Ayant fini Black Flag récemment j’avais dans l’idée de rattraper mon retard sur les aventures de Batman menées par Snyder et Capullo et que j’avais laissées de côté après les deux tomes de L’An Zéro (dont on parlera prochainement, tout comme de Sombre Reflet soit dit en passant). J’ai donc voulu prendre le premier des deux volumes que je n’ai pas encore (le 6ème, Passé, Présent, Futur) mais il était introuvable, aussi incongru que cela puisse l’être. Du coup, n’ayant pas d’autre série en cours (tout du moins pas avec un tome inédit que je n’ai pas encore) et n’ayant pas envie d’en démarrer une autre, je me décide à prendre tout autre chose, un truc en un seul volume pour changer. Mon regard se porte alors sur un étalage de bandes dessinées à penchant historique mettant en scène (au choix), des mousquetaires, des chevaliers, des mafieux sauce Al Capone ou…des cow-boys.
Faut déjà savoir avant toute chose que j’adore les westerns, avec une préférence toute assumée pour les westerns spaghetti et (évidemment) le travail de Sergio Leone. Enfin bref, je tombe dans le cas présent sur deux chose. La première c’est Undertaker par Xavier Dorisson et Ralph Meyer. Plutôt engageant au première feuilletage, son seul défaut c’est d’être une série et – vous l’aurez sans doute retenu vu que vous êtes hyper attentifs – je n’ai pas envie d’en démarrer une nouvelle (c’est bon, j’ai déjà Batman, Batman & Robin, Walking Dead et Invincible, ça m’occupe bien assez). Du coup je me tourne vers un autre choix, en un seul volume cette fois mais tout aussi engageant par ailleurs après avoir rapidement feuilleté la chose : Sykes, de Pierre Dubois et Dimitri Armand. Le premier est le scénariste de cet ouvrage et est notamment connu pour son travail sur les séries de BD Le Torte, Pixies, La Légende du Changeling ou encore Les Lutins. Il est d’ailleurs à noter qu’il a également rédigé La Grande Encyclopédie des Lutins et ses sœurs consacrées aux fées et aux elfes. Quant à Dimitri Armand, il est un jeu illustrateur qui s’est principalement fait connaître pour ses planches réalisées pour les séries Angor, Les Filles de Soleil ou encore Bob Morane – Renaissance. Ce sont donc deux artistes que je découvre totalement qui sont à l’origine de ce one shot. Et je dois bien avouer que ça faisait longtemps que je ne m’étais pas plongé dans une BD dont je ne savais strictement rien avant de l’acheter, ce qui ne manque pas de susciter une curiosité certaine.

Pierre Dubois (à gauche) et Dimitri Armand (à droite donc) sont les deux hommes derrière Sykes.
Si l’on en revient à Sykes, cette bande dessinée nous raconte l’histoire du marshal Sykes, lequel est en route pour un bled paumé quelque part dans l’Ouest américain et où il est censé retrouver une bande de braqueurs de banques. En chemin, il rencontre le jeune Jim Starret et sa mère, qui vivent dans une petite maison isolée à quelques lieues dudit bled paumé. Bref, le décor est planté en deux pages et ressemble beaucoup à ce que l’on aura déjà pu voir moult fois au cinéma. Je ne vous révèle pas le pourquoi du comment mais une histoire de vengeance se goupille peu après, le gamin se met en chasse avec le marshal et son acolyte et l’histoire part là-dessus. C’est a priori très commun comme affaire et cela pourra faire penser par exemple à True Grit ou, dans une moindre mesure, à 3h10 pour Yuma. Mais peu importe ! Peu importe en effet car l’affaire est rondement menée. Pierre Dubois livre en effet un scénario solide et qui arrive, tout en se basant sur des thématiques ou même un pitch de départ somme toute assez récurrents dans le monde du western, à se forger une identité propre. Et c’est à plusieurs choses que cela revient, à commencer par la qualité d’écriture de Dubois, qui arrive à mêler avec talent toute la tension inexprimée des westerns mais aussi leur violence, parfois contenue, parfois totalement libérée et libératrice (tant pour les personnages que pour le lecteur en l’occurrence). Dubois rythme son récit avec une justesse remarquable qui rappellera autant le cinéma de Sergio Leone que celui de John Ford. Pas question en effet d’orienter cette œuvre plus vers le western spaghetti ou celui de John Wayne et Dubois pioche plutôt dans les deux pans de ce genre trop peu présent sur les grands écrans d’aujourd’hui (si ce n’est avec quelques résurgences comme 3h10 pour Yuma encore une fois ou Appaloosa pour donner deux exemples récents*). Mais cette façon d’aller à la croisée des genres (si l’on considère le western américano-américain et le western spaghetti comme deux genres différents bien entendu) n’empêche en rien Sykes d’avoir sa propre identité, de se construire ses propres atouts qui en font au final une oeuvre nette dans le sens où elle arrive tout de même à se détacher de ses influences premières pour se construire toute seule.
*J’aurais bien évoqué Jane Got a Gun mais le film a fait un tel four qu’il n’est pas resté suffisamment longtemps à la programmation des cinémas pour que je puisse aller le voir, hélas !

La plupart des ingrédients d’un western classique sont présents dans cette BD, dont l’éternel règlement de comptes au saloon.
Et là où Sykes arrive à prendre cette distance par rapport au genre dans lequel il évolue, c’est clairement dans ses personnages. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le titre même de la BD n’est autre que le nom du personnage principal car, plus que des événements, ce sont des passages de vie qu’on vient nous raconter ici. Sykes ne se contente en effet pas d’être le récit d’une histoire particulière mais cherche plutôt à être la chronique du parcours d’un marshal sur plusieurs années. Et si le scénario se compose évidemment de plusieurs étapes marquantes, ce n’est au final que pour mieux mettre en scène l’évolution de ce personnage dont la composition est sans cesse mouvante. Sykes est tour à tour ce marshal intègre puis borderline puis quasiment suicidaire, lequel ne trouve finalement son équilibre que dans les relations qu’il entretient avec son compère […] et avec le jeune Jim. Dubois a d’ailleurs l’excellente idée de créer un parallèle certes ponctuel mais néanmoins judicieux avec les destinées des personnages de Moby Dick et notamment du capitaine Achab et d’Ismaël et la façon dont l’un s’enfonce dans les abîmes. Le scénario de cette bande dessinée se ponctue alors d’événements dont la gravité et l’intensité varient mais qui constituent toutefois à chaque coup une nouvelle pierre qui leste le personnage principal et l’amène à tomber toujours plus bas, jusqu’à un dénouement particulièrement bien trouvé.

Le personnage de Sykes est particulièrement tourmenté et offre ainsi une dimension au récit que les westerns n’exploitent pas toujours suffisamment.
Reste enfin à évoquer la qualité graphique indéniable de ce volume, laquelle revient donc au travail de Dimitri Armand et que j’avoue avoir grandement apprécié. Armand pose sur Sykes un trait fin et détaillé mais qui n’hésite en même temps pas à donner un aspect un peu plus crasseux lors de certains passages qui colle finalement assez bien non seulement avec le contexte mais aussi avec ce propos que j’évoquais juste avant concernant l’évolution du personnage. Sans être aussi tourmenté que son personnage principal, le dessin d’Armand cherche parfois à mettre en image cette rudesse qui transpire constamment avec plus ou moins d’intensité selon les situations. Ce qui est intéressant également c’est cette façon qu’a l’illustrateur de faire comme Dubois, c’est-à-dire de chercher à s’affranchir de ses influences western tout en les utilisant au mieux. Ça ne veut pas dire grand-chose ce que je viens d’écrire là mais l’idée c’est que l’on sent dans la mise en scène générale de la BD que – encore une fois – les westerns tant spaghetti qu’hollywoodiens sont passés par là. Et pourtant, ça n’est pas si percutant que ça parce qu’Armand arrive à puiser dans ces références tout en s’en détachant allègrement afin de composer quelque chose d’autre. Oh il y a bien certaines cases dans cet ensemble qui rappelleront (pour mon plus grand plaisir) des plans vus et revus au cinéma mais il n’en demeure pas moins que malgré cela, Sykes jouit de sa propre identité encore une fois.

Vous voyez ce que je voulais dire quand je parlais de plans référencés ?
En définitive, Sykes fut une très bonne surprise dont le principal atout est certainement cette capacité à s’imprégner de ses influences cinématographiques tout en arrivant à suffisamment s’en affranchir pour se forger sa propre patte, son identité. Loin d’être une simple BD western marquée par des références plus ou moins fortes, Sykes se veut plutôt être un écho qui renvoie inlassablement aux classiques du genre sans jamais se laisser submerger par ceux-ci. Au contraire, Dubois et Armand livrent une histoire forte et marquée par leur propre vision du genre. Du bon boulot les p’tits gars.
Sykes, Pierre Dubois & Dimitri Armand, Le Lombard, 79 pages (16,45€).