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Mission: Impossible – Fallout, film d’espionnage de Christopher McQuarrie. Avec Tom Cruise, Rebecca Ferguson, Henry Cavill, Simon Pegg…
- Ce film est la suite de Mission: Impossible – Rogue Nation (C. McQuarrie, 2015).
- Il sera suivi par Mission: Impossible 7 (C. McQuarrie, 2021).
Le pitch : Deux ans après les événements de Rogue Nation, Solomon Lane (S. Harris) est toujours prisonnier après avoir été arrêté par Ethan Hunt (T. Cruise) et son équipe. Mais son organisation criminelle, le Syndicat, n’a pas disparu pour autant et agit désormais sous le nom des Apôtres. Un groupe terroriste conte lequel Hunt est envoyé en mission afin d’intercepter des charges de plutonium qui doivent leur être remises à Berlin en vue de produire des armes nucléaires. Mais la mission tourne mal et, en voulant sauver son coéquipier de longue date Luther Stickell (V. Rhames), Hunt laisse les terroristes s’enfuir avec le précieux chargement.
La critique : Nous y voilà enfin ! Ce fut un long périple mais nous arrivons avec cet article au terme de la rétrospective Mission: Impossible qui aura donc animé le blog au cours des six derniers mois ! Six films sont donc passés par là, six œuvres avec leurs qualités et leurs défauts mais toujours leurs particularités qui font de cette saga un véritable monument à part entière du blockbuster d’action et d’espionnage qui n’a strictement pas à rougir dans l’ombre de James Bond déjà cinématographiquement vieux de plus d’un demi-siècle. Une licence qui a su évoluer avec le temps, mûrir d’une bien jolie manière et qui promet encore de belles choses puisque deux autres films ont d’ores et déjà été annoncés pour 2021 et 2022, toujours avec Tom Cruise et toujours avec Christopher McQuarrie à la réalisation. Mais nous en reparlerons alors et, d’ici là, achevons ce que nous avons déjà entamé en parlant de Fallout, le dernier épisode en date.
A l’heure où le projet Fallout est lancé, Mission: Impossible n’a plus rien à prouver (sauf peut-être qu’elle peut faire encore mieux, sait-on jamais). La saga jouit d’un succès qu’on ne remet plus en question, a réussi à tirer quelques lettres de noblesse en matière de cinématographie et a définitivement su s’imposer dans le paysage du ciné d’action et d’espionnage moderne. C’est donc sans surprise que la mise en chantier de ce sixième volet des missions de l’agent Ethan Hunt est lancé alors que Rogue Nation, son prédécesseur, n’est même pas encore sorti ! En effet, quand Rogue Nation sort dans les salles américaine en Juillet 2015, cela fait déjà deux mois que l’on sait qu’il connaîtra une suite, ce que Tom Cruise n’a pas manqué de confirmer lors d’une émission télé où il faisait évidemment sa promo estivale. Mais cela reste une première : jamais auparavant les projets de suite n’avaient été mis en marche aussi rapidement. Tout ceci est évidemment le signe d’une confiance en soi et, peut-être aussi déjà, d’une volonté de prolonger un même récit sur deux films. Enfin bref, avant de savoir quoi que ce soit à ce sujet (nous ne savions alors même pas ce que M:I5 avait à nous raconter !), nous avons appris en Novembre 2015 que Christopher McQuarrie, scénariste et réalisateur de Rogue Nation allait être de retour à ces deux postes pour cette suite à venir, donnant lieu à une troisième collaboration entre le cinéaste et Tom Cruise (si l’on exclut la participation rapide et non-créditée de McQuarrie sur Protocole Fantôme évidemment).
Autour de ce duo de tête, le projet Fallout s’inscrit finalement dans cette logique que j’évoquais il y a quelque temps maintenant, à savoir celle de réunir une équipe soudée et qui se connaît bien autour de chacun des épisodes de la licence. Ainsi, aucune surprise quant au retour de quelques uns des participants phares pour ce sixième volet : Simon Pegg, Ving Rhames, J.J. Abrams à la production sont ainsi de nouveau dans l’aventure. Plusieurs comédiens apparus pour la première fois dans la saga grâce à l’opus Rogue Nation ont également été confirmé dans les mois qui ont suivi la sortie au cinéma de ce dernier. Ainsi en va-t-il d’Alec Baldwin, de Rebecca Ferguson ou encore de Sean Harris, confirmant donc l’orientation que la précipitation dans l’annonce de cette suite pouvait laisser envisager : Fallout devrait être une suite directe à son prédécesseur. Côté nouvelles têtes enfin, Angela Bassett incarne Erika Sloane, nouvelle directrice de la CIA. Henry Cavill et son auguste moustache qui aura tant fait couler d’encre pour les dommages collatéraux provoqués sur Justice League est également de la partie dans le rôle de l’agent de la CIA August Walker (le jeu de mot que j’ai fait ici est involontaire). Enfin, Joe Kraemer laisse la place de compositeur à Lorne Balfe. Ce dernier est connu autant pour ses bandes originales de films que de jeux vidéo puisqu’il a notamment travaillé sur Assassin’s Creed III, Beyond: Two Souls, Les Pingouins de Madagasacar, LEGO Batman : Le Film ou encore The Florida Project. Un départ enfin est à noter : celui de Jeremy Renner, déjà largement absent de Rogue One et qui ne revient tout bonnement pas dans ce nouvel épisode. Un départ justifié par son emploi du temps chargé en raison des tournages de Avengers : Infinity War et sa suite Endgame (même s’il ne sera finalement apparu que dans ce dernier) mais qui clôt définitivement le cas de l’agent Brandt. Si je n’ai toujours vu en lui qu’un éventuel remplaçant à Hunt dans le cas où Cruise aurait lâché l’affaire, sa disparition progressive de l’écran me pousse à en être absolument convaincu. Hunt est toujours là, Brandt ne sert donc plus à rien.
Enfin bref, à l’aune de ces quelques éléments, le décor semble déjà planté : pour une fois, on veut créer une véritable continuité dans la saga, ce que ne manque pas de souligner la rapidité dans l’enchaînement de ces deux épisodes ainsi que le rappel de la plupart des artisans de M:I5. McQuarrie et Cruise, que l’on va désormais sans problème considérer ici comme les deux têtes pensantes de cette saga, ont décidé d’aborder Mission: Impossible sous un autre angle.
Evidemment, les principales tonalités de la licence vont demeurer mais on ne peut s’empêcher en découvrant Fallout de remarquer que quelque chose a changé, surtout si (comme je l’ai fait pour cette rétrospective) on regarde les deux films coup sur coup. Il se dégage, autant le dire tout de suite, une filiation entre ces deux ultimes volets de la saga qui est sans commune mesure avec ce qui a été fait auparavant, que ce soit entre M:I3 et M:I4 ou ensuite entre ce dernier et M:I5. Une continuité qui passe en conséquence par le récit, bien entendu. L’on veut ici, et on le comprend dès les premiers instants de ce film, que les événements narrés prennent leur sens non seulement par eux-mêmes mais aussi et surtout par leur mise en relation avec ceux relatés dans Rogue Nation. Le scénario exige rapidement plus que de simples à-coups se résumant à des références faites à divers événements passés ou à une relation entre deux personnages qui évoque un parcours commun dans un épisode précédent. C’est donc sur ce scénario justement que l’on va compter pour réaliser ce travail, lequel ne se fera d’ailleurs pas que sur le plan du récit mais également, on en parlera ensuite, de l’ambiance générale qu’il parviendra à insuffler, appuyée quant à elle par le style donné au film dans sa cinématographie. Un travail d’ensemble qui se justifie dans le retour de McQuarrie comme principal maître d’oeuvre, lui qui a sublimé Mission: Impossible grâce à son travail sur le précédent opus.
Le récit va alors reprendre quasiment là où on l’avait laissé. Deux ans se sont certes écoulés entre Rogue Nation et Fallout mais les enjeux explicitement développés dès l’ouverture du film permet d’automatiquement raccrocher les wagons. On s’imagine ainsi très bien Hunt et son équipe traquer les membres restants du Syndicat pendant tout ce temps et en arriver au point où on les retrouve dès le début du film. Et le fait de s’inscrire de cette manière dans une forme d’immédiateté par rapport au film précédent, cela confère à Fallout une capacité certaine à se lancer directement. Contrairement à tous les opus précédents, qui demandaient globalement à installer leur sujet et les tenants et aboutissants qui y étaient liés, ce sixième épisode se paie le luxe d’avoir vu sa situation initiale amplement construite par son prédécesseur. Il ne lui reste en fait, étant donnée la tournure que prennent immédiatement les événements au début du film, qu’à réinstaller les choses, raviver les souvenirs du spectateur et profiter d’une petite pichenette pour démarrer. Et une fois ceci fait, il faut bien admettre que Fallout ne s’arrête plus. Basé sur un scénario solide, il reprend grandement la science du rythme qui faisait la qualité de Rogue Nation. McQuarrie livre ici un récit à la mécanique parfaite, capable de se relancer continuellement pour ne jamais lasser le spectateur sans pour autant systématiquement se précipiter.
Mais encore une fois, ce scénario que nous propose McQuarrie brille encore plus par son propos et par ce qu’il implique de manière générale vis-à-vis de la « marque Mission: Impossible » que par sa seule construction, aussi louable cette dernière soit-elle. Et c’est là que toute la notion de continuité dépasse la seule question de ligne temporelle des événements racontés pour toucher à un aspect extérieur au film en tant que produit fini et visuel : les intentions. M:I6 n’est pas dans la continuité de M:I5 que par ce qu’il raconte : il l’est aussi et surtout par la volonté désormais évidente de Christopher McQuarrie de se saisir de l’héritage global de la licence (depuis la série originale jusqu’à M:I4) et d’y travailler en profondeur pour construire sur cette base quelque chose de neuf. Et cette volonté, le cinéaste semble finalement déterminé à la mener à bien en s’employant à travailler tout cela sur plusieurs films, dont Fallout serait finalement une pierre supplémentaire à l’édifice et dont on imagine que les futurs M:I7 et 8 contribueront à poursuivre le raisonnement. Enfin d’ici là, concentrons-nous déjà sur ce film-ci. Le fait est donc qu’en aspirant à poursuivre le travail entamé par Rogue Nation, ce sixième volet va évidemment continuer à dépoussiérer la saga, plus encore que ne le faisait déjà M:I5. Pour cela, M:I6 continue de rompre avec un certain nombre de codes inhérents à la licence, dont les fameux gadgets. Là où ces derniers avaient eu tendance à se faire de plus en plus discret depuis quelque temps, ils font ici figure de grands absents ou presque tant leur usage est limité à un strict minimum. Dans la même veine, le côté « préparatoire » des missions est en quelque sorte mis au rancart, Fallout privilégiant bien plus le déroulé direct de l’action à son organisation en amont, qu’on nous montrait jusqu’ici toujours à plus ou moins haute dose.
Sur la base de ce constat, il serait facile de croire pour qui lirait cet article sans avoir vu le film que ce dernier oublie sa part d’espionnage. Bien au contraire, ce pan-là est toujours bien présent à la seule nuance près qu’il mue. Avec la mise en place d’une ambiance résolument plus sombre, dans la veine du côté thriller de Rogue Nation, ce film donne à la dimension espionnage de Mission: Impossible une autre tournure encore, que ce soit par la façon dont il est abordé d’un simple et strict point de vue cinématographique ou dans ce qu’il aborde en lui-même. Dans le premier cas, la mise en scène insiste toujours plus sur quelque chose de sombre mais aussi de plus brutal/brut. Quant aux idées derrière tout cela, on n’est plus du tout à la poursuite de vendeurs d’armes et autres pourris à la petite semaine ici mais bien face au terrorisme de masse, idéologique et déterminé, armé jusqu’aux dents et prompt à dévaster bien des partie du globe. Là encore, la continuité vis-à-vis de M:I5 est visible L’ennemi et surtout son ampleur semble rendre tout « l’esprit M:I » dérisoire, voire dépassé (par les événements ou tout bonnement du point du vue du contexte dans lequel le film sort). Ceci explique ou se justifie dans cette nouvelle approche mettant l’accent sur un côté très crépusculaire. Avec une menace aussi grande que celle développée ici, Mission: Impossible se montre constamment sur la corde raide, Fallout y insufflant un doute constant quant à la possible réussite de la mission, plus encore que tout autre opus de la série.
Et ce crépuscule, c’est clairement ce qui fait l’âme de ce sixième Mission: Impossible d’après moi. D’entrée de jeu, le ton est donné avec ce cauchemar apocalyptique que fait Hunt et qui sonne comme un avertissement ou le déclenchement d’un compte à rebours, cette séquence onirique trouvant bien vite son écho dans les événements introductifs du récit. Pour tout dire, j’ai même eu le sentiment en sortant du cinéma que je venais de regarder le tout dernier Mission: Impossible ou tout du moins qu’après cela c’en était fini des aventures d’Ethan Hunt. Ce sentiment, et même si les annonces les plus récentes le contredisent, je le dois principalement à la façon dont les choses sont amenées dans le film et surtout au fait qu’il se construit sur énormément de choses tirées des événements passés développés, de manière prononcée ou succincte, dans les précédents films. Ceux-là touchent autant aux événements de Rogue Nation évidemment qu’au personnage de Julia, l’ex-femme de Hunt que nous avions découverte dans Mission: Impossible III, ou à la relation de l’agent avec son ami de toujours Luther Stickell. Cette façon de puiser dans le passé contribue à plusieurs la choses, la première étant évidemment cette filiation que j’évoque depuis tout à l’heure, laquelle va donc finalement au-delà du seul lien entre les deux films réalisés par Christopher McQuarrie.

Ethan Hunt est constamment tel que sur ce plan : il se raccroche sans cesse à ce qu’il peut mais la chute n’est jamais bien loin.
Mais aussi, cela permet de jouer sur le seul personnage d’Ethan Hunt. En fait, j’irais même jusqu’à dire que le titre Fallout n’est pas à prendre qu’au sens littéral. Car s’il évoque évidemment les retombées que l’usage d’une arme nucléaire pourrait avoir, il permet surtout de parler de celles que la vie toute entière de Hunt a sur ce dernier en cet instant précis de son parcours. Tout ce qu’il a vécu ou presque retombe sur lui dans ce film et le pousse à un niveau de difficulté qu’il n’a encore jamais réellement expérimenté, pas à ce point. Mission: Impossible – Fallout n’est pas n’importe quel épisode de la saga : c’est un film SUR Ethan Hunt, sur sa fatigue et la façon dont, malgré tout, il peut être dépassé. Le mythe du héros surhomme que j’évoquais dans l’article sur Mission: Impossible – Protocole Fantôme finit ici d’être déconstruit. Tout ceci renvoie fatalement à ce que j’évoquais plus haut concernant le fait que l’on nous montre essentiellement le déroulé de l’action et non sa préparation (ou si peu), une attitude à lier avec cette nouvelle approche que je tâchais de montrer et qui se résume en gros à nous mettre en scène des agents secrets autour desquels l’étau se resserre constamment, amenant l’idée qu’il n’y a tout simplement pas de temps à perdre. Dès lors, au lieu de nous montrer des missions où chacun semble savoir ce qu’il fait (puisqu’on nous aurait montré l’amont de ces dernières), tout semble plutôt fait « au mieux », en espérant que ça marche même si « l’espoir n’est pas une stratégie » , pour reprendre cette réplique de l’agent Walker (Henry Cavill).
Dans tout ce phénomène, Hunt lui-même cristallise donc l’ensemble de cette vision, lui qui fait sans cesse front, en première ligne face à cet adversaire a priori implacable et qui sait surtout le mettre lui bien spécifiquement en difficulté. Pour la toute première fois, on doute vraiment d’Ethan Hunt et ce n’est pas juste une question de suspense savamment entretenu. Ici, le doute est là pas parce qu’on n’a pas confiance en lui mais parce que la situation semble perpétuellement désespérée. La confession de Luther à Ilsa Faust résume bien tout cela en nous présentant un Ethan sur la brèche. Comme pour accentuer cette dernière idée, il le sera d’ailleurs au sens littéral du terme à plusieurs reprises et notamment lors du grand final. En fait, par la tournure des événements et la difficulté incommensurable dans laquelle se trouve son personnage principal, Mission: Impossible n’a peut-être jamais aussi bien porté son nom.
Ce grand final d’ailleurs, dont on pourrait passer bien des lignes à vanter les qualités, est l’occasion d’évoquer le fait que Fallout est spectaculaire. Certes, c’est ce que l’on attend d’un Mission: Impossible aussi mais peut-être même est-il le plus impressionnant du lot. Car s’il fait preuve d’idées bien à lui concernant la façon dont il faudrait approcher la licence à partir de maintenant, ce film n’oublie pour autant pas d’être un M:I et n’omet ni l’action, ni la juste dose de séquences à couper le souffle comme cette saga sait si bien nous en offrir. Ainsi, et à différentes échelles, la maestria de McQuarrie en la matière s’exprime avec brio en bien des instants. Il y a ce final donc, d’une violence et d’une brutalité fascinantes ; la poursuite dans les rues de Paris, inspirée de manière assumée par le court-métrage C’Etait un Rendez-Vous de Claude Lelouch (et que j’évoque donc sur ce blog pour la deuxième fois) ; la superbe séquence de chute libre dans l’orage parisien… A chaque fois, McQuarrie filme avec une intelligence et un talent qu’on ne peut nier.

Chaque séquence, même dans un registre similaire, sait faire preuve d’une orientation propre chez McQuarrie.
Mieux encore, il sait varier et les différentes séquences de « bagarres » en sont une preuve assez éloquentes. Prenons d’un côté celle qui se déroule dans les toilettes du Grand Palais, où Hunt et Walker se battent tant bien que mal contre un autre type et, en face, regardons celle qui a lieu vers la fin du film et au cours de laquelle Ilsa affronte Solomon Lane tandis que Benji est en bien mauvaise posture. Dans les deux cas, il y a une tension et une intensité qui marchent sans aucun souci et, pourtant, les deux séquences n’ont quasiment rien à voir. La première se veut brutale, dans l’esprit de ce que le personnage de Walker amène justement au film, tandis que la seconde, certes violente, se veut plus dramatique et désespérée, ce qui est sans aucun doute renforcé par le contexte dans lequel elle se déroule à ce moment du film. Mais le fait est que McQuarrie réussit à apporter une distinction entre ces deux scènes par une mise en scène générale léchée et prompte à jouer de nuances et de subtilités où l’image parvient sans aucun souci à souligner le propos : première bagarre, Hunt et Walker arrivent en position de force et offensifs ; deuxième bagarre, l’équipe est dans l’urgence et se retrouve avec bien des bâtons dans les roues.
Ce Mission: Impossible n’oublie pas non plus de respecter ses origines sur le plan de l’écriture. Comme je le disais, le scénario fait preuve de certaines qualités dans la façon dont il traite ses personnages et en particulier son héros mais il fait également preuve d’une science du rebondissement propre à la série et que McQuarrie semble avoir comprise mieux que quiconque depuis Brian De Palma. Je pense en particulier à deux séquences ici, à savoir celle de l’extraction de Solomon Lane sur les quais parisiens, qui amène d’ailleurs très bien la course poursuite dans la capitale ensuite, ainsi que la scène où les multiples masques tombent et les vestes se retournent dans la cave londonienne. Ce sont des choses dont certains pourraient dire qu’on les a vues mille fois, que c’est assez conventionnel et ils auraient presque raison. Presque car le tout est ici fait avec une finesse louable dont même Mission: Impossible n’a pas toujours su faire preuve. Pensez à la façon dont John Woo foirait complètement la chose dans Mission: Impossible 2 et vous verrez de quoi je parle. Et non, je ne pouvais décemment pas fermer cette rétrospective sans évoquer une dernière fois toute ma détestation de ce deuxième volet… McQuarrie, heureusement, est bien meilleur que son confrère de Hong-Kong est sait faire preuve d’un art de la tension constante dont il est finalement dommage que la musique de Lorne Balfe ne l’appuie pas davantage.
Pour cela, ne reste donc plus que la mise en scène et le scénario, ce dernier étant relativement impeccable, riche, dense, complexe et prenant. Sur ce point précis cependant, j’augure que tout le monde ne sera pas d’accord avec mon avis, Fallout (comme Rogue Nation avant lui) poursuivant un peu l’idée de complexification générale de l’intrigue des Mission: Impossible. La façon dont on accueillera cette perspective dépendra donc de ce que l’on vient chercher quand on regarde un film de cette licence. Si l’on est toujours dans l’optique de suivre un scénario certes intelligent mais néanmoins assez « simple » dans sa construction, à l’image des trois premiers films en particulier, nul doute que l’ère McQuarrie laissera un peu plus de marbre. Le cinéaste privilégie en effet de multiplier les sous-intrigues et les enjeux afin de densifier son histoire. Cela parle évidemment beaucoup à mon goût pour le cinéma d’espionnage un peu complexe mais je ne peux que comprendre que cela en laisse certains plus froids. Après tout, Mission: Impossible a fortement construit son succès sur sa capacité à mêler action et espionnage dans des formes louables tout en gardent un fond accessible mais pas idiot. Le virage opéré dès les années 2010 et qui s’accentue encore ici a donc toutes ses chances pour perdre une partie des fans originaux.
Côté distribution, c’est un cast de choix que nous propose Fallout, au sommet duquel Tom Cruise s’impose une fois de plus. Et là encore, je vais faire court le concernant car ce que je pourrais avoir à dire à son sujet reviendrait à synthétiser tout ce que j’ai pu déjà évoquer dans les cinq articles précédents de cette rétrospective. Sauf peut-être dans celui sur Mission: Impossible 2, où je regrettais le grand n’importe quoi auquel se livrait un acteur qui avait pourtant admirablement installé son personnage auparavant. Et c’est bien au contraire au Cruise de Mission: Impossible premier du nom et de Mission: Impossible III que j’ai eu affaire ici. L’acteur livre une prestation forte, jonglant entre différents registres où l’envie de donner du grand spectacle le dispute à celle de proposer un personnage qui n’est pas qu’un énième action hero de plus au compteur.

Toute la relation Hunt-Faust se résume dans ce plan. Dommage que le parti-pris soit mis de côté ultérieurement.
A ses côtés, Rebecca Ferguson tire une fois de plus son épingle du jeu, avec talent, mais je pense que l’on peut dire qu’elle souffre un peu du traitement qui est fait de son personnage dans ce film. Pour parler de cela, il faut revenir en quelques mots sur la place qui lui a été attribuée dans Rogue Nation. Christopher McQuarrie y avait astucieusement construit un personnage féminin qui sortait de l’ordinaire. Ce n’était pas un personnage sexualisé, relégué au second plan comme ont pu l’être bien d’autres avant elle. Au contraire, Ilsa Faust était installée comme un écho de Hunt, un reflet de ce personnage qui réussissait la gageure de se poser sur le même plan que lui. Or, si l’intention est au départ la même dans Fallout, la chose semble peu à peu s’étioler, en particulier à la toute fin du film où Ilsa perd quasiment toute cette stature par la mise en place d’une espèce de triangle éphémère Hunt-Julia-Ilsa. Cela n’enlève absolument rien aux qualités de jeu de Rebecca Ferguson mais c’est dommage néanmoins.
Un mot ensuite sur Henry Cavill qui, je dois bien le dire, m’a très agréablement surpris. Sachez avant toute chose que du père Cavill, je ne connaissais jusqu’ici que son interprétation de Superman dans Man of Steel, rien de plus. Je découvre alors ici un acteur plein d’allant, mêlant astucieusement les registres, non sans une certaine facétie parfois afin de rire un peu de la teneur de son personnage. Car ce dernier est assez intéressant dans sa construction, partant de cet espèce d’agent herculéen (en comparaison d’Ethan Hunt s’entend) un peu ridicule parfois pour finalement progressivement s’imposer en un protagoniste plus complexe qu’il n’y paraît. Cavill évolue avec son personnage et livre une prestation à son image, de plus en plus réfléchie et efficace.
Quant à Sean Harris, il est étonnant finalement de voir que c’est ici qu’il s’exprime le plus. Alors que son personnage était le grand méchant de l’épisode précédent, je trouve que Fallout lui donne bien plus l’opportunité d’en tirer quelque chose. Sans doute cela est-il lié au fait que son Solomon Lane arrive malgré son statut de prisonnier à tirer les ficelles en quelque sorte. L’incertitude autour du personnage va grandissante au fur et à mesure que le film avance et il devient sans cesse plus inquiétant. Harris sait alors en tirer parti et livre un acting à la fois froid et dur, dans l’esprit un peu de ce que Philip Seymour Hoffman donnait également en son temps dans Mission: Impossible III.
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Et c’est fini ! J’ai le sentiment de boucler la chose un peu vite en cette fin d’article mais je dois vous avouer que la conduite de cette rétrospective m’a épuisé. C’était un long parcours que je suis bien content d’avoir fait mais, là, je n’en peux plus ! Concluons toutefois en affirmant que Mission: Impossible ne s’est au final jamais mieux portée. Après des hauts et des bas, des œuvres de grande classe et d’autres plus inégales, la saga s’achève (temporairement donc) sur un bien bel épisode. Pas le meilleur de la saga, mais le plus iconoclaste peut-être par sa plus grande capacité à se concentrer sur Ethan avant de parler de l’agent Hunt, si vous voyez ce que je veux dire. Christopher McQuarrie a su apporter une vraie nouvelle dimension à la saga en l’espace de seulement deux films et je suis ravi de savoir qu’il sera de retour pour les deux prochains opus. J’espère cependant que ce ne seront pas les épisodes de trop. Fallout me donne encore aujourd’hui l’impression qu’il aurait pu être un excellent tout dernier Mission: Impossible. Dans le fond comme dans la forme, on aurait voulu en faire un ultime baroud d’honneur pour Hunt et ses coéquipiers (sur lesquels je ne suis pas assez revenus dans le cadre de ce film, vous m’en excuserez, il y avait pourtant de quoi dire…), cela serait passé sans aucun souci. Mais maintenant, j’attends 2021 et son Mission: Impossible 7 avec une véritable impatience !
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