Note de lecture n°30 : « Génération Jeu Vidéo – Années 90, Tome 1 », Christophe Butelet & Patrick Hellio

Wow, un deuxième article sur un livre en 2020, que se passe-t-il ? La chose n’était pas arrivée depuis 2018, quand j’ai sorti du formol mes envies d’écrire des articles sur des bouquins après bien deux ans de jachère. Mais c’est un fait : je lis. Je n’en parle pas aussi souvent que je le voudrais car j’ai plus de mal à écrire sur un livre que sur quoi que ce soit d’autre (allez savoir pourquoi…) mais je lis aussi régulièrement que possible. De romans en bandes dessinées en passant par des ouvrages plus thématiques, je tâche de tourner les pages d’autant de bouquins que possible. Le dernier en date ne nous éloigne cependant pas trop des jeux vidéo puisqu’il s’agit d’un ouvrage consacré au monde vidéoludique des années 1990, porté par Christophe Butelet et Patrick Hellio. Génération Jeu Vidéo, tel est (en partie) son nom.

Pour remonter aux origines de ce projet, c’est vers un autre format papier qu’il nous faut nous tourner : le magazine JV. De son titre complet « JV – Culture Jeu vidéo », il s’agit d’un mensuel fondé en 2013 et qui s’est rapidement imposé comme une valeur sûre pour ensuite progressivement devenir l’un des titres majeurs de la presse papier vidéoludique française, si ce n’est l’un de ses derniers représentants. Et si le magazine a connu depuis ses débuts un certain nombre de phases complexes (on se souvient du financement participatif – réussi in extremis – de 2018 pour renflouer ses caisses et le maintenir à flot), il n’en demeure pas moins un ouvrage de qualité que je recommande à quiconque souhaiterait s’intéresser au monde du jeu vidéo (en étant passionné d’origine ou simplement curieux).
Enfin bref, fort de sa solide réputation et d’un public fidèle et conquis, JV a entrepris d’élargir un tout petit peu ses activités en initiant dès 2016 un projet de livre consacré au jeu vidéo des années 1980. Portée par Sylvain Tastet et Patrick Hellio, l’affaire est proposée sur Kickstarter le 15 Novembre 2016 et remporte un franc succès. En naquit un livre donc mais aussi et surtout l’intention de ne pas en rester là. D’où ce qui nous intéresse aujourd’hui : la suite ! Près de deux ans plus tard, en Février, le couvert est remis avec le lancement de la campagne de financement participatif pour l’ouvrage que je tiens aujourd’hui entre mes mains. Une campagne qui fut rondement menée, dépassant sans souci son objectif initial et nous amenant enfin à la sortie, au printemps 2019, de ce premier tome de Génération Jeu Vidéo – Années 90.

Concernant les auteurs, si Patrick Hellio est de retour, Sylvain Tastet cède cette fois-ci sa place à Christophe Butelet. On reste néanmoins « dans la famille » puisque l’un comme l’autre sont journalistes pour le magazine JV originel. Une information à conjuguer à l’imparfait cependant concernant Sylvain Tastet puisqu’il a récemment quitté le navire pour sa consacrer à de nouvelles activités. Et puis, il n’est pas bien loin dans ce nouveau livre puisque c’est lui qui en signe la préface.

Les compères, image reprise depuis la page Kickstarter du projet.

Mais présentons un peu les plumes qui officient sur ce tome 1. En premier lieu, Patrick Hellio est un journaliste freelance qui fut autrefois rédacteur en chef adjoint du Journal des Loisirs Interactifs ou encore chroniqueur du podcast de Libération « Silence On Joue », consacré aux jeux vidéo. Les amateurs de littérature vidéoludique le connaissent donc sans doute déjà bien pour Génération Jeu Vidéo – Années 80 mais aussi pour l’épais et dense ouvrage publié chez Pix’n Love et intitulé L’Histoire du Point’n Click.
De son côté, Christophe Butelet n’est ni plus, ni moins que co-fondateur de JV, après avoir été journaliste chez Consoles+, VideoGamer ou critique pour Critikall… A titre personnel, je considère les deux hommes comme des plumes sûres dans le monde de la prose vidéoludique. C’est donc avec une certaine confiance que j’entame les premières pages du livre qui nous intéresse aujourd’hui. Et l’enthousiasme se retrouve bien vite récompensé. Dès les premières pages, la préface assurée par Sylvain Tastet donne le ton général du bouquin. Au cours d’une poignée de pages qui font autant office de « précédemment dans Génération JV – Années 80 » que de grand état des lieux à l’orée de la décennie nouvelle, le journaliste se livre à un bien bel exercice, idéale introduction à ce qui s’apprête à suivre. Quelque part entre la plume journalistique dont il est si difficile de se départir en composant un livre plutôt qu’un article et une prose quand même un peu libérée du carcan quelquefois étroit de la forme « imposée » par la presse, cette préface résume à elle seule la façon dont l’ouvrage va se présenter dans les grandes lignes. Une sorte de maxi-reportage sur près de 300 pages où l’analyse contextuelle le disputera à l’énumération des œuvres majeures de ces cinq premières années.

Sur de simples questions de forme, le livre se divise en plusieurs temps. Chapitré selon les années abordées, chacune de ces grandes séquences reprendra une même construction du début à la fin de l’ouvrage. A chaque année donc son ou ses thémas, son point pop culture, son constructeur mis en lumière ou encore son versus, qui permettra comme son nom l’indique de mettre en opposition (ou plutôt en parallèle) deux éléments (les versions SNES et Mega Drive d’Aladdin par exemple ou alors le film Cabal et ses adaptations en jeux…). Globalement, c’est ce que j’attendais du bouquin, en grande partie parce que c’était ce qui m’était vendu lors de la campagne de financement. A travers cette maquette aussi simple qu’efficace, ce premier tome retrace donc les années 1990 à 1994 autant avec l’envie de mettre le doigt sur des éléments généraux de l’industrie telle qu’elle évoluait alors qu’avec celle de mettre en lumière des points précis, acteurs ou œuvres.
Impossible en tous cas de ne pas sentir l’esprit du magazine JV planer sans cesse au-dessus de ces pages ! Que ce soit dans la façon dont toutes ces rubriques vont être fabriquées ou carrément dans la maquette générale, on ne peut que sentir la filiation entre les deux références. Mais ce n’est pas un mal, loin de là, car si le magazine brille à mon sens par sa mise en forme (en plus des qualités rédactionnelles de l’équipe), il n’y a aucune raison pour que le livre n’en tire pas les mêmes avantages. La lecture s’avère alors très agréable dans ces pages certes denses mais néanmoins aérées. En cela, ce premier volume de Génération JV consacré aux années 1990 se détache un peu de bon nombre d’autres livres de la littérature vidéoludique. Non pas que je n’apprécie pas des ouvrages aux atours plus académique, mais le côté « reportage de 300 pages » de ce bouquin-ci se prête bien davantage à une mise en page telle qu’employée ici.

Exemple de présentation type de l’ouvrage avec les deux premières pages de la préface.

J’évoquais très succinctement plus haut la façon dont le livre se découpe en plusieurs catégories. Là encore, la filiation avec un magazine est claire et nette mais il y a tout de même plusieurs choses à dire sur la question. La première, c’est que cela permet en quelque sorte une espèce de compartimentation du propos assez agréable en soi. Plutôt que de livrer un récit au long cours reprenant chronologiquement les événements et sorties de jeux, Patrick Hellio et Christophe Butelet offrent ainsi à leur bébé de papier l’opportunité de sélectionner ses instants forts, marqueurs qu’ils furent dans une décennie où le média a considérablement évolué. Plus qu’une fresque aussi exhaustive que possible, Génération Jeu Vidéo se veut chronique de 10 années (enfin 5 pour ce premier volume) au sein desquelles les deux auteurs ont pioché les pivots incontournables qui ont contribué à l’avancée du jeu vidéo de manière générale. Des choix faits, on s’en doute, autant avec la tête qu’avec le cœur. Cet équilibre justement entre l’objectif et le subjectif, on le retrouve d’ailleurs dans les jeux énumérés pour chacune des années. Il aurait été facile de se contenter des seuls grands classiques de la décennie, suffisamment nombreux et riches en anecdotes pour composer un ouvrage tout entier, mais là n’était pas l’ambition du tandem Hellio-Butelet !

C’est très appréciable de découvrir ces jeux plus méconnus, ceux-ci apportant fièrement leur pierre à l’édifice.

Tout au contraire, si ces classiques – de Super Mario World à Doom en passant par Sonic ou Street Fighter II – sont présents dans le livre et bénéficient même la plupart du temps de double-pages, les voilà qui côtoient nombre d’autres softs plus méconnus, sinon plus saugrenus. De ce constat ressort clairement l’idée qui réside dans le livre de ne pas seulement jouer dans le fan service et abattre la seule carte « émotion et nostalgie » : un média n’évolue pas que par ses réussites ou ses best sellers ! Conscients de cela, les auteurs offrent ainsi un coup de projecteur généreux à divers autres titres, parfois oubliés du plus grand nombre mais qui, par leurs spécificités, l’histoire qui se trame derrière leur développement ou l’idée géniale qu’ils auront eue, méritent de figurer dans ce Panthéon. Ainsi en va-t-il par exemple de Toilet Kids, dont « l’écran-titre […] nous accueille avec un personnage qu’il faut bien considérer comme le roi du caca » et dont la présence dans ces pages résulte surtout du statut de véritable curiosité que le jeu mérite bien ; Dark Seed ensuite, dont l’intérêt réside surtout dans la « déambulation grisante dans l’univers de Giger » , l’artiste derrière l’esthétique du film Alien ; ou encore The Lost Viking, retenu non seulement pour son intérêt en tant que jeu pur et dur mais également parce qu’il est le véritable premier jeu d’un studio qui ne porte pas encore son nom actuel : Blizzard Entertainment… Qu’ils soient loufoques, injustement mésestimés ou perles inconnues, bien des jeux vidéo trouvent leur chemin dans ce livre qui offre ainsi une vue d’ensemble aussi appréciable que possible de la production de l’époque. Le texte nous l’apprend d’ailleurs clairement : c’est aussi dans les « petites » œuvres que l’histoire se forge et cette idée nous est régulièrement rappelée.

Mais évidemment, comment faire un bouquin sur le JV des 90s sans Sonic et les autres stars de l’époque ?

De fil en aiguille, voilà la première moitié de cette décennie qui se dessine sous nos yeux. Par les sujets qu’ils choisissent d’aborder, en particulier dans des thémas particulièrement intéressants, les auteurs réussissent avec une certaine aisance à tracer les grandes lignes de cette vue d’ensemble que je mentionnais plus haut. Si l’exhaustivité n’est pas de mise ici, l’aspect très complet des différentes séquences d’analyse et de présentation de tel ou tel aspect de l’industrie à l’époque permet de remplir le contrat avec intelligence. On imagine cependant des lecteurs et lectrices éventuellement déçu(e)s de ne pas avoir de long article sur la SNES ou la Mega Drive par exemple, pourtant figures de proue emblématiques des consoles de l’époque. A cette frange du public on répondra plusieurs choses. La première c’est qu’il y a déjà énormément de contenu à lire sur la question. Tant en termes de livres que d’articles ou de dossiers de presse plus conséquents, les aspects les plus connus du jeu vidéo des 90s ont déjà été largement traités et défrichés depuis bien longtemps.

Les points « créateurs », s’ils sont parfois connus comme ici avec ID Software, demeurent des moments intéressants de lecture.

Ensuite, et certainement en conséquence de ce que je viens de dire, ce n’est tout bonnement pas l’objet de ce livre-ci. Loin de se vouloir encyclopédique, ni redondant par rapport à tout ce qui a pu être publié avant lui, Génération Jeu Vidéo cherche plus à analyser l’histoire sous différents angles qu’à linéairement, fidèlement et froidement la retranscrire pour la énième fois. La chose n’en est au final que plus plaisante. Débarrassées des sempiternelles histoires sur les mêmes jeux et les mêmes développeurs, ces pages offrent quelque chose d’assez rafraîchissant pour ne pas nous tomber des mains comme d’autres le font, hélas. A défaut de parler de réelle originalité, on saluera sans problème l’initiative de vouloir aller voir ailleurs. Evidemment, les choses incontournables le sont toujours en 2020 et il y aura dans ce livre des points que l’on aura déjà pu découvrir en d’autres endroits. Mais comment y voir un problème en ce cas ? S’il cherche à les aborder autrement, les années 1990 restent au cœur de l’ouvrage et il aurait été idiot de se passer de certains éléments de l’histoire, tant ils peuvent se montrer fondateurs.

Ce tome 1 de Génération Jeu Vidéo – Années 90 n’est donc pas avare de qualités, loin s’en faut. Le livre se laisse parcourir avec une facilité qui laisse naître, après chaque fermeture du volume, la hâte de se replonger dedans. Tel une série documentaire rondement ficelée, cet ouvrage réussit à maintenir l’attention grâce à ses sujets et la plume de ses deux auteurs. Rendant les choses très accessibles, y compris pour un public qui souhaiterait s’intéresser à la question sans pour autant s’y connaître de base, Hellio et Butelet paraissent très bien savoir comment distiller leur amour pour ces jeux et leur contexte d’alors dans chacune de leurs lignes. Communicatif, cet enthousiasme pousse à dévorer l’ouvrage.

Riche de bons côtés, le livre n’est cependant pas à 100 % exempt de défauts. Enfin, peut-on réellement parler de véritables défauts ? En effet, les éléments que je m’apprête à rapidement évoquer découlent plus d’une autre façon de faire que j’aurais personnellement privilégiée que de véritables problèmes inhérents à l’ouvrage. Par exemple, si la maquette du livre présente bien des avantages, tant pour les auteurs que pour les lecteurs et lectrices (qui peuvent notamment très facilement adapter leur lecture au temps dont ils/elles disposent), il n’en demeure pas moins que sa construction pourra se révéler un peu redondante.
Chaque chapitre (chaque année donc) se présente effectivement dans l’exacte même forme que les autres, le théma ouvrant la marche, suivi par un point pop culture auquel succèdent un créateur de l’année accolé à un versus pour enfin se terminer sur un second théma. La recette est rigoureusement identique pour chaque année, conférant malheureusement un côté très répétitif au livre dans sa forme. Cet aspect se retrouve d’autant plus que tout cela sera systématiquement suivi par une énumération de jeux qui se révélera certes intéressante sur le fond mais qui sera finalement trop mécanique dans sa mise en forme générale. En fait, je crois que le livre manque un petit peu de naturel. Profondément lié au format magazine dont il est le proche cousin, l’ouvrage récupère un peu de sa façon de fonctionner, cloisonnant son propos en rubriques plus qu’en véritables chapitres. Et si le fait de retrouver un même format d’un numéro à l’autre lorsqu’il s’agit d’un mensuel n’est pas problématique pour un sou (sauf peut-être sur le très long terme), cela se montre un peu plus dommage dans le cas d’un livre.

Quoiqu’il en soit, les théma demeurent une grande valeur sûre de l’ouvrage et justifieraient presque à eux seuls sa découverte !

Un peu dans la lignée de tout cela, et quitte à composer avec ce découpage en chroniques qui – je le répète pour qu’il n’y ait pas de malentendu – demeure agréable car fluide, peut-être aurais-je également préféré que les différents éléments s’intercalent de manière un peu moins rigide. Avec le découpage susmentionné, le « souci » vient du fait que chaque chapitre se conclut par les jeux, lesquels se suivent dans un énumération sympathique mais néanmoins un peu rébarbative sur la forme. Je pense à l’année 1992, particulièrement longue dans cette dernière partie. En soi, voir tous ces titres se succéder demeure agréable, à la façon d’une déambulation dans un musée où nous découvririons, une à une, toutes ces œuvres. Ceci étant dit, n’aurait-il pas été plus judicieux encore de répartir ces softs tout au long de chacun des chapitres, les triant selon différents critères afin de les faire correspondre avec un théma qui aurait alors été abordé juste avant une première salve intelligemment choisie ou avec un point pop culture qui aurait trouvé son écho dans une autre partie de la sélection ? Cela aurait sans doute permis d’éviter de donner à cette liste de jeux l’apparence d’un bon gros bloc bien robuste… Enfin, ce que j’en dis là, ce ne sont au final que des idées en passant. Loin de moi l’envie de vous faire un plot twist en fin d’article où je vous dirais que, finalement, ce bouquin ne vaut pas le détour. Car s’il pêche à mon sens un tout petit peu sur ces quelques aspects que je viens d’exposer, ce premier tome de Génération Jeu Vidéo – Années 90 n’en demeure pas moins une jolie petite bible qu’on recommandera tant aux nostalgiques de cette fabuleuse décennie qu’aux curieux et curieuses, qu’ils/elles aiment particulièrement les jeux vidéo ou non de prime abord.

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A la fois fresque, bible, chronique et analyse, Génération Jeu Vidéo démarre sous les meilleurs auspices avec ce premier tome. Dans une formule proche du magazine, le livre de Christophe Butelet et Patrick Hellio se révèle d’une accessibilité réjouissante et d’un intérêt plus que certain. En choisissant une approche moins historienne que journalistique, les auteurs se permettent ainsi de mettre en avant d’autres sujets que les éternels marronniers que nous avons pris l’habitude de retrouver dans des ouvrages de ce genre. Côté prose et composition générale, l’influence de la plume journalistique se ressent tout du long de ce livre, avec parfois quelques écueils que cela implique, mais la chose n’est en aucun cas rédhibitoire. Tout au contraire, l’ensemble se donne sans doute ainsi des allures et un ton plus aérés qui ne rabotent en aucun cas la pertinence du propos et sa précision. Je ne peux donc que recommander ce premier tome à tout un chacun et j’attends à titre personnel sa suite avec la plus grande impatience.

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