« TMNT: Shredder’s Revenge » : la revanche des 90s

Retour aux affaires ce week-end après une bien involontaire interruption liée à ce satané covid que j’ai attrapé la semaine dernière. Le virus – dont je me sui débarrassé et me remets petit à petit – aura en tous cas coupé un sacré élan : mon article sur le jeu vidéo à la BnF vous aura sacrément séduit et, pour un premier post de la saison, quel merveilleux départ vous lui avez offert ! Merci énormément pour votre engouement autour de ce sujet, cela fait chaud au cœur du petit blogueur que je suis. J’espère que vous serez tout autant au rendez-vous quand la suite de ce dossier paraîtra à son tour d’ici quelque temps (j’y travaille !). Mais nous n’y sommes pas encore et, pour cette semaine, on va utiliser un jeu sorti cette année pour faire un petit bon en arrière d’une bonne trentaine d’années (et même un peu plus).

En-tête TMNT


Quatre tortues dans le vent

L’histoire des Tortues Ninja est intéressante en ce sens qu’elle touche à une création qui, bien qu’étant née au milieu d’une décennie donnée, a su devenir un symbole de la suivante. En effet, quel(le) gamin(e) des 90s n’a pas de souvenirs avec les tortues de Kevin Eastman et Peter Laird ? Pourtant, c’est en 1984 que les deux artistes ont donné naissance à Raphaël, Michelangelo, Donatello et Leonardo dans Teenage Mutant Ninja Turtles #1, paru chez Mirage Studios un an après la première ébauche de cette idée (Mirage qui est d’ailleurs aussi une création d’Eastman et Laird pour éditer leurs comics). Le succès de cette nouvelle licence est immédiat. Le public semble en effet adhérer à ces personnages d’un nouveau genre, au paradoxe qu’ils forment dans le fait qu’il s’agisse de tortues (animaux réputés pour leur lenteur) mais surtout de ninja (ce qui sous-entend ici plutôt de la vitesse) et enfin à cette espèce de parodie affirmée des super-héros plus classiques (et en particulier de Daredevil) que le comics semble vouloir être. Ce premier numéro, édité en un peu plus de 3 000 exemplaires, sera sold out en moins de trois semaines. 

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En 1987, la série animée Les Tortues Ninja vient définitivement inscrire les tortues dans le paysage culturel

Mais ce qui va définitivement ancrer les tortues dans le paysage « pop culture » d’alors, c’est sans conteste la déclinaison de la licence au-delà des seules bandes-dessinées, d’abord avec des figurines vendues par Dark Horse. Cependant, c’est évidemment en 1987 que Les Tortues Ninja connaissent leur principal coup d’accélérateur avec la célèbre série animée sobrement intitulée Teenage Mutant Ninja Turtles (ou, chez nous, Tortues Ninja : Chevaliers d’Ecailles, même si on se contente le plus souvent de seulement dire Les Tortues Ninja). La création de cette série animée n’est d’ailleurs pas anodine. En effet, elle doit moins son lancement à une volonté de proposer un divertissement supplémentaire dans l’univers créé par Eastman et Laird qu’à une ambition très simple de vendre toujours plus de produits dérivés. A la manœuvre, on retrouve Playmates Toys, une entreprise de jouets fondée à Hong Kong en 1966 mais qui a toujours eu le marché américain en ligne de mire, à tel point que l’entreprise s’installera en Californie en 1983. Contactée par Mark Freedman – agent spécialisé en licensing qui travaillait depuis peu avec Laird et Eastman pour gérer la marque TMNT -, l’entreprise sera vite séduite par les 4 tortues et acceptera de se lancer dans la production d’une gamme de jouets. Toutefois, le comic book seul n’était pas assez pour assurer une base de vente suffisante aux yeux du fabricant, qui aura peut-être légitimement vu une œuvre trop sombre pour prétendre en décliner une gamme de produits pour les enfants. C’est pourquoi l’entreprise se lancera dans le développement d’une série animée visant à soutenir la gamme de jouets à venir. Un procédé qui n’est bien sûr pas nouveau à l’époque (on pense aux Maîtres de l’Univers ou, plus ancien, à G.I. Joe par exemple) et qui se répètera dans l’avenir (PokémonBeyblade…) mais qui fera mouche une fois de plus. Je ne vais pas ici revenir sur l’historique de la gamme de jouets et les moindres anecdotes la concernant mais je vous recommande, si le sujet vous intéresse, l’épisode consacré aux tortues dans la série The Toys That Made Us proposée sur Netflix. Ceci étant dit, la machine se met en place : la série animée débute en Décembre 1987 et les premiers jouets arrivent l’été suivant. Le succès est bien sûr retentissant et la gamme durera pendant environ 10 ans, jusqu’à la fin de la diffusion de la série animée, en 1996.

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Difficile d’échapper à la mode des Tortues Ninja dans les années 1990

Ce qu’il faut retenir de la façon dont les choses se sont enchaînées pour Les Tortues Ninja, c’est qu’en dépit d’un succès instantané du comic book en 1984 et de l’arrivée de la série animée dès 1987, c’est bien dans les années 1990 que les personnages se seront imposés en figures phares de la culture populaire, presque en symboles d’une époque. Les tortues font du skate, mangent des pizza et évoluent dans des aventures et des environnements qui, déjà, se détachent de ce qui faisait la « charte esthétique » plus ou moins inconsciente des années 1980. On n’ira pas jusqu’à dire que Laird et Eastman ont créé une œuvre en avance sur son temps mais le fait est qu’elle a su très vite s’adapter à cette nouvelle décennie qui s’annonçait. C’est sans doute en grande partie grâce à cela que la série animée a réussi à devenir la plus regardée aux Etats-Unis au début des années 1990 (avant de se faire concurrencer puis détrôner par Les Simpson, autre monument culturel et symbolique de ces années-là). Du reste, l’essor des produits dérivés n’est pas innocent dans cette omniprésence que les tortues connaîtront dans les 90s. Coïncidant avec le début de la diffusion en France notamment (1989 sur Canal+ mais c’est en arrivant sur France 3 en 1990 que la série deviendra le phénomène qu’on connaît dans l’Hexagone), jouets mais aussi vêtements, gadgets en tous genres, vaisselle pour enfants ou encore affaires d’école déferlent dans les rayonnages. Un engouement général qui se concrétisera avec la sortie du film en live action de 1990, sacralisant en quelque sorte un peu plus les tortues en en faisant un objet de cinéma. Enfin, bien évidemment, les jeux vidéo tacheront de participer à l’engouement général.

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Platformer assez classique, Fall of the Foot Clan a réussi à s’imposer comme un incontournable de la Game Boy

Si deux jeux sont sortis dès 1989, déjà inspirés par la série animée, c’est à partir de 1990 que les adaptations vidéoludiques des Tortues Ninja vont commencer à prendre du galon. Ce sera le cas avec Fall of the Foot Clan et sa suite Back From the Sewers, respectivement sortis sur Game Boy en 1990 et 1991, mais aussi et surtout avec le culte Turtles in Time, paru d’abord sur Arcade en 1991 et l’année suivante sur Super NES. Un certain nombre d’autres jeux continueront de sortir jusqu’en 1993, à un moment où la qualité de ces œuvres a commencé à décliner pour finalement ne plus en voir sortir pendant une bonne dizaine d’années. Les quelques titres parus entre 1989 et 1993 partagent en tous cas plusieurs points communs. D’abord, en bons produits dérivés qu’ils étaient, ils sont tous adaptés de la série animée plutôt que de la bande-dessinée. Ensuite, ce sont tous des jeux de plateformes ou des beat ’em up, exception faite de Tournament Fighters (1993, SNES et Mega Drive), qui était un jeu de combat plus classique, en un contre un. Ceci dit, on notera de nouveau ici une inscription bien logique dans les années 1990 avec la déclinaison de la licence dans deux genres phares de l’époque : le platformer, popularisé par Super Mario, et le beat ’em up, qui connaît quant à lui une certaine heure de gloire en quittant progressivement les salles d’arcade pour s’installer sur les consoles domestiques. Quelques titres entreront par ailleurs dans le Panthéon du genre en cette aube des années 1990 : Final FightDouble DragonGolden Axe mais surtout Streets of Rage, une série qui aura joué le rôle de diapason pour bien des héritiers du genre par la suite.

Turtles in Time

Sur Super NES, Turtles in Time est devenu la pierre angulaire des aventures vidéoludiques des tortues. C’est aujourd’hui l’une des principales influences de Shredder’s Revenge


Le destin tortueux des ninjas

Le seul problème avec les succès qui montent de cette manière, c’est qu’ils finissent malheureusement bien souvent par redescendre. Bien qu’omniprésente au début des années 1990, la licence TMNT finira hélas par s’essouffler. Parmi les symptômes de ce ralentissement à venir, on notera la baisse de qualité de la série animée, pour des raisons que l’une des excellentes vidéos de Meeea consacrées aux Tortues Ninja évoque très bien. En conséquence, Tortues Ninja s’arrête finalement en 1996. A ce moment-là, la marque a déjà « souffert » (avec des guillemets car il y en aura toujours pour les défendre) deux suites au film de 1990, plus humoristiques, plus kitsch même, mais surtout un peu plus nulles. Les producteurs ne comptent cependant pas en rester là avec la sortie d’une série live en 1997, introduisant Vénus, une cinquième tortue. La série se fera malheureusement tailler par la critique et le public et ne dépassera pas les deux saisons. Concomitamment, les jeux vidéo dérivés disparaissent des écrans radars, à tel point que plus rien ne sortira à compter de 1993 (où Konami sort Radical Rescue sur Game Boy, qui s’essaie au metroidvania) et ce jusqu’à la seconde moitié des années 2000. Le comic book enfin, sans jamais être officiellement terminé, connaît une pause certaine. En 1995, Image Comics vient même reprendre la série en ayant noté que Mirage n’a rien de prévu sur la question. Cet autre éditeur continuera donc de publier les aventures des tortues jusqu’en 1999, année où la série fut cette fois-ci annulée. Image avait pourtant tenté de remettre les tortues sur de bons rails, redonnant même aux comics une continuité scénaristique que Mirage n’arrivait plus à assumer, la boite d’Eastman et Laird étant trop occupée à gérer le merchandising… En 2001, Mirage reprend la chose en main (sans Eastman, laissant Laird seul aux commandes suite à leur brouille sur laquelle je ne reviendrai pas), relance la publication et la maintiendra (de manière assez irrégulière) jusqu’en 2009, année du rachat de la franchise par Nickelodeon et à partir de laquelle plus une seule page ne sera publiée jusqu’en 2014. L’entreprise Mirage, de son côté, fut entièrement dissoute en 2021.

Toujours dans les années 2000, la licence tentera un come back plus ou moins attendu en jeux vidéo. Konami reviendra à la charge dès 2003 avec le sobrement intitulé Teenage Mutant Ninja Turtles, dont l’accueil sera très mitigé, à l’instar de celui réservé à ses suites en 2004 et 2005. Ces deux titres accompagnent par ailleurs le lancement d’une nouvelle série animée, laquelle connaîtra un succès suffisant pour durer pas moins de 7 saisons et dont ces jeux sont adaptés. Suivront quelques jeux mobiles sans grand intérêt et enfin la récupération de la licence par Ubisoft. L’éditeur français ne saura cependant pas véritablement redresser la barre. Dès son premier jeu, TMNT en 2007, le succès est tout à fait relatif. Il le sera tout autant, sinon plus (et en dépit de ventes pouvant pourtant se révéler correctes sans être mirobolantes) avec Turtles in Time Re-ShelledSmash-Up (un Smash Bros-like) et enfin, cette fois-ci chez Activision, Teenage Mutant Ninja Turtles : Depuis les Ombres. Sans grande inspiration autre que de proposer de la baston (en jeux de combat classiques ou en beat ’em up) sans jamais être suffisamment inspirés pour la réinventer un tant soit peu, l’intégralité de ces jeux sombrera dans l’oubli le plus complet et aujourd’hui, ne restent plus en mémoire que deux choses finalement : Turtles in Time premier du nom, lequel a marqué une génération de joueurs et joueuses, et ensuite le fait que le pendant vidéoludique de la licence n’a jamais été qu’un long parcours du combattant.

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Malgré des partis-pris plus ou moins audacieux, Mutants in Manhattan aura été malgré lui le dernier clou dans le cercueil de l’exploitation en jeux vidéo des Tortues Ninja pendant des années.

C’est à tel point que même un studio comme Platinum Games (connu pour des jeux comme les BayonettaMetal Gear Rising: RevengenceThe Wonderful 101…) s’y est cassé les dents. En 2016 pourtant, son jeu Teenage Mutant Ninja Turtles : Des Mutants à Manhattan (édité toujours par Activision) laissait espérer un retour en fanfare des tortues. Retrouver ces quatre personnages emblématiques portés par un studio qui a su se forger une patte et une réputation solides, c’était prometteur ! Et le titre avait beau être un énième beat ’em up, on ne pouvait que l’accueillir avec l’enthousiasme réservé aux esprits inventifs qui savent renouveler les recettes qu’on croyait trop vieilles.
Hélas, l’enthousiasme fut de courte durée, le jeu se révélant particulièrement pauvre. Il fut un échec retentissant, au point de le voir retiré des stores en ligne un an après sa sortie initiale… Parallèlement, même la série animée alors proposée par Nickelodeon n’a pas réussi à donner naissance à de vrais bons jeux. Lancée en 2012 et achevée en 2017, cette troisième série d’animation avait su marquer le retour des Tortues Ninja dans l’esprit du grand public. Bénéficiant d’un chouette traitement scénaristique, avec une aventure au long cours qui se montrait tout à fait honnête (voire carrément prenante parfois pour ce que j’en ai vu), Les Tortues Ninja version 2012 avait réussi le pari de rajeunir et actualiser nos héros sans les dénaturer. L’on retrouvait en effet un état d’esprit certes plus moderne mais qui reprenait pour l’essentiel tout ce qui avait fait le succès de la série de 1987. Du reste, les deux jeux tirés de cette série parus en 2013 et 2014 n’ont pas convaincu outre mesure eux non plus… Rien n’y aura donc fait et la licence s’est enlisée dans les revers critiques et/ou commerciaux, la flamme semblant s’être éteinte depuis longtemps pour les pauvres tortues de Laird et Eastman. Et, franchement, ce ne sont pas les immondes films Ninja Turtles produits par Michael Bay en 2014 et 2016 qui leur auront permis de sauver la face du côté des grands écrans.


« Un jeu pour les fans de la série animée de 1987 et des vieux jeux d’arcade des années 1990 »

A la fin des années 2010, les Tortues Ninja semblent déjà avoir eu mille vies. Elles ont tutoyé les sommets très vite, s’y sont même imposées, pour finalement connaître une longue et lente redescente, sombrant peu à peu dans un oubli général. Quelques tentatives auront eu lieu çà et là pour essayer de les ramener sur le devant de la scène. Beaucoup auront été bien vaines tandis certaines auront su laisser croire à un retour en grâce à venir…mais non, finalement rien n’y a fait et du côté des jeux, la proposition de Platinum Games en 2016 demeura la dernière pendant plusieurs années jusqu’à ce merveilleux alignement de planètes qui nous aura offert Shredder’s Revenge cette année. Tout commence avec Nickelodeon, qui se rapproche de Dotemu (alors tout récemment auréolé du succès de WonderBoy: The Dragon’s Trap) afin de lui confier le développement d’un jeu tiré d’une des licences détenues par la chaîne. Dans l’esprit des dirigeants de Dotemu, on pense tout de suite aux tortues. Les conversations se poursuivent alors autour de cela et de ces dernières surgit bien vite l’information que Nickelodeon a à plusieurs reprises reçu des propositions d’un petit studio pour créer un nouveau jeu Tortues Ninja. Ce studio, c’est Tribute Games, fondé en 2011 par trois anciens d’Ubisoft Montréal pour qui ils auront notamment travaillé sur le beat ’em up adapté de Scott Pilgrim Vs. The World ainsi que, c’est là que ça devient intéressant, sur le TMNT qu’Ubisoft a sorti sur Game Boy Advance en 2007. Il s’agit là d’une variante du même TMNT de 2007 que j’évoquais plus haut, développé ici exclusivement pour la console de Nintendo et qui fait partie des rares à avoir reçu un accueil assez correct. Les deux équipes se rencontrent alors au détour d’une Game Developers Conference (sans que j’arrive à trouver laquelle) et, bien vite, les contrats se signent et le chantier commence.
Je ne sais pas si c’est ce qu’ils avaient en tête dès le départ mais il semble, en voyant le résultat final qu’est Shredder’s Revenge, que tant Dotemu que Tribute Games avaient parfaitement conscience de l’état de délabrement dans lequel la branche jeux vidéo de la marque TMNT se trouvait au moment de s’attaquer au dossier. On peut facilement se plaire à imaginer que les deux équipes souhaitaient « réparer » la réputation des tortues en revenant aux sources. Dans un entretien accordé à Game Informer en Mars 2021, Jean-Francois Major (co-fondateur de Tribute) déclarait : 

« Nous voulions faire un jeu pour les fans de la série animée de 1987 et des vieux jeux d’arcade des années 1990. Parce que nous avions le sentiment que ça manquait aux gens. Dont nous car, personnellement, j’ai énormément joué à ces jeux quand j’étais gamin et ils me manquent beaucoup. Donc c’était l’idée de départ. »

(Major pour Game Informer, 10/03/2021)

Photo : Jean-François Major et Cyrille Imbert (producteur exécutif chez Dotemu)
dans TMNT: Shredder’s Revenge – Behind the scenes #1 publié par Dotemu sur YouTube


Dans la même vidéo, les deux hommes reviennent par ailleurs sur le fait que Shredder’s Revenge est à la fois le fruit de cette volonté de recoller à l’esprit de la série animée de 1987 mais également de l’envie de proposer un nouveau beat ’em up. Pour être précis, c’est même l’idée de faire un jeu de ce genre qui a très naturellement induit l’idée de reprendre le design du fameux dessin animé, Jean-François Major soulignant à assez juste titre que le beat ’em up ayant été un genre très en vogue à l’époque où la série était diffusée, le fait d’à nouveau combiner les forces de ce style de jeu et du design de Tortues Ninja façon 1987 était tout à fait logique en soi. Mais ce que je trouve le plus amusant finalement, c’est leur évocation du fait que les joueurs et joueuses semblaient selon eux en demande d’un jeu tel que celui-ci. Ce constat est loin d’être idiot et s’inscrit dans une plus large démarche de nostalgie qui touche le monde du jeu vidéo (et toute la pop culture si l’on voulait digresser).
De remakes en reboots et en remasters, combien de jeux sont sortis ces dernières années afin de faire revivre auprès d’un public de trentenaires et de quadragénaires des classiques de leur jeunesse ? Loin de moi l’idée de tergiverser sur cette question car là n’est pas mon sujet aujourd’hui mais il me semble assez évident qu’il y a quelque chose comme cela dans l’air, un parfum de « reviens-y » qui ramène ma génération (dans une acception assez large) vers ses œuvres cultes d’autrefois. Nulle surprise alors à voir Dotemu et Tribute Games jouer cette carte : ils savent parfaitement à qui ils s’adressent. Et pour cause, ils font eux-mêmes partie de cette cible ! Sur le papier, on le voit nettement : les équipes des deux maisons ont eu cette chance de réaliser le jeu qu’ils auraient voulu qu’on leur fasse. Et de fil en aiguille, j’en reviens à ce que je disais plus haut concernant le constat des difficultés traversées par la licence en matière de jeux vidéo depuis la deuxième moitié des années 1990. Je suis convaincu qu’il y a là l’objet d’une revanche que ces développeurs cherchent consciemment ou non à prendre sur des années de jeux médiocres, voire nuls.

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Streets of Rage 4 avait remis le beat ’em up sur le devant de la scène avec l’art et la manière, laissant voir en Dotemu un candidat idéal pour éditer un jeu du genre avec les tortues

Le risque avec la nostalgie cependant c’est que, porté par son élan, on se fourvoie dans des visions idéalisées, qu’on n’en sorte plus et qu’on livre au final quelque chose de fade, sans intérêt autre que le goût de la madeleine de Proust et qu’on en soit finalement rendus au même stade qu’avant. Sauf qu’ici, l’espoir est permis. Comme je le disais, Tributes Games avait déjà fait ses armes en matière de beat ’em up avec Scott Pilgrim Vs. The World (reconnu comme un excellent représentant du genre, quoiqu’un peu ardu) mais aussi avec le TMNT sur Game Boy Advance (pas le plus dégueu de la série, donc). De l’autre côté, Dotemu a su entretemps faire ses preuves en tant qu’éditeur de beat ’em up avec la sortie couronnée de succès de Streets of Rage 4, développé pour son compte par Lizardcube (qui était déjà derrière WonderBoy). Relance moderne de la saga des années 1990, qui fut l’une des meilleures représentantes du genre comme je l’évoquais plus haut, Streets of Rage 4 jouissait d’une finition impeccable ressurgissant de chaque aspect de gameplay et de game design, offrant aux amateurs et amatrices un excellent jeu. Si Dotemu n’a été « que » l’éditeur de ce succès de l’année 2020, il ne fait cependant pas l’ombre d’un doute que cette expérience aura été l’occasion pour ses équipes de glaner un certain nombre d’acquis et d’heureux réflexes idéaux pour concevoir ensuite un autre titre du genre, en particulier avec une équipe de développement qui a déjà mis les mains dans le cambouis.
Aussi, n’y allons pas par quatre chemins : Shredder’s Revenge est un très bon jeu. Tout du moins vais-je quand même préciser quelque chose dès maintenant. Si le jeu m’a paru d’excellente facture, donnant à jouer un beat ’em up sans tare, je reste assez conscient que le titre ne remplira peut-être pas les attentes des plus féru(e)s du genre. Accessible car assez simple en soi, je ne sais pas si le degré de challenge offert par Shredder’s Revenge sera suffisant pour combler les plus hautes attentes. Toutefois, n’ayant pas moi-même essayé le mode Difficile, je me garderai bien de tirer la moindre conclusion définitive à ce sujet. Il n’en demeure pas moins qu’en mode Normal, le jeu se révèle assez facile d’accès. Une aubaine pour quelqu’un comme moi qui, peu habitué au genre, peux vite me retrouver en difficulté sur un jeu de ce type un tant soit peu exigeant (j’ai par exemple pas mal galéré sur Streets of Rage 4 notamment, ce qui n’ôte bien entendu rien de rien à ses immenses qualités). Ce qui s’impose ici du reste, c’est une banale question de public-cible. Là où le jeu de Lizardcube s’adressait pour l’essentiel à des joueurs et joueuses chevronné(e)s et bien déterminé(e)s à en découdre comme au bon vieux temps, ce TMNT cherche sans aucun doute plus à se faufiler dans la musette d’un public plus large, comprenant non seulement les habitué(e)s mais aussi une frange plus diverse et pas forcément habituée aux patates de forains que les beat ’em up nous permettent d’asséner mais aussi de prendre dans la figure en même temps qu’un joli chassé dans les tibias. Si l’on recommandera toujours avec grand plaisir Shredder’s Revenge, peut-être n’est-ce pas vers lui qu’on renverra quelqu’un qui cherche un véritable défi sans avoir d’affect particulier pour les tortues.

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Visuellement, Tribute Games a abattu un travail irréprochable

Ceci n’enlève cependant pas grand-chose à la qualité générale du soft. Bien au contraire, ce nouveau TMNT est globalement impeccable. Que ce soit dans sa construction générale ou dans le soin apporté au gameplay, je ne vois pas grand-chose à véritablement lui reprocher. Reprenant à son compte les ingrédients essentiels du genre, Shredder’s Revenge se révèle bien vite être un beat ’em up aussi solide que confortable. Son gameplay fait preuve d’une solidité à toute épreuve, basé qu’il est sur des années de perfectionnement que Tribute Games a su faire siennes, tout en sachant s’inscrire pleinement dans son temps en offrant des conditions d’accessibilité élargies et une certaine forme de simplification en remplaçant par exemple les sempiternels combos par de simples appuis sur des touches données afin de déclencher coups spéciaux et autres attaques plus puissantes (le tout avec un système tout bête de jauge à remplir). Là encore, les puristes trouveront peut-être à redire mais à titre personnel j’y vois surtout la concrétisation de cette promesse faite en amont, à savoir celle de toucher un public plus large que celui – finalement assez niche – du seul genre concerné.
Mieux encore, tout ce travail de réajustement du gameplay s’inscrit en définitive dans un effort fait sur le game design pris dans son ensemble qui cherche nettement à fluidifier l’expérience. Conçu de manière à évoquer la série animée dont il s’inspire, le jeu a pour idée forte de faire s’enchaîner les niveaux de la même manière que l’on enchaînait les épisodes autrefois. Chaque nouveau stage s’apparente alors à un nouvel épisode, avec son ennemi emblématique à la clé. Découle donc de cette conjonction d’intentions (accessibilité, confort de jeu, gameplay huilé…) une fluidité dans le déroulé du jeu qui s’avère des plus plaisants. En mode Normal, Shredder’s Revenge se contente de ponctuer son parcours de quelques sursauts de difficulté mais ne cherche jamais à frustrer les joueurs et joueuses, leur laissant plutôt profiter du plaisir pris à replonger dans une ambiance donnée. En cela, ce nouveau TMNT n’est pas Streets of Rage 4 ou même, pour citer un titre encore plus retors, Mother Russia Bleeds (Le Cartel/Devolver, 2016) et son ultra-violence décomplexée. Au contraire, il s’inscrit dans une autre gamme si l’on veut, plus ouverte, plus aisée à prendre en main, sans jamais se montrer réellement trop simple toutefois (un mode Facile est d’ailleurs disponible pour celles et ceux qui voudraient une expérience aussi légère que possible). Par ailleurs, quand bien même nous arriverions vite au bout d’une campagne, le caractère grisant du jeu et le dynamisme de son gameplay nous poussera sans difficulté à reprendre la manette et y retourner avec un autre personnage. Car ce sont finalement 7 personnages qui sont jouables dans Shredder’s Revenge, Leonardo, Raphaël, Michelangelo et Donatello étant rejoints par Splinter, April et Casey Jones enfin, lequel se débloque ultérieurement.

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Par son énergie, sa fougue même, Shredder’s Revenge se révèle difficile à abandonner. Reprendre la campagne avec les différents personnages n’en est que plus appréciable !

C’est finalement en droite ligne de tout ceci que se trouve l’essence-même de ce jeu. Si fans de beat ’em up que les équipes de Dotemu et Tribute Games puissent être, ce sont avant tout des fans des Tortues Ninja et, de leur propre aveu, de la série animée de 1987. Visiblement toutes et tous issus de cette génération qui a vu l’essor des tortues et de leur maître Splinter durant les 90s, la volonté de ces jeunes gens était aussi et surtout de redonner ses lettres de noblesse à la licence sur le plan vidéoludique. On ne peut alors s’empêcher d’imaginer qu’ils avaient à cœur de livrer un titre qui sache remettre les pendules à l’heure et répondre aux errances de ces deux dernières décennies en tournant la page de cette époque, simplement. On se plaît aussi à songer au fait que cet élan de nostalgique que je mentionnais plus haut touche aussi ces équipes et que c’est en partie ce qui fait l’efficacité de Shredder’s Revenge en termes d’ambiance.
A y regarder de près, l’esprit des années 1990 semble nettement avoir infusé dans le jeu, ou tout du moins la façon dont on se les représente avec le recul, dont on les fantasme même. Dès l’annonce initiale du titre, on ne pouvait que sentir cette envie de faire souffler la douce brise d’années révolues mais fondatrices (pour les équipes comme pour nous) avec la révélation de ce générique revu et repris par Mike Patton (chanteur de Faith No More, Mr Bungle, Fantômas, Tomahawk…) dans une version là encore modernisée mais néanmoins éminemment respectueuse de l’originale. Ce seul passage nous replongeait à pleine balle dans une décennie déjà lointaine et signalait sans détours toute l’ambition de recréer cette atmosphère 90s dans le jeu et par le jeu, ce que l’OST générale de ce dernier continuera de faire tout du long de l’aventure. Tee Lopes, compositeur sur Shredder’s Revenge a en effet su donner une tonalité propre à cette époque à ses compositions, s’entourant par ailleurs de deux autres figures de la musique des années 1990 avec Ghostface Killah et Raekwon du Wu-Tang Clan.

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Derrière le fan service se cache surtout un immense respect pour la série et les jeux d’autrefois, rien qui ne puisse entacher d’une quelconque manière l’excellent travail mené ici

Shredder’s Revenge n’a alors jamais menti sur son ambition multiple. D’abord réconcilier les ancien(ne)s joueurs et joueuses avec une licence qui leur fut chère en leur donnant à jouer ce à quoi ils jouaient déjà il y a trente ans. Ensuite savoir recréer une atmosphère, sinon une aura, qui nous fait baigner de nouveau dans les eaux électriques d’une période qui venait rompre avec la décennie précédente et dont les quatre tortues, par leur attitude et leur ton, furent l’une des figures de proue. Des tortues qui, soit dit en passant, retrouvent ici leurs doubleurs originaux, histoire de parachever l’hommage. Enfin, il y aussi la volonté ferme de prendre la revanche sur ces jeux pas terrible qu’on nous aura servis pendant des années avant que quelqu’un ne comprenne enfin (sans doute au meilleur moment pour le faire compte tenu de l’âge de la cible) que le mieux à faire restait encore de se reposer sur les bases les plus solides qui soient, cimentées par l’excellence du gameplay et la force de la nostalgie. C’est ici que réside toute la réussite de Shredder’s Revenge finalement, dans cette aptitude que le jeu a eu de tomber au bon moment et d’être porté par les bonnes raisons. Car on ne parle pas ici que de fan service sans cervelle. Bien au contraire, si prégnantes que puissent être les visées que je viens de souligner, elles n’ont jamais masqué ou englouti l’autre ambition forte du jeu : celle, tout bonnement, de composer un jeu de qualité. Dotemu et Tribute Games nous offrent alors un jeu qui saurait presque faire oublier les errances des années 2000-2010, ou tout du moins en faire un vestige du passé, tournant en cela la licence vers de nouveaux lendemains. Au contraire de Konami qui, surfant sans grande finesse sur le retour de hype pour les tortues, nous propose de son côté la Cowabunga Collection, compilation de 13 titres allant du Teenage Mutant Ninja Turtles sorti sur bornes d’arcade au Radical Rescue de la Game Boy, en passant par les jeux parus sur NES, Super NES ou encore Mega Drive. Une stratégie opportuniste et qu’on qualifierait gentiment de passéiste, bien peu à propos au moment où Shredder’s Revenge apporte la preuve que la quasi intégralité de cette compilation est dépassée depuis longtemps.

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Je ne vous ai pas spécialement parlé dans les détails de Shredder’s Revenge en tant que jeu vidéo, j’en conviens. Si l’on gardera quand même en tête que c’est un titre tout à fait recommandable, en particulier auprès d’un public qui s’essaierait pour la première fois au genre  beat ’em up, j’avoue que l’idée de cet article était moins de vous parler de jeu pur et dur que de la façon dont ce soft arrive à un moment particulier de l’histoire des Tortues Ninja, pour ne pas dire à point nommé. Dans une approche qu’on pourrait qualifier de « back to basics« , Shredder’s Revenge offre un bien joli retour aux sources pour les tortues et ramène les joueurs et joueuses à un temps béni où tant la série animée que les jeux vidéo étaient des objets culturels phares dans le paysage d’alors. A tel point que les comics se sont poliment effacés derrière ces mastodontes d’un autre genre (et derrière le merchandising à outrance, bien entendu…), mais passons. Dotemu et Tribute Games pourraient aisément être targués de faiseurs de fan service mais ce serait oublier non seulement que le jeu est très bon à tous points de vue mais aussi qu’on est effectivement dans la meilleure acception possible dudit fan service : se mettre au service des fans, les respecter. En la matière, il n’y a pas plus louable.

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