Retour à la première partie de ce dossier.

Il y a quelque temps déjà, je vous proposais une plongée dans les magasins et travées de la Bibliothèque nationale de France pour y découvrir la place qu’y occupe le jeu vidéo. Nous avions alors pu découvrir l’ampleur du travail mené pour faire de ces œuvres un pan à part entière de notre culture et de notre patrimoine. Dans un souci de conservation, et ce depuis des années, le jeu vidéo a ainsi su se faire une place dans la bibliographie nationale.
Mais, je le soulignais alors, la Bibliothèque nationale n’est pas un coffre-fort. Il n’est pas question de collecter un patrimoine pour se contenter de l’accumuler. Tout autant que la culture dont il est le fruit, ce patrimoine vit même lorsqu’il a rejoint les murs, salles et magasins de la bibliothèque. Une vie qu’il conserve non seulement par la consultation des œuvres mais également par leur valorisation.

Au cours de la première partie de ce dossier, publiée il y a suffisamment de temps désormais pour que je me fende d’un petit rappel des faits, j’avais tâché de vous présenter les missions de la BnF concernant le jeu vidéo. Ce fut en effet l’occasion de voir qu’en définitive, ce dernier était tout bonnement une part des collections de la Bibliothèque nationale comme les autres. Un élément de culture française, du patrimoine national, qu’il faut collecter et conserver comme n’importe quel autre. Cette mission, souvenez-vous, la BnF s’y attache depuis de nombreuses années maintenant, lançant officiellement sa collecte de jeux vidéo au début des années 1990, à la faveur de l’élargissement du champ d’application du dépôt légal en 1992. Plus de trente ans après, ce sont près de 20 000 titres qui ont rejoint les rayonnages de la bibliothèque et qui sont mis à disposition des usagers qui fréquentent l’établissement.

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C’est sur le site François Mitterrand, reconnaissable à ses 4 tours signifiant des livres ouverts, que le jeu vidéo est conservé à la BnF.

« Une affaire qui roule », si l’on peut dire. Mais, surtout, la première partie de ce dossier nous a permis de constater que de nombreux enjeux et tout autant de problématiques se posent sur le chemin de cette patrimonialisation du jeu vidéo. Qu’ils concernent – entre autres – la promotion du dépôt légal auprès des studios ou encore l’ampleur de plus en plus grande de la part dématérialisée du média, ces interrogations font de la question de la conservation du jeu vidéo à la BnF un sujet vivant impliquant une adaptation constante des moyens mis en œuvre pour réaliser cette importante mission. Le département Son, vidéo, multimédia et plus encore son service Multimédia se doivent de faire preuve d’une veille permanente sur les évolutions de ce milieu pour répondre autant que possible à ces dernières et, ainsi, continuer à faire entrer le jeu vidéo dans les collections de la Bibliothèque nationale.

Si important soit-il, ce pan des activités de la BnF vis-à-vis du jeu vidéo n’est pas le seul. Patrimonialiser ces œuvres ne doit en aucun cas s’entendre comme le synonyme d’une muséification froide de ces dernières. Tout au contraire, à l’instar des autres collections de l’établissement, les jeux font l’objet d’une attention particulière non seulement en termes de communication auprès des usagers (cf. partie précédente du dossier) mais également – et c’est qui va nous intéresser aujourd’hui – en matière de valorisation et de médiation. 

La valorisation des collections, quelles qu’elles soient, est un aspect fondamental des missions des bibliothèques de manière générale. Qu’elles soient municipales, intercommunales, universitaires ou encore des institutions à part entière, les bibliothèques sont des établissements dont la démarche ne se cantonne jamais aux seules collectes et mises à disposition de leurs documents et ouvrages. Qu’il s’agisse de livres, de films, de musique ou donc de jeux vidéo, il est plus qu’important de mettre en valeur les collections. C’est un sujet d’ampleur qui rentre dans le cadre des missions de médiation que ces établissements doivent remplir.

Car au-delà de seulement donner à lire ou à voir, les bibliothèques sont des vecteurs de connaissance. Par leurs expositions, leurs conférences ou la « simple » mise en avant de documents, elles jouent un rôle fondamental de médiation donc, qui est au cœur du métier de bibliothécaire. Il est en effet essentiel de mettre en œuvre divers moyens qui permettent non seulement d’accéder à des ouvrages mais aussi de « rendre plus accessible un savoir quelconque », comme le souligne David Sandoz (sous la direction de Bernard Huchet) dans son mémoire Repenser la médiation culturelle en bibliothèque publique : participation et citoyenneté, soutenu auprès de l’ENSSIB en 2010. Ainsi, l’ensemble des tâches qu’accomplit une bibliothèque vis-à-vis de ses collections relève de cette démarche de médiation.

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Extrait de l’agenda de la BnF avec, entre visites et colloques, une play-conférence dédiée au jeu vidéo « Ancestors » le 17 Janvier 2024.

Cet aspect du rôle à jouer de ces établissements en matière de valorisation des ouvrages qu’ils renferment est important dans une optique de patrimonialisation vivante.

La Bibliothèque nationale s’inscrit évidemment dans cette vision des choses. Loin de se contenter d’une mise sous cloche de ses précieuses collections, elle cherche constamment à les mettre en avant, à leur offrir un projecteur mais aussi et surtout à les contextualiser et à les mettre au service d’une dimension plus large de partage du savoir. Sa nature de bibliothèque patrimoniale mais aussi de recherche l’oblige en quelque sorte à aller dans ce sens. Elle développe alors dans ce cadre une programmation culturelle et pédagogique dense, riche et variée. Concerts, lectures publiques, exposition, conférences… L’agenda de la Bibliothèque nationale est bien rempli et permet de convier les publics (j’insiste sur leur pluralité) à en découvrir sans cesse davantage au-delà de leur seule consultation des documents qui les intéressent. 

Et dans cet élan, le jeu vidéo n’est pas considéré à part à la BnF. Tout au contraire, il fait l’objet depuis plusieurs années d’une mise en avant dans le cadre de cette programmation qui flattera celles et ceux qui cherchent encore à débattre de la légitimité trouvée ou non du média au sein de la culture de manière générale. Si à l’heure actuelle aucune grande exposition dédiée au jeu (en tant que média ou même à une licence donnée) n’est venue occuper les espaces alloués de l’allée Julien Cain sur le site François Mitterrand, le jeu a tout de même su se faire une place dans l’agenda de la bibliothèque. Depuis 2019 en particulier, de nombreux événements dédiés à celui-ci ont ainsi été organisés avec les Rendez-vous du Jeu Vidéo, lesquels peuvent prendre plusieurs formes.

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Le 7 Décembre 2021, Marine Macq recevait le directeur artistique Cyril Tahmassebi et le vidéaste et auteur Alt-236 à l’occasion de la conférence « Imaginaires du jeu vidéo : les concept artists français ». Photo : David Benoist

Il y a tout d’abord les Play-conférences. Mêlant pratique du jeu et analyse, ces interventions – longtemps animées par Romain Vincent, professeur, doctorant et vidéaste connu pour son approche du jeu à des fins pédagogiques – sont essentiellement dédiées à l’approche de l’Histoire dans les jeux vidéo.
Entre 2019 et aujourd’hui, les Play-conférences auront ainsi permis de s’intéresser à des titres tels que A Plague Tale – Innocence, mais aussi We. The Revolution ou encore deux Assassin’s Creed : Odyssey puis Valhalla. Plusieurs jeux (indépendants ou grosses productions) ont également été choisis à l’occasion de deux rendez-vous consacrés à la Seconde Guerre mondiale.
Through The Darkest of TimesAttentat 1942 et My Memory Of Us ont ainsi été abordés côté indés tandis que Call of Duty – WWII et Battlefield V étaient prévus dans une conférence qui aurait permis d’approcher le versant des jeux AAA sur le même sujet, rendez-vous qui n’a finalement pas pu avoir lieu. L’occasion à chaque fois de voir comment les titres concernés approchent les périodes historiques dans lesquelles leurs intrigues prennent place, se les approprient et en renvoient une image particulière, fidèle à la réalité ou plus libre. La dernière édition en date est celle du 17 Janvier dernier et était consacrée à Ancestors – The Humankind Odyssey, en présence notamment de Patrice Désilets (créateur du jeu et de la licence Assassin’s Creed), Eléa Gadéa (recherchiste en Histoire) et Claudine Cohen (paléontologue et philosophe).

Parallèlement, la BnF organise également des conférences au sens plus « classique » du terme qui chercheront à mettre en avant le jeu vidéo en tant que média et en tant qu’objet de création artistique et culturelle. Qu’elles soient ou non inscrites dans le cadre plus général d’une saison thématique de la bibliothèque, ces conférences sont ici conçues de manière à aborder le jeu vidéo sous l’angle de ses spécificités propres, à mettre en avant des métiers et à valoriser le cheminement qui permet d’aboutir à sa conception. On pensera par exemple à la conférence du 25 Février 2020 « Créer un univers fantasy : L’exemple de The Witcher 3 – Wild Hunt ».
Si cette dernière s’inscrivait dans tout un cycle consacré à l’évolution de la création et de la production vidéoludique, elle fut également mise en place dans le cadre du grand cycle « Fantasy, retour aux sources » qui a animé la programmation culturelle de la BnF deux mois durant cette année-là. Mieux encore, pour l’occasion, la BnF a même développé son tout premier jeu vidéo maison ! Avec Le Royaume d’Istyald, l’institution a cherché à pousser sa démarche encore un peu plus loin en créant sa propre œuvre. Toujours accessible en ligne gratuitement, le jeu permet à la BnF de faire valoir ces aspects de patrimoine vivant que j’évoquais plus haut. Plus encore que de le collecter et de le montrer, voilà qu’elle le produit elle-même, qu’elle y contribue en première main. Cette philosophie d’établissement n’est évidemment pas jeune et de nombreux ouvrages papier notamment ont été édités par la Bibliothèque nationale, mais c’est ici la toute première production vidéoludique de son cru et, on l’espère, pas la dernière. Ce faisant, la BnF continue d’intégrer le jeu vidéo sans distinction de traitement dans sa politique patrimoniale au sens le plus général.

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Page d’accueil du jeu « Le Royaume d’Istyald », édité par la BnF. © BnF | Editions Multimédias

Enfin, c’est aussi l’histoire du média qui est mise à l’honneur via le programme de la BnF. De nombreux rendez-vous (notamment depuis 2021) ont été des moments permettant de faire la lumière sur le parcours du jeu vidéo en tant que pan culturel, sur les noms qui ont émaillé et fait son histoire depuis toujours, en France comme à l’étranger. Dans la première moitié de l’année 2021 donc, la BnF a ainsi organisé trois conférences qui auront permis de revenir sur des jalons de l’histoire du jeu vidéo. En Janvier, Marine Macq recevait notamment Ben Fiquet et Julian Nguyen-You, respectivement art director et background supervisor chez Lizardcube. La rencontre fut l’occasion de parler du studio mais aussi de leur travail sur Wonderboy – Dragon’s Trap et Streets of Rage 4,  moment opportun pour se questionner sur la manière de remettre au goût du jour des licences japonaises déjà anciennes. Le mois suivant, elle recevait Alexis Blanchet et Guillaume Montagnon – auteurs du livre Une Histoire du jeu vidéo en France : 1960-1991, des labos aux chambres d’ados, chez Pix n’ Love – pour parler de leur ouvrage et, par la même occasion, revenir sur ce vaste sujet. Enfin, en Avril de la même année, comment ne pas évoquer l’accueil d’un des fonfateurs du studio Silmarils lors d’une conférence dédiée à l’histoire de ce dernier et animée par Alice Dionnet ? Les pionniers du jeu vidéo, telle est d’ailleurs la thématique transversale d’un certain nombre de rencontres organisées en réalité dès 2016 avec :

  • Frédéric Raynal (Alone in the DarkLittle Big Adventure), lors d’une rencontre animée par Corentin Lamy
  • Bertrand Brocard (co-fondateur de Cobrasoft, président du Conservatoire National du Jeu Vidéo), avec Colin Sidre
  • Laurant Weill (co-fondateur de Loriciel), avec Alexis Blanchet
  • Benoît Sokal (auteur de BD, créateur des jeux L’Amerzone et Syberia
  • Muriel Tramis (Adibou) et Sébastien Siraudeau (VersaillesEgypte), avec Romain Vincent²

¹’² Ces deux conférences ont eu lieu en 2018 mais
ne sont malheureusement pas encore en ligne

Loin de moi l’idée de vous refaire tout l’historique de la programmation consacrée au jeu vidéo dans l’agenda de la BnF, mais il est important de souligner la variété des angles ainsi retenus pour traiter la question.
Cette multiplicité des approches peut sembler couler de source mais est particulièrement importante dans une optique de valorisation auprès des publics. J’insiste d’ailleurs ici sur la pluralité propre à ces derniers. Nous l’avons vu dans la première partie de ce dossier, la BnF n’attire pas qu’un seul type de public mais bien toute une galaxie de personnes qui se rendent dans ses murs selon des envies et des intérêts plus que variés. D’où la multiplicité des moyens mis en place mais aussi des approches pour donner un coup de projecteur sur, en ce qui nous concerne, le jeu vidéo, qu’il s’agisse de conférences donc mais aussi de stands tenus sur des salons – comme la Japan Expo en 2017 et plus régulièrement la Paris Games Week – ou d’expositions à l’instar de celle proposée lors de l’édition 2023 de la PGW justement et intitulée Attraction virale du jeu vidéo. A travers ses clichés, qui seront par ailleurs exposés à la BnF en Mars avec la Grande commande Photojournalisme, la photographe Odile Gine interrogeait et documentait les rapports que l’on entretient, seul, à plusieurs, en famille, en ligne, avec ce média.

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Au cours du colloque « Comment préserver et étudier les jeux vidéo…sans y jouer ? » le 23 Mai 2023, Laurent Duplouy (directeur du service Multimédia au sein du département Son, vidéo, multimédia) et Geoffroy Gawin (maître de conférences à l’ENSSIB) s’interrogent sur la manière de constituer des archives autour des jeux, en plus du dépôt légal. Photo : David Benoist

Ainsi, au-delà de donner à voir le jeu vidéo en tant qu’œuvre, l’ensemble de ces manifestations qui viennent le mettre à l’honneur permet aussi et surtout de répondre à certains enjeux que nous avons évoqués dans la précédente partie de ce dossier et qui concernent tout ce qui va toucher à la documentation autour du jeu. Si la BnF accueille en son sein des ouvrages ou périodiques spécialisés qui permettront d’alimenter la connaissance qui gravite autour du jeu vidéo, l’organisation de ces événements permet d’y participer directement.
Actrice de la conservation du jeu vidéo, la Bibliothèque nationale devient alors aussi actrice de la préservation d’un savoir multiple qui va autant toucher les démarches créatives que les aspects plus techniques du jeu en passant par tout un pan d’analyse de ces contenus. Il sera d’ailleurs tentant de voir le colloque organisé en Mai 2023 comme un point d’orgue de cette ambition. A travers une grande journée consacrée à la préservation et l’étude des jeux vidéo, l’établissement a su mettre sur la table l’ensemble des enjeux auxquels il fait face dans le domaine de la conservation vidéoludique. De la nécessité d’une adaptation au dématérialisé à la documentation du jeu vidéo en passant par l’importance des contenus vidéo dans cette optique, la Bibliothèque nationale a voulu traiter de ces sujets d’actualité en conviant journalistes, auteurs et spécialistes. Un colloque dense et riche que vous pouvez par ailleurs retrouver en intégralité sur la chaîne YouTube de la BnF.

Toujours dans cette optique, la BnF sait aussi se faire partenaire d’événements qui vont toucher de près ou de loin au jeu vidéo et à ses thématiques particulières. C’est ainsi qu’en 2019 le site François Mitterrand accueillait IndieCade Europe, salon européen dédié au jeu indé et dont nous avions d’ailleurs parlé dans cet autre article peu après. Ce même site a par ailleurs été l’écrin dans lequel se sont déroulés les deux premières éditions du colloque annuel du Conservatoire National du Jeu Vidéo en 2017 et 2018.

Enfin, on pourra évoquer la tenue en 2019 toujours d’un colloque intitulé « Ecrans, jeux vidéo : tous dépendants ? » et qui, en association avec les députés Audrey Dufeu-Schubert et Denis Masséglia et sous l’animation de Jean Zeid, aura permis de questionner ces sujets de manière nuancée et pertinente en présence de spécialistes et de remettre à plat les véritables teneurs du caractère addictif ou non des écrans et du jeu vidéo.

A travers l’ensemble de ces démarches, l’on peut finalement constater que le jeu vidéo s’est installé dans les habitudes de la BnF. Il s’ancre dans son paysage culturel global et dans sa politique d’établissement, le faisant même physiquement grâce par exemple à la borne d’arcade présente à l’entrée de la salle A du site François Mitterrand et qui permet, gratuitement, de jouer à une sélection de jeux rétro (SonicGolden AxeStreet Fighter IICastle of Illusion, Flashback…), invitant en cela les curieux et curieuses à découvrir la présence du jeu à la BnF.

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Conférence « Créer un univers fantasy : L’exemple de The Witcher 3 – Wild Hunt », 25 Février 2020. Photo : David Benoist

Surtout, il n’est pas inopportun d’y voir un signe de plus quant au gain de légitimité du jeu vidéo en tant qu’œuvre culturelle ainsi que comme sujet de recherche. La discussion consistant à savoir si cette légitimité est désormais acquise ou reste à trouver peut sembler vaine mais il n’en demeure pas moins que de voir les jeux ainsi mis en valeur au sein d’une institution telle que la BnF a de quoi réjouir. Dans un excellent article paru dans le n° 76 de JV le Mag (Octobre 2020) et que je citais déjà dans la première partie du dossier, Héloïse Linossier revenait sur cette question en évoquant notamment le fait que si les « game studies » voient leur ampleur progresser, il reste encore souvent nécessaire de défendre plus encore la pertinence ces dernières que des projets de recherche plus « habituels » ou « classiques » dirons-nous. La journaliste y relatait par ailleurs le fait que le très fort marché que représente le jeu vidéo a permis de justifier d’en faire un objet de recherche et donc de l’intellectualiser aux yeux des universitaires mais aussi du grand public. « Et, conséquence directe de cet état de fait, investir dans le jeu vidéo peut être un atout pour une université », ajoute-t-elle.

Dans ce moment où le monde de la recherche commence à s’intéresser de très près au jeu vidéo pour ce qu’il est – et non uniquement comme un élément à prendre dans le cadre d’une discipline « plus noble » comme la sociologie ou l’économie par exemple -, le rôle dont la Bibliothèque nationale de France s’est investi à son égard paraît primordial. D’une part parce qu’il participe de facto à ce gain de sérieux autour de la manière (ou plutôt des manières) d’appréhender le jeu vidéo et d’autre part car, par sa nature d’établissement en partie dédié à la recherche, elle va être un allié de taille pour les universitaires qui ont décidé, décident et décideront de porter leurs thèses sur ce média.

Mieux encore, la BnF a pu et continue en de nombreuses occasions de là encore mettre la main à la pâte directement, notamment en accueillant des chercheurs associés au sein de ses services. Nous en parlions précédemment mais, depuis 2003, la Bibliothèque publie chaque année des appels à chercheurs « afin de s’associer le concours de jeunes chercheurs à des fins d’étude et de valorisation de ses collections, en priorité celles inédites, méconnues ou insuffisamment décrites ». Avec ou sans bourse de recherche, la personne recrutée accède alors aux collections de la BnF afin de travailler dessus et donc d’à la fois contribuer à la valorisation de ces dernières tout en faisant avancer l’état de la connaissance.
Nous avions déjà évoqué pour cela les travaux de Benjamin Barbier, Jean-Charles Ray, Alexis Blanchet, Sélim Ammouche ou encore Romain Vincent et, actuellement, ce sont Benjamin Efrati (chercheur associé, lauréat 2021) et William Besserer (lauréat 2022 en tant que musicien-chercheur associé) qui portent l’attention de leurs travaux sur ces collections. Le premier pour un projet de recherche intitulé Préhistoire et jeu vidéo : une archéologie des imaginaires et des usages tandis que le second s’intéresse quant à lui à un pan musical à travers son étude Évolution esthétique et technologique de l’expérience sonore et musicale dans le jeu vidéo.

De vastes et beaux sujets que la densité de ce dossier m’empêche de traiter ici à leur juste mesure mais sur lesquels je reviendrai peut-être à la faveur d’un prochain article, qui sait ? D’ici là, gardons en tête que, grâce à ces partenariats, la BnF continue donc de contribuer pleinement à l’intégration du jeu vidéo non seulement dans le paysage culturel national général mais également dans celui de la recherche.

• Actrice de la conservation du jeu vidéo, la Bibliothèque nationale devient alors aussi actrice de la préservation d’un savoir multiple qui va autant toucher les démarches créatives que les aspects plus techniques du jeu en passant par tout un pan d’analyse de ces contenus. •


Il apparaît donc à travers ce panorama que j’ai tâché de vous dresser que la BnF s’emploie à pleinement valoriser le jeu vidéo, au même titre que ses autres collections. On se plaira à s’imaginer que d’autres paliers peuvent encore être franchis comme, par exemple, l’intégration de jeux dans des expositions dont ce média ne serait pas l’objet, comme support d’accompagnement d’une thématique donnée au même titre que des enregistrements sonores ou vidéo. Chaque chose en son temps cependant et il convient de louer le travail abattu par l’établissement en matière de mise en lumière du jeu. 
Toutefois, si celui-ci est devenu une évidence pour la BnF depuis de si nombreuses années, qu’en est-il de nos bibliothèques et médiathèques de plus petite envergure ou même de nos bibliothèques universitaires ? Par quels moyens le jeu vidéo arrive-t-il à rejoindre les collections littéraires, musicales ou vidéo d’établissements parfois tenus par une poignée d’agents dont le jeu n’est peut-être pas une pratique habituelle ? Pour caricaturer carrément la problématique : comment faire pour que votre bibliothécaire qui n’y connaît rien en jeu vidéo vous propose les derniers titres du moment dans les travées de votre médiathèque ? Ici, c’est un autre acteur qui entre en jeu, toujours au sein de la BnF : le Centre national de la littérature pour la jeunesse.

Le Centre national de la littérature pour la jeunesse (CNLJ) est un service qui – bien qu’il n’ait été rattaché à la BnF qu’en 2008 auprès du département Littérature et Art -, se veut l’héritier d’une déjà longue histoire. Il est en effet le descendant, si l’on peut dire, de La Joie par les Livres, à l’origine association loi 1901 créée en 1963 à l’initiative de la mécène Anne Gruner Schlumberger.

C’est dans un contexte multiple que ceci se déroule : scolarisation de plus en plus grande en maternelle, développement des questionnements autour de l’enfance, multiplication des bibliothèques publiques…

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La bibliothèque de Clamart, première enceinte de la Joie par les Livres, futur CNLJ. Photo issue du Fonds Atelier de Montrouge. SIAF / Cité de l’architecture et du patrimoine / Archives d’architecture du XXème siècle. Cliché anonyme

Ces facteurs parmi d’autres ont contribué à la naissance d’une réflexion autour de l’accès à la lecture pour la jeunesse, conduisant donc à la naissance de La Joie par les Livres. Installée à Clamart, dans les Hauts-de-Seine, la Bibliothèque des enfants et des jeunes de la Plaine (du nom de la Cité de la Plaine) ouvre en 1965, riche d’un fonds spécialisé auquel se joint un centre de documentation sur l’enfance et la littérature jeunesse, à destination notamment des professionnels.
Dès le départ, les missions et publics visés par La Joie par les Livres sont très clairement définis : nourrir la réflexion autour de la littérature jeunesse, développer et contribuer à l’information professionnelle autour de ce domaine, développer une approche critique de celui-ci et donner accès aux œuvres.

Les années suivantes seront marquées par plusieurs déménagements de l’association, quittant son siège du boulevard Edgar Quinet (Paris, 14ème arrondissement) pour la toute proche Avenue du Maine puis pour la rue de Louvois, dans le 2ème arrondissement, où le ministère de l’Education nationale et la Bibliothèque nationale de France mettent des locaux à disposition à partir de 1970 (à deux pas du site Richelieu de la BnF, notez). Le rapprochement avec l’Etat se fera de plus en plus grand par la suite. Dissoute en 1972, l’association est d’abord rattachée au ministère de l’Education nationale puis à l’Ecole nationale supérieure de bibliothécaires (ENSB, aujourd’hui ENSSIB³).

Ultérieurement encore – je vous passe la plupart des détails de l’historique du CNLJ -, c’est de la direction du Livre et de la Lecture au sein du ministère de la Culture que dépendra le désormais service avant d’être rattaché en 2008, comme je le mentionnais plus haut, à la BnF. Sous le nouveau nom de Centre national de la littérature pour la jeunesse, collections et personnels s’installent alors sur le site François Mitterrand, d’où ils continuent encore aujourd’hui de mener leurs activités de sélection éditoriale et de formation, principales missions du CNLJ.

³ENSSIB : Ecole nationale supérieure des sciences
de l’information et des bibliothèques

C’est au sein de la salle I, où j’ai été accueilli par Claire Bongrand et Jonathan Paul, que le CNLJ met ses collections à disposition des lecteurs et lectrices, selon les mêmes conditions que pour les autres salles de lecture du Haut de Jardin de la bibliothèque. Ouverte à tous à partir de 14 ans, la salle I propose notamment un large choix d’ouvrages pour la jeunesse, répartis entre des œuvres récentes éclairant l’actualité éditoriale du secteur dans différents registres (albums, bande dessinée, contes, poésie, etc.) mais également des œuvres classiques de la littérature jeunesse, depuis ses origines. A côté de cela, le CNLJ met aussi en avant des ouvrages de référence traitant de la littérature pour les enfants, un fonds consacré aux contes du monde entier (recueils et ouvrages de référence là encore), ainsi qu’une sélection de près de 60 revues professionnelles dédiées.
L’objectif derrière ces collections est d’offrir aux publics un panorama sur l’actualité de l’édition française et internationale en matière de littérature jeunesse. Car, que l’on ne s’y méprenne pas, la salle I et par extension le CNLJ, ne s’adressent pas spécifiquement et exclusivement aux jeunes publics. Si ces derniers ainsi que les curieux et amateurs de littérature jeunesse sont les bienvenus dans cette salle de lecture⁴, c’est avant tout pour les professionnels que le service met en œuvre son travail, qu’ils soient acteurs du secteur-même de la littérature pour la jeunesse ou encore médiateurs, dont notamment les bibliothécaires, ce que souligne le service sur son site internet :

Photo : Salle I – Centre national de la littérature pour la jeunesse © Béatrice Lucchese / BnF

⁴L’âge minimum pour entrer dans les salles de lecture de la BnF est de 14 ans. Cependant,
la salle I est également ouverte aux enfants accompagnés d’un adulte.

Comme je l’évoquais plus haut, le CNLJ a pour objectifs premiers la sélection éditoriale et la formation autour de la littérature jeunesse. Il s’agit en effet d’accompagner les professionnels dans leur travail d’accès à la lecture des enfants par exemple ou bien de sélection bibliographique en vue de compléter les fonds de leurs propres bibliothèques publiques. Cette optique de travail se cristallise en définitive autour des cinq missions principales auxquelles le CNLJ doit répondre :

  • encourager l’accès des enfants au livre, à la lecture et à la culture
  • repérer le meilleur de la production éditoriale et promouvoir une littérature jeunesse de qualité
  • conserver et mettre à disposition l’ensemble de la production française de littérature jeunesse (ce qui rejoint les missions patrimoniales de la BnF)
  • proposer aux professionnels et médiateurs du livre l’information et la formation nécessaires sur la littérature jeunesse
  • soutenir et valoriser la recherche dans ce domaine

Il serait donc facile de s’imaginer que le CNLJ, avec sa salle I remplie d’albums pour enfants et autres ouvrages pour les petits ou les adolescents, n’est qu’une porte pour ces publics sur des collections qui leur sont principalement destinées. Son rôle va pourtant bien au-delà de ce seul point et consiste finalement à mettre en valeur ce pan de culture et à faire valoir une expertise en la matière. Un aspect qui, pour en revenir à notre sujet, concerne également le jeu vidéo. Ce dernier trouve ainsi sa place au sein de la salle I notamment avec la possibilité d’accéder à une sélection de jeux régulièrement renouvelée sur PS4 et Switch ainsi qu’à des ouvrages de référence sur le sujet et des magazines spécialisés (Canard PC et Jeux Vidéo Magazine), en complémentarité avec la salle A, dont je vous avais déjà présenté les collections dans la première partie de ce dossier.

Nous en avons déjà un peu parlé, le gain en légitimité dont le jeu vidéo a fait et continue de faire l’objet – que ce soit dans le domaine de la recherche ou de manière plus générale dans la société – a conduit à intégrer ce dernier aux collections des bibliothèques. Et alors que la BnF s’est chargée dès 1992 de collecter les jeux dans le cadre du dépôt légal, c’est l’ensemble du réseau des bibliothèques qui s’est peu à peu tourné vers ce média afin de le mettre à disposition de leurs usagers. Si aujourd’hui, la plupart des médiathèques proposent ainsi des jeux vidéo, cela ne s’est cependant pas fait en un jour. Car même au sein du CNLJ, l’intégration du jeu dans les habitudes et missions s’est faite progressivement.

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Couverture du n°331 de La Revue des Livres pour Enfants (Juillet 2023), en grande partie consacré au jeu vidéo

C’est notamment via La Revue des Livres pour Enfants que le jeu vidéo s’est progressivement fait une place. Lancée en 1965, cette revue a pour ambition première de présenter à ses lecteurs et lectrices l’actualité et les nouveautés de la production littéraire pour la jeunesse. Matérialisation sur papier de la mission de sélection éditoriale et d’analyse de cette production, elle est un outil essentiel que le CNLJ conçoit à destination des professionnels que j’évoquais plus haut en vue de les accompagner dans leur travail de sélection bibliographique notamment (bien qu’elle s’adresse également à toute personne curieuse de suivre l’actualité de ce domaine précis). Publiée à raison de 6 numéros par an (5 numéros thématiques + une sélection annuelle de 1000 titres dont des jeux), elle permet d’obtenir une vue d’ensemble sur l’actualité du secteur tout en s’intéressant à des sujets variés lui permettant de développer une approche analytique et critique de son objet. A titre d’exemple, et pour en citer un qui nous ramène à notre sujet, le n°331 paru en Juillet 2023 consacre notamment son dossier au jeu vidéo. Ainsi, en plus des rubriques habituelles (nouveautés, revue de presse, actualités…), les contributeurs et contributrices de ce numéro ont ainsi pu composer autour d’une multiplicité de sujets permettant de s’intéresser au jeu vidéo dans une optique large. Un mot enfin pour préciser que l’intégralité des numéros de La Revue des Livres pour Enfants est disponible sur le site internet du CNLJ, deux ans après leur parution initiale.

C’est à partir des années 1990 que cette publication commence à s’intéresser au jeu vidéo mais elle le fait précautionneusement et progressivement. En effet, la chose n’est alors pas évoquée de front mais se veut prise dans une dimension multimédia assez générale qui rappelle finalement le phénomène autour de l’extension du dépôt légal de 1992 et la manière dont le jeu vidéo n’était pas véritablement la cible première de celle-ci. Comme pour accompagner son lectorat – et par extension les professions – dans l’arrivée du jeu vidéo au sein des collections notamment, le CNLJ a en effet d’abord mis en évidence des titres dont la portée était aussi et surtout pédagogique. Il s’agissait en effet alors moins de présenter le dernier Super Mario ou le nouveau The Legend of Zelda que de parler de jeux à portée éducative, lesquels évoluent le plus souvent dans les genres du jeu d’aventures « à l’ancienne » ou du point’n’click.
C’est ainsi par exemple que dans son numéro 195 (d’ailleurs titré « Jeunes lecteurs et multimédia »), Olivier Piffault nous présente notamment Artus contre le Démon du Musée, visant à « réconcilier les enfants avec l’art » ; Louvre, l’Ultime Malédiction, jeu « parti de l’idée de reconstituer l’évolution du palais du Louvre » ; ou encore les jeux d’éveil La Maison de la Petite Famille et Les Jeux de la Petite Famille par RLC-Edusoft et Fisher-Price. Au milieu de cette sélection, même le jeu de simulation et stratégie Star Wars Episode I – Le Nouveau Monde Gungan est présenté à travers ses aspects les plus sérieux, comme pour justifier qu’un titre ludique tiré d’une licence telle que Star Wars trouve son chemin jusque dans ces pages : « Ce titre est certes un jeu (une « biosimulation »), mais aussi un documentaire et une initiation aux problèmes écologiques », nous expliquait alors l’auteur de la rubrique, rappelant par sa formulation que le jeu vidéo en bibliothèque, ça n’a pas coulé de source dès le départ.

Au mitan des années 2000, la situation évolue et le jeu vidéo est de plus en plus assumé en tant que tel dans les pages de La Revue. Nous sommes alors dans le contexte de la Wii, console de Nintendo lancée en 2006 et qui a très largement étendu la pratique du jeu vidéo à un nouveau public, allant notamment chercher les parents et même parfois les grands-parents. La console, accompagnée de la DS sortie un an plus tôt, multiplie le nombre de joueurs potentiels en accueillant des jeux ultra grand public. Dans le n°331 de La Revue des Livres pour Enfants, Olivier Piffault revient sur ce phénomène marquant :

On ne reviendra pas ici sur toutes les discussions que l’ampleur nouvelle alors prise par le jeu vidéo a pu susciter mais il faut bien avoir en tête que cette conquête de publics inédits a été l’un des enjeux primordiaux dans l’arrivée de ce média dans les collections des bibliothèques. Nous avons pu voir que les jeux y ont trouvé leur place depuis de nombreuses années, sinon décennies, mais cette vague d’expansion des publics sur la deuxième moitié des années 2000 a en quelque sorte accéléré un processus jusqu’alors long et lent.

Face à cela, comme toujours, les professionnels ont dû s’adapter et apprendre à connaître le jeu vidéo pour l’amener au mieux dans leurs établissements, trouver les bonnes manières de le mettre à disposition et de le valoriser. Le rôle du CNLJ est ici tout trouvé : de la même manière qu’il apporte son expertise sur la littérature jeunesse, il va en apporter une nouvelle sur le jeu vidéo et ce dernier va devenir un enjeu essentiel parmi les autres de médiation et de formation.

La Revue sera ici un outil essentiel mais doit être replacée dans le contexte plus global des activités menées par le CNLJ. Elle se veut entourée de toute une programmation visant à expliciter son contenu, à le contextualiser et à fournir un éclaircissement sur les jeux présentés notamment au cours de l’Avant-Revue.
Service gratuit, l’Avant-Revue peut en quelque sorte être vue comme une lettre d’information que le service envoie chaque mois, sur abonnement gratuit. Elle permet alors aux personnes inscrites de recevoir une liste des jeux testés par le CNLJ avec mention de l’âge adéquat pour les découvrir ainsi qu’un avis sur les titres concernés. Mieux encore, l’Avant-Revue fait l’objet d’une présentation assurée par les agents du service sous forme du webinaire. Ouverte à tous, cette présentation se décline deux fois par an (Mars et Octobre) en séances dédiées aux applications et jeux vidéo et au cours desquelles des focus thématiques peuvent également être proposés afin d’envisager le jeu sous des angles spécifiques.

AR octobre 23
Annonce du programme de l’Avant-Revue d’Octobre 2023. Ce mois-là, le CNLJ avait notamment évoqué Dordogne, Pikmin 4, The Bookwalker ainsi que A Space for the Unbound, entre autres.

Ce dernier point est important car il convient de rappeler que la mission du CNLJ n’est pas de donner une liste de jeux et de dire « celui-ci est bien, celui-ci ne l’est pas ». Le Centre adopte à l’égard du jeu vidéo la même posture qu’à l’égard de la production littéraire pour la jeunesse, visant avant tout à porter un regard analytique et cohérent avec les politiques documentaires des établissements. Plus critique – au sens d’une réflexion qu’il nourrit et non uniquement d’une appréciation qu’il porte – que patrimonial, son travail en matière de jeux consistera alors pour beaucoup à réaliser une curation dans la production vidéoludique afin de mettre en avant les incontournables (que les professionnels des bibliothèques ne connaissent pas forcément) et les jeux les plus pertinents à intégrer aux collections.
Cette approche critique justifie par ailleurs le fait que le CNLJ, dans ses sélections, module un peu les choses, notamment en ce qui concerne le PEGI. Si la fameuse classification européenne (Pan European Game Information) qui permet de signaler les jeux selon l’âge conseillé et leurs contenus (violence, sexualité, jeux de hasard, microtransactions…) reste un élément incontournable dont La Revue a d’ailleurs traité dans un article intitulé « PEGI : Mode d’emploi » (n°292, Décembre 2016), le service a fait le choix d’opter pour une approche plus souple en quelque sorte. Un choix que Jonathan Paul, conservateur au sein du CNLJ et contributeur de La Revue des Livres pour Enfants, m’expliquait dans un mail du 25 Janvier 2021 :

Là encore, c’est bien cette notion de médiation qui entre en jeu. Par cette vision des choses, le jeu vidéo est envisagé comme un élément potentiel des collections d’une bibliothèque et doit faire l’objet d’une attention de la part des professionnels du milieu afin d’orienter au mieux leurs usagers. Aux rédacteurs et rédactrices de la rubrique dédiée dans La Revue des Livres pour Enfants de faire ce travail de découverte, de tester des jeux afin de livrer l’information adéquate à leurs collègues du monde de la lecture publique, dont nous avons vu plus haut que, sans notion d’exclusivité pour autant, ils demeuraient le public-cible du Centre.

Or, si l’on reste dans le domaine de ces professionnels de la lecture publique et de la médiation culturelle, il est primordial d’avoir à l’esprit que leur connaissance de ce champ couvert par le jeu vidéo n’implique pas seulement de connaître les différents titres ou genres, les sorties récentes et à venir… Il est important en effet de saisir, comme pour la littérature (au sens le plus large), la musique ou encore le cinéma, cette sphère culturelle de manière aussi vaste que possible, en adoptant un point de vue qui permet de l’embrasser sous de nombreux aspects : culture jeu vidéo, information autour du jeu, problématiques sociétales…

Rien que dans les différents numéros de La Revue, le CNLJ témoigne de cette pluralité thématique au travers de différents articles tels que « La presse jeu vidéo en difficulté » (n° 329, Avril 2023), « Le jeu vidéo, une culture toxique ? » (n°316, Décembre 2020), « Le réel au risque du jeu vidéo » (n°300, Avril 2018). En 2023, le n°331 que j’évoquais plus haut aura permis d’illustrer encore plus cette idée avec des articles portant sur l’évolution et les mutations de la pratique du jeu, sur The Legend of Zelda, sur les manières de s’informer sur le jeu ou encore sur la médiation en bibliothèque autour de ce dernier.

Mieux encore, afin de parfaire cette approche, le CNLJ n’hésite pas à faire appel à des contributions venues de la « sphère jeu vidéo », au sens large une fois de plus. Julie Le Baron (rédactrice en chef de Canard PC), Sébastien Delahaye (ex-journaliste et désormais documentaliste), Marine Macq (galeriste et autrice) ou encore Erwan Cario (journaliste pour Libération et en particulier Silence On Joue) ont ainsi fait partie des plumes amenées à participer à cette revue. De cette manière, et en fidélité avec sa ligne éditoriale de toujours, le Centre offre à ses publics une information de qualité, précise, vaste et en définitive nécessaire pour accomplir cette mission de médiation de la meilleure des manières.

sommaire
Le sommaire du n°331 de La Revue des Livres pour Enfants et ses multiples approches du sujet jeu vidéo. A retrouver. Un numéro que vous pouvez commander en ligne.

Enfin, je le disais plus haut, La Revue n’est pas le seul ressort dont le CNLJ dispose pour faire valoir son expertise. Le service propose en effet par ailleurs une offre de formation initiale et continue au sein de laquelle le jeu vidéo et la médiation inhérente ont parfaitement trouvé leur place, notamment avec « de premiers stages dédiés à la question du jeu vidéo en bibliothèque dès 2008-2009 », comme me le précise Claire Bongrand, chargée de communication pour le CNLJ et contributrice de La Revue des Livres pour Enfants. De la même manière que ce média a su faire l’objet d’une attention particulière dans le cadre de ce rendez-vous régulier qu’est l’Avant-Revue, il est désormais totalement pris en compte dans cette volonté d’offrir « des repères dans la production éditoriale, de mieux connaître les pratiques culturelles des enfants et des jeunes, de rencontrer des professionnels et des créateurs, de réfléchir aux pratiques de médiation », objectifs explicites du CNLJ dans ce domaine de formation.

C’est ainsi que depuis 2023 par exemple, le service propose un stage au libellé évocateur, « L’art du jeu vidéo à la française », organisé autour de rencontres et d’ateliers visant à « s’interroger sur l’existence de caractéristiques propres au jeu vidéo français en revenant sur son histoire, ses ancrages littéraires et culturels, sa place dans le paysage académique et institutionnel ». Cette année, le stage aura lieu du 3 au 5 Juin prochains. A travers ces propositions, le service espère rendre les bibliothèques et les professionnels concernés plus critiques à leur tour quant à leurs choix de jeux à proposer à leurs usagers. Il s’agit pour Claire d’aller « au-delà de Mario et Minecraft et d’ouvrir les bibliothèques et donc leurs publics à des œuvres plus confidentielles », prenant pour exemple l’excellent Sayonara Wild Hearts développé par Simogo et édité chez Annapurna Interactive.

Parallèlement, le CNLJ propose également des colloques et journées d’étude ainsi que des cycles gratuits (les Visiteurs du Soir, rencontres, conférences…) ou des présentations régulières de l’actualité éditoriale en lien avec l’Avant-Revue donc. C’est ainsi qu’en 2014 fut organisée la journée d’étude « Jeu vidéo et bibliothèques », à laquelle succéda notamment en 2017 une nouvelle journée « Jouer en bibliothèque ». Mentionnons aussi le fait que des formations à la carte sont également proposées « pour s’adapter aux besoins particuliers des collectivités ou des associations ». Fort de cette expérience en matière de formation et d’information, on pourrait s’imaginer que le CNLJ a déjà sorti un ouvrage de référence qui traiterait justement du jeu mais ce n’est pas encore le cas. Il ne fait toutefois aucun doute qu’un livre de ce type finira bien un jour par trouver sa place au milieu des actes de colloques, ouvrages thématiques et autres guides pratiques qu’édite le CNLJ afin de diffuser ses actions.


Nous voilà donc à la conclusion de ce tour de la BnF et de ses activités autour du jeu vidéo. Qu’il est vaste ce travail que l’institution mène ici ! Nous avions déjà pu voir tout le chantier que représente la patrimonialisation du jeu vidéo, son intégration pleine et entière dans le patrimoine national français via le dépôt légal. Surtout, il avait été intéressant de voir tous les enjeux que cela soulevait. Car au-delà de simplement réunir en un lieu l’ensemble de la production vidéoludique nationale et internationale, bien des questions se posent quant à leur conservation et aux mutations auxquelles la BnF doit sans cesse s’adapter pour pérenniser ses missions.
Aujourd’hui, nous avons pu voir que le travail de la Bibliothèque nationale ne se limitait en aucun cas à ces préoccupations premières. Bien au contraire, une fois entré en son sein, ce patrimoine doit continuer de vivre. En résulte une activité vibrante faite d’événements divers, de salons, de partenariats, le tout au service d’une mise en valeur des collections vidéoludiques qui bénéficiera quant à elle à l’avancée de la connaissance sur ce média. La pluralité des approches, des publics visés, des moyens mis en œuvre et des partenaires appelés à contribuer rend l’affaire foisonnante et riche en enseignements.
On nous dit enfin souvent que le jeu vidéo est un média jeune. Qu’il est plaisant alors de s’imaginer tout ce que la BnF et le CNLJ pourront faire dans l’avenir pour continuer à le mettre en lumière tout en évoluant à ses côtés pour s’adapter à ses mutations, qu’on imagine et espère nombreuses.

Remerciements :
David Benoist,
département Son, vidéo, multimédia de la BnF.
Jonathan Paul, Claire Bongrand,
Centre National de la Littérature pour la Jeunesse.

Une réponse à « Le jeu vidéo à la BnF – Pt.2 : Un patrimoine à faire vivre »

  1. Avatar de Dans mon Eucalyptus perché a 10 ans ! – Dans mon Eucalyptus perché

    […] les plus récents. Sur la saison en cours notamment, que de succès ! Qu’il s’agisse de la deuxième partie de mon dossier sur le jeu vidéo à la BnF, de ma chronique de Chants of Sennaar ou encore de mon article sur Cassette Beasts, je dois bien […]

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