Contrairement aux autres articles de cette chronique, je ne vais pas aujourd’hui vous parler d’un album récemment sorti comme ce fut le cas l’autre jour avec Help Us Stranger des Raconteurs mais bien d’un disque paru il y a bien longtemps maintenant. Un album qui fête ses 40 ans ce mois-ci et qui, ce n’est pas que mon avis, a largement marqué l’histoire du rock de son empreinte. Il faut dire que le groupe qui l’a pondu n’est autre qu’une des références majeurs du hard rock : AC/DC. En 1979 donc, alors que le groupe tutoie déjà les sommets grâce à leurs précédents opus, la bande des frères Young envoie ce qui reste encore considéré comme leur plus grand album par une large partie du public. Un disque riche et blindé par le talent de composition des deux frangins et de leur charismatique chanteur Bon Scott : Highway to Hell. Je précise au passage qu’AC/DC étant assez tatillon quant à la disponibilité de ses chansons sur internet, je vais être dans l’incapacité de glisser tous les morceaux de l’album dans cet article. Je vous invite donc plus que chaudement à vous rendre sur Spotify ou Deezer pour écouter les chansons à mesure que l’article avance.
Avant Highway to Hell
L’année 1979 fut un très grand cru. De grands groupes, d’immenses artistes et d’incroyables albums ont ponctué cette ultime année des 70’s : The Wall de Pink Floyd en Novembre, Breakfast in America de Supertramp en Mars, Reggatta de Blanc par Police en Octobre… Et au milieu de tout cela, fin Juillet, Highway to Hell. Les années 1970 sont cependant prêtes à laisser place à une toute autre vague musicale dans la décennie suivante et que le Off the Wall de Michael Jackson – sorti durant l’été – annonce mieux que quiconque. A ses côtés, quelques singles désormais cultes ouvrent également la voie à une autre mouvance : Hot Stuff de Donna Summer, Tragedy des Bee Gees, Boogie Wonderland d’Earth, Wind & Fire ou encore I Will Survive et Born to Be Alive, respectivement de Gloria Gaynor et Patrick Hernandez. Alors donc que le disco s’apprête à déferler comme un raz-de-marrée sur les ondes et tandis que le punk a fait rage dans la seconde moitié des années 1970, le hard rock, lui, ne s’est jamais aussi bien porté. Dans le sillage de Led Zeppelin, bien des groupes sont venus faire rugir les guitares dans cet audacieux rock’n’roll dopé avec les potards à 11.
Highway to Hell est l’album le plus vendu de l’ère Bon Scott mais également son dernier. Le chanteur décédera en effet moins d’un an après la sortie de cet opus à l’issue d’une nuit de beuverie, à Londres, alors qu’il était dans la capitale britannique pour travailler en compagnie de Bernard Bonvoisin (chanteur de Trust) sur l’adaptation en anglais des textes de l’album Répression du groupe de hard rock français. Alors que Back In Black a été bien plus vendu (il demeure le 2ème album le plus vendu de tous les temps après Thriller de Michael Jackson), nombreux et nombreuses sont celles et ceux à considérer ce monument de 1979 comme LE véritable grand classique d’AC/DC. Il faut bien admettre que c’est un album qui a bien des atouts dans sa poche. Assez hétérogène dans ses sonorités (Highway to Hell n’est pas Touch Too Much, qui n’est pas non plus Night Prowler), il n’en demeure pas moins un opus où le blues reste très présent malgré tout comme trame de fond et support du hard rock habituel du groupe. Habituel et même, en l’occurrence, porté à son apogée. A l’issue de l’album, que je tâcherai de décrire juste après, aucun doute pour qui a déjà écouté ses prédécesseurs : AC/DC a mis dans Highway to Hell tout son savoir-faire, tout son amour pour le blues et le rock et a su mêler tout cela pour offrir aux auditeurs et auditrices un album qui soit la synthèse de leur son. Mais pas uniquement, comme on va le voir.

Même si le terme est hautement galvaudé, il s’applique toujours à quelques uns : Bon Scott est une légende du rock.
Si Highway to Hell est si particulier et même si réussi, ce n’est pas que du seul fait du groupe lui-même. Le mérite doit également en revenir en partie à leur producteur d’alors : Mutt Lange. Car cet album est le premier d’AC/DC à ne pas être produit par l’iconique duo composé par Harry Vanda et George Young. Tous deux ex-membres du groupe The Easybeats (connu en particulier pour la chanson Friday On My Mind), Vanda et Young ont en effet toujours été à l’oeuvre sur les albums du groupe. Le lien entre eux et les musiciens est d’autant plus fort que George Young n’est autre que le grand frère d’Angus et Malcolm, les deux guitaristes d’AC/DC. Je ne vous apprends sans doute rien en expliquant cela, la chose est assez connue, mais c’est important je crois de le rappeler pour avoir une idée de la façon dont le remplacement de Vanda/Young a pu être vécu par tout le monde à l’époque.
Cette éviction d’ailleurs, on la doit surtout à Atlantic Records, le label chez qui AC/DC a signé. En effet, de côté-ci de l’Atlantique, on n’est pas hyper fan d’AC/DC et encore moins de Vanda et Young, considérés comme des amateurs. Mais les circonstances font que l’on commence à un peu plus s’intéresser au groupe. En effet, Highway to Hell entre en chantier à une époque où le succès des cinq Australiens n’a jamais été aussi grand. Le live intitulé If You Want Blood (You’ve Got It) sorti en 1978 a contribué à la renommée du groupe à échelle mondiale, laquelle s’est également amplifiée avec les deux albums Let There Be Rock et Powerage, respectivement sortis en 1977 et 1978. Deux opus où AC/DC a fini de consolider son hard rock, toujours bluesy mais particulièrement rageur et dégagé de toute forme d’effets et autres artifices comme on pouvait en trouver à l’époque chez Led Zeppelin ou dans la scène psyché. AC/DC n’est pas là pour faire dans l’expérimental. Le groupe ne s’est d’ailleurs jamais défini comme autre chose qu’une formation de rock, point.

Le groupe en 1979, de gauche à droite : Malcolm Young (guitare rythmique), Bon Scott (chant), Cliff Williams (basse), Angus Young (guitare solo) et Phil Rudd (batterie).
Mutt Lange : sauveur non désiré
Enfin bref, tout ça pour dire qu’après des réticences, Atlantic commence à se pencher de près sur le cas AC/DC. Et là où Vanda et Young n’ont jamais posé de problème tant que le groupe restait « petit » aux yeux de leur label, voilà que ce dernier commence à voir les choses en grand. Et pour eux, l’arrivée d’un nouveau producteur était essentielle. Pourquoi cela ? Parce que dans son optique de vraiment bien vendre AC/DC, Atlantic souhaite que le groupe s’octroie les services d’un producteur qui sache les rendre plus radio-friendly.

Kramer, ici en 2018, a notamment travaillé en tant qu’ingé son sur le culte Electric Ladyland d’Hendrix.
D’abord vécue comme une trahison et un manque de respect à l’égard de George Young notamment, la décision sera actée par Atlantic qui fera appel à Eddie Kramer pour prendre la relève. Kramer est un producteur relativement respectable qui a notamment travaillé avec Twisted Sister, Kiss ou encore Jimi Hendrix tout en ayant été l’ingénieur du son de Led Zeppelin sur les albums Led Zeppelin II, Houses of the Holy et Physical Graffiti. Malgré cela, les choses ne se passent pas idéalement avec AC/DC. Malcolm Young, guitariste et fondateur du groupe voit en lui un crétin, d’autant que Kramer doute particulièrement des qualités vocales de Bon Scott, demandant même au reste du groupe s’ils étaient sûr qu’il savait chanter… De son côté Kramer affirme notamment dans cet article de Louder Sound que s’il reconnaissait la qualité de la voix de Bon Scott, il craignait surtout son alcoolisme, alors particulièrement fort, et l’impact que cela pouvait avoir sur sa façon de chanter. Surtout, Kramer semble avoir bien conscience que le groupe, qui n’a toujours pas digéré l’éviction de Vanda et Young, voit en lui un gars qu’on leur impose, ce qui pousse peu à avoir envie de travailler.
De son côté, en 1979, Scott raconte dans les pages du magazine australien RAM qu’en trois semaines avec Kramer, ils n’ont rien fait de concret, rien écrit. Trois semaines, c’est le temps qu’AC/DC passait en studio habituellement pour mettre en boite un album. Bref, ça n’avance pas, l’ambiance n’est pas terrible, tant et si bien qu’un jour, les membres du groupe ont prétexté un jour off pour demander à Kramer de ne pas venir avec eux. Résultat : débarrassés de leur indésiré producteur, six morceaux sont posés en fin de journée. Mieux encore, le tout est envoyé à Robert « Mutt » Lange pour le convaincre de produire cet album en devenir. Ce dernier accepte, Atlantic aussi, c’est parti.
Tout du moins est-ce une version de l’histoire. Une autre version, racontée là encore dans l’article de Louder Sound explique que c’est Atlantic qui est allé chercher Mutt Lange après avoir reçu de nombreux appels d’un Malcolm Young furieux des conditions dans lesquelles leur prochain album se préparait. D’après cette variante du récit, les boys – comme on les appelle – ne connaissaient même pas ce producteur. Difficile de démêler le vrai du faux dans tous ces témoignages mais le résultat est là : c’est Mutt Lange qui va travailler avec AC/DC pour construire Highway to Hell.
A l’époque pourtant, Lange est presque un débutant. Il n’a commencé sa carrière qu’en 1972, 7 ans plus tôt donc, et AC/DC est bien le premier « gros » groupe avec qui il va travailler. Ce sera en tous cas le début d’une carrière relativement prolifique puisqu’entre 1979 et aujourd’hui, Lange aura le loisir de travailler avec AC/DC à deux nouvelles reprises (Back In Black en 1980 et For Those About to Rock en 1981) mais également avec Def Leppard, Foreigner, Bryan Adams ou encore Muse en 2015 avec leur album Drones. Mais s’il semble être un novice à l’époque, Mutt Lange ne manque pas de très vite plaire au groupe.
Pour dire le moins, Lange aura un impact colossal sur Highway to Hell. Il s’est très vite montré très méticuleux, précis et fin connaisseur tant en matière de guitares que de percussions ou de chant. Sur ce dernier point, il a notamment aidé Bon Scott a devenir encore meilleur chanteur qu’il ne l’était déjà. Alors que ce dernier avait du mal à tenir ses lignes sur la chanson If You Want Blood (You’ve Got It), Lange lui a conseillé de mieux coordonner et synchroniser ses respirations, ce qui n’a pas manqué d’agacer Scott, peu enclin à recevoir des leçons de chant de la part de son producteur. « Eh bien si c’est si simple, fais-le, connard ! » sont peu ou prou les mots de Scott. Prenant les choses à la lettre, Lange s’est assis dans un fauteuil du studio et a fait ce qu’il venait d’expliquer au chanteur, ni plus ni moins. C’est en tous cas ainsi que les choses sont racontées par Ian Jeffery, alors tour manager du groupe et très présent pendant les sessions d’enregistrement. Il y a aussi eu cette fois où Lange a demandé à Angus Young de s’asseoir à côté de lui pour jouer, un truc qu’Angus n’avait pas trop l’habitude de faire, surtout s’il s’agissait de recevoir des indications de la part du producteur. C’est pourtant exactement ce qui s’est produit, Lange indiquant au jeune Young (ha ha) sur quoi enchaîner, quelle note tenir ou non, etc… Le guitariste n’appréciait pas trop en soi mais bon, ça a donné le solo de Highway to Hell alors on ne va pas faire la fine bouche.
L’album, piste par piste
Si Highway to Hell est si important, si iconique et si prégnant dans la culture musicale collective (qui n’a jamais entendu un seul morceau de cet album ?), ce n’est pas pour rien. Comme je l’évoquais succinctement, Mutt Lange a apporté beaucoup de choses à la production tandis que les boys, eux, étaient au sommet de leur art. Leur rock est installé, ils savent où ils veulent aller et ils y foncent, comme si le titre de l’album évoquait d’ailleurs cette envie de se précipiter vers la construction de cette musique.
C’est la chanson éponyme qui vient d’ailleurs ouvrir tout cela, comme une invitation à se lancer avec eux. Emblématique, c’est certainement le morceau le plus connu du groupe, devant Hells Bells et Back In Black. Et, déjà, dès ces premiers instants, on prend conscience de la façon dont les choses se sont faites en studio. Car il y a d’une part l’évidence : Highway to Hell est un pur produit d’AC/DC. Rythmique aussi simple que solide et efficace, un son de guitare qui se reconnaîtrait entre 1000 et ce dès les trois premiers accords grattés, un Bon Scott des grands jours et un solo inoubliable… Tout y est pour faire de cette chanson non seulement un tube mais aussi un hymne, dédié aux musiciens, aux fans, à la vie d’artistes et de groupes de rock, mais aussi aux excès qu’elle implique quitte à en devenir tristement prophétique pour le chanteur.
Néanmoins, même si la patte AC/DC est bel et bien là, on ne peut que sentir le côté très radio friendly recherché par Atlantic. Je disais juste avant que la rythmique était simple mais il faut bien admettre qu’elle l’est encore plus que d’habitude ici. Elle en devient accessible pour les néophytes du hard rock, « audible » pour le grand public qui écoute la radio. Par cette simplicité, Highway to Hell est quasiment imparable. On bat le rythme du pied et on se laisse porter, difficile d’y échapper. Pour autant, à la longue et à force de n’entendre qu’elle partout, peut-être en arrivera-t-on à saturation. J’ai écouté cette chanson un nombre incalculable de fois depuis que je suis tout petit mais il y a eu un moment où, tout simplement, j’en avais fait le tour. J’en suis arrivé au point où à l’instant de lancer l’album, je passais parfois directement à la piste suivante. Mais quand j’y reviens (et j’y suis revenu de manière indéfectible), quel pied à chaque fois.
No stop signs, speed limit
Nobody’s gonna slow me down
Like a wheel, gonna spin it
Nobody’s gonna mess me around
Et cette deuxième piste justement, c’est Girls Got Rhythm, un morceau bien moins connu mais où le côté radio friendly justement ressort énormément. En fait, je vois en Girls Got Rhythm un titre hard FM avant l’avènement de ce dérivé du hard rock. Globalement, le hard FM est un hard radiophonique, « conçu » pour être diffusé sans trop heurter les plus sensibles tout en restant assez fidèle aux racines du hard rock, tant musicalement que dans les thèmes abordés (le sexe, la musique, tout ça…). C’est un hard simplifié sous certains aspects en vue d’être plus accessible mais à la production très léchée, un croisement étonnant entre hard rock, heavy et un très léger soupçon glam tout en empruntant aux logiques de production de la pop, ce qui donnera à la grande heure de ce sous-genre des groupes comme Poison, Kiss ou Twisted Sister.
De fait, ces intonations-là donnent à cette chanson un côté très enjoué et vif qui dénote cependant avec l’approche classique d’AC/DC sur ce genre de morceaux, là où le groupe tâche d’apporter ce ressenti par le seul prisme d’un bon vieux rock’n’roll On est assez loin par exemple de chansons comme There’s Gonna Be Some Rockin’, R.I.P. (Rock In Peace) ou encore l’indispensable Rocker, paru sur l’album australien TNT en 1975 puis un an plus tard sur la version internationale de Dirty Deeds Done Dirt Cheap. En gros, Girls Got Rhythm c’est typiquement le genre de chanson entraînante qu’on passe à la radio, qu’on sort en single et qu’on joue à Top of the Pop. Ça tombe bien, AC/DC a fait les trois avec celle-ci :
Malgré ce que l’on pourrait presque considérer comme un « écart » vis-à-vis du style habituel du groupe, puisant bien davantage dans un rock’n’roll classique que dans les variations nées des années 1970, cet excellent morceau n’en demeure pas moins très AC/DC dans l’âme et dans le texte. Quand je disais par exemple que tout ceci pourrait s’apparenter à du hard FM, au fond ça s’arrête bien là. Il y a, de ci de là, de petits éléments qui pourraient associer cette chanson à ce style mais ce serait sans compter sur les Young, qui balaient autant qu’ils peuvent tout cela pour n’en laisser que des détails autour des desquels la machinerie AC/DC se met en place. C’est d’ailleurs tout le brio de cet album : contenir des titres tels que celui-ci, pensés pour la diffusion mais aussi pour les fans. Nul doute qu’une partie d’entre eux a rechigné à l’écoute de Girls Got Rhythm en se demandant où on était parti mais derrière la façade un peu proprette, c’est du AC/DC pur jus, carré, simple mais pas con, efficace.

Si Malcolm est le rythme et la base d’AC/DC, Angus en est la fougue, l’inarrêtable sursaut d’énergie.
L’album s’annonce donc en deux chansons seulement peut-être un peu différent de ce que l’on a connu jusque là. Honnêtement, Highway to Hell aurait de quoi surprendre dans ces premières minutes, surtout en arrivant après un Powerage bien plus énervé que ne l’étaient ces premières chansons. Mais vient alors une première rupture de ton assez nette dans cet album entre l’enjoué (et presque dansant au fond) Girls Got Rhythm et son successeur : Walk All Over You. Dans ses premières mesures, cette chanson amène une ambiance assez particulière, certains ont même dit « menaçante ». En quelques accords, les guitares construisent une introduction dont j’en ai entendu quelques uns dire qu’elle pouvait témoigner d’une certaine violence. Un aspect qui ne plaisait pas à ceux-là, car apparemment trop éloigné de ce qu’est AC/DC. Pour ma part, j’ai en tête Sin City (Powerage, 1978) et je me dis qu’on a déjà goûté à cela chez AC/DC. Même Bad Boy Boogie encore avant pouvait se targuer d’offrir une approche presque similaire. Pourquoi alors porter ce jugement sur Walk All Over You ? Peut-être ce titre justement contribue-t-il à cette impression. Il peut par exemple évoquer le fait de fouler quelqu’un du pied, de le piétiner, éventuellement dans une bagarre que cette intro puis ce riff effréné peuvent inspirer.
La chanson n’a pourtant rien à voir avec une quelconque forme de violence et ce ne sont pas des boots de Nancy Sinatra dont on parle ici. Bien au contraire, Bon Scott y revient à un de ses thèmes privilégiés : les plaisirs charnels.
Oh baby I ain’t got much
Resistance to your touch
Take off the high heels, let down your hair
Paradise ain’t far from there
Le sujet n’est absolument pas de se battre mais de passer du bon temps avec une femme qu’il découvre et dont il veut tout simplement explorer chaque recoin. AC/DC c’est du cul bon sang et ça n’a jamais cherché à être autre chose ! Enfin si, du rock’n’roll aussi. Un rock vif comme je le disais, enragé presque, fait de riffs implacables et de solos à décoiffer mémé. Tout cela, Walk All Over You le contient dès sa cinquantième seconde, moment où les boys partent à toute berzingue à la découverte de ce nouveau corps et où, surtout, on le comprend : non, AC/DC ne s’est pas perdu en chemin. Il se dissimulait un peu derrière les jolis atours voulus par Atlantic et apposés sur les deux précédents morceaux mais voilà qu’il éclate enfin, cet esprit propre au groupe et à sa musique. Et que dire de ce solo au bout de 2min20 puis de cet autre à 3min24 ? Une pépite : ce morceau est une pépite !
Le train semble donc lancé à vive allure avec ce Walk All Over You et voilà que l’album envoie d’emblée une deuxième rupture de ton qui lui permet de revenir à ce qu’il proposait en ouverture. Troisième et dernier single issu de cet album, Touch Too Much témoigne là encore du travail de Mutt Lange pour proposer des titres plus aisément diffusables en radio. Refrénant les ardeurs mises en avant à toute blinde dans le titre précédent, Touch Too Much construit quelque chose de plus lent et temporisé. Idéal pour narrer une sensuelle nuit en charmante compagnie quand on y pense… Ce morceau se veut alors plus doux (dans tout de ce que la douceur peut avoir d’AC/DCienne), rond et enjôleur, langoureux finalement. Une ambiance posée par des guitares en retenue mais néanmoins franches, un beat relativement lent derrière les fûts… Une retenue qui s’oublie dans les refrains, marqués par un riff acéré et puissant, sans fioritures et d’une rondeur sans pareille dans la discographie du groupe lorsqu’il retourne aux couplets.
Touch Too Much m’est souvent décrit avec humour comme quasiment disco par mon ami Joe (adorateur de cette chanson et batteur de Decasia au passage) mais ne se prive pour autant pas de toute la puissance qu’AC/DC sait distiller dans ses compositions. Ici notamment, au-delà de la seule puissance vocale de Bon Scott (enrichie par les précieux conseils de Mutt Lange), elle ressort en particulier cette puissance dans les refrains donc, grâce aux guitares bien sûr mais aussi et surtout aux chœurs, plus calibrés que jamais. Ces derniers sont d’ailleurs impeccables sur l’ensemble de l’album, ce que Walk All Over You soulignait déjà et que, plus tard, If You Want Blood et Love Hungry Man ne manqueront pas de rappeler. Là encore, l’influence et la patte de Lange ont laissé leur empreinte en rendant ces backing vocals moins « gueulards » qu’ils n’ont pu l’être sur des chansons comme TNT ou Dirty Deeds Done Dirt Cheap auparavant.
Après cet « interlude », AC/DC revient à ses gammes avec Beating Around the Bush. Cinquième morceau de l’album, il ne fait pas dans la demi-mesure et l’affiche dès ses premières notes. Dans une intro aussi rapide que précise, le titre se lance dans un riff endiablé qui ne ralentit pas d’un pouce de toute la chanson. Ça dure près de quatre minutes et tout y est pour en faire un véritable standard du hard rock et du rock en général, malgré la façon dont ce titre reste largement méconnu du grand public. Il rappelle sans aucune difficulté bien d’autres chansons phares de la discographie du groupe tels que Riff Raff (Powerage, 1978), Rocker (que je mentionnais précédemment), Let There Be Rock (sur l’album éponyme de 1977) ou encore Whole Lotta Rosie (également sur Let There Be Rock).
Non contents d’avoir envoyé toute leur énergie dans Beating Around the Bush, les boys poursuivent avec Shot Down in Flames, lequel vient certes ralentir un peu la cadence pour revenir à un AC/DC classique, dans la veine de leurs plus grands morceaux d’alors, de High Voltage à Rock’n’Roll Damnation en passant par Jailbreak. Ralentie la cadence mais pas trop non plus car après cette introduction qui fera hurler n’importe quel stade au moment où elle se met à retentir, le tout s’élance de nouveau dans ce son qui est le leur et qu’ils ont fini d’affiner avec les deux opus précédents. C’est un rock pur et dur mêlé à un hard blues pugnace et la chose se déroule comme si de rien n’était, comme un ça-va-de-soi indéboulonnable.
Si Shot Down in Flames fonctionne aussi bien, c’est en grande partie grâce à la rythmique assurée par Malcolm Young. Une machine métronomique, plus précise que l’horloge atomique et qui une fois mise en face de la guitare soliste d’Angus forme un tout inébranlable qui donne aux riffs d’AC/DC toute leur consistance et leur épaisseur. Shot Down in Flames jouit particulièrement de ce traitement et pour de plus amples détails sur « pourquoi Malcolm Young était-il le meilleur des meilleurs guitaristes rythmiques de la création ? », je vous renvoie à cette excellente vidéo publiée sur la chaîne Ça C’est du Rock, que vous pouvez d’ailleurs explorer de fond en comble car c’est une excellente chaîne.

Machine à rythme, moteur du groupe, Malcolm Young a laissé une empreinte indélébile.
Il nous a quittés le 18 Novembre 2017.
Le fait est que la recette est là : AC/DC n’aime pas les fanfreluches inutiles dans sa musique, un goût pour une forme de minimalisme hérité d’un rock à l’ancienne et du blues fondateur de tout ce grand tremblement. Ça n’a pas besoin d’être trop rempli pour être bon et épais, chaque riff de ce groupe le prouvera et quand, dans des années 1980 où ils se rapprocheront parfois du heavy pour coller avec leur temps peut-être, ils en rajouteront dans les arrangements de guitare, cela donnera parfois lieu à des morceaux plus dispensables comme ce fut le cas sur l’album Blow Up Your Video notamment. On revient alors volontiers reprendre sa dose sur Highway to Hell, album qui ne déroge jamais à cette sacro-sainte règle.
Brièvement, Get it Hot poursuit cette idée en composant un riff principal assez proche dans l’esprit de celui de son prédécesseur. A la croisée des chemins entre cette marque AC/DC qui s’appose sur l’ensemble de cet opus et l’envie provoquée par Atlantic d’offrir quelque chose de plus soft, cette autre chanson se distingue un peu du reste à mon sens. Plus ronde, notamment grâce à la basse de Cliff Williams qu’on entend ici plus qu’ailleurs, Get it Hot est à l’image de Girls Got Rhythm : grand public, en quelque sorte. Mais AC/DC, conscient peut-être de ce changement qu’ils apportent à leur musicalité pour se plier aux exigences de leur label, ne manque pas de faire preuve d’esprit sur cette chanson :
Going out on the town
Just a me and you
Gonna have ourselves a party
Just like we use to doNobody’s playing Manilow
Nobody’s playing soul
And no one’s playing hard to get
Just a good old rock ‘n’ roll
D’ailleurs, comme pour appliquer les choses à la lettre, les gars d’AC/DC profitent des deux dernières chansons sur Highway to Hell pour faire ce qu’ils veulent. Première étape : parler des insatiables appétits sexuels de Bon Scott. Cela se fait avec Love Hungry Man, un des morceaux favoris d’Angus Young au sein de la prolifique carrière du groupe. « Hard-bluesifiant » son rock, le groupe rapproche cette chanson de ses influences blues initiales et, au sein de cet album, elle n’en ressort que plus unique en son genre. Oh bien sûr, il y a de quoi la comparer à d’autres morceaux mais Love Hungry Man est à part malgré tout. Plus ronde, plus groovy grâce à la basse de Cliff Williams encore une fois, à la fois tendre et dure, c’est une chanson qui brille essentiellement par ses arrangements, de la basse donc aux chœurs, au sujet desquels je mentionnais déjà cette piste tout à l’heure.

L’ex-hippie devenu rockeur et bluesman.
Enfin, Highway to Hell touche à son terme. Après avoir foncé à toute vitesse sur l’autoroute d’un hard rock quelque peu changé mais sans aucun doute mûri, il a entamé son ralentissement avec Love Hungry Man et poursuit son arrêt avec un Night Prowler incroyable. Dans cet ultime morceau, AC/DC offre son plus beau blues, plus beau encore que l’excellent Overdose paru sur Let There Be Rock ou que les cultes The Jack ou Ride On des débuts. Dès le début de la chanson les guitares d’Angus et Malcolm, accompagnées par le rythme de batterie distinctif de ce morceau et de Phil Rudd, plongent l’auditeur dans l’ambiance d’un blues ténébreux que la voix de Bon Scott, toute en mesure, renforce encore. Une voix qui emprunte ici beaucoup aux grands standards du genre mais qui reste distinctive. « Vous êtes sûr qu’il sait chanter votre gars ? », demandait Eddie Kramer au reste du groupe au début des sessions. Oh que oui, bonhomme, et pas qu’un peu. C’est assez formidable avec le recul que la dernière fois où l’on entend la voix de Bon Scott sur un album studio, ce soit pour cette chanson. Le chanteur me semble y mettre tout ce qu’il a, toute son énergie, dans un ultime chant qui renvoie si bien à ses racines musicales. Il y apporte même son humour, que bien des personnes l’ayant connu ne manquent jamais d’évoquer, avec ces ultimes mots « Shazbot, Nanu Nanu » , trois néologismes loufoques empruntés au personnage de Mork (Robin Williams) dans la série Mork & Mindy. Allez savoir pourquoi il est allé caler tout cela à la fin de cet album, peut-être que ça l’amusait. Je regrette seulement qu’il n’y ait pas de vidéo officielle ou non-censurée pour vous partager cela car c’est un morceau d’exception et il FAUT que vous l’écoutiez !
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Je ne nie pas : j’aime Highway to Hell plus que de raison. Et AC/DC avec. Si je reconnais aussi objectivement qu’il y a des albums plus formidables encore que celui-ci (Dark Side of the Moon de Pink Floyd pour ne citer que celui-là), Highway to Hell restera à jamais un album essentiel à mes yeux. Si quelqu’un me rencontrait et me demandait de lui citer un seul album, ce serait celui-ci. Si je ne devais plus écouter qu’un seul album toute ma vie, boum, idem. C’est le disque que j’offrirais à toute personne qui ne l’a pas encore et/ou qui ne connait pas AC/DC. Et pourtant, aussi qualitatif puisse-t-il être, on ne pourra jamais nier que cet opus de 1979 tranche avec ce que le groupe avait pondu jusque là. Accompagnés par Mutt Lange, poussés un peu au cul par Atlantic mais soucieux sans doute aussi de faire évoluer leur musique, les boys ont pris un virage cette année-là mais le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ont manœuvré avec brio. Respectueux du passé, ouvert sur l’avenir, plaisant pour tout un chacun, du fan au néophyte complet, Highway to Hell est un album à la fois emblématique et un peu à part dans cette vaste discographie. Si bien que, 40 ans après, il reste un monument.
Le grand mystère restera de savoir ce que les choses auraient donné si Bon Scott n’avait pas abusé de la boisson de soir de Février 1980. A 33 ans, le chanteur avait tout devant lui pour devenir plus incontournable qu’il ne l’était déjà. Pour AC/DC, c’est le mastodonte Back In Black qui prendra la relève avant des années 1980 en demi-teinte. Brian Johnson, lui, a pris le relais du mieux qu’il pouvait et, presque 40 ans après, on ne peut contester sa réussite à reprendre le flambeau derrière Scott. On parlera sans doute de tout cela l’an prochain, pour les 40 ans de Back in Black justement.
Shazbot, Nanu Nanu.