« Never Grow Old », Ivan Kavanagh, 2019

Never Grow Old, western d’Ivan Kavanagh. Avec Emile Hirsch, John Cusack, Déborah François, Danny Webb…

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Le pitch : En 1849, Patrick Tate (E. Hirsch) et sa femme Audrey (D. François) se sont installés dans la petite ville de Garlow, où règne la tranquillité depuis que l’alcool et les prostituées y ont été interdits. Mais une nuit, le hors-la-loi Dutch Albert (J. Cusack) utilise l’honnête charpentier et croque-mort qu’est Patrick pour s’emparer du saloon local et y réintroduire ces vices interdits. Commence alors une descente aux enfers pour Patrick et la ville.

La critique : Si vous me suivez depuis un moment, vous savez peut-être que j’aime particulièrement les westerns, en dépit du fait que j’en parle assez peu sur ces pages. Qu’ils soient purement américains, spaghetti, crépusculaires ou autre, les westerns constituent un genre qui m’a toujours plu, sinon fasciné, et vers lequel je me dirige toujours assez naturellement. Celui dont je vais vous parler dans ces lignes, je n’en avais cependant aucune connaissance. Sorti en 2019, Never Grow Old n’est venu à moi qu’il y a quelques jours, lancé qu’il fut sur OCS par ma nana.

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Ivan Kavanagh, réalisateur

En préparant cet article, je cherche bien évidemment à découvrir qui est Ivan Kavanagh, réalisateur du film. Le fait est que le cinéaste irlandais n’est pas spécialement connu pour le moment. S’il a pourtant réalisé pas moins de cinq films entre 2007 et 2014, Never Grow Old est le premier à jouir d’une forme d’aura internationale. Il faut dire aussi que le film pouvait l’espérer étant donné le caractère très international justement de sa production. Etats-Unis, Irlande, France, Belgique, Luxembourg : ce sont pas moins de cinq pays qui participent à la mise en œuvre de ce projet ! Une multinationalité que l’on retrouve d’ailleurs dans la distribution, qui compte tant des acteurs américains (Emile Hirsch, John Cusack…) que belges (Déborah François, Anne Coesens, Sam Louwyck…) ou encore irlandais (Paul Ronan…). Mais je vous raconte cela essentiellement pour l’anecdote, aussi revenons-en au film.

Très brièvement (car j’y reviendrai plus tard), Never Grow Old raconte donc cette histoire d’une ville pieuse et isolée qui tombe entre les mains de bandits, situation qui causera non seulement des victimes mais aussi des choix à faire pour les différents habitants. Faire avec ou résister ? Faire des compromis ou se compromettre ? Très rapidement, le film plonge tête la première dans ses thématiques et plus particulièrement ses questionnements moraux. Je parle de cela avant même de vous donner mon avis sur le récit en tant que tel parce qu’il apparaît bien vite que c’est ici que réside l’essentiel de l’intérêt du film. C’est d’autant plus le cas que ces éléments de fond vont considérablement contribuer à donner au film son ton, non seulement dans le propos mais aussi en matière de mise en scène, d’objet de cinéma. Never Grow Old s’inscrit alors rapidement dans un côté crépusculaire qui donne aussitôt l’envie de le considérer, justement, comme un western crépusculaire.
Cela étant, je pense que nous pouvons tout de suite dégager cette acception de cet article car, non, il ne s’agit pas d’un western crépusculaire. Pas à proprement parler en tous cas. S’il emprunte à ce sous-genre bon nombre d’éléments, notamment en ce qui concerne la caractérisation de son personnage principal, la fidélité à ce dernier s’arrête ici. Au lieu de cela, je crois qu’il vaut mieux aller chercher vers quelque chose de bien moins régulièrement associé au western, un certain sens du crasseux et du sombre qui pioche pas mal de ses intentions dans le southern gothic, propre au Sud des Etats-Unis. Si je prends le temps de poser ces questions, c’est moins pour ardemment coller une étiquette donnée à Never Grow Old que pour tâcher de vous en expliciter la tonalité générale. Ainsi, je ne pense pas qu’il soit vain d’y trouver quelques échos à ce mouvement plus littéraire que cinématographique, même si les livres issus de ce genre ont réussi à trouver leur chemin vers le grand écran (par adaptation ou par inspiration).

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La figure du pasteur gagne en ambivalence à mesure que le film progresse.

Le film d’Ivan Kavanagh va donc selon moi beaucoup emprunter à cette mouvance si particulière (qui a par exemple autant servi de socle à un monument du cinéma d’horreur comme Massacre à la Tronçonneuse qu’à un jeu vidéo tel que Resident Evil VII). Cela se traduit de manière globale par des airs et atours dont se pare Never Grow Old et qui lui confèrent cette allure générale lugubre, noire et baroque. Un état d’esprit assez radicalement appliqué dans l’ensemble du film. Ceci étant dit, il s’agit moins de correspondre aux thématiques les plus emblématiques du genre et à ses ressorts les plus classiques que d’en reprendre des aspects de contextualisation qui vont nourrir la toile de fond sur laquelle Kavanagh fait évoluer son film : pauvreté, criminalité, violence, une certaine forme d’aliénation également…
Nulle question donc d’y retrouver les aspects les plus fantastiques du genre, tous hérités d’auteurs comme Edgar Allan Poe ou, plus anciennement, Mary Shelley, puis appliqués aux légendes et au folklore du bayou et des autres régions sudistes (en particulier le vaudou et les références à un éventuel cannibalisme, très présents dans ce sous-genre si américain). Never Grow Old va donc en grande partie appuyer son récit sur ces éléments-clés ainsi que sur d’autres, naturellement associés au gothique dans ses racines anglaises, qu’il s’agisse de lieux (l’église, la lande/forêt isolée…) ou de personnages. Sur ce dernier point, on retrouve pas mal d’archétypes : le religieux (aux accents inquisiteur atténués mais néanmoins présents, surtout au début du film), le bandit (ici facilement assimilable à la figure du démon, elle aussi très gothique), le maudit enfin avec ce héros qui accepte ce compromis avec le bandit justement…

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Métaphore à lui tout seul, le personnage de Dutch Albert nourrit beaucoup les penchants les plus gothiques du film.

Ce faisant, Ivan Kavanagh établit dans son film tout un microcosme qui répond très bien aux influences que je citais. Histoire de parfaire l’expérience, le cinéaste a bien entendu cherché à donner corps à ses idées dans la mise en image de celles-ci. La chose va là encore se faire par emprunts, parmi lesquelles me vient tout de suite en tête la seule apparence du personnage principale qu’est Patrick Tate. Le charpentier/croque-mort arbore en effet un look qui résonnera dans l’imaginaire collectif comme une incarnation assez classique du héros – ou plutôt de l’anti-héros – gothique par excellence. Dans le même ordre d’idée, comment ne pas évoquer également le style dont est affublé l’odieux Dutch Albert, tout de noir de vêtu et donnant alors l’impression de n’être qu’une ombre qui flotte dans cette ville. Mais il convient d’aller chercher les marques visuelles des inspirations que j’évoquais dans la mise en scène générale bien sûr. L’idée par exemple de tout éclairer à la bougie, à la manière d’un Barry Lyndon ou, plus évocateur encore, de l’Impitoyable de Clint Eastwood, constitue un outil essentiel pour asseoir cette atmosphère lugubre. Ce seul choix esthétique confère alors à Never Grow Old une ambiance particulière, à la fois étouffée et étouffante, jouant sans rechigner sur les jeux d’ombres et de lumière pour développer bien des métaphores dont je vous épargnerai une énumération qui ne saurait de toute façon être exhaustive.

Pour tout cela, Never Grow Old rappelle sans problème un certain nombre d’autres films issus du même tonneau et qui viennent, durant la fin des années 2010, apporter un nouveau souffle au western. En effet, là où le genre était revenu en force avec des œuvres certes de qualité mais néanmoins assez classiques au cours des années 2000 (L’Assassinat de Jesse James, The Proposition3h10 pour YumaOpen Range…) quand il n’a pas cherché à proposer des choses plus farfelues (Lone RangerCowboys & Envahisseurs…), le voilà qui a commencé à développer de nouvelles approches. Dans la continuité de la fibre crépusculaire, le western a ainsi investi un nouveau champ faits de thématiques de plus en plus sombres et violentes. Je pense ici tout particulièrement au Bon Apôtre que Gareth Evans a réalisé pour le compte de Netflix ou bien à Brimstone de Martin Koolhoven. De ces films se dégage systématiquement une atmosphère pesante, lourde et volontiers poisseuse en certains instants. Les éléments tirés du gothique que je citais plus haut s’y retrouvent régulièrement aussi, notamment la figure religieuse plus qu’ambiguë (merveilleux et inquiétant Guy Pearce dans Brimstone !).

Chacun de ces films s’appuie bien entendu sur de multiples choix esthétiques pour appuyer ce parti-pris. Construction des plans, choix des décors, idées en matière de photographie… Tout est fait pour que le rendu visuel pur et dur vienne enrichir les idées sous-jacentes et surtout les concrétiser à l’écran. Il faut que l’image rende compte de tout ce que le film cherche à véhiculer en matière de propos et d’ambiance.

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L’épaississement progressif de la brume qui avale la petite ville témoigne des intentions esthétiques qui guident le film.

Ce faisant et sans jamais faire appel au moindre aspect fantastique à proprement parler dans Never Grow Old, Ivan Kavanagh réussit à mettre sur pied une exécution qui impose cette atmosphère que les seuls personnages et leurs interactions induisaient déjà. Se compose alors autour de tout cela une espèce d’ambiance qu’on pourrait facilement qualifier de mystique, en dépit de l’absence d’éléments « surnaturels » en bonne et due forme. Entre les silhouettes qui se fondent dans la brume ou qui en émergent doucement, les personnages exclusivement nocturnes et divers autres aspects de cinématographie, le film se pare de nombreux échos qui flirtent sans cesse avec le fantastique sans jamais verser dedans, laissant alors à cette œuvre un côté relativement ambigu qui fonctionne très bien. Le personnage de Dutch Albert synthétise d’ailleurs admirablement bien cet ensemble d’intentions. Marqué par des parti-pris francs et indéboulonnables, on pourrait assez rapidement y voir quelque chose d’assez cliché : le bandit est toujours en noir, n’apparaît jamais de jour sauf une seule fois dans l’église (pour une séquence symbolique), etc… Alors, certes, tout ceci peut sembler assez facile mais ce n’est pas pour autant vain. Bien au contraire, Ivan Kavanagh réussit très bien à composer la symbolique de ce protagoniste (et d’autres mais celui-ci est certainement le plus réussi) et à en faire un archétype qui finit de lier Never Grow Old aux inspirations gothiques que je mentionnais précédemment. Dutch Albert est à la fois bandit et démon, tentateur dans une ville pieuse où règnera bientôt le vice et le péril des innocents. Je vous épargne une analyse plus complète du film car cela m’imposerait de révéler des éléments de scénario que je souhaite vous laisser découvrir si vous comptez vous plonger dans ce visionnage.

Grâce à ces intentions et à leur bonne exécution, Never Grow Old peut sans problème prétendre jouir d’une mise en scène de grande qualité. Si le film ne révolutionne pas forcément grand-chose (et ce n’est pas ce qu’on attendait de lui), il bénéficie d’une attention esthétique formidable qui fait de chaque plan un véritable régal pour les yeux. Qu’il s’agisse de montrer un paysage, un personnage ou de sous-entendre un événement à venir ou un état d’esprit, l’immense qualité des plans et de la photographie sont sans conteste les plus grands atouts de ce film. Il est malheureusement dommage que cet excellent travail visuel se fasse au service d’un récit assez quelconque. Le scénario pâtit en effet d’une construction purement narrative assez banale et ce en dépit des très bonnes intentions thématiques que j’ai jusqu’ici bien assez louées.
Il est en tous cas indéniable que si l’on apprécie de suivre le parcours de Patrick Tate et de voir la lente mainmise de Ducth Albert sur Garlow, la façon dont les choses sont amenées sur le seul plan de la construction de récit manque un peu de panache. Le scénario déroule ses péripéties de manière relativement attendue et s’il sait parfois nous prendre au dépourvu en donnant à certains événements des tournures relativement inattendues, il apparaît clairement que le plan général qui guide le récit n’a pas grand-chose de novateur. Encore une fois, on ne demandait pas à Never Grow Old de s’imposer comme un renouveau à lui tout seul mais on regrette quand même cette façon de s’asseoir sur des mécaniques narratives plutôt classiques en définitive. Du reste, j’insiste sur le fait que le travail esthétique et thématique mérite à lui seul amplement le détour !

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Je vais conclure avec quelques mots pour la distribution qui anime ce film, très rapidement parce que je sais après tout ce temps que ce n’est pas l’exercice où j’excelle le plus. J’entame donc cette amorce de fin d’article avec Emile Hirsch dont je ne cache pas mon plaisir de simplement le revoir dans un film. Hirsch est en effet un acteur que j’apprécie plutôt et dont je trouve qu’on ne le voit pas assez. Et quel plaisir de le retrouver dans un rôle qu’il incarne si bien ! L’acteur offre à son Patrick Tate une espèce de naïveté post-romantique qui colle idéalement non seulement au personnage mais aussi à l’atmosphère générale. Hirsch suit avec constance la manière dont Patrick se tord en tant que personnage et compose sans difficulté sur les différents tableaux que cela impose.

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Emile Hirsch est impeccable dans ce film.

Plus monolithique de son côté, John Cusack me laisse un peu le cul entre deux chaises le concernant. S’il réussit à pleinement occuper l’espace lorsque son rôle est présent dans une scène, il semble en même temps offrir un jeu plutôt convenu et assez peu varié. Peut-être est-ce le personnage qui veut cela après tout, lui qui vampirise tout lorsqu’il apparaît. Mais je ne peux m’empêcher de trouver la prestation de Cusack trop peu nuancée. A mon sens, tacher de sortir un peu Dutch Albert du carcan dans lequel l’acteur le fourre un peu aurait permis d’encore mieux répondre à toutes les intentions sous-jacentes qui guident le rôle sur le papier.
Concernant le reste du casting, inutile de faire trop long je pense. Si la plupart des acteurs et actrices proposent des interprétations d’un niveau tout à fait honorable, il serait assez vain d’aller dans le détail. Peut-être pourra-t-on tout de même souligner les prestations de Déborah François et de Danny Webb, de très bonne facture, ou encore celle du jeune Quinn Topper Marcus, qui incarne Thomas Tate, le fils de Patrick et Audrey. Le jeune garçon réussit en effet à se sortir du lot à mon sens en sachant composer avec un rôle certes au second plan mais dont la force grandit à mesure que le film progresse. Quinn Topper Marcus répond aux exigences croissantes de sa partition avec une justesse remarquable pour son jeune âge et je dois bien admettre que je serais curieux de le retrouver dans de futures productions.

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Ce n’est pas un chef-d’œuvre absolu, non, mais c’est clairement une très bonne surprise ! Avec Never Grow Old, Ivan Kavanagh offre un western efficace et surtout prompt à dépoussiérer un peu le genre en l’emmenant, comme quelques uns avant lui, vers de nouveaux horizons. Gothique dans l’âme, le film jouit d’une exécution impeccable qui sert avec un sens de l’à-propos plutôt fin tous les thèmes et toutes les influences qui sont les siens. Si tout ceci se fait « malheureusement » au service d’un récit un peu banal, on en retiendra surtout la tonalité, aussi lourde que sombre. Et puis, franchement, il est super joli à regarder.

Synthèse Never Grow Old

3 réflexions sur “« Never Grow Old », Ivan Kavanagh, 2019

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