Considérons cet article pour ce qu’il est : un événement inattendu. Parce qu’à l’origine, comme tant de monde ces derniers temps, je voulais vous parler de mon expérience sur A Plague Tale: Requiem cette semaine. Sauf qu’entre le moment où j’ai terminé le jeu et entamé mon brouillon et celui où j’avais initialement prévu de publier la chronique qui en aurait découlé, je me suis retrouvé à regarder Barbarian, sur Disney+ (ou Barbare, si vous préférez son titre francophone). Alors que le film n’avait pas du tout rejoint mon programme cinéma de ces derniers temps, le voilà qui s’est hissé parmi les meilleures choses que j’aie pu voir cette année. Quant à A Plague Tale: Requiem, c’est grosso modo tout l’inverse mais on en parlera la semaine prochaine du coup…

[Avertissement]
Je ne révèle rien de l’intrigue de Barbarian dans ces lignes mais je me dois de vous prévenir que les derniers paragraphes de cet article révèlent un élément thématique du film qui peut gâcher le visionnage si vous le connaissez à l’avance. J’indiquerai aussi clairement que possible le passage concerné et vous invite à l’éviter si vous souhaitez voir le film (et revenir après coup pour finir de lire cet article, allez). Dans tous les cas, je vous souhaite une bonne lecture.
Je ne suis pas un grand fan de films d’horreur. L’épouvante, l’angoisse, le gore et tout ce qui peut graviter autour de cette catégorie un peu large de films qui font flipper, ce n’est pas exactement ce que je préfère. Malgré cela, je suis également ce genre de personne qui, de temps en temps, aime à se mettre devant les yeux quelque chose qui viendra me bousculer dans mes habitudes et mes préférences. C’est de cette manière que je me suis retrouvé à adorer Shining, à trouver un je-ne-sais-quoi de prenant dans des slashers cultes tels que Halloween ou Les Griffes de la Nuit ou encore, côté jeux vidéo pour changer, à me plonger avec délectation dans l’anxiogène Alien: Isolation ou à arpenter Raccoon City dans les trois premiers Resident Evil assez récemment. Bref, de fil en aiguille, porté en particulier par le goût de ma compagne pour le genre, me voilà à essayer de découvrir quelques œuvres horrifiques…et à y trouver quelque chose d’appréciable. Oh bien sûr, je reste moi-même et continue de penser que ce ne sont pas des films (ou des jeux donc) vers lesquels j’irais systématiquement, mais je commence à m’y faire en quelque sorte. Et alors que l’esprit d’Halloween n’a pas encore été totalement effacé par celui de Noël, quoi de mieux que d’aller se faire une petite frayeur ?

Zach Cregger (à gauche) en compagnie de deux des vedettes du film : Georgina Campbell et Justin Long
C’est ainsi qu’à la veille de cette lugubre fête, nous nous retrouvons à regarder – un peu par hasard – Barbarian, disponible depuis peu sur Disney+.
Un film qui, soit dit en passant, aura été projeté en salles outre-Atlantique mais n’aura eu droit qu’à une exploitation sur le service de streaming par chez nous, hélas. De ce dernier en tous cas, je n’avais rien entendu avant le moment où nous l’avons lancé, si ce n’est un élogieux avis lu quelque part sur Discord. Je découvre donc tout du film à mesure que le visionnage avance, à commencer par son postulat de départ : une jeune femme se rend à Détroit pour un entretien d’embauche mais découvre en arrivant devant la maison qu’elle a louée pour la nuit qu’une autre personne est déjà installée. Sur le papier, j’avoue que cette première approche m’a peu emballé. Le coup de la maison qu’on croit vide mais qui ne l’est pas, bon, ce n’est pas comme si c’était une idée neuve. Je crains alors dans ces premiers instants m’être fourvoyé dans un film aux allures de vu et revu, d’autant plus que les premières images ne laissent rien prévoir de particulièrement marquant. Curieux cependant, je jette un œil à la « fiche technique » de Barbarian et y découvre un réalisateur dont le nom – Zach Cregger – ne me dit absolument rien, pas plus que sa filmographie que je parcours rapidement en jetant un œil sur mon téléphone. A dire vrai, du rapide aperçu que je prends de tout cela, je ne retiens qu’une chose : la participation au film de Justin Long, acteur pour lequel je conserve une certaine sympathie, ainsi que de Bill Skarsgård. C’est même celui-ci qui retient le plus mon attention, lui dont le rôle dans Le Diable Tout le Temps m’avait beaucoup plu et qui m’a particulièrement séduit dans son interprétation du maléfique clown Pennywise dans le récent diptyque/remake de Ça par Andrés Muschietti (encore du cinéma d’épouvante, décidément…). S’il me reste encore une grande partie de sa carrière à découvrir, le quatrième des fils Skarsgård est néanmoins devenu un de ces acteurs dont la présence au générique peut me pousser à prêter plus d’attention à un film que je ne l’aurais fait sans cela. Petit aparté d’ailleurs : comment ne pas l’attendre par exemple dans le prochain remake de The Crow ou dans la future adaptation de Nosferatu, où il incarnera le fameux vampire ? Mais passons car, relancée par cet argument de casting, mon attention se reporte sur le film.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je vais me fendre d’un simili-préambule à cet article. Compte tenu de ce que Barbarian propose, il m’est assez difficile d’expliquer mon ressenti sans parler frontalement du déroulé du film et d’éléments majeurs de son intrigue. Cependant, je vais tacher de me livrer à l’exercice en ne vous dévoilant rien du contenu du scénario. Car si Barbarian peut se targuer de quelque chose, c’est bien de savoir prendre le public par surprise. Voilà d’ailleurs ce qui me reste le plus fermement en tête après avoir visionné le film, cette idée qu’il s’agit d’un long-métrage conscient des codes d’un genre (et même de plusieurs sous-genres qui lui sont liés) et qui joue alors avec de la même manière qu’il va, se faisant, jouer avec les spectateurs et spectatrices. A y regarder de près, Zach Cregger reprend ici la plupart des ingrédients du film d’épouvante, selon une logique et des mécaniques qui lui sont propres. De l’installation d’une situation donnée à la manière dont l’horreur se fera plus frontale, en passant par l’instillation d’un doute permanent, tout est fait pour savamment suivre une recette que l’on ne connaît que trop bien car issue d’un long héritage. Et c’est justement parce qu’on a vu cela plein de fois que Barbarian trouve sa saveur dans la volonté de saupoudrer le tout de cette originalité qui lui sera salvatrice. Cregger réutilise en effet tous ces éléments à sa manière en nous laissant entrevoir les ressorts que l’on s’attend à retrouver dans un film de ce style pour mieux les tordre ensuite afin d’offrir un résultat différent, une péripétie qui ne s’achève pas comme on s’y attendait, etc. L’affaire se révèle alors surprenante non seulement parce que nous sommes bel et bien surpris, cramponnés à notre canapé, mais aussi pour cette capacité à réussir sans faillir à maintenir ce cap du début à la fin.

On ne pourra cependant pas s’empêcher de penser que Tess multiplie les choix imprudents ou illogiques, s’enfonçant un peu dans le pétrin elle-même… Cette mécanique est devenue trop nécessaire ou automatique, hélas.
Mais le plus étonnant avec ce stratagème, c’est que Zach Cregger confère à son film une autre dimension. Au-delà de la seule épouvante, bien présente, que ce dernier fait régner du début à la fin de l’histoire, il y aussi une espèce de côté comique dans la façon dont le réalisateur s’amuse ainsi à détourner le genre sous certains aspect. Non pas que Barbarian se montre particulièrement drôle au premier degré (quoi que, parfois…) mais cette volonté d’ainsi rompre les attentes du public et de le surprendre régulièrement donne le sentiment que Cregger nous fait une farce, jouant de nos attentes classiques pour mieux nous faire la blague de nous emmener ailleurs sans crier gare. Cela crée ainsi lors de certaines séquences une sorte de côté un peu « gag » qui dénote presque avec le ton général du film, lequel reste anxiogène à souhait. Des « gags » qui le sont moins par l’installation d’un élément volontairement comique au sein-même de ce qui nous est montré que par le détournement auquel se livre joyeusement le cinéaste donc. Ceux-ci peuvent alors survenir lors de moments de tension palpable, sinon d’effroi, mais l’on se surprendra alors à rire – surtout nerveusement – en se rendant compte du piège dans lequel on est tombés. Cregger n’est ainsi plus le seul à s’amuser et nous nous amusons avec lui de cette façon de nous faire tomber dans le panneau régulièrement. Rien que pour cela, Barbarian est sans doute un des films d’horreur les plus divertissants que j’aie vus depuis longtemps, éloigné qu’il cherche à l’être des poncifs du genre.
Barbarian ne manque donc pas d’une certaine finesse dans sa façon de présenter les choses. Un soin que l’on retrouve par ailleurs dans sa construction et son rythme plaisant. Scindé en deux parties distinctes, le film apporte un déroulé accrocheur en offrant finalement non pas un mais bien deux (voire trois) climax différents et chaque fois saisissants. Au milieu de cela, un interlude pertinent permet d’étoffer l’ensemble et si j’admets que je l’aurais peut-être voulu un peu plus approfondi, je me dis que cela aurait sans doute alourdi le tout. Aussi, tachons de plutôt penser que les choses sont très bien en l’état.
Si je devais évoquer un autre élément qui m’a décontenancé plus que vraiment déplu, je dirais aussi que la mise en place des deux principales parties du film est à l’inverse un peu longue. Si l’effet de longueur s’est amoindri lors de la seconde cependant (parce que je venais d’assister à la montée en puissance de la première et que je me doutais que nous repartions pour une escalade), je dois bien admettre que l’installation des personnages et situations en début de film m’a un peu endormi, manquant de peu de couper court à mon envie de poursuivre le visionnage. Du reste, j’ai tenu bon et grand bien m’en fut fait. Avec le recul, je me rends même compte que tout ceci n’est finalement pas si lourd que cela m’a paru au premier abord. Mais surtout, ce qui ressort le plus quand j’y repense, c’est que ces situations initiales sont absolument indispensables et que le fait qu’elles prennent leur temps pour se présenter est de son côté tout à fait judicieux. En effet, ces deux entrées en matière permettent de parfaitement introduire les personnages ainsi que d’égrainer tout ce qui fera le sel des situations dramatiques à venir, dont notre attachement – qui se révélera à géométrie variable – à l’égard des différents protagonistes. En prenant son temps lors de ces séquences, Zach Cregger se donne surtout l’opportunité de créer l’aura de son film, son atmosphère, et de déposer face aux spectateurs et spectatrices leurs premiers doutes et/ou soupçons. Là encore, le cinéaste joue avec les codes et avec son public en ouvrant des pistes piégeuses (ou non) dont le principal atout sera de jouer avec nos attentes. Le genre horrifique souffre en effet parfois dans ses productions récentes d’un côté un peu éculé, où tout semble reprendre systématiquement le même schéma, à peu de choses près. L’on développe alors des idées préconçues de ce qui peut ou non se passer en fonction d’une situation initiale donnée ou du rapport qui s’installe entre deux personnages. Or, Cregger s’emploie à déconstruire tout cela dans l’introduction de son film en créant d’abord lesdites attentes pour mieux les tromper ensuite et amener Barbarian dans une direction qui, sans être véritablement révolutionnaire, aura toujours le mérite de ne pas sans cesse nous emmener sur un chemin trop battu par tant de productions avant lui. En conséquence, Barbarian laisse beaucoup de place à la surprise, à l’inattendu, renouant en cela avec l’un des principes fondateurs du cinéma d’épouvante : celui de ne pas nous laisser deviner où nous mettons les pieds. Un schéma qui se répétera, comme je le disais plus haut, tout au long du film (on pense encore au premier climax, à mi-chemin) et qui lui permettra de s’installer comme une œuvre assez originale.
Barbarian va donc réussir à se réapproprier l’essence-même du cinéma d’horreur, sa force de surprise et de prise au piège de ses spectateurs et spectatrices dans des choix marqués et, en l’occurrence, faits de manière à déstabiliser le public et à éviter que ce dernier ne devine tout d’avance. L’on pourrait alors facilement, sur la base de ce constat, dire que ce film pourrait être vu comme un film qui revient « simplement » aux sources, ce qui ne manquerait pas de faire naître le doute quant à un classicisme qui deviendrait alors gênant. Or, il n’en est rien et c’est sans doute là l’intelligence de Barbarian en tant qu’œuvre, de savoir réactualiser des mécaniques données pour les inscrire dans leur temps. A peu de choses près, on irait même jusqu’à dire que le film fait preuve d’une certaine modernité dans sa façon de trancher avec ses homologues les plus récents en sachant tirer partie de l’héritage du genre, en le digérant et en en faisant quelque chose qui sache sortir des sentiers battus. Par le contournement des effets (trop) attendus, par cette rythmique renouvelée, Zach Cregger donne à Barbarian les allures de ce qui pourrait être une belle source d’inspiration pour les prochaines productions du genre.

Sans aller jusqu’à parler de réinvention, le personnage de Tess permet au moins de donner une autre résonnance à cette figure féminine du cinéma d’horreur.
Cette modernité, elle résonne donc dans la façon de construire le film et son récit mais également dans cette manière qu’a Cregger (qui officie également comme scénariste ici) d’instaurer des thématiques contemporaines dans son histoire et dont la plus présente sera très clairement le rapport hommes-femmes. Oh bien sûr, c’est là aussi quelque chose que l’on retrouvait déjà dans des films plus anciens, avec cette relation prédateur-proie qui s’est régulièrement installée entre une pauvre jeune victime féminine et un tueur maniaque masculin. Halloween, Les Griffes de la Nuit, Vendredi 13 ou encore Massacre à la Tronçonneuse ont par exemple tous repris dans une plus ou moins grande mesure et de manières volontiers différentes parfois, cette thématique. Cette dernière ressort par ailleurs du vieux pilier classique du genre qu’est ce personnage féminin qui finit toujours par survivre à la fin et qui est devenu une règle quasi inébranlable. Cette année, Barbarian reprend peu ou prou cet archétype qu’est ce personnage féminin bien spécifique du film d’horreur à travers la figure de Tess. Il s’agit là de la protagoniste principale du film, idéalement incarnée par une Georgina Campbell qui arrive à conférer toute la fragilité nécessaire au personnage mais sans jamais en faire seulement une victime sans défense. Sans être aussi badass que peut l’être devenue la Laurie Strode de la saga Halloween (et dont l’évolution à travers les années est intéressante à observer), Tess ne campe pas que sur sa posture de victime potentielle de l’antagoniste du film. Au-delà même de ce pan du personnage et du rôle qu’elle a en cela à jouer dans l’œuvre, elle est aussi et surtout un bon moyen pour Zach Cregger de filer sa thématique du rapport hommes-femmes que je mentionnais plus haut, tout en l’actualisant pour y intégrer une bonne partie de ce que cela implique de nos jours. Et c’est là que les choses sont quelque peu changées par rapport aux aspects classiques de la question dans le cinéma d’épouvante.
[C’est ici que je me dois de vous interrompre si vous n’avez pas encore vu le film.
Sans donner d’éléments-clés de l’intrigue, je m’apprête à présent à développer un plus en-avant autour de sa thématique forte. Par la façon dont Barbarian l’amène sur le tapis, je me dis qu’il serait dommage d’avoir conscience de ce dont je vais parler dans les prochaines lignes avant de voir le film. Aussi, je vous invite à revenir plus tard si vous ne l’avez pas encore regardé.
Si cela ne vous gêne pas ou si vous n’avez pas l’intention de le faire, vous pouvez cependant sereinement poursuivre votre lecture.]
A l’heure de #MeToo et d’un éveil des consciences aux enjeux et problématiques que ce sujet si actuel amène sur la table, Barbarian vient non seulement le questionner mais tache également d’en faire un élément de récit à part entière. Sur ce point précis, il le fera notamment en amenant les deux personnages principaux mis en scène dès le début du film à évoquer la question sans détours. Cela ne va rien vous spoiler étant donné que c’est très exactement le début du film mais lorsque Tess arrive devant son Airbnb loué pour la nuit, un homme s’y trouve déjà, affirmant l’avoir lui aussi réservé. S’ensuivent des échanges et des questions sur ce qu’il convient de faire et, bien sûr, la crainte de Tess face à cet étranger qui occupe les lieux et ne semble pas déterminer à les quitter, l’invitant finalement à s’installer elle aussi malgré tout. Evidemment, cette crainte est partagée par le public, qui s’imagine par avance les horreurs qui pourraient bien se produire.
Là où Cregger se montre malin donc, c’est en posant directement cette situation comme un véritable sujet entre les deux personnages, ultérieurement. Tess notamment interrogera Keith (qu’incarne merveilleusement Bill Skarsgård, tout en nuances nécessaires) sur la façon dont il aurait réagi si c’était lui qui avait été dans sa situation, affirmant qu’il n’aurait très certainement eu aucune crainte à entrer dans un logement où un inconnu l’invite suite à un quelconque micmac de réservation. Je n’en dis pas plus sur l’issue de tout cela, ne gâchons rien, mais il est intéressant de noter cette façon dont le film va du coup questionner ce qu’il met en scène et, en ce sens, faire écho à une remarque que le public se sera sans doute faite. Dans un flirt plus ou moins prononcé avec la métalepse (en ce sens que la discussion tenue dans le film rejoint ce que peuvent se dire les spectateurs et spectatrices en cet instant), Barbarian dévoile alors cette espèce de conscience qu’il a en tant que film du contexte dans lequel il est produit et diffusé. Par le scénario et ses dialogues, voilà que glissent dans la bouche de ces individus des propos qui dépassent le seul cadre du film, des convictions nettes. Evidemment, véhiculer un message par de la fiction n’est pas nouveau. L’intérêt ici réside sans doute plus dans la manière de le faire, à savoir en reprenant ces fameux codes du genre que je mentionnais plus haut et en les adaptant à cette volonté. Mieux encore, tout le sujet réussit par ce moyen à devenir un ressort scénaristique ainsi qu’un facteur de l’ambiance du film, en laissant planer une aura de méfiance autour de cette petite maison et de celui qui l’occupe en amont.

Impossible d’entrée de jeu de savoir si le personnage de Keith est une personne de confiance ou non. Tout est fait pour que les deux options soient possibles et c’est là tout le sel du film.
La chose semblera sans doute assez légère de prime abord, donnant l’impression de vouloir banalement surfer sur un thème d’actualité. Il ne s’agit après tout ici que d’enfoncer des portes assez ouvertes quant au fait qu’être un homme ou une femme, dans une même situation de potentiel danger, cela peut drastiquement changer la donne, jusque dans la façon de jauger ladite situation. Mais de fil en aiguille, l’affaire devient plus pesante, plus prégnante qu’il n’y paraît. Progressivement, ce qui n’était qu’une conversation autour d’une table et (il me semble) d’une bouteille de vin rouge se concrétise par l’antagonisme mis en scène par Barbarian. Ce dernier n’est plus alors que ce film d’épouvante un peu classique où les victimes font face à une redoutable menace donnée. Cregger détricote ce schéma où le « mal » en tant que tel et qui hante le long-métrage n’est plus seulement un ça-va-de-soi face auquel on se retrouve un peu par « la faute à pas de chance ». Il travaille ici selon la même vision qui le pousse à redéfinir les mécaniques classiques du cinéma de ce genre.
Et le public de s’interroger alors sur ce qui se révélera être le plus grand danger du film. A mesure que l’on progresse dans l’histoire, le porteur de ce statut varie, nous laissant même l’envisager selon différents points de vue (même si c’est au final toujours celui de Tess qui prévaudra) et contribuant ainsi à le rendre plus difficile à discerner dans un premier temps. Il glisse d’entité en entité à la faveur de nuances et de détails qui n’en sont pas vraiment ainsi que de retournements de situations ingénieux et de ces mises en contexte que j’évoquais précédemment. Le « mal » – en sa qualité de figure métaphorique désignant l’adversité qui s’oppose aux « héros » du film – prend en conséquence diverses formes et de multiples visages. Il se résumera enfin sous un seul postulat, celui d’un mal commun, courant et finalement bien réel, Cregger arrivant avec intelligence à l’extirper du seul cadre diégétique pour de nouveau s’intégrer dans le quotidien du public. En figure de proue de cette affirmation que nous lance le cinéaste, l’individu mis en scène dans l’interlude vient cristalliser l’ensemble du propos tricoté dans le reste du film : le danger, c’est l’homme. Il permet à Barbarian de pousser l’idée à l’extrême (n’oublions pas que nous sommes devant un film d’horreur) jusque dans les ultimes instants d’apparition dudit personnage lors de la deuxième partie ainsi que dans la façon dont la conséquence de ses actes s’exprime.

Le personnage d’AJ synthétise bien des maux que Cregger cherche à révéler, en particulier par sa mise en relation avec Tess.
Ce danger permanent que le réalisateur désigne ainsi, il prend finalement tout son sens dès lors que l’on comprend sa nature. En cet instant, tous les indices disséminés partout dans le film deviennent concrets, les doutes que l’on a pu ressentir s’expliquent d’un seul coup. Comment ne pas réaliser alors qu’il est bel et bien la cause de cette aura d’inquiétude qui entoure le personnage de Tess à chaque nouvelle rencontre ? Chaque homme qu’elle croisera, chacun à sa manière, la poussera un peu plus dans un retranchement et un isolement presque plus anxiogène finalement que ce qu’elle va découvrir dans cette sinistre maison de la banlieue saccagée de Détroit. Tess sera longtemps la seule femme du film et seules deux autres croiseront son chemin. L’une, pour laquelle elle est venue à Détroit, la mettra en garde et sera en cela le seul véritable avertissement qui lui sera adressé. L’autre est bien plus saisissante. C’est d’abord le monstre du film avant que l’on comprenne qu’il n’est pas là où on le pense. Cette « mère » n’est que le fruit d’un mal plus profondément enraciné et qui symbolise tous les maux que Cregger a voulu d’une certaine manière dénoncer au cours de Barbarian. Lorsque le dénouement vient, on hésite finalement dans ce que l’on ressent vis-à-vis de cette créature. Oscillant entre le dégoût et l’effroi face à cette horreur, on sent bien monter tout de même la pitié qui vient s’intercaler au milieu de cela. Car n’est-elle pas elle-même victime malheureuse de tout le reste en définitive ?
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Lancé sans trop m’attendre à quoi que ce soit dans son visionnage, j’aurai finalement été très agréablement surpris par Barbarian. Zach Cregger y reprend à son compte nombre de composants essentiels des films d’horreur et d’épouvante mais avec l’intelligence nécessaire pour tout repenser, tout recalculer, tout réactualiser à l’aune de notre société actuelle. Tess dépasse alors le seul cadre de son statut de victime-héroïne du film pour mieux venir symboliser des maux et des travers inhérents à des problématiques phares et d’actualité. Barbarian n’est pas qu’un huis-clos/survival de plus, c’est un témoignage de son temps, une métaphore d’un dysfonctionnement mais, quand même en même temps, un très bon huis-clos/survival.
