2010-2019 : Bilan cinéma personnel de la décennie

Après mon bilan musical des dix dernières années en Février, j’ai décidé de poursuivre l’expérience en m’intéressant cette fois-ci au cinéma. Toujours plus tard dans l’année, votre serviteur compte donc bien continuer à dresser des bilans autant qu’il le peut. Rassurez-vous cependant, une fois celui-ci fait, il ne restera plus que le bilan côté jeux vidéo et je lui réserve un style tout particulier qui l’amènera à être posté encore plus tard. Enfin bref, le moins que l’on puisse dire en ouverture c’est qu’il s’en est passées des choses depuis 2010 sur nos grands écrans : Marvel est devenu un mastodonte ronflant, Disney achète tout ce qu’il peut comme s’il jouait au Monopoly, la 3D se fait toujours plus discrète… On a eu droit à de nombreuses belles surprises et à pas mal de grands échecs aussi. Netflix a grandi par ailleurs, entraînant dans son sillage pas mal de concurrents. On va essayer de revenir sur tout ça et sur ce que ce grand mouvement a su donner de meilleur.

Il y a eu plusieurs grandes tendances côté cinéma au cours des dix dernières années et qui ont marqué mes sorties en salles. La première, initiée dès la fin des années 2000, c’est bien entendu l’Univers Cinématographique Marvel. Alors que seuls deux films sont sortis avant 2010 (Iron Man et L’Incroyable Hulk, tous deux en 2008), la décennie qui a suivi a vu paraître pas moins de 21 autres aventures ! Si un seul est sorti en 2010, la franchise s’est ensuite tenue à un rythme de deux films par an, puis trois à compter de 2017. Ecrasant systématiquement le reste du box office, le MCU est devenu l’énorme machine incontrôlable de l’industrie cinématographique ces dernières années. Gavant jusqu’à explosion un public avide de super-héros en tous genres, cette immense série de films a réussi à capitaliser sur un phénomène jusqu’alors mineur pour en faire quelque chose d’incontournable.
Car si l’histoire des super-héros au cinéma ne date pas d’hier, ils n’avaient jamais connu qu’un engouement ponctuel jusqu’alors, que ce soit avec les Superman des années 1970 (et encore, surtout les deux premiers), les Batman de Tim Burton ou ceux de Christopher Nolan. Marvel, avant même cet univers partagé, fut le premier à dégainer des super-héros en masse au cinéma dans les années 2000 : les X-Men, Spider-Man avec Sam Raimi derrrière la caméra, Blade ou encore le Hulk d’Ang Lee furent ainsi les pionniers d’une manne financière encore à découvrir. Et Marvel, avec son univers étendu, de bientôt avoir pu proposer autant de films en une seule franchise que la saga James Bond. Mais là où 007 l’aura fait en presque 60 ans, Marvel l’aura fait en 12…

Quel bordel !

Forte de sa réussite, la franchise aura forcément créé des émules et DC n’a pas pu s’empêcher de vouloir rattraper son retard. Restant sur le succès de la trilogie Dark Knight de Christopher Nolan, l’éditeur de Batman et Superman se décide dans les années 2010 à lancer son propre univers étendu. Sauf que ça a tourné à la catastrophe. Man of Steel débarque en 2013 et semble prendre le parti de suivre l’héritage laissé par les Dark Knight justement, même si ceux-ci ne sont pas inclus dans ce nouveau chantier. D’ailleurs, Christopher Nolan est à la production, ce n’est pas pour rien. Suivra un Batman v Superman aussi long qu’insipide, un Suicide Squad honteusement ridicule (marqué par un Joker by Jared Leto innommable) et enfin un Justice League en point d’orgue de cette incapacité à concurrencer Marvel sur son terrain. Entre temps, Wonder Woman aura su se montrer correct mais c’est bien tout… D’autres films ont suivi mais, à la toute fin de la décennie, Warner et DC semblent avoir compris : puisqu’ils ne peuvent pas rattraper le MCU, autant créer leur propre terrain de jeu. Impossible en effet de rattraper tout le retard accumulé sans une précipitation néfaste. Joker arrive donc en 2019, proposé hors de cet univers étendu (qui va pourtant continuer à être en sursis) et prompt à offrir un film qui se démarque des blockbusters super-héroïques actuels. Une réussite qui devrait pousser les studios à s’en inspirer davantage dans les années à venir. Nous verrons en tous cas ce que donnera The Batman, énième reboot des aventures de l’Homme Chauve-Souris, mené par Matt Reeves.

Quel enfer !

Autre tendance ciné en ce qui me concerne ces dernières années : le retour de Star Wars. Dès 2015 et Le Réveil de la Force, la saga créée par George Lucas est revenue plus productive que jamais. Là encore remise entre les mains de Disney, elle ne se contente désormais plus d’une simple trilogie et deux spin offs ont vu le jour depuis : Rogue One et Solo. Cependant, Disney et Lucasfilm semblent avoir décidé de lever le pied sur ces films tiers, aucun autre n’ayant été officiellement confirmé depuis le dernier en date. Parallèlement, Star Wars aura vu se conclure la saga Skywalker avec les épisodes VII, VIII et IX.
Une troisième trilogie au final assez décevante sur bien des plans malgré toute la sympathie que je lui accorde néanmoins. Mal ficelée, peu cohérente d’un film à l’autre, cette trilogie manque cruellement d’âme et ne restera certainement pas dans les mémoires comme le meilleur passage de la saga. Celle-ci va pourtant se poursuivre ! Sans les Skywalker cependant, Star Wars va en effet avoir droit à son lot de suites et préquelles et si l’on regrettera toujours que le projet centré sur Obi-Wan Kenobi soit passé du statut de film à celui de série, ce sont deux autres trilogies qui devraient voir le jour dans les années à venir. Enfin cela reste à confirmer car on n’est pas à l’abri d’annulations, changements de plans et autres retournements de situation comme nous avons pu en avoir ces derniers temps…

Quel gâchis !

Une autre chose qui m’a surpris durant ces dernières années, c’est la percée qu’a connue le cinéma coréen spécifiquement et asiatique de manière générale, notamment en France. Malgré un bon nombre de grands cinéastes venus de ce coin de la planète et malgré de nombreuses grandes œuvres qui vont autant des Sept Samouraïs de Kurosawa à Memories of Murder de Bong Joon Ho, en passant par les classiques du studio Ghibli, c’est une frange du cinéma qui – en France tout du moins – a mis un bout de temps avant de se voir réserver les honneurs auxquels il prétend désormais. Pour ne citer que ces deux-là, les récents Parasite et Dernier Train Pour Busan ont ainsi joui d’une renommée immédiate et surtout d’un appui en termes de communication qu’on voyait assez peu auparavant pour des films venus de cette région du monde., lesquels étaient souvent mis en lumière auprès d’un public déjà conquis et non du plus grand nombre.

Quel formidable outil de découverte !

Peut-être (sans doute même), faut-il voir ici un des effets bénéfiques d’internet et de la vaste culture cinéphile qui s’y est développée de tous temps. Le bouche à oreille n’a jamais été aussi aisé, même sur le web, et l’on doit cela autant aux plateformes de réseau social telles que Facebook et Twitter évidemment qu’à d’autres sites plus spécialisés. En France notamment, si Allociné a longtemps été LA référence en la matière (« la seule donc la meilleure »), on pourra désormais sans problème évoquer Sens Critique. La plateforme de notation culturelle a en effet réussi en quelques années à conquérir une place de choix et se fait désormais l’écho, sinon le soutien, de très nombreux films.
Mieux encore, là où d’autres structures soutiennent sans cesse et sans trop se mouiller les œuvres les plus connues du grand public, Sens Critique a fait le choix il y a quelque temps maintenant de porter son soutien à des œuvres qui ne jouissent pas de la plus grande force de frappe qui soit sur le plan de la communication. Cela passe par des avant-premières et ses fameuses Cinexpériences (séances de cinéma à l’aveugle) où ce ne sont jamais des blockbusters qui vont être mis à l’honneur. Tout au contraire, Sens Critique cherche à privilégier un cinéma moins grandiloquent, local en quelque sorte, offrant à ses spectateurs autant de films britanniques que coréens, français, tunisien, néerlandais ou belge… C’est grâce à ce site que j’ai ainsi pu découvrir ces dernières années des films comme La Belle et la MeuteBelgicaPiranhas, Le Monde est à ToiHigh Rise ou encore Une Prière Avant l’Aube. Et de fait, si le cinéma indé s’est montré aussi prolifique durant ces dix dernières années, il convient de souligner l’importance capitale des soutiens de ce genre, qui ne l’ont jamais mieux mis en lumière.

Difficile de faire court quand on veut parler de la façon dont le cinéma a changé ou évolué en dix ans, aussi je ne vais pas m’étendre davantage. Au lieu de cela, passons à l’éternel classement ! A l’image de ce que j’avais fait dans mon bilan musical de la décennie, je vais ici proposer deux classements. Le premier permettra de distinguer les films que j’ai préférés pour chaque année de 2010 à 2019 et le second dressera un Top 10 pour l’ensemble de la décennie.

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Top 10 Films 2010-2019 par année 

2010 : Inception, de Christopher Nolan

En 2010, Toy Story revenait avec un troisième volet qu’on pensait être le dernier (et qui nous a bien fait chialer, on ne va pas se mentir), Tom Hooper nous racontait Le Discours d’un Roi, Joann Sfar portait Gainsbourg à l’écran dans un conte, Kick-Ass se faisait kicker le sien d’ass et Scott Pilgrim affrontait le monde (enfin surtout les sept ex maléfiques de Ramona mais c’est une autre histoire). Leonard DiCaprio, quant à lui, apparaissait dans deux films cette année-là. D’un côté nous avions Shutter Island, polar glauque de Martin Scorsese, et de l’autre, le thriller SF de Christopher Nolan : Inception.

Inception, c’était aussi un bien beau travail sur le visuel.

Alors en pleine trilogie The Dark Knight, Christopher Nolan a néanmoins su proposer entre chaque épisode un autre film. Il y eut Le Prestige entre Batman Begins et The Dark Knight notamment, film où deux magiciens s’affrontent sans cesse pour toujours surpasser l’autre. Puis vint donc Inception, calé juste avant The Dark Knight Rises et dans lequel Nolan tâche de proposer un croisement entre polar, thriller et SF dans une histoire de rêves imbriqués dont je vous passe les détails. Avec ce film, le réalisateur livre à mon sens l’oeuvre qui finit de le détacher de ses travaux des débuts. Il n’hésite plus à se livrer à un cinéma grand spectacle bien éloigné de ses premiers films comme FollowingMemento ou même Insomnia. La mue qui avait commencé à s’opérer avec son travail sur Batman se poursuit donc et atteint son point de non-retour ici : désormais, Nolan sera un cinéaste à gros budget et grand spectacle. Mais lorsque l’énorme machinerie hollywoodienne se met au service de films comme celui-ci, je ne trouve rien à redire.

2011 : Bellflower, d’Evan Glodell

2011 fut l’année où Sean Penn se la jouait Alice Cooper tendre pour Paolo Sorrentino dans This Must Be the Place, où les X-Men et La Planète des Singes initiaient leurs reboots respectifs, où Tom Hanks brillait par son absence (sans ironie) dans Extrêmement Fort et Incroyablement Près, où Hazanavicius rendait hommage au cinéma muet avec The Artist et où enfin Harry Potter arrivait à son terme. Mais ce fut aussi l’année où ce bon vieux Festival de Sundance m’a livré un des meilleurs films de la décennie.

L’ambiance de Bellflower était incroyable.

Voilà une oeuvre que j’ai découverte par un chaud après-midi d’été, calé dans le canapé d’un pote, et pour laquelle je n’étais pas spécialement prêt. Bellflower nous raconte en gros l’histoire de deux trentenaires un peu geek sur les bords qui rêvent de se construire une voiture digne de Mad Max. Leur rencontre avec deux jeunes femmes dans un bar va cependant apporter du piment dans leur vie et, progressivement, l’amener à basculer complètement jusqu’au moment où tout le monde perd un peu les pédales. Evan Glodell signe ici un film chaud et saisissant. Toujours plus moite et étouffant à mesure que l’on avance, Bellflower ne peut pas laisser de marbre et je pense sincèrement qu’on ne peut qu’aimer ou détester, sans juste milieu. Depuis, cependant, Evan Glodell s’est fait plus discret. Si deux autres films de la bande de Coatwolf qu’il forme avec ses potes ont été mis sur les rails depuis (Chuck Hank and the San Diego Twins puis Canary), aucun n’a encore eu droit à une quelconque sortie. Chuck Hank n’a d’ailleurs vu sa production se terminer qu’en Décembre dernier, sept ans après sa première bande annonce ! J’espère en tous cas vivement voir ces nouveaux projets prochainement.

2012 : Skyfall, de Sam Mendès

En 2012, le monde n’a pas pris fin et tandis que quelques illuminés allaient se terrer à Bugarach au cas où, Spielberg théâtralisait Abraham Lincoln ; les Wachowski pondaient un Cloud Atlas qui est encore aujourd’hui tout ce que Sense 8 n’a jamais su être ; Bruel, Berling et les autres se disputaient à cause du Prénom ; Marvel explosait tout avec Avengers ; Tarantino s’essayait (vraiment, cette fois) au western avec Django Unchained ; et Nolan concluait sa trilogie Dark Knight. De son côté, James Bond faisait son retour avec Skyfall, mis en scène par Sam Mendès.

Chronique d’un espion solitaire

De Skyfall justement, ce que je déteste le plus désormais c’est clairement la chanson du générique, interprétée par Adele. Hormis cela, le 23ème film de la saga 007 n’a pas grand-chose à se reprocher. Troisième opus avec Daniel Craig dans le rôle-titre, Skyfall s’est donné pour mission de redéfinir les fondements du célèbre espion, plus encore que ne l’avaient fait ses deux prédécesseurs. Car si Casino Royale puis Quantum of Solace (chacun avec leurs qualités et leurs défauts) avaient contribué à un renouveau dans la recette, cet épisode-ci réussit à se démarquer toujours plus tout en étant un hommage constant et systématique aux anciens films de la série. Que cela passe par une idée de mise en scène, l’exploration des origines de Bond ou le retour de certains personnages (notamment Q, impeccablement campé par Ben Wishaw), Skyfalll s’est très vite imposé comme une belle référence au sein de l’univers-même de James Bond. Au-delà de ça, c’est aussi et surtout un très bon film, filmé avec excellence et écrit avec un beau sens de la dramaturgie. Dommage que sa suite, Spectre, n’ait pas du tout été à la hauteur…

2013 : La Vie Rêvée de Walter Mitty, de Ben Stiller

2013 aura été une année riche en émotions : le grand frisson spatial avec Gravity, la terreur de l’esclavage avec 12 Years a Slave, la solitude de Llewyn Davis dans le film des frères Coen, la peur face aux pirates somaliens du Capitaine Phillips, etc… Ben Stiller allait de son côté puiser dans tout ce qu’il avait de plus doux pour s’extirper des comédies potaches qui l’ont rendu célèbres et livrer une des plus jolies odes que la décennie aura connues : La Vie Rêvée de Walter Mitty.

N’oublions pas mentionner Kristen Wiig, d’une délicatesse plus qu’appréciable dans ce film.

Adapté de la nouvelle The Secret Life of Walter Mitty (James Thurber, 1939), elle-même déjà portée à l’écran en 1947 par Norman Z. McLeod, ce film de Ben Stiller s’est très vite vu taxer d’être un « simple film pour hipsters, par des hipsters ». Je n’ai jamais trop compris ce qui faisait un « film pour hipsters » en réalité, mais soit. J’imagine que le fait de voir Ben Stiller faire du skate en Islande suffit pas mal. En lieu et place de cela, j’ai surtout trouvé en Walter Mitty un conte onirique des plus touchants, tendre et drôle dans lequel Stiller s’attache à s’émanciper de son carcan habituel (tant devant que derrière la caméra). Avec une mise en scène de qualité et une musicalité certaine, l’acteur-réalisateur nous raconte les aventures de cet employé du magazine Life qui rêve souvent tout éveillé et qui se retrouve pris malgré lui dans une quête autour du monde qui lui permettra enfin de vivre sa vie plutôt que de l’imaginer. C’est certes un peu cliché dit comme ça, mais c’est efficace. A voir quand vous n’avez pas trop le moral, la bouffée d’air frais que représente ce film fait toujours le plus grand bien.

2014 : Whiplash, de Damien Chazelle

Changement de ton avec Whiplash mais avant de parler de lui, rappelons-nous qu’en 2014 Wes Anderson nous faisait découvrir le Grand Budapest Hotel, Christopher Nolan explorait l’espace-temps avec Interstellar, Benedict Cumberbatch décodait les messages nazis dans Imitation GameLes Gardiens de la Galaxie apportaient du sang neuf à Marvel, Brad Pitt et ses acolytes pilotaient un char dans Fury, Taika Waititi nous présentait des Vampires en Toute Intimité et John Wick se mettait en colère pour la première fois.

Superbe duo d’acteurs que celui formé par Miles Teller et J.K. Simmons dans Whiplash.

Avec Whiplash, Damien Chazelle a réussi à offrir un des meilleurs films sur la musique qu’on ait pu voir depuis bien longtemps. Grosso modo, ce film raconte la tension permanente entre un jeune batteur (Miles Teller) et son impossible professeur de musique (J.K. Simmons).
Dans son intégralité, Whiplash joue sur ce rapport extrêmement tendu entre le maître et l’élève, réussissant à tourner la musique (le jazz en particulier) en une épreuve de force constante qui met autant à mal le spectateur que le pauvre garçon qui s’applique du mieux qu’il peut face à ce véritable tortionnaire qu’incarne magnifiquement J.K. Simmons. L’acteur constitue d’ailleurs un des plus grands atouts de ce film, ajoutant une plus-value considérable à cette oeuvre aussi fascinante qu’éprouvante.

2015 : Spotlight, de Tom McCarthy

La Force s’est réveillée en 2015 tandis que l’on découvrait les services secrets de Code U.N.C.L.E. et de Kingsman et que Neil Blomkamp signait son retour avec Chappie. Parallèlement, Matt Damon se retrouvait Seul sur Mars, Chris Hemsworth lâchait Thor juste après l’avoir retrouvé dans Avengers 2 pour se perdre Au Cœur de l’Océan, Paul Rudd enfilait le costume d’Ant-ManMad Max faisait demi-tour sur sa Fury Road, James Bond s’essoufflait face au Spectre et les 4 Fantastiques faisaient un énième four…

Je vois en Spotlight une sorte de version moderne des Hommes du Président.

Quant à mon film préféré de l’année, c’est Spotlight, le thriller journalistique de Tom McCarthy. S’emparant du sujet aussi éminent qu’épineux de la pédophilie dans l’Eglise, le cinéaste livre un film dur et brutal sur la question. S’offrant les services d’un casting d’exception (Mark Ruffalo, Rachel McAdams, Michael Keaton, Stanley Tucci, Liev Schreiber…), Spotlight est un pamphlet aussi fin que fort à l’encontre de l’institution religieuse en mettant en scène le scandale des prêtre pédophiles de la région de Boston, révélé au début des années 2000 par une équipe de journalistes du Boston Globe. Sans chercher à jouer dans une éventuelle surenchère qui aurait été malvenue, ce film de Tom McCarthy affronte le sujet de front en tâchant de minutieusement reconstituer les faits qui ont émaillé la rédaction du reportage paru à l’époque et, par conséquent, ceux qui ont conduit à sa conception. Par la maîtrise de son sujet et de sa cinématographique, Spotlight est non seulement un très bon film mais il devient également important. Un de ces films à voir absolument.

2016 : Belgica, de Felix Van Groeningen

Il y a des années où les catastrophes s’enchaînent : 2016 en fut une. Car entre Independence Day – ResurgenceSausage Party, le reboot de SOS FantômesSuicide Squad ou encore La Grande MurailleTarzan et Zoolander 2, on n’était pas loin de se dire que cette année-là était foutue. Fort heureusement, le cinéma est comme la Force dans Star Wars et il cherche toujours son équilibre. C’est ainsi qu’à ces navets de haut vol, il a su opposer une farouche résistance qualitative avec Dernier Train pour BusanZootopieLe Garçon et la BêteLe Fondateur et enfin celui qui fut à la fois une excellente surprise et mon film favori de ce cru maudit : Belgica.

Tom Vermeir et Stef Aerts sont les deux piliers de ce film et livrent une prestation en tandem de grande qualité.

Réalisé par Felix Van Groeningen (Alabama MonroeLa Merditude des Choses…), Belgica raconte l’histoire de deux frères qui tâchent de faire vivre le Belgica du titre, un bar à l’ambiance tout ce qu’il y a de plus débridée. Mais lorsque l’aîné des deux frangins commence à faire de la merde, forcément, les choses deviennent progressivement de plus en plus compliquées. Au-delà de nous raconter une simple histoire de tenanciers de bistrot, Belgica est avant tout un film de grande qualité sur la question de la fraternité, sur la façon dont deux frères vont se soutenir et surtout, jusqu’à quel point ils vont le faire. Van Groeningen inscrit alors son film dans la continuité d’Alabama Monroe selon moi en évoquant, après le couple, une autre forme de rapport intime dans l’adversité. Tout cela servi par une mise en scène et une photographie aussi sauvages que précises, et Belgica de devenir non seulement un excellent film mais aussi une fort belle entrée en matière pour ce qui fut ma toute première Cinexpérience avec Sens Critique.

2017 : 3 Billboards, de Martin McDonagh

Il est amusant de voir comment l’histoire se répond parfois et, côté cinéma, comment 2017 fut l’anti-thèse de 2016. A une série de terribles films succède alors un cru remarquable où l’on ne sait par où commencer : DunkerqueMother!LoganBrimstone, le dernier volet de La Planète des SingesA Beautiful DayLes Heures Sombres, l’iconoclaste Star Wars – Les Derniers JediPhantom Thread et j’en passe : tous sont sortis cette année-là ! Une sélection de choix marquée par l’audace et l’envie de composer un cinéma qui diffère, quitte à s’attirer les foudres des uns. Peu importe alors car les louanges de tous les autres forment une fois de plus un bel équilibre. Au sommet de cette sélection triomphe selon moi le dernier film de Martin McDonagh : 3 Billboards.

Rockwell et McDormand sont une fois de plus brillants dans 3 Billboards.

Bien qu’il ne soit sorti chez nous qu’en 2018, 3 Billboards est bien un film de 2017 (c’est tout le « problème » de ces œuvres qui paraissent en toute fin d’année aux Etats-Unis). Martin McDonagh est quant à lui un cinéaste qui, jusqu’ici, avait fait preuve d’une carrière assez inégale et surtout très courte : il ne s’agit là que de son quatrième long-métrage ! Il succède ainsi au longuet et relativement ennuyeux Sept Psychopathes qui décevait d’autant plus qu’il venait après Bons Baisers de Bruges qui, sans être un grand film, avait néanmoins pour lui d’offrir un ton amusant. Concernant le film qui nous intéresse ici, quelle surprise ce fut ! Au moment d’entrer dans la salle de cinéma, je m’attendais à une sorte d’histoire de vengeance par panneaux interposés ou quelque chose dans le genre, sans trop en espérer. Et finalement, j’ai eu le récit d’une mère-courage sans tout le côté cliché et potentiellement grotesque de la chose, le tout dans un scénario qui va crescendo, se ponctuant d’événements tragiques et de personnages rocambolesques (celui incarné par Sam Rockwell est incroyable, en grande partie grâce à son interprète) et jusqu’à un final libérateur qui arrive exactement de la meilleure manière possible. C’est d’ailleurs cette immense bouffée d’air conclusive qui donne à 3 Billboards tout sa saveur. En se livrant comme une douce apothéose, cette fin se révèle parfaite et sublime autant les événements précédents qu’elle se nourrit d’eux.

2018 : BlacKkKlansman, de Spike Lee

Je ne sais pas pour vous mais, en ce qui me concerne, 2018 fut une année des plus éclectiques. Au cours de ces douze mois, j’ai navigué entre blockbuster Marvel (avec Black Panther et Infinity War), OVNI fantastico-gore avec Mandy, biopic pompeux avec Bohemian Rhapsody, SF so années 80 avec Ready Player One et films français surprenants (Le Monde est à Toi ainsi que Une Prière Avant l’Aube). Des films de toutes les couleurs pour tous les goûts, parus au cours d’une année où Netflix a essayé de commencé à sortir l’artillerie lourde pour ses productions maison : Natalie Portman dans Annihilation, Ewan McGregor et Léa Seydoux pour Zoe, Duncan Jones à la réalisation de Mute, Jack Black dans Polka King… Bon, aucun n’a réellement su se démarquer mais on saluera toujours la tentative de l’époque.

John D. Washington se révèle plein pot dans BlacKkKlansman

Mais surtout, 2018 fut l’année où j’ai pour la toute première fois vu un film de Spike Lee. Aussi renommé que puisse être ce cinéaste, je n’avais en effet jusqu’ici jamais eu l’occasion de regarder une de ses précédentes œuvres, même les plus connues. J’entame donc alors ma découverte de son univers que je sais néanmoins si engagé avec BlacKkKlansman. Etant donné la claque que j’ai prise devant ce film, je continue de croire que c’était un bon début. Servi notamment par John David Washington et Adam Driver, BlacKkKlansman met en scène un flic noir qui va (comme le titre français du film l’indique) infiltrer le Ku Klux Klan dans les années 1970. Dès lors, Spike Lee compose son film de manière à jouer sur différents tableaux. Tout en conservant en filigrane une approche assez personnelle du polar, le réalisateur n’hésite pas à autant jouer la corde de la colère que celle de l’humour. Ridiculisant notamment les membres du KKK, Lee se joue du culte suprématiste en mettant en scène des rednecks aussi racistes que cons mais sans jamais perdre de vue toute la dangerosité de leur idéologie. C’est d’ailleurs là toute la qualité de ce film, cette aptitude à évoluer dans une ambiance qui oscille entre ces aspects sombres et l’atmosphère néanmoins feel good des 70s. N’oubliant jamais son message initial, Spike Lee livre en cela un film d’une grande intelligence, finement exécuté et dont la conclusion ne peut que laisser scotché dans un silence pesant.

2019 : Joker, de Todd Phillips

Les couleurs de Joker !

Nous voilà à conclure cette rétrospective par année et, avec 2019, il faut revenir sur ce que je disais juste avant concernant les productions Netflix. Là où la plateforme avait enchaîné un certain nombre de films peu notables, c’est à peu près l’inverse qui se produit l’année suivante.
Entre The Irishman de Martin Scorsese, The Laundromat de Steven Soderbergh, The Highwaymen ou encore l’excellent Marriage Story, l’artillerie lourde que j’évoquais juste avant est enfin arrivée. Oh bien sûr, les plus attentifs d’entre vous auront noté l’absence de mention de Roma mais je dois bien vous le confesser : je ne l’ai toujours pas vu… En revanche, en 2019, j’ai vu des tas de choses : Toy Story 4 et son dernier baroud d’honneur (enfin peut-être), Once Upon a Time in HollywoodParasiteA Couteaux TirésAvengers- Endgame (forcément), le Piranhas de Claudio Giovannesi (autre découverte de Cinexpérience)…
Mais c’est sans conteste Joker qui m’a le plus ravi l’an dernier. Je ne vais pas ici vous refaire le même topo que j’ai pu écrire dans mon bilan annuel paru il y a quelques mois, ce serait redondant. Retenez simplement que si Todd Phillips se montre parfois maladroit, il n’est pas sans finesse pour autant ; que la cinématographie de ce film est géniale ; et enfin que, oui, Joaquin Phoenix le mérite son satané Oscar ! Et sur ces derniers mots, passons à la fin de cet article avec le Top 10 général de la décennie !

 

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Top 10 Films général 2010-19

N°1- 3 Billboards, de Martin McDonagh

Véritable belle surprise de l’année 2017, 3 Billboards s’impose comme mon film favori de cette décennie. Ce qui m’amuse en quelque sorte avec tout cela c’est que ce n’est même pas le film le mieux fait de toute cette génération. Il a des défauts, son histoire n’est pas absolument parfaite… Mais peu importe, l’essentiel c’est ce qu’il a su susciter en moi et, de ce point de vue-là, il a fait un sans faute.

N°2- Whiplash, de Damien Chazelle

Si je tournais moins à l’affect, voilà le film qui aurait légitimement eu la première place de ce classement. Car si Whiplash a su me conquérir sans aucun souci, il faut bien admettre qu’une fois qu’on le regarde avec autant d’objectivité que possible, il se révèle parfait sur énormément de points. Damien Chazelle a en effet su livrer ici une véritable leçon de cinéma, sublimée par la musicalité de son film et les interprétations impeccables de ses deux acteurs principaux. Le duel alors mis en scène n’en est que plus marquant.

N°3- Joker, de Todd Phillips

Au-delà des immenses qualités du film en lui-même, je tenais à laisser une place quelque part dans ce classement pour Joker. Car dans la grande vague de films super-héroïques que nous connaissons depuis plus de dix ans désormais, le film de Todd Phillips est une véritable exception à la règle, comme nous n’en connaissons que trop peu dans cette frange du cinéma (évidemment, on pense ici à Watchmen). Loin des immenses décors numériques, des effets spéciaux en veux-tu en voilà, de la débauche de moyens et du grand spectacle continu, Joker constitue la très bonne affaire des studios Warner, bien empêtrés dans leur DCEU par ailleurs. Plus intimiste globalement, ce film est une réussite sur laquelle je n’aurais rien à dire de plus ici que je n’aurais déjà dit dans ma critique à son sujet.

N°4- The Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson

Si le cinéma de Wes Anderson s’est révélé au plus grand nombre dès les années 2000, il s’est tout bonnement sublimé dans les années 2010. Fidèle à sa patte bien personnelle, Anderson a su offrir au public un tableau tout ce qu’il y a de plus coloré et chatoyant avec The Grand Budapest Hotel. Je sais qu’une partie du public lui reproche de toujours faire la même chose mais je trouve ça un peu triste de reprocher à un cinéaste d’avoir son style bien à lui et de s’y accrocher coûte que coûte avec l’envie de livrer un cinéma marqué et différent. Enfin bref, sur The Grand Budapest Hotel, rien à redire : Wes Anderson y compose une oeuvre d’une grande sensibilité au service de laquelle se met une distribution cinq étoiles. Il aura fallu un Whiplash pour détrôner ce film cette année-là, ce qui n’est pas rien.

N°5- Baby Driver, d’Edgar Wright

On connaissait d’Edgar Wright le sens de l’humour et le côté geek assumé, mis en avant dans Shaun of the DeadHot Fuzz ou encore Scott Pilgrim. Tout cela, on le retrouve dans Baby Driver en 2017 avec, en sus, une bien belle maestria dans la mise en scène, une musicalité là encore qui se retrouve cristallisée dans le montage sonore mais également dans la chorégraphie sans fin que s’avère être le film. Oh oui, le scénario tient sur un bout de nappe mais il n’en faut parfois pas plus tant que la façon de raconter permet d’en mettre plein la vue. Et quand je parle d’en mettre plein la vue, il n’est pas ici question de débauche d’effets spéciaux ou de choses comme ça. Non, je parle d’une véritable envie d’offrir un petit bijou visuel au public, ce qu’est et demeurera Baby Driver.

N°6- Bellflower, d’Evan Glodell

Il n’est pas surprenant de retrouver Bellflower dans ce classement final. A travers lui, je vois la synthèse de toute la façon dont le cinéma indépendant a su proliférer au cours de la décennie écoulée. Que ce soit grâce aux festivals dédiés dont le célèbre Sundance ou par le biais d’un bouche à oreille de plus en plus efficace, toute cette frange du cinéma actuel jouit désormais d’une visibilité incroyable, permettant alors de bien plus aisément mettre en avant des perles telles que celle-ci. En attendant les prochaines productions de Coatwolf, Bellflower reste – comme le dit la vignette de la vidéo ci-dessous – jubilatoire.

N°7- Spotlight, de Tom McCarthy

Comme je le disais plus haut, Spotlight est à la fois un excellent film et une œuvre importante. Au-delà du récit donné à suivre, c’est un témoignage et un rappel d’une situation inacceptable qui est, hélas, bien trop souvent passée sous silence. Car il n’y a pas qu’à Boston, on le sait toutes et tous. Gardons au moins cela comme point de départ et apprécions que d’autres œuvres, comme Grâce à Dieu de François Ozon, continuent de s’emparer du sujet depuis.

N°8- Lincoln, de Steven Spielberg

On a beaucoup reproché à Lincoln de faire semblant d’être un grand film et je n’ai jamais trop saisi pourquoi. Spielberg y livre un travail de reconstitution assez remarquable, les costumes et les décors sont au moins aussi fous que l’interprétation de Daniel Day-Lewis dans le rôle-titre… Lincoln souffre peut-être parfois de sa grande théâtralité mais je trouve à titre très personnel que cela sert énormément le propos. Une approche pour laquelle opte Spielberg et que certains trouveront sans doute pompeuse mais qui confère au film toute la saveur dont un grand nombre de biopics manquent cruellement parfois.

N°9- Skyfall, de Sam Mendès

Excellent James Bond, le Skyfall de Sam Mendès a pour lui de succéder à un Quantum of Solace en demi-teinte (même si je l’aime bien malgré tout…). Fort heureusement, son seul fait d’armes n’est pas de passer après un épisode plus faible que les autres (certains diront médiocre). Tout au contraire, Skyfall constitue un tout. Un ensemble qui compte autant sur l’héritage de la saga que sur ses qualités propres, lesquelles sont nombreuses. Ce faisant, Skyfall se rend accessible à tous, y compris celles et ceux qui connaissent moins bien l’univers de 007. Très facile à regarder indépendamment des autres et en même temps parfaitement inscrit dans la continuité initiée par Casino Royale, on a au final surtout droit ici à un très bon film d’agents secrets.

N°10- La Vie Rêvée de Walter Mitty, de Ben Stiller

J’en conclus donc avec Walter Mitty, définitivement au grand dam de beaucoup de monde. Si j’ai à titre personnel une très grande affection pour ce film, je sais que c’est loin d’être partagé par une majorité qui va – dans l’ensemble – de « Oui, c’est un petit film sympathique » à « Non mais quelle mascarade »… De mon côté, je me contente de me rappeler que quand je l’ai découvert, il m’a fait du bien. Et le sentiment ne s’est pas estompé au fil des revisionnages. Rien que pour ça, il mérite sa place dans mon Top 10. Zut.

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