Après Spider-Man il y a quelques semaines, j’ai récemment poursuivi mon rattrapage de certains titres PS4 avec…un jeu PS3. Car oui, quitte à faire les choses bien, je n’avais pas de PS3 non plus à l’époque. Ni de PS2… Enfin bref, je ne vais pas vous donner plus de raisons de me conspuer dès cette ouverture. Spider-Man ayant rangé ses toiles donc, je me suis lancé dans quelque chose de beaucoup plus emblématique dans la culture vidéoludique générale : The Last of Us. Un titre que j’ai terminé il y a peu et sur lequel je m’apprête donc à revenir dans cet article qui sera moins une chronique du jeu en lui-même que de l’expérience que représente le fait de le découvrir en 2020.
Je crois qu’avant toute chose, il convient de recontextualiser les choses sur plusieurs plans. Le premier d’abord, c’est mon contexte personnel, la situation que je créé en démarrant The Last of Us – Remastered en ce tout début d’année 2020. Je vous l’ai déjà expliqué mais la PS4 n’a fait qu’une entrée éminemment tardive dans mon foyer. A peine un an avant que sa petite sœur ne vienne envahir le marché (la PS5 est toujours attendue pour les fêtes de fin d’année 2020), me voilà à acquérir la console la plus vendue de cette génération. Pire encore, comme je le mentionnais en introduction, cette PS4 démarre chez moi sur un terrain parfaitement vierge, n’ayant jusqu’alors eu ni de PS3, ni de PS2 au début des années 2000. Oh, une PS1 est bien passée par là mais ça doit faire à peine cinq ou six ans que j’en ai une… En aparté, je vous glisse qu’il ne faut voir dans cet état de fait nul parti pris à l’encontre de Sony. Si je n’ai pas eu de PlayStation en cours d’exploitation jusqu’ici c’est plus un concours de circonstances général qu’autre chose. N’y voyez donc aucune envie de faire perdurer une datée, vaine et ridicule guerre des consoles ou je ne sais quoi.
Le fait est en tous cas que l’arrivée de la PS4 sur mon meuble télé me permet deux choses : découvrir les exclusivités dont elle a su faire profiter les joueurs et joueuses depuis son lancement (Death Stranding et Spider-Man y sont déjà passés, God of War est en ligne de mire désormais) mais aussi aller pêcher d’autres titres, pour certains à l’époque sortis sur PS3 et à côté desquels j’étais donc logiquement passé aussi (comme Metal Gear Solid 4 que je peux enfin me permettre d’envisager après avoir parcouru tous les autres épisodes l’an dernier). Je suis donc dans un état d’esprit où j’ai envie de découvrir des choses et en particulier ces jeux qui ont aujourd’hui un statut d’œuvres cultes et dont je ne sais finalement rien ou presque. The Last of Us s’inscrit en toute logique dans cette approche, une place renforcée par l’arrivée prochaine de sa suite.
Parallèlement, l’autre élément de contexte à prendre en compte, c’est celui du jeu lui-même. En 2020, The Last of Us c’est déjà une longue histoire, mine de rien ! Sorti en 2013, le jeu s’apprête à souffler ces 7 ans à l’été prochain. Sept années, c’est toute une génération de jeux et de consoles qui s’écoule pendant ce temps ! Ce dont je me souviens, c’est qu’à l’époque tout le monde jurait n’avoir jamais rien vu de pareil. Je grossis sans doute le trait, les souvenirs s’enjolivant souvent avec le temps, mais j’ai vraiment ce souvenir-là. Celui d’un titre au succès immédiat et incommensurable, prompt à délier des langues qui n’hésitaient déjà pas à parler de révolution ou au moins de tournant dans l’histoire du média vidéoludique. Impossible d’être surpris alors en voyant que le jeu allait faire l’objet d’un remaster en 2014. D’une parce que les remasters, c’est à la mode ; et de deux parce que je pense que c’est d’une logique imparable en termes de marketing : le jeu initial a bien marché, son aura n’a cessé de grandir depuis et, même si ce n’était pas officiel alors, le 2 était déjà dans les tuyaux. Très personnellement en tous cas, ce fut une aubaine, cette ressortie me donnant très aisément l’occasion de découvrir ce titre, enfin !
Concernant le jeu en lui-même, ce qu’il propose et la manière dont il le fait, je ne sais pas s’il est réellement pertinent de vous livrer le détail de tout cela. Sorti il y a sept ans donc, The Last of Us ne jouit par ailleurs d’aucune modification concrète de son game design ou de son gameplay dans sa version Remastered, celle-ci ne s’occupant au final que d’apporter des améliorations graphiques au jeu de base, comme son nom l’indique de toute façon. Cela m’arrange en un sens car je sais en lançant le jeu pour la toute première fois qu’hormis des graphismes qui ont décidé de vivre avec leur temps, c’est au jeu tel qu’il était à l’époque que je vais jouer.
Je vais donc découvrir à mon tour ses idées, ses propositions, ses tentatives, ses réussites et ses échecs éventuels comme tout le monde alors. C’est chouette mais cela implique une chose importante : constamment garder à l’esprit le contexte de l’époque. Ainsi, ce n’est pas parce que The Last of Us a fait beaucoup d’émules, tant en matière de ton que de style de jeu, qu’il faut omettre qu’en 2013, il était plus ou moins seul. A l’époque, le reboot de Tomb Raider s’approchait un peu de ses propositions, lesquelles se faisaient d’ailleurs en quelque sorte dans la continuité de la série Uncharted (également de Naughty Dog), bien que celle-ci soit plus portée sur l’action et que le reboot que je viens de mentionner lui soit plus lié qu’il ne l’est à The Last of Us.

La relation entre Joel et Ellie était quelque chose que j’avais depuis longtemps envie de découvrir.
Mais avant de revenir sur tout cela, prenons le temps de voir à quoi ressemble ce jeu. Globalement, on pourrait le décrire comme un survival horror à la troisième personne où l’on incarne Joel, un homme d’une quarantaine d’années qui se voit chargé d’amener la jeune Ellie à l’autre bout des Etats-Unis, le tout dans un contexte post-apocalyptique où l’humanité a pris cher suite à une infection qui transforme peu à peu les personnes touchées en espèces d’êtres parasités par un champignon. Question gameplay, les joueurs et joueuses sont amenés à utiliser nombre d’armes, lesquelles sont plus nombreuses à mesure que l’on avance dans le récit ; à se frayer des chemins dans différents niveaux globalement conçus comme des couloirs et arènes avec un cheminement prédéfini ; et enfin à faire preuve de bricolage en craftant du matériel (grenades, améliorations d’armes, kits de soin…) qui va s’avérer très utile tout le long du périple. Je résume à gros traits la chose mais c’est vraiment là l’essentiel à retenir du jeu dans ce qu’il a à offrir manette en mains. En 2020, difficile de se dire que ce gameplay est particulièrement séduisant. Vu et revu, employé à toutes les sauces, tordu et dévoyé dans tous les sens jusqu’à l’overdose, c’est un système de jeu qui, s’il était proposé dans ces exactes formes cette année, serait fortement critiquable.
Seulement voilà, ce gameplay date de 2013 et, cette année-là, c’était loin d’être anodin. Ma mémoire valant ce qu’elle vaut, j’ai demandé à quelques camarades de me la rafraîchir, histoire de me remettre dans le bain d’alors. Un échange avec Hibou et Dehell notamment qui m’aura d’une part permis de me rappeler que The Last of Us s’inscrivait à l’époque dans une frange de jeux qui misait pas mal sur les différents aspects que je viens d’évoquer. Avec plus ou moins de réussite selon les cas, on pourra en particulier évoquer Bioshock Infinite ou encore le reboot par Square Enix de Tomb Raider, paru la même année que The Last of Us. Peut-être pourrait-on ajouter Borderlands dans le lot mais mes souvenirs à son sujet sont beaucoup trop flous et je ne saurais être catégorique. Enfin bref, cette discussion m’aura aussi permis de remettre en exergue un second aspect : quand il sort, The Last of Us rompt avec une mode. Je me souvenais déjà que lorsqu’il a été lancé et joué, le titre de Naughty Dog avait ravi une bonne partie de son public par ses choix francs et osés. L’on pourrait se dire que c’est un peu étrange de s’enthousiasmer qu’un jeu suive son scénario préétabli mais il faut une fois encore recontextualiser. A presque la moitié des années 2010, la mode dans le jeu vidéo est aux œuvres qui impliquent autant que possible le joueur et la joueuse : c’est la grande époque des dialogues à choix multiples, des décisions qui modifient le récit, des fins multiples. Une mode qui, comme le dit Dehell, rend les choix de The Last of Us d’autant plus marquants que là où d’autres titres les auraient laissés entre nos mains, celui-ci nous les impose, y compris les plus durs et les plus violents, quitte à créer une contradiction entre nous et celui que nous incarnons.

Le récit est suffisamment bien raconté pour ne pas faire de ces infectés d’énièmes « zombies » un peu lambda parmi tous les autres.
Voilà qui nous amène à ce qui s’avère finalement être, à mon sens, la plus grande qualité de The Last of Us : sa narration. Au-delà même du récit en lui-même et de ses péripéties les plus folles, ce qui marque le plus dans ce jeu, c’est la façon dont tout cela va être raconté. Comme je le disais plus haut, c’est fait de manière franche et, pour être plus honnête encore, avec beaucoup de brutalité. Mais attention, pas cette brutalité feinte où l’on essaie de saisir le spectateur/joueur par un événement explosif aussi vite vu qu’oublié. Non je parle ici d’une véritable brutalité en ce sens qu’elle va secouer et marquer grâce à une véritable charge émotionnelle. Le récit de Bruce Straley et Neil Druckmann réussit cela, grâce à une écriture implacable et un sens de la mise en scène des plus louables. Je crois que c’est cela aussi qui distinguait The Last of Us des autres à l’époque : sa mise en scène. C’est l’envie de donner des allures cinématographiques au jeu vidéo, une approche que, jusqu’alors, seul Rockstar tâchait de vraiment mener à bien que ce soit avec les GTA ou Red Dead Redemption. Si d’autres jeux se donnaient pour mission d’offrir aux joueurs et joueuses quelque chose d’intelligemment mis en scène, ceux qui lorgnaient clairement vers le cinéma à proprement parler se comptaient sur les doigts de la main et The Last of Us a eu vite fait de rejoindre le lot. Et comment ne pas évoquer en plus de cela la musique de Gustavo Santaolalla ? Le compositeur livre une bande originale dont l’essence repose dans cette espèce de minimalisme assumé et mélancolique à souhait. Un élément plus qu’important dans le cadre de la mise en scène générale du jeu et qui ne peut rendre qu’enthousiaste à l’idée de retrouver Santaolalla sur The Last of Us II.
Aujourd’hui, histoire de ne pas lui faire prendre un trop gros coup de vieux, la chose est évidemment sublimée par les graphismes améliorés de cette version Remastered sur PS4. Les cinématiques se parent alors de leurs meilleurs atours et se voient conférer un plus grand souci du détail et de finition. De cutscenes de jeu vidéo, on assiste là à une mue tranquille mais notable vers de véritables séquences dignes du cinéma d’animation de synthèse tel qu’on le connaît de nos jours. Sans pour autant atteindre les plus hauts standards du genre, The Last of Us – Remastered se montre toutefois particulièrement beau, y compris hors cinématiques.
Cela étant, le coup de vieux se fait néanmoins sentir au-delà des seules apparences. Un peu comme un sexagénaire qui aurait opté pour quelques opérations de chirurgie esthétique, l’extérieur a beau avoir l’air jeune, l’intérieur continue de faire son âge. C’est principalement le gameplay qui peut alors être pointé du doigt, pour le manque de séduction qu’il peut revêtir aujourd’hui comme je le soulignais plus haut. Je ne reviendrai pas en détail sur la question, ayant déjà exprimé mon ressenti à son sujet. Surtout, il y a autre chose qui laisse songeur quant à la façon dont The Last of Us a vieilli en sept ans : son intelligence artificielle. Cette dernière se montre, je trouve, à double-tranchant et l’avis que je porte dessus diffère selon qu’on s’y intéresse du côté des ennemis ou du côté des alliés.

Autre qualité des affrontements, la façon dont le dernier ennemi va fuir ou supplier. Cela n’ajoute qu’à la violence des événements.
Dans le premier cas, il faut bien reconnaître que j’ai rarement eu affaire à des adversaires aussi coriaces. Loin d’être idiots, les ennemis réagissent admirablement bien à mes faits et gestes, s’orientant vers là où j’ai pu faire du bruit ou ce recoin où ils auront pu entrapercevoir ma silhouette… Je joue avec eux de manière directe et indirecte, le tout se déroulant avec finesse. Directement, je lance des projectiles pour attirer leur attention ailleurs et ils ne font pas seulement mine de regarder un peu distraitement dans cette direction : ils y vont. Les échanges de tirs se font aussi avec crainte puisque ces braves antagonistes sont suffisamment malins pour non seulement se mettre à couvert mais en plus avancer avec stratégie jusqu’à moi. Indirectement ensuite, je joue avec eux dans ce sens où je sais que s’ils me voient, ils ne vont pas se contenter de dire « Oh, j’ai cru voir quelque chose ! Hmm…ce n’est rien. », ce genre de choses auxquelles de trop nombreux jeux dits AAA nous ont habitués. Ils vont faire un détour, vérifier l’emplacement concerné et, le cas échéant, me prendre en chasse. Je joue donc indirectement avec eux dans le sens où chaque choix que je vais faire va être en fonction d’eux, de leur nombre et de leur attitude. En cela, la progression dans The Last of Us peut se montrer des plus angoissantes et, paradoxalement, des plus réjouissantes.

Un système de repérages des ennemis est inclus en faisant se concentrer Joel sur son ouïe. Pourquoi pas ?
Dans le cas des alliés en revanche, c’est clairement là que le bât blesse. Pour dire le moins, ils font parfois tout simplement n’importe quoi ! Plusieurs séquences nous impliquent ainsi d’être aussi discrets que possible tout en avançant vers l’issue afin de ne pas se faire attraper. Tandis que je fais avancer Joel pas à pas; il n’est pas rare de voir Ellie (ou d’autres, selon les circonstances) courir dans tous les sens et même passer juste devant un ennemi. Première question : qu’est-ce que c’est que ce bordel ? N’allez pas croire que cela signifie que vous êtes miraculeusement tombé sur un adversaire aveugle : si jamais il vous prenait l’envie de faire comme Ellie, vous vous retrouveriez bien vite avec une balle dans la tête. Non, c’est juste que les PNJ dans notre camp sont mal foutus et peuvent parfois se mettre à se déplacer sans aucune logique.

D’abord cachée derrière Joel, Ellie finira sans doute par virevolter de cache en cache sous le nez des ennemis…qui ne la verront pas.
Fort heureusement dans ces cas-là, il se révèle alors que, finalement, les ennemis ne sont pas si malins que ça : ils ne voient rien. Tant qu’Ellie ne se décide pas à attaquer carrément tel ou tel antagoniste, ce dernier ne bougera pas d’un poil et fera comme s’il n’avait rien vu. Parce qu’il ne voit rien. Parce qu’Ellie n’est pas censée être là. Mais le jeu, estimons là qu’il s’agit de son seul et unique véritable défaut, ne sait pas empêcher la petite inconsciente de courir partout… Au-delà du ridicule de la situation, c’est aussi un gros coup donné dans la cohérence générale du titre. Et de cet instant où je me soucie non seulement de moi mais aussi de mes compères, j’arrive à cet autre moment où j’ai bien compris qu’en réalité, il n’y a que moi qui doit faire gaffe à ce que je fais : les autres suivront. Cela se vérifie d’ailleurs par exemple lorsque je quitte le premier une pièce où nous avons été repérés : dans une habile transition, tout le monde arrive à franchir la porte, que Joel referme promptement. Et nous voilà alors bien tranquilles, une simple porte étant apparemment suffisante pour stopper la motivation des ennemis à nous trucider en bien des occasions…
Je ne vais pas m’étendre davantage sur la question, d’autant que cela donnerait l’impression que je garde plus de mauvais souvenirs que de bons au sortir de ce jeu. Or, si vous avez lu attentivement tout ce qui précède ce dernier paragraphe, vous aurez (je l’espère) compris que c’est tout l’inverse. The Last of Us est en effet un bon jeu, un très bon même, je pense que ce n’est pas galvaudé de le dire. Pas exempt de défauts malheureusement, le titre de Naughty Dog jouit de suffisamment de qualités pour que je comprenne sans mal toute l’aura qui l’entoure et le culte que lui voue une bonne partie de son public. Au-delà de ça, c’est aussi l’importance qu’il semble revêtir au regard de l’industrie toute entière que je saisis désormais mieux que jamais. Cependant, cette expérience m’interroge même une fois le jeu terminé. Car si je regarde brièvement en arrière, il est un fait que je ne peux pas nier : si j’ai aimé The Last of Us, je ne pense pas avoir été marqué par lui de la même manière que l’ont été les joueurs et joueuses qui l’ont découvert au moment de sa sortie. Emu, je l’ai été à de multiples reprises, mais définitivement marqué par le sort de Joel et Ellie…je ne sais pas. Plusieurs choses sont à mon sens à prendre en compte dans ce résultat émotionnel.
La première, c’est évidemment la hype. Au moment de son exploitation initiale, The Last of Us a comme pour beaucoup d’autres titres de grande envergure suscité un engouement remarquable. Tout le monde le voulait et celles et ceux qui y ont joué ont trouvé suffisamment de satisfaction dans le jeu pour que cela nourrisse ce que l’on pourrait appelée une « hype de postérité », à savoir ce que j’identifie personnellement comme cet instant (sur plusieurs jours/semaines/mois) où l’engouement initial se prolonge au-delà de la seule pratique du jeu en elle-même. Un phénomène qui s’observera bien plus naturellement dans le cas de titres entourés par de fortes attentes auxquelles ils tâchent de répondre avec talent, pour la majorité d’entre elles. Ainsi en est-il allé à différentes époques et dans différents genres de jeux comme Red Dead Redemption et sa suite, de Breath of the Wild, d’Ocarina of Time ou d’autres œuvres comme celles de Fumito Ueda (notamment Ico puis Shadow of the Colossus)…
La seconde chose qui pourrait expliquer cette espèce de détachement dont je fais finalement preuve malgré toute l’émotion que The Last of Us a pu susciter en moi, c’est le temps qui a passé depuis sa sortie. Même si, à l’échelle d’une vie, sept ans ce n’est pas grand chose, dans le monde du jeu vidéo c’est énorme, comme je le soulignais plus haut. En fait, en 2020, des jeux de la trempe de The Last of Us, on en a eu plein et on continue d’en avoir. Sans doute ce titre-ci aura été un élément déclencheur pour favoriser le développement d’autres œuvres du même style par la suite mais le fait est que tant en terme de gameplay que de narration ou de mise en scène, la recette est devenue commune de nos jours. Notez que lorsque je dis « du même style », j’entends parler de jeux vidéo reprenant l’essentiel de ladite recette, ceux-ci pouvant se dérouler dans des univers très différents et se voir appliquer des idées générales de game design variables. En bref, la claque est forcément moins ressentie quand on en a déjà pris plus d’une. A l’époque, c’était une des toutes premières et c’est certainement la raison qui l’a rendue aussi persistante dans la mémoire collective.
Tout cela m’amène finalement à une vaste question : quel intérêt à le découvrir aujourd’hui ? Un lancement aussi tardif de mon exemplaire personnel a forcément un impact : l’aura du jeu est déjà bien installée, y compris dans ma tête ; elle m’a conduit à me forger des convictions quant à ce qui va se passer ou non dans l’aventure ou à la forme que va prendre le titre de manière générale (game design comme écriture)… J’ai fatalement, après avoir tant et tant entendu parler de The Last of Us comme le plus grand jeu de la décennie passée (sinon un des plus grands tout court chez certain(e)s), des attentes et des certitudes. Fondées ou non, ces dernières vont forcément orienter mon approche du jeu une fois la manette en mains. En conséquence, l’importance de ces convictions va fatalement être revue à travers le prisme de leur réalité et de la façon dont je vais appréhender ce que le jeu a réellement à m’offrir. De là découle finalement une minimisation de l’impact que The Last of Us aura sur moi, comparé à celui qu’il a eu sur les premiers et premières à s’être lancé(e)s dedans. Pour dire les choses rapidement et « grossièrement », j’en ai vu d’autres depuis.

L’empreinte de The Last of Us semble indélébile. Reste alors à savoir pour quelles raisons et à les prendre en compte.
L’intérêt alors, pour répondre à la question de départ, il réside dans la capacité qu’on va avoir à prendre les choses de manière aussi objectives que possible. Il faut, je crois, dépasser autant que possible l’appréhension personnelle du jeu pour essayer de voir au-delà, de comprendre en quoi il peut être aussi culte qu’il l’est. Quoi qu’en soit le coup de vieux qu’il a pu prendre, The Last of Us doit être remis dans son contexte pour comprendre qu’à l’époque, il se démarquait. Mieux encore, il précédait beaucoup d’autres titres venus par la suite enrichir nos ludothèques, que ce soit en matière de game design, de gameplay ou de narration. Alors oui, en 2020, il y a énormément de titres dans la même veine comme je l’évoquais juste avant mais objectivement, on ne peut que comprendre l’importance de The Last of Us au regard de l’Histoire du jeu vidéo. Il est évident qu’en le découvrant aussi tard pour ma part, cela va avoir pour conséquence de biaiser l’intelligence de ses propositions ou plutôt la façon dont je vais les percevoir. Mais ma perception du titre a beau être altérée par le poids des années et l’héritage vidéoludique qui s’est construit en si peu de temps, les qualités de The Last of Us lui sont inhérentes et vont de fait être immuables, à condition de les saisir dans leur jus.
Au-delà donc de ce seul titre, cette expérience interroge je crois sur la pertinence ou non de la découverte tardive de certains titres si l’on ne s’intéresse pas à ceux-ci avec un regard aussi large que possible. La réponse que je souhaite y apporter se trouve d’ailleurs dans la problématique : en jouant à des jeux vidéo parus il y a 7, 10, 15 ans ou plus, il est à mon sens impossible de les appréhender « correctement » sans passer par un prisme d’observation qui implique une contextualisation. Oh bien sûr, on pourrait jouer comme ça, sans se poser plus de questions et l’on y trouverait un plaisir immédiat, mais je pense que cela ôterait pas mal de l’intérêt global de l’expérience. La question qui se pose nous concerne alors chacun et chacune, elle touche à nos visions personnelles de l’expérience de jeu : souhaitons-nous nous pencher sur le contexte initial pour saisir tous les tenants et aboutissants du jeu concerné ou bien préférons-nous nous contenter de prendre le jeu tel quel, dans notre contexte à nous et non dans le sien ?
Je reste intimement convaincu, surtout au sortir de The Last of Us, que le ressenti sur le jeu s’en trouvera fondamentalement modifié selon que l’on choisira la première ou la deuxième option. Pour qui s’intéresse pleinement au jeu vidéo au-delà de sa seule nature de loisir, ne pas s’interroger sur tous ces éléments que j’ai essayé de mentionner aussi bien que possible dans cet article amène forcément le risque d’être déçu et/ou de ne pas comprendre l’enthousiasme qui anime les amateurs (fans purs et durs ou personnes simplement reconnaissantes de la qualité du soft) autour de tel ou tel jeu au moment de sa sortie et par la suite, dans ce que j’appelais tout à l’heure la « hype de postérité ». Sans pouvoir prétendre à ce titre, nous nous improvisons un peu « historien(ne)s du jeu vidéo » en lançant des jeux parus quelques années (sinon de nombreuses) auparavant, alors autant essayer d’endosser une partie de ce rôle en cherchant plus loin que le produit fini. Sinon, ce serait un peu comme aller au musée et se contenter de regarder les murs.
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Comme je l’avais annoncé, cet article aura moins servi à parler du jeu en lui-même, de ses qualités et défauts, que de la façon dont on peut ou non se saisir d’un titre vidéoludique une fois les années passées. Comment, sept ans plus tard, appréhender un jeu devenu aussi culte et vénéré par bon nombre d’observateurs ? Le public, la presse spécialisée, les membres de l’industrie… Sans qu’il y ait réellement une unanimité (une oeuvre culturelle peut-elle d’ailleurs faire l’unanimité ?*), The Last of Us est clairement reconnu au moins comme un jeu d’importance majeure, ce genre de titre qui passe par là et qui entraîne dans son sillon pas mal de bouleversements que ce soit dans ce qu’on fait ou dans la façon de le faire. A l’issue de mes propres sessions de jeu sur ce titre, je ne peux que comprendre tout cela. Sans malgré tout avoir été autant marqué par l’ingéniosité souvent vantée de ce titre, je comprends en quoi il a pu être si déterminant pour un si grand monde à l’époque. Pour cela, il a fallu remettre les choses en perspective, observer par delà le jeu en lui-même et essayer de comprendre de quelle manière ce titre s’est inscrit dans son temps ou, mieux encore, s’est placé en avance par rapport à lui sur certains aspects.
Je ne dis pas que c’est LA méthode à avoir (car je n’ai aucune prétention de ce genre en la matière), ni même qu’il ne faut surtout pas se contenter de tout simplement jouer et s’amuser, tout au contraire. Je ne suis pas historien et je ne me considère pas comme un fin analyste de l’évolution du média depuis sa naissance, loin de là. Mais je persiste à croire que quand on s’intéresse réellement à un domaine et à tout ce qui en ressort, ses œuvres comme ses acteurs, cela peut déjà être une bonne piste de départ pour approfondir les choses et, au final, essayer d’en saisir toute la substance. Cet article ne bouleversera rien mais j’espère seulement qu’il saura intriguer celles et ceux qui le liront, qu’il apportera un peu d’eau au moulin de la réflexion. Ça, ce serait déjà beaucoup.
*Vous avez quatre heures
Que dire, j’ai eu le même ressenti que toi sur ce jeu… mais à sa sortie.
La dissonance narrative fait assez de dégâts en effet, rendre invisible et pratiquement invulnérable aux ennemis (pratiquement car il arrive qu’Ellie se fasse attraper) un personnage que le joueur est censé protéger, c’est pour moi un aveu d’échec.
Le Walking Dead de Telltale (sorti un an avant) impliquait bien plus son joueur par exemple, lui faisant craindre pour la survie de sa protégée grâce à des choix multiples et une sortie épisodique avec cliffhangers. Bref une base commune pour deux jeux pourtant très différents.
Pour autant mon avis n’est pas non plus négatif sur ce TLOU, la direction artistique fait des miracles, il m’arrive encore de relancer le jeu pour profiter ses panoramas magnifiques, son ambiance post-apocalyptique et cette OST fabuleuse, Santa »OHLALLA ».
Dommage que la boucle de gameplay soit si répétitive.
J’aime beaucoup cette idée d’appréhender différemment une oeuvre en fonction du temps passé après sa sortie, difficile de commencer un jeu, vierge de toutes ses expériences avec d’autres oui. Jouer à Mario 64 aujourd’hui ne le rendrait pas révolutionnaire par exemple alors qu’il le fût à l’époque de sa sortie comme tant d’autres.
Mais malgré cela il y a je ne sais pourquoi quelques jeux qui traversent les époques sans perdre ce je ne sais quoi, cette aura de classique, ces expériences marquantes.
Bref, toujours un plaisir de te lire.
Merci pour ton commentaire !
C’est ça, comme tu le dis bien, une affaire de jeux qui passent à travers les époques et qui s’imposent comme des standards à juste titre ou non. TLOU en est clairement un et même si mon expérience dessus se trouve impactée par toute l’évolution du média depuis sa sortie, je comprends pourquoi ce statut. Ton analogie avec Mario 64 est très bonne d’ailleurs, tout comme ta comparaison avec le Walking Dead de Telltale.
Une pensée pour cette partie de The Last Of Us qui attend sagement sa conclusion depuis un an, faudra y retourner, la première impression était bonne notamment vis a vis de cette ambiance réussie. Mais le gameplay m’a frustré à un moment. Ce côté un peu daté que tu mentionnes.
C’est une réflexion qui est essentielle, une oeuvre n’existe pas en dehors du temps. Bien sûr rien n’empêche d’apprécier/découvrir un film, un jeu, un livre, une musique sans nécessairement s’intéresser à l’époque qui l’a vu naître. Néanmoins c’est un apport non négligeable en effet, surtout pour une découverte tardive.
Je pense fort à Shadow Of The Colossus que tu nommes bien qu’il ne soit pas exempt de défauts, le remake lui a fait un bien fou visuellement, et le plaisir à l’exploration je ne l’avais pas eu avant. Mais le gameplay lui est resté inchangé, et fait mouche comme au premier jour.
Cependant ce qui a bel et bien changé depuis mon premier run dessus c’est un regard moins neutre sur le médium, plus intéressé, ce qui m’a permis aussi d’apprécier par exemple The Last Guardian bien qu’il accuse le coup d’un développement au long cours, et d’une attente folle l’ayant figé dans le temps (cas un peu hors sujet, un jeu daté à sa sortie).
Un gap de 7 ans, 10 ans, c’est de fait une manière différente d’appréhender les choses. On mûrit en tant que joueur. On ne pourra jamais désapprendre. C’est dommage lorsque l’on souhaite (re)jouer avec un oeil neuf, c’est heureux car c’est tout ce bagage qui fait de chaque session un moment particulier et différent.
Vaste champ de réflexion que ceci, quatre heures c’est peu :D.
Ce que j’aime bien avec cette approche, c’est aussi quand on va rejouer, après pas mal de temps, à des jeux qu’on adorait autrefois.
Je sais que ça me fait le coup avec Banjo-Kazooie par exemple : j’adore toujours autant ce jeu et sa suite mais le coup de vieux est indéniable et, même moi, je me prends à me lasser parfois.
Quand on s’intéresse au jeu de manière un minimum approfondie, tant l’évolution du média que nos vécus respectifs vont être très intéressants à mettre dans la balance. Je me dis que je proposerai peut-être d’autres articles dans cette veine si l’occasion de présente… Pourquoi pas avec Banjo-Kazooie tiens.
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