Note de lecture n°29 : « Spider-Man : L’Histoire d’une Vie », Chip Zdarsky & Mark Bagley

Je vais vous faire une confidence : je n’avais jusqu’ici jamais vraiment lu de Spider-Man. Il y a bien eu des petites histoires par-ci par-là et autres incursions du Tisseur dans d’autres récits (Civil War notamment) mais jamais ou presque je ne m’étais dit « Tiens, et si je me lisais une aventure de Spider-Man ! »… Pourquoi ? Aucune idée. Etant venu aux comics relativement tard, je me dis que l’occasion ne s’était tout bonnement pas encore présentée, préférant entrer dans ce champ littéraire par d’autres portes que j’appréciais plus : Batman et Walking Dead. Je suis pourtant un amateur de l’Homme-Araignée. J’adorais le dessin animé qui passait à la télé dans les années 1990, tout comme j’ai bien aimé (à différents degrés) les films de Sam Raimi. Quant aux suivants, même si ça n’a jamais été de grandes œuvres, eh bien j’y allais toujours avec le plaisir de retrouver ce héros. J’attaque donc mon premier véritable volume de Spider-Man avec L’Histoire d’une Vie. Un récit à part, autant le dire de suite.

C’est à l’occasion des 80 ans de Marvel que la fameuse Maison des Idées s’intéresse au potentiel de ce récit centré sur son plus célèbre héros. Un justicier qui, comme tous les autres (chez Marvel comme chez DC) a connu au cours de sa longue carrière un nombre incalculable de reboots et relaunches, de changements d’identité et autres torsion de son univers. Les aléas de la vie éditoriale ont ainsi fait de la biographie fictive de Peter Parker un véritable bordel pour qui essaierait de la retracer du début jusqu’à aujourd’hui. Ce serait même mission impossible a priori. L’objectif derrière tout cela, c’était évidemment d’une part d’empêcher le héros de vieillir afin qu’il colle toujours aux codes qui sont les siens (un jeune homme, proche d’un lectorat dans la même tranche d’âge que lui, etc.) mais aussi pour qu’il ne finisse pas par mourir, tout bonnement. La quatrième de couverture de l’ouvrage qui nous intéresse aujourd’hui le rappelle d’ailleurs :

Les auteurs successifs [de Spider-Man, nda] relèvent le défi de ne pas trop faire vieillir Peter Parker et son entourage tout en situant leurs histoires dans le présent.

De fil en aiguille, de choix éditoriaux en events ponctuels visant à relancer l’univers Marvel, Spider-Man est donc toujours resté (dans une plus ou moins grande mesure), ce fringant jeune homme sympathique. Et si quelques bouleversements plus importants se sont produits dans les dernières années avec notamment l’arrivée de Miles Morales en tant que nouveau Spider-Man, Peter Parker est et devrait rester encore longtemps LE Spider-Man. Cela étant, Marvel a eu 80 ans comme je le mentionnais juste avant et l’éditeur a eu envie de fêter son anniversaire en marquant le coup. Et pour cela, c’est sur un Spider-Man créé il y a bientôt 60 ans que l’on a choisi de se pencher notamment. Ainsi, parmi d’autres projets, Marvel décide de confier à Chip Zdarsky et Mark Bagley l’écriture d’une courte série en six numéros qui viendra narrer la vie de Peter Parker de ses premières années en tant que Spidey jusqu’à aujourd’hui, le tout hors-continuité et en partant du principe simple que le temps s’écoule normalement et donc que le super-héros vieillit à mesure que l’on tourne les pages. Une idée toute bête en soi.

Chip Zdarsky est le scénariste de cette histoire

Chip Zdarsky est un homme avec bien des casquettes : auteur, illustrateur, journaliste, designer… Le Canadien possède de multiples talents qu’il a au cours de sa vie proposés tant à Archie Comics avec les numéros 1 à 8 de Jughead en 2015-2016, qu’à Image Comics (avec sa série Sex Criminal depuis 2013 notamment) et à Marvel enfin. Chez ce dernier éditeur, Zdarsky a notamment planché sur Howard the Duck entre 2015 et 2016, Doctor Strange et Invaders, tout en étant devenu depuis l’an dernier tête d’affiche sur Daredevil. Auréolé de très nombreux prix dont trois prestigieux Eisner Awards (pour les néophytes, ce sont un peu les Oscars des comics), son arrivée sur cette mini-série ne pouvait qu’intriguer, sinon enthousiasmer les fans de l’Homme-Araignée.
A ses côtés, ces fans retrouvent d’ailleurs un nom qu’ils connaissent bien puisque c’est Mark Bagley qui se charge des illustrations de L’Histoire d’une Vie. S’il a connu une incursion chez DC Comics durant les années 2000, son nom reste éminemment attaché à Marvel, pour qui il travaille depuis la fin des années 1980. Bagley a ainsi vu passer sous ses crayons de nombreux super-héros de l’écurie, de Thor à Spider-Man donc en passant par Iron Man, Hulk, Captain America, Hawkeye, Daredevil ou encore les 4 Fantastiques… Je ne vais pas tout vous citer mais cela vous permet un peu de vous faire une idée du bonhomme. Ceci étant dit, c’est à l’univers de Spider-Man qu’on le rattache toujours le plus. Il faut dire aussi qu’il a travaillé sur nombre de séries liées à l’Homme-Araignée : Spider-ManThe Amazing Spider-ManSpider-Man UnlimitedThe Amazing Scarlet SpiderVenom… C’est à tel point que dans les années 1990, c’est à lui qu’on a fait appel pour le crossover Marvel/DC Spider-Man and Batman ! Bref, Mark Bagley, à l’égard de Spider-Man, ce n’est pas n’importe qui.

Mark Bagley ici en dédicace au Comic Con de Toronto en 2012

Pour en revenir à l’ouvrage en lui-même, Zdarsky et Bagley ont pour mission sur ces six numéros (rassemblés un seul volume chez Panini Comics pour la VF, bien entendu) de raconter tout ce que le titre laisse entendre : l’histoire d’une vie. Le tout s’ouvre donc en 1966, quatre ans après que Peter Parker est devenu Spider-Man, et se poursuit jusqu’en 2019. La particularité de cet ouvrage sera donc, comme je le disais plus haut, de raconter les choses d’un seul tenant. J’ai lu en quelques occasions des gens qui s’imaginaient qu’il s’agirait ici de raconter quelques grandes étapes qui ont marqué le parcours de Spider-Man éditorialement parlant depuis sa création, le tout revisité par les deux artistes que je présentais juste avant : pas du tout ! L’Histoire d’une Vie n’est en aucun cas un best of de l’Homme-Araignée, une compilation de ses aventures les plus importantes ou je ne sais quoi. C’est un ouvrage hors continuité qui va puiser dans ce qui a pu être écrit au cours des six dernières décennies mais qui va chercher à revoir tout cela de manière à créer une linéarité « normale », sans retours en arrières ni rien qui permette de ne pas faire vieillir le Tisseur. Véritable biographie non officielle de Peter Parker, L’Histoire d’une Vie va alors très vite devenir un récit fait de références.

Exemple de revisite avec l’implication de Spider-Man et Iron Man dans Civil War.

Revisitant certaines grandes étapes de la vie éditoriale de Spider-Man (de sa lutte contre le Bouffon Vert à tout l’arc Civil War en passant par l’apparition de Venom), le livre tâche de voir comment ces événements auraient pu impacter la vie du justicier si elle s’était écoulée normalement. Quels choix aurait-il faits face à cela ? Des références donc et le néophyte passe forcément à côté de certaines choses mais on appréciera cependant que le nombre de ces clins d’œil plus ou moins appuyés soit finalement assez minime. Les plus gros et importants d’entre eux en tous cas se limitent à un ou deux par épisodes, ce qui permet alors de ne pas perdre les lecteurs et lectrices qui n’auraient pas une connaissance encyclopédique de Spider-Man dans un tourbillon de citations qu’on les verrait bien incapables de replacer. Mieux encore, il apparaît bien vite que ces renvois à des arcs importants des comics originaux ne constituent au final que des points de départ pour ce récit-là. Peu à peu, l’histoire écrite par Chip Zdarsky s’émancipe de ces points d’ancrage dans chaque épisode/chapitre et va ainsi pouvoir bien plus miser sur la manière dont le scénariste va développer son récit tout en se basant, rapidement, sur ces événements marquants. Qu’ils soient des éléments ponctuels ou chroniques, qu’il s’agisse d’une péripétie arrivée tout d’un coup ou d’une toile de fond durable, chacune de ces inspirations se cantonne finalement à ce rôle-là, celui d’une source dans laquelle l’auteur puise pour proposer sa propre vision des faits.

Même les événements du 11 Septembre 2001 sont évoqués.

La principale qualité de cette Histoire d’une Vie sera alors de réussir à trouver un point d’équilibre judicieux entre ouverture aux nouveaux lecteurs et nouvelles lectrices d’une part et respect à l’héritage laissé par presque 60 ans de comics d’autre part, les plus ancien(ne)s fans de Spidey pouvant alors trouver plaisir dans cette lecture. Cette frange-là du public aura sans doute alors le loisir de redécouvrir son super-héros fétiche et son parcours sous un tout autre angle. Le seul fait de livrer ainsi cette « biographie complète » apporte, je trouve, au personnage de Spider-Man une toute autre saveur, sans doute renforcée par le caractère condensé du récit. En proposant une vue d’ensemble de la vie de Peter Parker sur quelques numéros, Zdarsky se donne l’opportunité de concentrer une grande partie des thématiques majeures de Spider-Man.
Cela aurait pu avoir pour conséquence de donner lieu à une espèce de pot-pourri sans grande intelligence mais, fort heureusement pour nous, le scénariste à l’œuvre ici s’en sort pas mal du tout. De la difficulté de jongler entre vie de super-héros et vie personnelle à la perte d’êtres chers en passant par le poids des responsabilités, tout y passe. Sur ce dernier point, Zdarsky arrive joliment à mettre en balance les responsabilités super-héroïques avec celles de l’homme Peter Parker sur l’ensemble des six numéros. Par ailleurs, si l’on appréciera assez la façon dont l’auteur reprend les questionnements amenés à l’époque par Civil War, il convient je pense de souligner également la qualité des problématiques développées par ce passage où Spider-Man s’interroge, dans les années 1960, sur son devoir ou non en tant que super-héros de prendre part au conflit vietnamien. Sans trop vous en raconter, l’intervention de Captain America à ce moment de l’histoire s’avère particulièrement fine, non seulement pour le propos développé mais aussi et surtout pour avoir placé ce discours dans la bouche ce super-héros bien précis.

Malgré ces bonnes impressions, il convient cependant de formuler quelques réserves à l’égard de L’Histoire d’une Vie. Tout d’abord, aussi bien écrit que puisse l’être ce comics, ce n’est pas non plus un chef-d’œuvre absolu. Il livre certes une histoire agréable à suivre, avec une belle charge émotionnelle et thématique mais je me demande toujours avec le recul si l’accueil aurait été le même avec un autre héros, voire un nouveau personnage. Après tout, les thèmes et questions évoqués dans ce volume pourrait plus ou moins s’appliquer à n’importe quel super-héros. Je reste en fait assez convaincu que le fait de s’intéresser spécifiquement à Spidey pour ce récit constitue une plus-value qui empêche l’ouvrage de n’être « que » sympathique. D’abord parce que Spider-Man a depuis longtemps fait l’objet de ces questionnements (même s’il n’est pas le seul) et ensuite parce qu’il est par nature très proche de son lectorat. C’est une figure super-héroïque à laquelle on s’identifie bien plus qu’on ne pourrait s’identifier au milliardaire Tony Stark ou au dieu Thor, par exemple. Otez Spider-Man de l’équation et je suis certain que le résultat n’est pas le même car si, encore une fois, cette Histoire d’une Vie se lit avec plaisir, sa construction générale ne casse véritablement pas trois pattes à un canard.

Sur ce point, qui est l’autre aspect que je voulais évoquer ici, je crois que je regrette pour l’essentiel que le tout n’ait finalement couru que sur 6 numéros. Si cela accorde à l’ensemble ce caractère de « série exceptionnelle », ça reste au final très peu. Alors on justifie tout cela notamment par le choix de traiter une décennie à chaque épisode mais je trouve que l’ensemble manque pas mal de liant, sinon de cohérence. Les épisodes se suivent avec pour seule transition une ellipse un peu froide et certains actes paraissent bien trop vite expédiés. Pire encore, il arrive à certaines séquences de manquer de profondeur tant sur la forme que sur le fond. Attention, question forme, je parle surtout ici de l’écriture.
Le dessin de Mark Bagley en revanche constitue de son côté la seule véritable constante de ce livre et offre à chaque page son lot de jolies choses à regarder. Le dessinateur, très certainement fort de son expérience sur le personnage, offre à Spider-Man tout le dynamisme qui lui est inhérent, le tout avec un trait pas toujours très fin mais néanmoins efficace dans la très grande majorité des cas. Autre atout visuel, cette idée de s’approprier à chaque décennie le style qui était celui des comics du Tisseur alors. Ainsi, Bagley ancre les différents épisodes dans leurs époques respectives mais sans jamais oublier d’offrir une cohérence artistique à l’ouvrage général. L’illustrateur s’applique donc à ne pas seulement copier mais à toujours se réapproprier les différents styles pour les fondre dans un tout qui lui est propre et qui se paie en plus le luxe d’être hautement qualitatif dans l’ensemble.

Il y a vraiment de très jolies choses dans L’Histoire d’une Vie

Mais pour en revenir à ce que je disais juste avant, je continue de trouver cette Histoire d’une Vie trop courte. Si l’idée de base se trouve respectée du début à la fin du livre, le résultat final manque d’ampleur. A occasion exceptionnelle, sans doute aurait-il été judicieux de livrer une œuvre exceptionnelle ! Quelque chose qui marque, qui soit aussi conséquent que l’héritage que Spider-Man a d’ores et déjà laissé sur le monde des super-héros et des comics en général ! Plutôt qu’une mini-série et étant donné le sujet, n’aurait-il pas été plus judicieux d’offrir aux lecteurs et lectrices un véritable roman graphique pur et dur ? Je ne parle pas nécessairement de composer quelque chose de colossal mais c’est de la vie de Spider-Man dont l’on parle ici ! Ce n’est quand même pas le premier venu. Et si je persiste à penser que les différents épisodes qui composent cette chronique biographique qu’est finalement cet ouvrage ont plutôt tendance à relever le défi, je ne peux m’empêcher de croire qu’on aurait pu nous donner plus encore. On me répondra peut-être que « Oui enfin ça aurait peut-être été trop long », auquel cas je rétorquerais que c’était quand même assez peu probable. Spider-Man est une licence qui a énormément de choses à raconter, énormément d’événements qui ne demandent qu’à être revisités ! Et, surtout, sur le plan thématique, imaginez un peu ce qu’un tel travail aurait pu donner. Nul doute que nous nous serions retrouvés devant un ouvrage d’exception. Ce seul volume dont nous disposons aujourd’hui prouve avec ses indéniables qualités tout le potentiel qu’il y aurait derrière une Histoire d’une Vie plus conséquente encore.

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Chip Zdarsky et Mark Bagley offrent avec leur Histoire d’une Vie un bien bel hommage à l’Homme-Araignée. Spider-Man s’y présente en effet sous un jour nouveau mais néanmoins très familier, à la fois ouvert et respectueux, ce qui ne manque pas de donner à l’ouvrage une fraîcheur plaisante. Lecture des plus agréables, ce livre jouit de grandes qualités tant dans le récit que dans le dessin, lequel s’avère cependant être son principal atout. Le scénario de Chip Zdarsky est quant à lui efficace, bien que parfois un peu mollasson, et brille surtout par sa capacité à réactualiser Spider-Man et ses thèmes associés non seulement à travers le prisme du concept-même de cet ouvrage mais également à travers celui d’un regard moderne et actuel. Si je persiste et signe en affirmant qu’un ouvrage bien plus épais aurait été une gageure, donnant au projet tant une saveur d’œuvre d’exception que de bel objet d’anniversaire pour Marvel, je recommande néanmoins L’Histoire d’une Vie à tout un chacun, fans comme débutants.

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