l’un contrebalancent les défauts de l’autre. Brad Bird tâche de dresser sur une toile vierge une sorte d’immense patchwork faits des essais concluants ou non de ces deux films, ne manquant ainsi pas de finir de les installer comme des références, tout en gommant les aspérités les moins gracieuses. Qu’il le fasse avec excellence, c’est encore autre chose et l’on pourra difficilement affirmer avec la plus grande conviction que c’est le cas, mais l’intention est d’autant plus louable qu’elle produit globalement les effets escomptés.

Cette scène ramène idéalement Mission: Impossible dans son esprit d’origine, avec cette idée de menace de plus en plus proche.

Le scénario pris dans son ensemble rentre d’ailleurs dans cette vision des choses. Appelbaum et Nemec se sont ainsi donné pour mission de livrer un récit qui se fasse à l’image des intentions formulées en amont : respect de l’héritage acquis ; nouvelles propositions ; et d’un point de vue strictement narratif, quelque chose qui soit intéressant, divertissant et palpitant. Et globalement, le travail est fait, difficile de le nier. Ainsi, ce Mission: Impossible – Protocole Fantôme se veut malgré tout très plaisant à suivre. Proposant une tension constante avec finalement assez peu de temps morts en dehors des respirations humoristiques que j’évoquais juste avant, ce film fait preuve à mon sens d’un vrai beau sens du rythme grâce à la mécanique dont je parlais précédemment et qui permet donc pour résumer une sorte d’oscillation générale où, entre les pics d’intensité, s’intercalent des instants un peu plus posés permettant d’éviter l’overdose. Le scénario de Protocole Fantôme réussit de cette manière à freiner le jeu lorsque cela s’avère nécessaire tout en étant parfaitement apte à relancer la machine au moment le plus judicieux, c’est-à-dire juste avant que les choses ne deviennent trop lassantes. Le tout opère alors avec une fluidité indéniable et efficace car cette relance est toujours faite d’une manière filée en quelque sorte. C’est le cas notamment au début du film lors de cette scène en voiture où Hunt apprend que le protocole fantôme éponyme est officiellement lancé. Au cours de ce passage, la tension progresse de manière visible mais néanmoins en respectant une certaine mesure, comme une succession de battements réguliers où chacun se veut un peu plus fort que le précédent, jusqu’à l’arrivée d’une péripétie qui se présente en pinacle de cette progression. Et ce schéma, Protocole Fantôme réussit (presque, on va le voir) à l’employer sur toute sa durée sans pour autant couper court à ses effets par un jeu d’épuisement.

Aussi sympathique puisse-t-elle être, la bataille finale n’est que la dernière d’une série de péripéties dont la saveur réside plus dans le rythme que dans l’intérêt.

Ceci étant dit, on ne criera donc pas au génie absolu devant le scénario de cet épisode. Car s’il est très agréable à suivre dans son ensemble, il n’est pas non plus le plus impressionnant qui soit. Brillant donc plus par son rythme que par son histoire, cette dernière s’inscrit elle aussi dans cette rétrogradation qui arrive suite aux événements de Dubaï, les péripéties proposées alors ne ressemblant plus qu’à une succession de moyens mis en place pour conclure le récit. C’est évidemment une idée logique mais son exécution est un peu maladroite. Là où M:I4 avait jusqu’ici réussi à filer ses événements avec cette fluidité que je mentionnais, voilà qu’il semble désormais les poser les uns après les autres comme de gros blocs bruts empilés pour conduire l’histoire à son terme. Tant et si bien que la chose passe au second plan en termes d’intérêt et conduit presque le spectateur à perdre un peu le fil. C’est d’autant plus dommage que M:I4, malgré le grand plaisir que j’ai encore et toujours à le regarder, ne brillait pas spécialement pour le fond de son propos. Là où M:I3 et même M:I1 avaient plus ou moins finement glissé un sous-texte dans leurs récits, Protocole Fantôme ne fascine pas spécialement pour ce dernier puisqu’il n’existe tout simplement pas. Cette histoire de terroriste volant des codes nucléaires et interférant dans des missions secrètes qui visent à le neutraliser, c’est quelque chose que l’on a déjà vu énormément de fois. Hélas, Bird, Appelbaum et Nemec n’essaient pas particulièrement d’en faire quelque chose de plus consistant et se « contentent » d’en faire la base sur laquelle construire leur film, le prétexte dirons-nous. Cela donne alors lieu en particulier à un méchant anecdotique et même un peu banal, tant au regard de la licence que du cinéma dans son ensemble, ce qui est excessivement dommage pour Michael Nyqvist qui méritait tellement mieux. Des défauts donc, il y en a dans Protocole Fantôme et il serait difficile de ne pas en parler tant ils deviennent visibles à mesure que la fin du film approche. Fort heureusement, le tout est sauvé par tout le boulot abattu auparavant en matière de rythme et de dynamisme. M:I4 fait au final partie de ces rares films d’action qui arrivent à se satisfaire d’un récit relativement classique grâce à la façon dont celui-ci est présenté. Que la forme prenne ainsi le pas sur le fond en rebutera sans doute certains mais le fait est qu’ici, ça marche.

Pas exceptionnelle sur le fond, cette ultiùme course-poursuite a néanmoins le mérite de maintenir l’attention à l’approche d’un final en-deçà du niveau global du film.

Il faut dire aussi que la mise en scène de Brad Bird est tout simplement excellente. Le réalisateur nous y avait habitués avec ses différents long-métrages d’animation et voilà qu’il récidive avec son premier saut dans le live action. Et « action » d’ailleurs, c’est le mot. Car histoire d’accompagner le dynamisme du scénario, son rythme emballé et emballant, Bird a su composer une mise en scène qui se fait l’écho de ce pan-là du récit. C’est ainsi qu’au cours des presque 2h15 que dure M:I4, l’on assiste à une succession de scènes et de plans filmés avec un véritable doigté et apportant tous les correctifs qu’il aurait été judicieux d’appliquer sur la mise en scène de M:I3. En effet, Bird surpasse son Abrams de prédécesseur en réalisant un film bien plus lisible sur le plan visuel que ne l’était le précédent, en particulier lors des scènes d’action pure et dure et de poursuites, où la shaky cam de J.J. était parfois beaucoup trop prononcée. Ce défaut récurrent de nombre de films d’action de la deuxième moitié des années 2000 se révélait très visible et finalement assez lassant sur le long terme.
Bird lui, décide d’inscrire son épisode dans une autre mouvance, naissante alors et dont les tenants et aboutissants se concrétiseront dans Rogue Nation quatre ans plus tard, à savoir celle de films où la nécessaire et spectaculaire action n’impose pas forcément de faire preuve d’une espèce de nervosité exacerbée mais ouvre plutôt un champ de possibles où l’idée de montrer de belles choses fait son chemin. Il va bien entendu sans dire que la photographie de Robert Eltwist n’y est pas pour rien. Le directeur photo oscarisé pour son travail sur There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson prête en effet tout son immense savoir-faire (remarqué dans Magnolia en 1999, Michael Clayton en 2007 ou encore The Town en 2010) à une mise en scène qui ne demandait plus qu’à se parer des meilleurs atours visuels.

Robert Eltwist, voilà tout.

Brad Bird livre alors un film à grand spectacle léché où il ne se prive d’ailleurs pas d’insérer LA scène marquante. Et après la CIA ou le saut du haut de la tour à Shangaï, c’est évidemment l’ascension de la tour Burj Khalifa par l’extérieur qui joue ce rôle ici. L’ascension mais également la descente ensuite. Une scène d’anthologie évidemment, devenue culte, mais qui interroge tout de même sur la pertinence de ce type de séquences dans les Mission: Impossible.

De la nécessité d’épater.

Ce que je vais dire là ne vise en aucun cas à pointer du doigt ces scènes souvent époustouflantes, chacune à leur manière, mais en regardant de nouveau Protocole Fantôme, cette question m’est venue à l’esprit : ces passages sont devenus des indispensables de la licence mais le sont-ils réellement ? D’autant qu’au regard du ton général des films, relativement sérieux et peut-être pas réalistes mais pas trop loin de l’être non plus, ces séquences à (très) grand spectacle pourraient largement dénoter tant elles sont « grosses ». Et si la question me vient devant M:I4, ce n’est pas pour rien : l’exploit du Burj Khalifa franchit un nouveau palier dans la grandiloquence de ces passages. Je sais que certain(e)s critiquent parfois Mission: Impossible justement pour ce genre de choses et, aussi objectivement que possible, je crois que la saga pourrait s’en passer. « Pourrait », ai-je bien dit, mais mes goûts personnels font que je ne veux pas pour autant assister à la disparition de ces passages-clés. Peut-être essaiera-t-on de répondre à cette question en disant que tout ceci fait partie intégrante de l’identité de la série, forgée au fil des épisodes. Tant pis si l’on s’est éloignés de la teneur plus réaliste du premier film, ce sont désormais des moments attendus par les amateurs de Mission: Impossible. Et surtout, dans cet épisode bien précis (et un peu dans le 3), le passage concerné répond à cette volonté dont on parlait plus haut de désacraliser. Bird rompt donc un peu avec l’idée que « ce sont des agents Mission Impossible donc ils vont forcément y arriver ». Ce faisant, le cinéaste dresse des limites à ce type d’action hors normes (même si, oui, effectivement, ils y arrivent quand même). En l’occurrence, c’est sur le ton de l’humour toujours que la chose est faite avec des machines qui marchent mal, Hunt qui se rate plusieurs fois, etc… Il n’y a pas de véritable miracle et donc toujours un doute, léger.

Et puis, quand c’est bien fait, que dire ?

Je vais conclure avec la distribution mais, pour cette fois, je fais l’impasse sur Tom Cruise. Ce n’est pas que je n’ai rien à dire le concernant, ni même qu’il soit mauvais dans ce nouvel épisode, mais je crois n’avoir absolument rien à rajouter dans le cadre de ce film par rapport à ce que j’ai déjà pu dire à son sujet en évoquant Mission: Impossible III. Tout juste pourrais-je dire que dans l’optique de laisser une plus grande place à l’humour dans Protocole Fantôme, Cruise prend sa part face à Simon Pegg et conduit avec son partenaire des échanges souvent sources de sourires.

Je me dis presque qu’un acteur comme Simon Pegg était peut-être tout ce qui manquait encore à Mission: Impossible.

Pegg, d’ailleurs, est sans doute l’un de ceux sur lesquels il y a le plus à dire. Après un second rôle mineur dans le volet précédent, l’acteur britannique prend son envol, à l’image de son personnage devenu agent de terrain. Et l’un comme l’autre sont très intéressants car si le protagoniste Benji apporte tout ce que je mentionnais précédemment, Pegg quant à lui y adjoint sa nonchalance habituelle et permet donc à Benji de se réaliser pleinement et d’accomplir la tâche qui est attendue de lui sur le papier en sa qualité de personnage. Plus encore qu’un Luther, indispensable acolyte pourtant absent de M:I4, Benji devient alors grâce à l’interprétation de Pegg un véritable faire-valoir, cet archétype originellement littéraire qui vise à mettre le héros en valeur la plupart du temps en se mettant lui-même dans des situations drôles ou relativement humiliantes. C’était quelque chose dont nous avions d’ailleurs déjà parlé avec Ron Weasley dans le cadre de la rétrospective Harry Potter. Benji remplit à son tour ce rôle et il me semble que si ce n’était pas Simon Pegg qui l’incarnait, le résultat ne serait sans doute pas le même. Tout le flegme so British de l’acteur constitue une note fondamentale dans la mise en scène du personnage.

Mais la principale bonne surprise de ce film, c’est clairement Paula Patton. Malgré la façon dont son personnage de Carter est traité sur le long terme, la comédienne s’en titre honorablement. Révélée en 2006 par le Déjà-Vu de Tony Scott puis largement reconnue dans Precious en 2009, elle s’offre ici son premier véritable grand rôle. Incarnant une espionne expérimentée et déterminée, elle a tout le loisir de prouver quelle action woman elle peut être. Le mieux reste encore le fait de la voir accomplir cela avec un plaisir qui émane de quasiment toutes ses apparitions. Plus encore que bien d’autres acteurs et actrices passé(e)s par la case Mission: Impossible jusqu’alors, Paula Patton semble prendre son pied et cela ne fait que renforcer son personnage. C’est en revanche un peu moins le cas de Jeremy Renner, qui donne l’impression de faire tout ce qu’il peut pour lui aussi tirer son épingle du jeu dans ce quatuor de tête mais qui semble surtout empêtré dans la construction de son personnage. Car si Renner tâche de livrer une prestation somme toute de qualité, je trouve qu’il subit la façon dont l’agent Brandt est mis en scène. En fait, quand on y réfléchit, on ne peut pas s’empêcher de voir en Brandt une espèce de roue de secours potentielle, amenée ici pour introduire un éventuel remplaçant dans le cas où Cruise aurait voulu mettre un terme à ses apparitions en tant qu’Ethan Hunt. Etait-ce l’intention initiale ou non, je n’en sais rien pour tout vous dire mais le ressenti est bien là. Et en conséquence, voilà Renner plus occupé à fabriquer un éventuel remplaçant qu’à incarner proprement son personnage.

Excellente surprise que Paula Patton !

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Nous arrivons donc au terme de cette critique qui est au final bien plus longue que ce que j’aurais imaginé ! A ce stade de la rétrospective, Mission: Impossible – Protocole Fantôme s’impose en ce qui me concerne comme ce qui s’est fait de mieux jusqu’alors dans la licence. Habile sur bien des plans, ce quatrième épisode des aventures d’Ethan Hunt et de son équipe réussit à prendre le meilleur de toutes parts et à le mêler au cœur d’un film qui s’impose comme le plus divertissant du lot. Faisant preuve d’une maîtrise louable dans les grandes largeurs, il est simplement dommage que le film n’aille pas au bout de ses idées et perde un peu pied sur la fin. Sans cela, Brad Bird aurait pu prétendre avoir réalisé un chef-d’œuvre du cinéma d’action/espionnage moderne. Mais Protocole Fantôme n’en demeure pas moins un excellent moment vers lequel on reviendra toujours volontiers.
Concernant la suite des événements en ce qui nous concerne, cet article sera finalement le tout dernier de cette année 2018 ! Je m’accorde en effet une pause bien méritée (je trouve) de deux semaines à compter de ce soir, histoire de lâcher un peu la bride et de profiter de mes vacances. Des congés pendant lesquels je vais tout de même préparer mon retour en vous concoctant mes bilans de l’année en matière de cinéma et de jeux vidéo, que je publierai respectivement les 9 et 16 Janvier prochains ! Quant à la rétrospective Mission: Impossible, nous la reprendrons dans la foulée avec la critique de Rogue Nation le 23 Janvier, à laquelle succédera, une semaine plus tard, mon retour sur un Super Smash Bros. Ultimate que je compte bien poncer autant que possible pendant les fêtes !

Voilà pour le programme de Janvier. D’ici là, je vous souhaite à toutes et tous un très joyeux Noël et d’heureuses fêtes de fin d’année !

2 réflexions sur “[Rétrospective] « Mission : Impossible – Protocole Fantôme », Brad Bird, 2011

  1. Pingback: [Rétrospective] « Mission : Impossible – Rogue Nation , Christopher McQuarrie, 2015 | «Dans mon Eucalyptus perché

  2. Pingback: [Rétrospective] « Mission : Impossible – Fallout , Christopher McQuarrie, 2018 | «Dans mon Eucalyptus perché

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