« A Plague Tale: Requiem » : des rats et des ratés

Je suis passé à côté de ce qui fut pendant un temps le premier A Plague Tale, ne finissant par m’intéresser à ce dernier que cette année, soit tout de même près de trois ans après sa sortie initiale, en 2019. En Mai dernier donc, je me lançais dans ce jeu que je n’avais remarqué que du coin de l’œil, lorsqu’il était arrivé. Et sans être aussi conquis qu’a pu l’être une large partie du public, je lui ai effectivement reconnu des qualités générales qui, à mon sens, justifient tout à fait sa cote auprès des joueurs et joueuses. Esthétiquement remarquable, joliment mis en scène, écrit avec un soin certain, agréable à jouer, Innocence s’était révélé être une très bonne surprise pour moi. Aussi, l’arrivée de sa suite cet automne – qui plus est dans le Gamepass – ne pouvait pas me laisser indifférent.


Lorsqu’on nous annonce A Plague Tale: Innocence en 2017, on se rend compte que le studio derrière le projet ne nous dit pas nécessairement grand chose. Asobo Studios, à l’époque, n’a pas vraiment un gros CV. Il faut par exemple remonter à 2009 pour trouver trace d’une création originale avec Fuel, édité par Codemasters sur PC, PS3 et Xbox 360. A dire vrai, à la moitié des années 2010, Asobo est principalement un studio de soutien, si l’on voulait dire les choses grossièrement. Ses équipes ont certes participé à des jeux de plus ou moins grande envergure mais aucun de ceux-là ne leur a été confié en intégralité. On citera ainsi pêle-mêle la réalisation de certaines versions de jeux tirés des films Pixar (RatatouilleLà-HautWall-E…), ce qui leur vaudra un certain renom, ou encore des jeux comme The Crew 2 ou ReCore, sur lesquels Asobo travaille surtout en tant que développeur additionnel. Mais avec A Plague Tale premier du nom, l’entreprise compte bien changer de créneau. Fini de développer des jeux sur commandes, on va ici avoir affaire à un gros projet personnel si l’on peut dire. Edité par Focus Home Interactive (devenu depuis Focus Entertainment), celui que l’on appelle The Plague au moment de son annonce promet d’être un jeu AA qui compte bien se faire sa place dans un contexte où les AAA engloutissent tout sur leur passage. Et dès l’instant de sa révélation, le jeu semble sortir du lot. Des premières images que nous découvrons, A Plague Tale: Innocence affiche une ambition certaine, concrétisée par un effort net sur le visuel. 

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A Plague Tale: Innocence avait réussi à s’imposer comme le rookie de l’année et la promesse d’une licence qui ne demandait qu’à marquer le paysage vidéoludique actuel.

Evidemment, l’histoire est bien connue désormais : la promesse aura en grande partie été tenue. Sorti deux ans plus tard, le jeu du studio bordelais remporte l’adhésion du public et s’installe comme une excellente surprise dans un contexte où les plus grands succès sont bien souvent des AAA démesurés (Red Dead Redemption II est sorti à l’automne précédent, Death Stranding paraîtra quelques mois plus tard, et c’est bien sûr sans évoquer Breath of the Wild, arrivé deux ans plus tôt…). Mais A Plague Tale ne se laisse pas désarçonner par cette rude concurrence et réussit même à tutoyer ces géants malgré son statut de AA. Même Cory Barlog, réalisateur du God of War de 2018, est tombé sous le charme du titre en découvrant son trailer de gameplay peu avant sa sortie. Malgré un budget bien inférieur à ces cadors d’alors, le jeu d’Asobo et Focus se taille la part du lion pour deux raisons : son excellence visuelle et son récit léché. Il faut bien reconnaître que ces deux points sont les principaux atouts de ce premier volet. Porté par ses environnements somptueux, inspirés par la Dordogne, le Limousin, la Gironde ou encore la cité médiévale de Carcassonne, le titre jouit d’une somptuosité visuelle qu’on ne peut lui nier. Mieux encore, il en tire partie pour se draper dans une atmosphère particulière qui servira d’écrin de luxe pour une histoire rude et brutale, sinon violente, et finalement marquante pour les joueurs et joueuses. Rapidement, rappelons que nous y incarnons Amicia, accompagnée de son frère Hugo. Les deux enfants de la famille de Rune font l’objet d’une traque menée par l’Inquisition en raison de la maladie qui se propage dans le sang du jeune Hugo. En effet, alors que la peste noire sévit dans le royaume de France, Hugo semble être le porteur de la Macula, une maladie très étroitement liée à la peste (pour des raisons que je tairais, si jamais vous n’avez pas encore joué au jeu). Le récit d’Innocence amène alors les deux personnages à vivre en fugitifs dans un environnement hostiles et macabres, subissant les épreuves les plus rudes qu’une adolescente et son jeune frère peuvent subir. Au sortir du jeu, impossible d’être resté de marbre devant le déchaînement de violence dont ils ont été les victimes et, parfois, les instigateurs.

Du reste, si je passe à l’époque complètement à côté du titre, je n’ai pas manqué de noté l’acclamation dont il a fait l’objet, en tous cas en France. Me demandant d’abord si tout cela n’était pas qu’un énième retour d’une espèce de chauvinisme culturel franco-français (ce que je ne critique pas spécialement, c’est bien de vouloir supporter avec ferveur les productions locales), il a bien fallu que je me rende à l’évidence lorsque l’enthousiasme s’est propagé par-delà nos frontières. Rapidement, A Plague Tale: Innocence a rejoint la liste de ces jeux qui ont marqué l’année 2019, ces GOTY en puissance qui ne demandent qu’à laisser une trace indélébile. Il était donc évident qu’après avoir noté la présence du titre dans le Gamepass de Xbox, j’allais forcément m’y mettre un jour. Ce fut ainsi le cas au printemps dernier et je dois bien admettre que la qualité générale du jeu m’a sauté aux yeux. Oh bien sûr, Innocence n’est pas exempt de défauts, notamment du seul point de vue du game design, mais ceci s’avérait suffisamment minime pour ne pas entacher le plaisir de jouer et, surtout, de découvrir cette histoire sombre, dure et volontiers glauque faite de peste, de rats et de complots séculaires.
J’ai beaucoup aimé suivre les mésaventures d’Amicia et Hugo et leur parcours du combattant à travers les enfers d’un Moyen-Age pestiféré et marqué par la Guerre de Cent-Ans. Le récit et la narration qui en est faite constituent encore à mon sens les plus gros atouts de ce premier épisode et c’est très nettement ce qui m’a le plus poussé à jouer à sa suite cet automne. Ça et le fait que Requiem a lui aussi rejoint le Gamepass, on ne va pas se mentir. J’insiste sur ce dernier point parce qu’il faut reconnaître qu’en dépit du bon moment passé sur le premier jeu, je ne sais pas si j’aurais aussi rapidement joué à ce second volet après sa sortie si j’avais eu à le payer de manière « classique ». Sa mise à disposition dans l’abonnement proposé par Xbox constituait en effet un argument de choix pour ne pas attendre une quelconque promotion ou une arrivée dans les bacs à occasions… La raison de tout cela tient dans le fait que si, comme je viens de le dire, j’ai apprécié suivre ce périple, je ne peux pas vraiment dire que A Plague Tale premier du nom était pour moi une véritable réussite en tant que jeu pur et dur. Assez classique dans l’âme, parfois même redondant, Innocence ne révolutionnait rien et manquait sans doute d’une originalité qui aurait été la cerise sur le gâteau d’une ambition narrative remarquée. Pour cela, difficile de faire de Requiem l’événement vidéoludique de 2022 qui m’aurait fait passer à la caisse sans me poser de questions.

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Comme tout le monde, j’ai évidemment été marqué par les décors aussi merveilleusement composés que tristement sinistres de ce premier épisode.

Cela m’amène donc à ce que j’attends de ce second opus. L’essentiel – et je ne parle ici que pour moi -, c’est qu’Asobo me montre que ses équipes ont su perfectionner la recette. Car si Innocence n’était pas parfait, il était quand même loin d’être véritablement bancal et bien que le jeu souffrait de quelques imperfections que je viens de mentionner rapidement, il jouissait aussi de qualités indéniables que j’espérais évidemment retrouver dans Requiem. Cela concerne son écriture bien sûr, comme je viens de le mentionner, mais aussi ses performances artistiques et techniques. Asobo avait en effet su offrir un bien joli spectacle pour les yeux avec Innocence, réussissant à rendre saisissants des environnements pourtant le plus souvent lugubres, leur conférant une force visuelle nette qui était un ingrédient essentiel de la réussite du jeu selon moi. Ajoutant au poids que le récit fait déjà peser sur le moral des joueurs et joueuses, la direction artistique était en effet somme toute irréprochable. A Requiem donc de reprendre tout ceci à son compte et d’emmener l’affaire plus loin, notamment en travaillant plus sur les aspects de jeu à proprement parler. Au moment de lancer le jeu, mes attentes sont finalement grandes et je me dis qu’elles sont même peut-être trop. J’espère d’Asobo un travail exemplaire, riche et qui soit à-même de révéler toute la progression dont le studio peut faire preuve après un premier jet prometteur. Toutefois, les premiers instants avec la manette dans les mains me donnent le sentiment que nous partons sur la bonne piste. Je retrouve instantanément la richesse visuelle du titre ainsi que ses bases de gameplay qui, sans être les plus originales donc, sont cependant suffisamment solides pour peut-être constituer le tremplin dont cette suite a besoin pour l’emmener vers de nouveaux horizons.

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Jusqu’ici, tout va bien…

L’ouverture du jeu n’est cependant pas là pour renverser la table mais pour la dresser devant nous, telle que nous l’avions laissée. Nulle surprise ne vient véritablement étreindre les joueurs et joueuses en ces premiers instants où l’intention principale apparaît clairement comme la nécessaire remise à plat des acquis d’InnocenceRequiem profite donc de cette introduction pour raviver les souvenirs et les réflexes du premier épisode dans la mémoire du public tout en contextualisant son récit. Nous retrouvons donc Amicia et Hugo, six mois après l’instant où nous les avions quittés. Désormais établis dans le sud de la France et en route vers la Provence, ils ont définitivement laissé derrière eux leur vie en Guyenne pour trouver le havre de paix dans lequel le jeune Hugo pourra poursuivre sa vie paisiblement et, si possible, guérir. Mais passons, en un peu moins d’une heure, A Plague Tale: Requiem a posé ses bases. Visuellement, le titre semble jouir d’une qualité tout à fait notable, particulièrement mise en valeur par ces premiers environnements colorés et ensoleillés de la route vers la Provence. Le constat de cette performance technique et esthétique perdurera d’ailleurs tout au long du jeu, lequel donne à voir des lieux de toute beauté à longueur de temps. Quelque temps après la fin de ma propre partie, il me reste encore en mémoire les merveilleux décors de l’île de La Cuna, de la ville dans laquelle les enfants et leur mère rencontre le Maître Vaudin au début de l’aventure* ou encore, dans un autre registre, de l’architecture poisseuse de certaines étapes dont les noms constitueraient un spoil potentiel.

*Une ville dont le nom m’échappe aujourd’hui mais dont
je peux néanmoins souligner qu’elle a été inspirée par
le superbe bourg de Collonges-la-Rouge, en Dordogne.

Sur ces aspects-là, A Plague Tale 2 pourrait se targuer d’être globalement irréprochable. Tout juste regrettera-t-on des ralentissements (rares en ce qui me concerne mais j’ai vu d’autres personnes s’en plaindre plus fréquemment), une poignée de bugs pas forcément très gênants et un défaut dans le mode photo qui permet en fait de passer dans l’envers du décor (essayez-le donc et tentez de passer sous le sol, vous découvrirez une toute autre dimension)… Au fond, rien de tout cela n’est gênant, ni ne vient empêcher la progression de manière trop conséquente. On passe donc volontiers sur ces menus défauts pour mieux garder en mémoire les qualités les plus évidentes du titre. Parmi celles-ci, ne manquons pas d’évoquer aussi la fluidité dont le gameplay fait preuve. Si elles se montrent finalement très classiques dans ce qu’elles proposent de réaliser, les mécaniques de jeu de Requiem s’exécutent sans souci, offrant au jeu un dynamisme certes pas hors du commun mais néanmoins plaisant et en cohérence avec le ton général de l’aventure et de ses péripéties.

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L’arbre de compétences est sommaire mais, à dire vrai, cela ne fait pas de mal.

Cependant, toute médaille ayant son revers, l’on ne pourra nier plus longtemps ce qui, très vite dans la partie, devient une évidence : ce nouvel épisode de A Plague Tale manque de renouveau. Reprenant l’essentiel de la recette de Innocence, ce nouvel opus n’arrive pas à la transcender ou au moins à la remanier de façon à proposer une expérience de jeu qui puisse faire franchir une étape supplémentaire à la licence de Focus Entertainment et Asobo. Il ne s’agit d’ailleurs par là seulement de gameplay mais bien d’un game design tout entier que Requiem s’applique à reprendre à la lettre dans une continuité un peu triste. Car la qualité d’un système de jeu aura beau être au rendez-vous, si l’affaire n’est pas travaillée en vue d’aller au moins un peu plus loin ou de suggérer des changements un tant soit peu notables, il restera toujours à la fin un sentiment de redite, sinon de frustration. Jouer à Requiem revient donc à jouer à la même chose qu’avec Innocence, à quelques détails près que sont de nouveaux produits alchimiques à employer au combat ou pour résoudre des énigmes, une arbalète pour renouveler un peu la façon d’incarner Amicia et un arbre de compétences automatique et bref, ce qui ne manque pas d’éviter l’écueil d’une trop grosse perte de temps sur ce genre de features. Les compétences ici débloquées le sont à mesure que nous jouons et en fonction de notre style de jeu. Avec trois branches, cet arbre évoluera selon que l’on a plus tendance à jouer offensif, discrètement ou avec un certain sens de l’opportunisme (ce qui se traduit par « utilisez le décor à votre avantage »). Ceci dit, j’ai terminé le jeu en ayant la quasi intégralité de cet arbre acquis, ce qui m’interroge un peu sur sa pertinence. Est-ce parce que j’ai joué de manière assez équilibrée entre ces trois aspects ? Ou bien le jeu arrive-t-il à faire en sorte – sciemment ou non – de tout débloquer quelle que soit notre style manette en mains ? Je ne saurais répondre à cette question avec une certitude inébranlable, aussi je ne vais vraiment m’exprimer que pour moi sur ce point, mais j’ai tout de même le sentiment que cette nouveauté est un peu vaine… Quant au reste des ajouts les plus notables, eh bien, je n’y vois qu’une variante de ce qui existait déjà, l’arbalète ne proposant en définitive qu’une agressivité et surtout une létalité plus prononcée du personnage d’Amicia, laquelle pouvait déjà se montrer bien assez agressive et mortelle avec sa fronde dans le premier épisode (laquelle fait son retour ici, ne l’oublions pas).

Mais au fond, ce qui me chagrine le plus dans ce constat d’une certaine redondance, c’est que cela s’accompagne d’une perte de vitesse en matière d’écriture, en particulier au niveau des deux personnages principaux que sont Amicia et son petit frère Hugo. Alors que Requiem arrive pourtant à construire un récit dans une grande mesure prenant, avec des personnages secondaires plaisants (notamment Arnaud et Sophia), ces deux-là s’enlisent quelque peu dans les écueils propres à une œuvre qui s’enfonce trop dans le pathos. En conséquence, si l’on comprend évidemment sans problème que le poids qui pèse sur leurs épaules est plus que conséquent pour les jeunes gens qu’ils sont, on ne peut s’empêcher de trouver leur composition pénible à la longue. Il n’y a plus de place ici pour la naïveté enfantine d’Hugo ou le côté « grande sœur rassurante » d’Amicia. Ce sont là deux âmes éprouvées plus que de raison qui avancent avec nous et les scénaristes n’ont visiblement pas su comment exprimer cela autrement que par la lamentation constante, la colère omniprésente et déraisonnée, la geinte permanente et le sanglot systématique.

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J’aime beaucoup Amicia et Hugo et je ne manque pas d’empathie à leur égard mais là, c’est trop…

Encore une fois, je n’ai aucun mal à comprendre que ces personnages soient à bout, je le comprends d’autant plus que j’ai vécu les horreurs qu’ils ont traversées auparavant à leurs côtés. Mais en l’occurrence, c’est trop. Il n’y a pas de répit pour ces protagonistes et, en conséquence, il n’y en a pas non plus pour les joueurs et joueuses qui doivent alors souffrir ces plaintes éternelles du début à la fin du jeu. C’est d’autant plus dommage qu’il n’y a pas d’équilibre dans tout cela, le jeu faisant même geindre le pauvre Hugo alors qu’il tape un sprint pour fuir une nuée de rats avec sa sœur qui le tient par la main : il devrait être à bout de souffle le gamin ! C’est intéressant en un sens malgré tout parce que je crois qu’en ce qui me concerne c’est la première fois que la dissonance ludo-narrative m’apparaît clairement comme allant plus dans le sens où c’est l’écriture qui n’arrive pas à coller au style de jeu que l’inverse. Le tout est par ailleurs desservi pas un cast vocal (en VF) qui accentue tout dans une trop grande mesure. La moindre émotion exprimée par Hugo ou Amicia semble exagérément mise en emphase et surjouée de manière à bien nous faire comprendre à quel point tout ceci est terrible. C’est d’ailleurs l’impression qui demeure, quelque temps après la fin de ma partie : qu’on a essayé de me marteler l’ampleur du drame qui se jouait, sans finesse, alors même que la seule arrivée des différentes péripéties était largement suffisante pour m’en faire prendre conscience. Quand nos personnages pataugent dans une mare de boue, de sang et de cadavres avec je ne sais combien de soldats qui veulent les tuer à leurs trousses, il est inutile de leur faire verbaliser l’horreur de la situation, j’ai bien compris que rien n’allait pour eux… Ajoutons enfin à cela que la narration prend le temps, parfois beaucoup trop, et que cela donne au final au récit un air lourdaud, empoté qu’il devient par cet épais pathos.
Tout ceci est franchement dommage, d’autant que l’on ne peut en parallèle que reconnaître une qualité certaine au scénario dans sa construction. Bien qu’un peu convenue, cette dernière offre son lots de moments voulus grands (certains les sont, d’autres manquent de peu de vraiment l’être), sinon de chocs à l’image d’une poignée de séquences prenantes et rudes. Requiem est une épopée louable dans l’ensemble pour son aptitude à créer une tension, à enchaîner les péripéties avec un sens du rythme pas si mal coordonné en dépit de ce frein que représente ce que je viens de mentionner. On a envie de poursuivre l’aventure, de découvrir les secrets et réponses en quête desquels sont partis Amicia, Hugo et leurs camarades d’infortune. Comment enfin ne pas garder en mémoire ce final choc, cette claque que nous donne Requiem en toute fin de partie ? Focus et Asobo avaient visiblement toutes les cartes en main pour livrer un grand récit, dans la continuité de son prédécesseur et même en passe d’emmener la licence vers un nouveau statut. Malheureusement, son envie de trop souligner le dramatique qui plane irrémédiablement sur les héros appesanti l’ensemble et gâche un peu la fresque.

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Sophia figure à mon sens parmi les personnages les plus intéressants de ce nouvel épisode.

Au-delà de ces déceptions de forme, ce qui m’aura le plus décontenancé dans ce jeu se cristallise autour d’un objet – l’arbalète – et de sa conséquence directe : la mort que l’on peut donner. L’arbalète n’a pas le même statut que la fronde du précédent volet. Là où cette dernière était avant tout un outil qui, « en recours désespéré » en quelque sorte, pouvait permettre de tuer, le nouvel item ici mis entre les mains d’Amicia n’a pas d’ambivalence : elle est là pour ôter la vie, point. Elle amène donc une létalité qu’Innocence reléguait tant bien que mal au second plan, privilégiant autant que possible la discrétion et la fuite, le tout en adéquation avec une écriture qui questionnait justement la violence et le fait de donner la mort. Ici, la discussion revient autour de cette problématique, qui est donc régulièrement interrogée en particulier par des échanges parfois houleux entre Amicia et Hugo. La chose se fait alors en premier lieu par le choc autour du fait du tuer un ennemi (comme dans le premier jeu) puis par l’évocation de la responsabilité que cela représente, de qui doit la porter et de comment elle peut engloutir celles et ceux sur qui cette charge pèse, en particulier dans un lien étroit avec la colère et la recherche de vengeance. L’intention est en soi louable puisqu’au-delà du seul cadre du récit, elle permet de questionner la violence dans le jeu vidéo, la façon de la mettre en scène mais aussi de l’imposer ou non aux joueurs et joueuses. Le tout se fait dans une approche qui n’apporte rien de neuf sous le soleil, certes, mais c’est toujours pertinent de poser ce genre de questions.
Néanmoins, on regrettera que le sujet ne soit pas plus profondément abordé qu’il ne l’est. L’on se cantonne en effet ici à des idées du genre « tuer c’est mal mais qu’en est-il quand on n’a pas le choix ? » et autres réflexions sur l’impossible équilibre à trouver entre « tuer ou être tué »… A Plague Tale: Requiem ouvre alors la conversation mais ne la poursuit pas suffisamment, préférant là encore la laisser se faire emporter par la force pathétique (au sens littéraire du terme et non péjoratif) de son récit. Mais surtout, dans la continuité de ces aspects, le jeu instaure très régulièrement une nouvelle dissonance entre ce qu’il dit et ce qu’il fait ou demande de faire. Contrairement à l’exemple que je prenais plus haut, il s’agit bien là d’un décalage de la part du gameplay vis-à-vis d’un propos qui, de son côté, tente de remettre en question le bien-fondé éventuel de ce recours à la violence la plus crue. Car tuer se révèle malheureusement bien vite être la solution la plus simple pour conduire notre progression sans trop d’encombres. Alors on pourra toujours se faire l’avocat du jeu en y voyant une façon de glisser l’idée que, justement, donner la mort est une solution de facilité, ce qui peut être intéressant pour filer le propos et la réflexion autour du sujet. Ceci dit, pour que la pensée arrive au bout de son cheminement, il aurait fallu qu’en contrepartie, l’usage trop prononcé ou fréquent de la violence la plus extrême soit « sanctionné » d’une manière ou d’une autre. Or, rien ne vient dans ce sens. Le seul impact que cela aura portera sur l’avancée de ce fameux arbre de compétences, en débloquant une case plutôt qu’une autre.

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Certains passages du jeu sont d’ailleurs entièrement orientés autour du fait de tuer les ennemis, sans aucune autre option possible.

Au contraire de cette idée de faire passer un quelconque message dans le côté plus ou moins inéluctable d’abattre ses ennemis, Requiem me donne plutôt l’impression que cette létalité ne permet finalement que de contourner les limites de son game design. A mon sens, cet aspect « facile » dans le fait de tuer plutôt que d’éviter est une conséquence indirecte du pan infiltration du jeu, qui ne brille hélas pas pour ce dernier. C’était déjà un peu le cas avec Innocence mais on pouvait le comprendre d’une part comme le signe d’une maturité encore à atteindre sur ce point et d’autre part comme l’expression d’une ambition qui n’est de toute façon pas à 100 % là. Après tout, Asobo et Focus n’ont jamais vendu le premier A Plague Tale comme un pur jeu d’infiltration. En découlait alors, en dépit de la grande présence de cet aspect dans le jeu final, des approximations et déséquilibres que l’on pouvait cependant excuser sans problème. Avec Requiem cependant, je trouve que ce manque de finition pour tout ce qui touche à l’infiltration se ressent beaucoup plus. Lors des phases concernées, on se heurte ainsi régulièrement à des limites bien trop vite atteintes. Le level design n’est pas toujours très inspiré, l’IA des ennemis est mal équilibrée (dans le sens où elle va parfois nous repérer avec l’acuité visuelle d’un aigle et en d’autres occasions ne même pas nous voir alors qu’on se cache derrière un brin d’herbe…), la réponse à l’écran des commandes faites sur la manette n’est pas toujours correctement exécutée… Bref, on n’ira pas glisser Requiem dans la catégorie « bons exemples » en la matière. Le souci, c’est que tout cela arrive après un premier opus qui, lui non plus, ne sublimait pas franchement cet aspect de gameplay. Encore une fois, on pardonnait à Innocence dans le sens où c’était en quelque sorte un premier jet et qu’on ne voyait pas ici l’ambition principale du titre. Avec sa suite en revanche, on commence à s’interroger. Asobo et Focus semblent en effet s’entêter à intégrer l’infiltration comme un élément essentiel du game design de la licence, ce que la grande récurrence des phases concernées ne fait que confirmer. Comment ne pas alors être un peu gêné par l’observation des exacts mêmes problèmes que dans le volet précédent ? Malgré la charge émotionnelle que ces passages apportent (cela reste toujours assez prenant, en accord avec l’aura anxiogène du titre), on regrette que l’exécution ne soit pas meilleure, que ce soit par rapport à la première proposition ou de manière générale.

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Les séquences d’infiltration manquent parfois de la lisibilité pourtant nécessaire pour envisager un cheminement.

On s’interroge alors sur ce que l’on doit en penser. Qu’est-ce qui vient ici rendre l’expérience de l’infiltration moins bonne encore que dans le premier volet ? On pourrait imaginer que le fait que la létalité soit plus présente aura poussé les équipes de développement à apporter moins d’attentions aux systèmes de jeu liés strictement à la discrétion. On pourrait également penser que c’est une manière plus ou moins intentionnelle de nous mettre l’arbalète dans les mains et de nous contraindre en un sens à l’utiliser. Autrement dit, y a-t-il ici une volonté de nous exprimer l’idée que – empêtrés dans leur quête et leur soif de vengeance – la violence est devenue le recours nécessaire et justifié pour Amicia et Hugo ? Cette hypothèse, on a bien envie d’y souscrire lorsque le récit porte parfois cette idée lors de séquences brutales lors desquelles l’un ou l’autre des deux protagonistes (sinon les deux en même temps) perd tout sang-froid et devient une machine à tuer. Malgré cela, je trouve quand même que tout ceci relève plus du défaut de game design que d’autre chose, un décalage entre les objectifs fixés en amont du développement et le résultat final. A l’usage, on s’en sera de toute façon rendu compte : devant un level design pas toujours foufou lors des phases d’infiltrations, devant des ennemis à l’IA un tantinet trop aléatoire dans son jugement, on peine parfois à avancer aussi discrètement qu’on l’aurait souhaité. Et je veux bien admettre que je ne suis pas forcément un champion en la matière, mais je m’en sors en règle générale assez bien, m’amusant même à refaire certaines missions sur des jeux comme Metal Gear Solid V afin de me perfectionner, d’expérimenter et d’améliorer mon score. Mais en l’occurrence, si la violence devient le recours quasi systématique, c’est avant tout parce que le jeu n’arrive pas à formuler sa proposition correctement. Alors c’est plus « facile » oui, c’est moins plaisant que de simplement avancer sans se faire gauler par des gardes, mais on se demande parfois si cette solution n’est pas la plus apte à nous faire franchir ces obstacles beaucoup trop pénibles à la longue.

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A Plague Tale: Requiem est finalement à l’image de ces séquences de fuite : il conduit son (bon) récit tout droit, manque d’une sincère originalité de game design et parle certes bien mais aussi parfois trop, y compris quand ce n’est pas nécessaire.

J’insiste sur ce problème mais il faut reconnaître que sa présence est un écueil pour un titre qui peine par ailleurs à nous investir pleinement dans ses mécaniques de jeu. Parce qu’au-delà de ses errances en la matière, le gameplay de Requiem se montre tout de même assez chiche. D’un classicisme que j’imagine assumé, le jeu n’offre aucune nouveauté qui soit vraiment notable et se répète continuellement dans une boucle de gameplay usée. Ici, la question n’est même plus de dire que telle ou telle chose est mal faite, mal exécutée, mais bien de regretter l’absence flagrante d’une quelconque ambition supplémentaire en la matière. On joue à A Plague Tale: Requiem en mode automatique, sans même vraiment réfléchir à ce que l’on fait tant tout semble déjà trop vu ailleurs.
Pour cela, Requiem pose finalement la question de savoir ce qu’il veut être. Un jeu ? Une expérience narrative ? Un coup de coude au cinéma ? Le titre semble vouloir être tout cela à la fois mais se perd régulièrement en chemin, la faute à une incapacité à trouver le juste équilibre entre ces multiples ambitions. En découle un game desing qui se retrouve relégué au second plan derrière des intentions narratives fortes et qui, par conséquent, manque d’intérêt. Il n’est plus qu’un outil au service du récit. Cela pourrait très bien ne pas être un problème et l’on a vu plein d’expériences où le ludique faisait preuve d’une élégante discrétion pour n’être que le support parfait d’une histoire à mettre en valeur (What Remains of Edith Finch par exemple ou The Stillness of the Wind...). Mais dans le cas présent, on sent bien qu’il y a tout de même l’intention d’offrir du jeu à proprement parler. Et ce Requiem de souffrir d’un déséquilibre notable, ne sachant plus sur quel pied danser. Au final on comprendra tout de même qu’il a fait son choix, consciemment ou non. Celui d’offrir une histoire forte et marquante. En partie relevé (l’histoire est bel et bien marquante mais son écriture un peu trop lourde), la réussite de ce pari ne se sera faite en définitive que sur le sacrifice d’une dimension ludique pure qui n’a pas su trouver sa place dans l’équation.

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Sans doute suis-je un peu sévère avec A Plague Tale: Requiem. Après tout, la nouvelle production de Focus et Asobo n’est pas à proprement parler un mauvais jeu. Mais comment ne pas être déçu ? En dépit des qualités qui sont les siennes et que je ne veux absolument pas nier (scénario, visuel…), le titre manque le coche sur trop d’aspects pour être reconnu comme une véritable réussite. Le souci vient finalement plus du fait qu’il n’arrive pas à surpasser clairement son prédécesseur et à emmener la licence vers de nouveaux sommets que de véritables failles qui lui seraient inhérentes. Requiem souffre en définitive plus d’ambitions qu’il n’a pas su sélectionner avec plus de pertinence afin de leur apporter le soin nécessaire. Le jeu pèche peut-être un peu par orgueil finalement et si l’aventure restera en mémoire, notamment avec ce cresdendo final qui amène l’histoire vers un final plus que marquant, on ne saurait en dire autant du game design, lequel demandera à être renouvelé si suite il devait y avoir.

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