On ne présente plus Jack White. Né John Anthony Gillis, le musicien a accédé depuis longtemps maintenant à une notoriété mondiale aux côtés de Meg White grâce aux illustres White Stripes qui ont largement contribué au revival de la scène garage dans les années 2000. Non content de cette réussite, White ne s’est pas assis sur ses lauriers et a également conquis bien des fans avec les Raconteurs à partir de 2006, les Dead Weather nés trois ans après mais aussi sa carrière solo à partir de 2012 et dont la dernière étape était Boarding House Reach, album sorti il y a près d’un an maintenant et que je vous chroniquais dans cet autre article. Tout ça, quiconque connaît un minimum Jack White le sait. Mais comme bon nombre de musiciens, le chanteur/guitariste a surtout commencé avant toute cette épopée par des petits groupes locaux où il a fait ses premières armes. Autant de formations dans lesquelles il a souvent fait des passages éclairs et qui sont aujourd’hui de vagues souvenirs dans l’ombre de la carrière qu’il s’est construite au cours des 20 dernières années.
Jack White : les origines
Local, quand on parle de Jack White, cela implique Detroit, dans le Michigan. Et Detroit, musicalement parlant, ce n’est pas rien. La Motown bien sûr est née là-bas, emblématique compagnie qui aura signé quelques grands noms parmi lesquels Michael Jackson, The Temptations, The Supremes, Diana Ross, Marvin Gaye ou Stevie Wonder, rien que ça. Et sur un plan plus rock’n’roll, Detroit est aussi le berceau de Bob Seger, Alice Cooper, MC5 ou encore les immenses Stooges d’Iggy Pop (qui viennent en vrai d’Ann Arbor mais bon, c’est à moins d’une heure de voiture de Detroit alors c’est tout comme…). Bref, en quelques mots comme en mille, le terreau musical est là, fertile et va conduire le jeune Jack White à s’initier progressivement au garage rock qui fera sa renommée (ce n’est pas banal d’ailleurs pour une ville connue pour son industrie automobile…).
Mais le goût pour la musique qu’a développé White ne vient pas que de cette forte scène locale. En réalité, il faut aussi prendre en compte le terreau familial du jeune garçon qu’il était alors. Très tôt, et dans le sillage de ses grands frères, celui qui s’appelait encore John s’intéresse après avoir écouté beaucoup de musique classique à deux genres bien précis qui sont le rock et le blues. Il s’initie ainsi dès l’école primaire à quelques groupes cultes comme Pink Floyd, The Doors ou encore Led Zeppelin, tout en s’intéressant à quelques artistes de la scène rock’n’roll et blues des années 1960 (sa scène de prédilection en tant qu’auditeur) avec une attention toute particulière pour les guitaristes Eddie « Son » House et Blind Willie McTell ainsi que les batteurs Gene Krupa, Stewart Copeland (batteur de The Police) et Crow Smith des Flat Duo Jets. De Son House d’ailleurs, White reprendra bien plus tard la chanson Death Letter, parue sur l’album De Stijl en 2000 et dont je vous recommande d’ailleurs chaudement la version entendue dans le concert à Blackpool.
Mais le petit John ne veut pas seulement écouter, il veut aussi jouer la musique qu’il aime. C’est pour cela qu’il récupérera régulièrement les instruments que ses grands frères abandonneront successivement, s’adonnant ainsi rapidement à la guitare mais aussi et surtout à la batterie qu’il commence à l’âge de 11 ans après avoir en avoir trouvé une dans le grenier familial.
En grandissant, White ne pense cependant pas immédiatement à une carrière musicale. Elevé dans une famille catholique par un père et une mère travaillant pour l’archidiocèse de Detroit et lui-même devenant enfant de chœur, il souhaite tout d’abord devenir prêtre. Accepté dans un séminaire du Wisconsin, comme il le raconte à Mike Wallace en 2005, il se rend cependant vite compte que cette vocation ne pourra aller de paire avec sa passion musicale. Il renonce donc à rentrer dans les ordres et va se tourner vers un métier qui n’a strictement rien à voir : la tapisserie.
Les débuts

La carte de visite de Third Man Upholstery. On notera que John Gillis a déjà adopté le nom de Jack White, ce qui nous situe tout cela vers 1996 (année de son mariage avec Meg).
Tapisser donc, voilà ce que va faire John Gillis au début de sa vie active. Enfin, « tapisser » n’est pas vraiment le mot le plus adéquat. Il cherche à devenir upholsterer, ce qui renvoie plutôt à de la réfection de mobilier et des textiles associés (vous n’aurez jamais autant appris de trucs, pas vrai ?). Le fait est en tous cas qu’il va donc commencer un apprentissage aux côtés de Brian Muldoon, un ami de la famille auprès duquel il sera initié à la musique punk d’ailleurs, amorçant donc un nouveau virage dans sa culture musicale. Fort de son apprentissage auprès de Muldoon, White monte Third Man Upholstery, sa propre entreprise dont le nom n’est évidemment pas sans évoquer Third Man Records, son label actuel. Notez qu’à l’époque, tous les signes distinctifs qui font la charte graphique de la maison de disque sont déjà là : ambiance bicolore jaune et noire, logo franchement similaire… A titre d’anecdote supplémentaire, le slogan de Third Man Upholstery était « Your furniture is not dead » (« Votre mobilier n’est pas mort »), ce qui n’est pas sans rappeler le mantra « punk’s not dead » et par conséquent sa découverte plus approfondie du genre à l’époque. Cependant, l’affaire ne tournera pas longtemps en raison de la façon bien personnelle qu’avait White de la gérer. Un relatif manque de professionnalisme lui est souvent reproché, tout comme son manque d’intérêt pour l’argent qui aura conduit les caisses de la boîte à connaître plus de bas que de hauts. Par ailleurs, certains clients apprécièrent peu le fait que le futur chanteur glisse des poèmes dans leurs meubles (ce que les gens peuvent être coincés des fois, je vous jure…).
Mais au fond, peu importe car même si rien n’est encore fait à l’époque, White n’a pas vraiment la tête à devenir leader mondial de la réfection de mobilier. La musique, elle, occupe bien au contraire une place toujours aussi importante et même tout simplement grandissante dans ses projets. Il ne manque en fait plus qu’une étincelle pour le pousser à avancer dans cette direction et c’est justement Brian Muldoon qui l’allumera en proposant à un Jack White âgé d’environ 15 ans (nous sommes aux alentours de 1990-95) de monter un duo qu’ils nommeront dans un premier temps Two-Part Resin (d’une sorte de résine employée notamment pour réparer des meubles justement) puis qui sera rebaptisé The Upholsterers (la signification devrait vous être évidente au point où on en est) au moment d’enregistrer un EP. Il s’agit de Makers of High Grade Suites, un trois pistes qui ne sera commercialisé de manière officielle qu’à partir des années 2000. Jouissant alors du succès des White Stripes et profitant de la création de son propre label, White déterrera cette première œuvre pour la mettre à disposition de son public. Ou plutôt, c’est avant tout Muldoon qui a ressorti cet EP du placard puisqu’en 2004, Third Man Records annonce que deux personnes ont chacune trouvé une édition du disque que l’ancien mentor tapissier de White avait caché dans des meubles pour célébrer ses propres 25 ans de carrière.
Quand on écoute Makers of High Grade Suites, ce qui saute directement aux oreilles c’est cette sonorité si familière puisqu’elle est celle qui a forgé la base musicale des White Stripes un peu moins de 10 ans plus tard. Il suffit d’écouter Pain (Gimme Sympathy), le morceau qui fit office de single, pour s’en rendre compte. Il y a évidemment la voix de White, dont on finira avec le recul par croire qu’elle est intemporelle et inaltérable, mais aussi et surtout cette guitare entre ses mains avec ce son à la fois gras et sec, à la croisée entre garage et punk, et ces riffs aussi simples qu’accrocheurs. Honnêtement, la seule différence entre The Upholsterers et les Stripes, c’est clairement la batterie ici tenue par Muldoon et qui se veut moins simpliste qu’avec Meg White.
C’est amusant d’entendre ce court EP car il ressemble finalement beaucoup à un énorme brouillon de ce que Jack White composera par la suite. Que ce soit sur le morceau ci-dessus ou sur I Ain’t Supersticious (reprise de Howlin’ Wolf) et Apple of My Eye, la base semble être bien là, marquée par les influences qui sont celles de White, mais elle apparaît encore fragile. La guitare semble hésitante et en quelques instants, on imagine Jack White chercher ses marques sur le manche tandis que sa voix, déjà bien présente malgré tout, manque encore un peu d’assurance. Mais n’est-ce pas normal finalement ? Il n’avait que 15 ans et c’était la première fois qu’il enregistrait quelque chose.
Et si les Upholsterers ne dépasseront ni le stade de l’EP initial, ni la moitié des années 1990 (le début et la fin de ce duo sont toutefois difficiles à dater précisément), cela reste quand même une première expérience pour un Jack White qui ne compte pas lâcher l’affaire tout de suite. C’est sans doute porté par l’enthousiasme né de cette collaboration mais aussi par ce goût pour les musiques 60’s qu’il postule auprès de Goober & The Peas, qui le recrute en qualité de batteur cette fois-ci en 1994. A l’instar de chacun des membres de ce groupe, White y prendra un pseudonyme : Doc. A l’époque, Goober & The Peas ont déjà sortis deux albums dont le dernier en date était The Complete Works of Goober & The Peas (1992). C’était un groupe dit de cow-punk (ou country punk) originaire de Detroit, une formation au sein de laquelle White évoluera jusqu’en 1996, année où le groupe se dissout, mais qui lui permettra en tous cas de connaître sa véritable première expérience de musicien « professionnel ». C’est ainsi lui qui tient les fûts sur l’album final du groupe, The Jet-Age Genius of Goober & The Peas (1995), son premier véritable enregistrement simili-professionnel en ce qui le concerne.Il apparaît d’ailleurs dans le clip de la chanson Loose Lips, tirée de cet album :
Dans tous les cas, la réussite de son audition auprès du groupe était une grande chose pour White à l’époque. Et si le style de Goober & The Peas n’est pas spécialement celui de White par la suite, on y retrouve toutefois une base similaire à la musique que Jack composera plus tard, imprégnée de racines blues et country que le musicien n’a jamais reniées.
Le passage chez Goober & The Peas semble même avoir marqué White de manière indélébile quoique, peut-être, inconsciente. Sa musique, notamment avec les Stripes et les Raconteurs, puise dans les exactes mêmes racines country/roots que celle de la formation cow-punk. Mais peut-être le témoignage le plus marquant reste-t-il le style visuel de White : looks bicolores, tenues inspirées des cow-boys… Tout cela, on le retrouvait déjà plus ou moins chez Goober et ses Peas.
Quant à la musique country, il n’en a jamais été bien loin, lui laissant particulièrement une bonne place chez Third Man Records ou bien en reprenant nombre de titres issus de ce répertoire comme, tout particulièrement, Jolene de Dolly Parton mais aussi Conquest, originellement chantée par Corky Robbins puis par la chanteuse country Patti Page et dont les Stripes effectuent une reprise sur l’album Icky Thump. Il a enfin également travaillé avec Wanda Jackson en 2011, sept ans après avoir produit l’album Van Lear Rose de Loretta Lynn, sur lequel il chantait avec elle pour la chanson Portland, Oregon.
L’affirmation à l’aube des White Stripes
Suite à son passage dans la bande à Goober, les choses vont s’accélérer pour Jack White, qui va multiplier les projets. Le plus important sera évidemment, dès 1997, les White Stripes qu’il forme avec Meg White, son épouse depuis un an alors. Mais à l’époque, et même si l’on imagine aisément l’enthousiasme que Jack met dans ce nouveau duo étant donné l’avenir qu’ils ont connu ensemble, les Stripes ne sont qu’un projet parmi d’autres, réalisant quelques concerts par-ci par-là.
Et pour en revenir à Goober & The Peas et leur séparation en 1996, c’est plus d’une transformation qu’il faudrait parler car de ce hiatus est né un an après Two-Star Tabernacle, formé par trois ex-Goober : White donc mais également Dan « Goober » Miller et Damian Lang. A leurs côtés se joindra Tracee Mae Miller, épouse de Dan. C’est avec cette nouvelle formation que White commencera à réellement s’affirmer en tant que musicien et chanteur. L’on pourra même dire que ce groupe revêt une importance toute particulière au regard de sa carrière, plus encore que sa pourtant fondamentale participation à Goober & The Peas, dans le sens où c’est avec Two-Star Tabernacle qu’il composera et écrira plusieurs chansons qui seront ultérieurement enregistrées avec les White Stripes. C’est le cas notamment des titres The Union Forever, Hotel Yorba ou comme partagé ci-dessous Big Three. Les archives concernant ce groupe ne sont pas spécialement difficiles à trouver mais elles sont surtout peu nombreuses. Deux bootlegs circulent ainsi sur internet : l’un fut enregistré lors d’un concert de 1998 et l’autre l’année suivante. Ce dernier est sans doute le plus commun puisqu’il suffit de taper le nom du groupe sur YouTube pour tomber directement dessus :
Un an après sa formation, le quatuor se retrouve en studio pour enregistrer un court EP sur lequel ils invitent Andre Williams, éclectique musicien d’Alabama. Deux titres résolument blues/country seront proposés sur ce super-45 tours et constituent les seuls enregistrements studio du groupe : Ramblin’ Man et Lily White Mama & Jet Black Daddy. Le plus étonnant dans tout cela, c’est certainement l’orientation musicale de ces deux titres. Loin d’être aussi rock que ce que les bootlegs dont je parlais juste avant laissent entendre, on se retrouve ici dans un univers beaucoup plus country, teinté justement des couleurs musicales d’un blues originaire de l’Alabama d’Andre Williams. Ce n’est toutefois pas anodin ou innocent. Comme je l’évoquais plus haut, White a toujours eu un goût prononcé pour le blues des années 1960 mais il convient de souligner que le Delta blues a toujours occupé une place particulière pour lui. Venue du Mississippi et plus particulièrement de la région du Mississippi Delta au Nord-Ouest de l’Etat, c’est la musique de Son House et de John Lee Hooker, faite de cordes caressées au bottleneck et de ce twang distinctif.
Il y a donc comme une espèce de fossé musical entre ce que le groupe enregistre en studio et ce qu’il a à offrir sur scène. C’est à se demander finalement si après avoir remisé ses propres compos lors du passage en studio (peut-être en raison de la présence d’Andre Williams, rien n’est clairement dit à ce sujet et on ne peut que formuler des hypothèses), Jack White n’a pas profité de la scène pour imposer ses propres morceaux et s’affirmer un peu plus encore.

Two-Star Tabernacle au complet (de gauche à droite) : Jack White, Damian Lang, Tracee Mae Miller et Dan « Goober » Miller.
Cela ne veut pour autant pas dire que les compositions de Two-Star Tabernacle ne tournaient qu’autour de ce style et au cours de l’année 2016, au détour du programme Vault Series de Third Man Records, Jack White nous a révélé une autre chanson composée à l’époque de Two-Star Tabernacle et titrée Itchy. Enregistrée lors d’un concert du groupe en 1998 et distribuée dans le Vault Package n°27 (bourré de pépites des projets de White de cette période d’ailleurs), cette chanson témoigne avec le recul de tout ce dont White semblait avoir envie à l’époque et qui transpirait dans les interprétations live qu’il a pu livrer avec les Two-Star Tabernacle : un garage rock rapide et énervé mais qui n’oublie pas de toujours évoquer ses influences plus anciennes, notamment dans les percussions et les solos de guitare. Pour l’entendre, rendez-vous sur cette page du site du magazine Rolling Stone. Séparé en 1999, quand les White Stripes sortent d’ailleurs leur premier album, Two-Star Tabernacle ne laisse sans doute pas grand-chose, si ce n’est le sentiment que, discrètement, Jack White commence non seulement à savoir où il veut aller mais aussi et surtout à l’exprimer clairement. Les témoignages de Dan Goober dans le livre Jack White: How He Built an Empire de Nick Hasted vont d’ailleurs dans ce sens. L’auteur de cette biographie cite notamment une déclaration de Miller faite dans le journal Detroit Free Press au sujet du Jack White période Goober & The Peas :
C’était étrange de le connaître à 19 ans, [avec] ses objectifs si précis sur la façon dont il voulait que les choses se passent dans sa vie, musicalement et pour tout le reste. Je me souviens de lui disant, « Je veux vraiment être fier de tout ce que je fais ».
Parallèlement à Two-Star Tabernacle, le jeune homme plein d’ambition joue non seulement avec les Stripes mais aussi avec une troisième formation dans laquelle la recherche d’affirmation du chanteur se décèle rien qu’avec le nom : Jack White and The Bricks. La mue semble effectuée : exit définitivement John Gillis, Jack White est bel et bien là et compte bien s’imposer, marquer les mémoires par son seul nom en plus de sa musique.

Difficile de trouver une photo de Jack White and The Bricks, la seule potable étant en pochette du live vendu dans le Vault Package.
Autour de 1998 et 1999, White partage donc également la scène avec cet autre groupe qui compte également parmi ses rangs le futur Raconteur Brendan Benson, Ben Blackwell (neveu de White) et Kevin Peyok, qui a aussi joué avec les Waxwings (un groupe dans lequel évoluait également Dean Fertita, membre des Queens of the Stone Age et des Dead Weather ainsi que musicien de tournée pour les Raconteurs, le monde est petit). De Jack White avec ses Bricks en tous cas on ne connaît qu’un seul concert donné en 1999 au Gold Dollar et dont la captation était d’ailleurs disponible dans le Vault Package n°27 que je mentionnais juste avant. Durant ce live donné en ouverture de Royal Trux, la setlist était essentiellement composée de chansons ultérieurement enregistrées sur White Blood Cells (troisième opus des White Stripes) dont I Can’t Wait, Dead Leaves and the Dirty Ground, The Same Boy You’ve Always Known ou encore The Union Forever :
La quête d’indépendance avant l’envol des Stripes
A l’approche des années 2000, Jack White a donc décidé d’accélérer : sa vie sera faite de musique. De SA musique. Aucun doute que son passage chez Goober & The Peas aura été déterminant dans tout cela mais Jack en veut toujours plus. D’où cette multiplication de projets entre 1997 et 1999, tous servant au musicien à dévoiler ses compositions et à les travailler encore et encore. Difficile d’imaginer ce qui pouvait se passer dans sa tête à l’époque mais je suis intimement convaincu que White a très rapidement voulu que les Stripes deviennent son principal projet, les autres ayant été excessivement éphémères, mais que ce seul duo ne pouvait à l’époque satisfaire l’insatiable soif de travail qui était la sienne. Et si je ne doute pas qu’il a aimé joué avec les Bricks et avec Two-Star Tabernacle, je pense aussi que ces deux groupes n’ont jamais été autre chose que de bons prétextes pour toujours plus jouer, en particulier ses propres titres.
Jack White s’affirme donc de plus en plus avec les trois groupes qui sont les siens durant ces trois années et ce n’est sans doute pas pour rien si ses autres expériences en groupes de la fin des années 1990 ont tourné court. Le cas de sa participation aux Hentchmen est d’ailleurs assez révélateur. Formé en 1992, toujours à Detroit, le groupe a déjà sorti cinq albums quand White le rejoint en qualité de bassiste cette fois-ci en 1998. Ensemble, ils sortent un single, Some Other Guy (reprise de Richie Barrett), en face B duquel se trouve Psycho Daisies, une reprise des Yardbirds :
Avec ces titres, puis avec ceux de l’album Hentch-Forth la même année, White s’immisce un peu plus dans un univers garage qui définira sa musique dans les années 2000 et qu’il contribuera à faire revivre alors. Pour autant et au-delà du seul aspect musical, quand on regarde les photos des Hentchmen de l’époque, le musicien semble à l’écart, métaphoriquement ou littéralement selon les cas. Tout en noir quand ses comparses arborent des couleurs plus claires, pas spécialement souriant, un peu éloigné du reste du groupe… Jack White n’a que le statut d’invité (The Hentchmen with Jack White en pochette du single) et il le sait.
Mais peut-être même est-ce ce qu’il veut, lui qui parle aujourd’hui aussi peu que possible de cette ère d’avant les Stripes. Il est d’ailleurs bien plus facile de trouver des témoignages émanant de ses anciens camarades des groupes d’alors que de lui-même. Peut-être en tous cas que les Hentchmen n’étaient qu’un autre exercice, un autre prétexte pour travailler toujours plus et s’améliorer au contact de musiciens déjà plus expérimentés que lui. Un défi que White se serait fixé pour continuer à apprendre alors qu’il n’en est lui-même qu’aux premiers balbutiements de sa carrière.
La même année cela étant, il est également recruté par The Go et participe à l’enregistrement de leur tout premier album, Whatcha Doin’, paru chez Sub Pop. Le son de The Go évolue quelque part entre le garage que l’on connaît quand on écoute Jack White et quelque chose de plus rock’n’roll dans son acception la plus classique. Plutôt que d’annoncer le revival des années 2000, la musique de The Go évoque beaucoup plus à mon sens le son classique du garage, dans une tonalité très 70’s dont on sent que des groupes comme MC5 ou les Stooges ont été des influences majeures.
La collaboration va cependant très vite s’arrêter et White va être tout bonnement viré par Bobby Harlow et John Krautner dans la foulée de la sortie de ce disque. La raison est multiple : des tensions grandissantes entre Jack et les autres membres du groupe sont principalement évoquées, liées pour beaucoup au côté « tête de mule » que peut avoir le musicien si l’on en croit les gars de The Go, mais également des désaccords avec le label Sub Pop chez lequel le groupe vient tout juste de signer. Moins d’un an après y être arrivé, Jack White est donc renvoyé pour des raisons qui rappellent finalement la réputation qu’il s’est bâtie, celle d’un artiste certes complet et talentueux mais néanmoins borné et avec lequel il peut s’avérer difficile de travailler tant il est sûr de ce qu’il veut faire.
C’en est donc fini des collaborations pour Jack White à l’époque et tout juste l’année 1999 sera-t-elle marquée en parallèle de tout cela par son Walker-White Trio dans lequel il joue aux côtés de Johnny Walker et, vraisemblablement, de Ben Swank, qui était à l’époque le colocataire de White. On ne leur connaît qu’un seul et unique concert au Gold Dollar cette même année mais rien de plus : ni enregistrements studio, ni captation de ce live, ni rien d’autre. Mais tout cela importe sans doute finalement bien peu : 1999 c’est aussi et surtout l’année où les White Stripes enregistrent leur premier album. Un opus dédié à Son House, histoire de boucler la boucle. Dans la foulée, Two-Star Tabernacle se dissout et si de son côté Damian Lang poursuit son chemin avec les Detroit Cobras, les époux Dan « Goober » et Tracee Mae Miller vont quant à eux former Blanche dès 2002 et le groupe est aujourd’hui toujours actif.
____________________
Telle est donc la genèse de Jack White, comment le musicien qui sortait l’an passé son troisième album solo a commencé sa carrière avant d’exploser avec des White Stripes qui lui apporteront une renommée mondiale et incontestée. Les débuts de Jack White, c’est le récit d’un garçon qui savait ce qu’il voulait et qui s’est rapidement transformé en forçat de la musique pour arriver à ses fins. En moins de 10 ans, il aura fallu passer par 8 groupes pour que John Gillis réalise sa mue et deviennent l’imposant, sinon écrasant, Jack White. Tout le reste, ça fait partie de la légende désormais. Les Stripes, les Raconteurs, les Dead Weather, les albums solo, Third Man Records… Depuis les années 1990, Jack White ne s’est jamais arrêté, il n’en a sans doute ni le temps, ni l’envie, lui qui semble avide de travail et de nouveauté. Quant à moi, je retourne écouter pour la énième fois le double single Now That You’re Gone/Sunday Driver, annonciateur du tout prochain album des Raconteurs attendu pour cette année.
Pingback: Un jour, un album n°29 – « Help Us Stranger , The Raconteurs | «Dans mon Eucalyptus perché
Pingback: Jack White : l’esprit de communion | Dans mon Eucalyptus perché