Cela fait plus de trois ans qu’on n’a pas parlé comics par ici. La dernière fois, c’était avec un monument de l’univers Batman puisque je vous avais proposé un article consacré au fameux Killing Joke d’Alan Moore et Brian Bolland. Entre temps pourtant, que de lectures chez l’homme chauve-souris ! Entre la série Batman par Scott Snyder et Greg Capullo, les Batman & Robin de Peter J. Tomasi et Patrick Gleason ou encore Sombre Reflet, également écrit par Snyder mais illustré cette fois-ci par Jock et Francesco Francavilla, j’ai eu de quoi faire ! Mais c’est avec la dernière série en date consacrée à Batman que nous allons reprendre le chemin des comics aujourd’hui.
Les logiques éditoriales de DC (comme de Marvel d’ailleurs) sont une sorte de grand bordel depuis quelque temps. Après avoir relancé son univers de zéro avec les New 52 (aka Renaissance DC), voilà que l’éditeur redémarre de nouveau avec les séries estampillées Rebirth. Sans faire table rase cette fois-ci, DC donne à lire tout un tas de nouvelles séries qui s’inscrivent dans la continuité de la Renaissance, tout ça pour mieux nous conduire vers une énième remise à zéro, vraisemblablement avec l’événement Doomsday Clock, lequel fait s’entrechoquer les univers des super-héros DC et des Watchmen. Bref, c’est un peu confus mais libre à chacun de faire le choix de prendre en compte ou non toutes ses timelines qui s’imbriquent et s’annulent joyeusement. En ce qui me concerne, j’attaque Batman Rebirth avec la ferme intention de faire comme si le reste n’existait pas, histoire de ne pas trop me prendre la tête. Et puis il faut dire que si l’on tient absolument à TOUT comprendre, cela implique de lire l’intégralité des séries Rebirth, ce qui commence à représenter un temps et une somme d’argent relativement considérable…
Bref, pour en revenir à ce qui nous intéresse, j’attaque à titre personnel la série Batman Rebirth après avoir (enfin !) terminé l’arc mené par Scott Snyder et Greg Capullo jusqu’ici. Ensemble, les deux hommes ont ainsi livré une saga de pas moins de 9 volumes qui n’auront pas manqué de connaître des hauts et des bas. La chose avait en effet commencé par trois premiers tomes somme toute assez corrects. La Cour des Hiboux, La Nuit des Hiboux puis Le Deuil de la Famille avaient en effet constitué une entrée en matière certes inégale mais néanmoins de qualité. Snyder et Capullo s’étaient ensuite affairés à revisiter (encore…) les origines de Batman en livrant une toute nouvelle versions étalée sur les deux tomes de L’An Zéro. Bien plus inégale, cette origin story est aussi l’une des moins intéressantes de toute l’histoire de Batman. S’en est enfin suivi une fin de série chaotique où le scénario en particulier ne semble plus savoir où donner de la tête et où le dessin s’enlisait dans une routine dommageable et des choix parfois très discutables à l’image de cette armure qu’enfile Gordon dans les ultimes volumes… En gros, ça devenait gentiment n’importe quoi et je fus bien soulagé d’en finir avec ce run pourtant prometteur dans ses premières années.
Arrive donc Batman Rebirth et c’est à Tom King que revient la tâche de donner suite aux événements narrés par Snyder avant lui. Les amateurs de comics n’ont plus besoin qu’on leur présente Tom King mais, pour les plus néophytes d’entre nous, sachez que le monsieur a notamment travaillé sur les séries Grayson et Nightwing côté DC Comics, ainsi que sur The Vision pour le compte de Marvel. A ses côtés pour illustrer ces deux premiers tomes, nous retrouvons tout d’abord David Finch, que nous avions déjà évoqué sur ce blog au moment de parler de Batman : Le Chevalier Noir, puis de Mikel Janín, comparse de King sur Grayson notamment mais également présent sur la série Justice League Dark.
Sans plus de détours maintenant, que valent ces deux premiers tomes de Batman Rebirth ? Ce que l’on pourrait dire pour commencer avec ironie, c’est qu’ils bénéficient d’un avantage majeur : ils passent après les ultimes chapitres du run de Snyder et Capullo. Difficile en effet de faire plus décousu que les deux tomes de La Relève.
En revenant à des bases autrement plus solides sur le plan du scénario notamment, Tom King réussit à faire oublier en quelques pages les égarements précédents. Car si Mon Nom est Gotham et Mon Nom est Suicide ne sont pas absolument du grand art, ils n’en demeurent pas moins deux récits de très bonne facture. Les rebondissements y sont habiles, le suspense assez présent… C’est vraiment pas mal, d’autant que le ton donné à la série est très appréciable. Sombre sans les écueils commis par Snyder, Rebirth s’annonce brut, brutal même si l’on en croit certains événements relativement violents qui surviennent dans ces deux tomes. Mais surtout, au-delà de nous donner à lire des histoires prenantes, King tâche de donner du sens dans les événements qu’il raconte.
Ce que je m’apprête à dire implique de révéler quelques détails des derniers Batman de Snyder et Capullo. Aussi, si vous souhaitez conserver la surprise, je vous invite à ne pas lire ce qui va être écrit entre les deux crochets rouges et à vous rendre directement après ce passage.
[SPOILER/ON]
En gros, après un affrontement dantesque contre le Joker, Bruce Wayne perd la mémoire et n’est donc plus Batman : ne se souvenant même pas de la mort de ses parents, il n’en garde forcément aucun traumatisme. Les événements lui permettront de retrouver ses souvenirs à l’issue de cet arc, suite à un laps de temps où c’est Gordon qui, pour diverses raisons, devient le nouveau Batman.
[SPOILER/OFF]
Tout ceci donne donc lieu à l’arrivée en ouverture de cet arc Rebirth d’un Batman tout beau tout neuf, opportunité idéale pour retravailler un tantinet le personnage. Et cette opportunité, Tom King ne manque pas de la saisir dans ces deux premiers volets où il tâche, sans grands bouleversements malvenus néanmoins, de travailler le fond du personnage, d’en redessiner les contours afin d’en livrer sa vision personnelle et conférer à Rebirth une identité propre.
C’est ainsi qu’au cours de Mon Nom est Gotham puis de Mon Nom est Suicide, une réflexion est délicatement menée sur le sens que Batman se donne à lui-même, sur sa redéfinition par les interactions avec Gotham et Gotham Girl tout d’abord, deux tous nouveaux personnages aux super pouvoirs suffisants pour rivaliser avec Superman, puis dans sa relation avec Catwoman, laquelle est rondement menée et ne peut que donner envie de lire Batman : A la Vie à la Mort, récit hors-continuité également composé par Tom King et dans lequel l’auteur raconte l’hypothèse où Batman aurait décidé de s’unir à Catwoman dès le départ. Enfin bref, tout ça pour dire que le fond est franchement intéressant, sans doute plus pour le travail que mène le scénariste sur ses personnages que sur le récit, lequel ne manque cependant pas de qualités comme je l’évoquais plus haut.
J’ai particulièrement été intrigué par le personnage de Gotham, ce nouveau et puissant super-héros. Le personnage est intéressant dans le sens où, de manière assez évidente vu son pseudonyme, il cherche à symboliser Gotham City et ses habitants. Gotham en tant que protagoniste est une témoignage de la façon dont Batman a marqué sa ville et ses nombreux concitoyens, individuellement ou tant que communauté. La relation, de plus en plus tortueuse et complexe, qui s’installe entre les deux héros à cape n’en devient alors que plus essentielle pour ce travail de redéfinition que je soulignais juste avant. Batman, en se confrontant à Gotham et en cherchant à mieux connaître sa personnalité et ses ambitions, se retrouve mis face à ses préceptes et convictions mais également à ses contradictions, de la manière la plus brutale qui soit. Une sorte d’introspection qui se poursuit dans le volume suivant et en particulier dans le relations épistolaire qu’il entretient avec Catwoman et où il livre le fin mot de ce qu’il est convaincu d’être, tant pour lui que pour sa ville et même vis-à-vis de ses défunts parents. Et je dois bien admettre que sans être fondamentalement bouleversé par ce que j’ai ainsi lu, tout ce pan de scénario m’a un petit peu bousculé, ce qui ne fait vraiment pas de mal. A noter également la très bonne mise en scène de Bane, qui fait son grand retour en fanfare ! Mais on en parlera plus longuement au moment d’évoquer le tome 3, intitulé Mon Nom est Bane.
En ce qui concerne les illustrations, je retrouve donc ici David Finch d’une part, que j’avais donc découvert en lisant l’arc Chevalier Noir autrefois (et que je n’ai d’ailleurs pas terminé maintenant que j’y pense…).

Finch comme Janín (à qui l’on doit cette planche) savent faire preuve de goût en matière de mise en page.
Finch compose dans le tome 1 de Batman Rebirth un dessin qui s’éloigne un peu de ce qu’il proposait dans Chevalier Noir justement. Sans doute dans un souci de continuité avec le dessin de Greg Capullo sur la série précédente, l’illustrateur reprend en gros les principales caractéristiques du style de son prédécesseur. Ainsi, son Batman ressemble finalement bien plus à celui de Capullo qu’à celui qu’il avait dessiné dans cet autre arc que j’évoquais juste avant. En fait, je suis à peu près certain qu’une personne ne s’y connaissant pas trop ne ferait peut-être même pas vraiment de différence entre Finch et Capullo.
Et pourtant, il y en a quelques unes. Déjà, je trouve le trait de Finch bien plus acéré que celui de Capullo, dont j’aime le style pourtant mais qui paraît à la longue un peu trop lisse. Cela confère automatiquement à Mon Nom est Gotham un tout autre aspect, plus brut et qui colle donc très bien avec le récit. A noter également un certain sens esthétique pour les cases les plus violentes ainsi qu’une capacité de mise en page autrement plus impressionnante que celle de Capullo, puisque la comparaison est lancée. Ce dernier point d’ailleurs vaut également pour Mikel Janín sur Mon Nom est Suicide. Les deux illustrateurs partagent en effet ce goût pour les double-pages composées avec minutie, comme de très beaux plans-séquences admirablement construits. Autant qu’à lire, ces deux premiers volumes sont donc également très agréables à regarder, ne serait-ce que pour la qualité du dessin, le degré de détail de certaines cases et enfin cette mise en scène générale relativement parfaite.
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Après ces deux premiers tomes, la déception grandissante ressentie à la lecture des ultimes volumes de la série précédente semble déjà bien loin. Sans pour autant livrer (jusqu’ici) des comics qui viennent réellement marquer les esprits, Tom King, David Finch et Mikel Janín offre en tous cas une entrée en matière plus que plaisante et surtout rassurante. Vivement la suite !
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