Cette semaine, on va parler bons sentiments ici. Pour cela, on va revenir sur Unpacking, petit jeu indé australien qui a pas mal fait parler au moment de sa sortie et qui a su trouver une résonnance étonnante chez beaucoup de monde, pour ce que j’en avais lu jusque là. De mon côté, n’y voyant bêtement qu’un petit titre d’une poignée d’heures, je l’ai sans cesse remis à plus tard. Et plus tard, ce fut ce mois de Mars et au moment où je vous écris cette introduction, je regrette surtout de m’y être intéressé aussi tardivement ! Vous allez le voir, Unpacking m’a séduit de bout en bout. Mais il va surtout être l’occasion de parler de wholesome games et de narration environnementale.

J’allais dire qu’il était sorti l’an dernier mais c’est que j’oublie encore régulièrement que nous sommes en 2023. Paru en 2021 donc, Unpacking a tout pour donner le sentiment de faire partie de cette génération de jeux – le plus souvent indés – où prime une approche faite de douceur. Les wholesome games les appelle-t-on en anglais, soit les jeux bienveillants. C’est vrai qu’ils sont nombreux ceux-là depuis une poignée d’années. Loin des AAA toujours plus aventureux, toujours plus bourrés d’action, toujours plus grandiloquents, cinématographiques et tout ce que vous voulez, ces jeux-là visent un public qui recherche avant tout le calme, le délassement… Il en existe de toutes sortes. Des jeux de promenade (A Short Hike), des jeux de sport (Lonely Mountains: Downhill), des city builder (Dorfromantik), des jeux de simulation (Lake) ou des jeux à plus gros budget même, sortant volontiers du carcan indé (Animal Crossing).
Ce qui est étonnant c’est que le wholesome game voit sa frontière qui le sépare du jeu dit « indéprimant » parfois assez fine, voire inexistante. Après tout, ne faut-il pas un peu de déprime quelque part pour avoir besoin de cette bienveillance et de ce réconfort que ces titres nous proposent dans leur grand nombre ? C’est souvent (mais pas systématiquement) que ces softs mettent en scène un personnage dont l’un des principaux traits d’écriture sera un problème, qu’il s’agisse d’un sentiment d’abandon, de solitude ou tout autre élément de ce type. Et c’est alors en pavant le parcours de ce personnage au sein du jeu de rencontres bienveillantes, vouées à apporter une sérénité recherchée, que le jeu devient wholesome.

Derrière ses aspects compétitifs, Little Mountains: Downhill est avant tout une invitation à profiter du paysage et de la descente
En cela, les wholesome games se mettent par essence le plus souvent en contradiction avec les thèmes les plus en vue de l’industrie actuelle. Il n’est pas question de gagner la guerre ou d’obtenir vengeance ici. Nulle recherche d’un énième combat entre le bien et le mal ou d’une compétition acharnée quelconque. Si ces éléments existent dans le corps de certains jeux wholesome, il n’en constituent jamais la véritable ligne directrice, l’objectif demeurant la quête du bien-être, pour le personnage comme pour la personne qui tient la manette. Lonely Mountains: Downhill, de Thunderful et que je mentionnais plus haut, est par exemple un titre qui fixe effectivement des objectifs de temps et de score mais dont le principe fondateur repose essentiellement sur le plaisir pris à descendre ces montagnes en VTT tout en profitant d’une ambiance sonore épurée : pas de musique, seulement le bruit du vent, des oiseaux, des cours et chutes d’eau ou encore des cloches qui tintent aux cous de vaches qu’on devine dans les pâturages environnants. Ce qui est intéressant également avec les jeux de ce type, c’est qu’ils sont devenus si présents dans les shops qu’ils ont même désormais droit à une émission dédiée lors de l’annuel tunnel de conférences visant à annoncer les nouveaux vidéoludiques à venir. Né sur les cendres encore fumantes d’un E3 qu’on ne reverra certainement plus jamais sous la forme qu’on a connue (Xbox, Nintendo et Sony ont tous trois confirmé qu’ils n’y participeraient pas en 2023…), ce long segment estival voit se cumuler les vidéos de présentations et, au milieu de celles-ci, le Wholesome Direct tout entier tourné vers cette frange si spécifique de la scène indé. Bon, passons sur la manière dont l’événement est tenu (on se souvient encore du caractère plus qu’indigeste de la dernière édition, finalement dans un contre-sens total) mais gardons tout de même en tête que jamais cet event n’aurait vu le jour si les wholesome games n’avaient pas gagné en notoriété au cours des dernières années.

L’histoire des wholesome games ne date pourtant pas d’hier et il serait assez facile de remonter au moins aux années 2010 pour en dater le début de la mouvance (même si certains titres plus anciens s’inscrivent déjà dans cette vision des choses). Evidemment, difficile de ne pas penser ici aux productions de Jenova Chen, à commencer par FlOw puis Flower, respectivement en 2006 (en Flash, puis l’année suivante sur PS3) et 2009. Enfin, c’est surtout Journey qui revient en tête assez aisément à cet instant, pour sa proposition où la singularité de l’expérience sur le plan émotionnel prenait radicalement le pas sur les aspects les plus techniques du jeu, notamment sur ce gameplay qui se révélait volontiers minimaliste. Alors bien sûr, wholesome, Journey ne l’était sans doute pas de bout en bout. S’il peut prétendre à cette « classification » par son ambiance générale, elle aussi minimaliste mais avant tout poétique, c’est certainement la fin de l’aventure qui s’en approche le plus. Mais passons, là n’est pas le sujet. Le fait est que les jeux de ce type ont peu à peu fait leur renom au cours de la décennie écoulée. Là où le AAA flirtait de plus en plus avec le cinéma pour offrir de grandes aventures bourrées d’action dans des environnements sans cesse plus vastes, décapant parfois une certaine part d’humanité et de naturel dans les productions concernées, le jeu indé s’est très rapidement composé en réaction à ce mouvement général.
Oh bien entendu, toute la scène indépendante n’a pas cherché à aller dans ce sens et certains des grands succès indés des années 2010 sont tout sauf wholesome (on pense à Super Meat Boy, Hotline Miami ou The Binding of Isaac, pour ne citer que ceux-là). Mais la mouvance s’est peu à peu affirmée, allant même jusqu’à se décliner en un horizon de possibilités, interrogeant en définitive – avant même qu’on les appelle comme cela – ce qui pouvait faire un jeu wholesome ou non. S’agit-il d’épurer le game design pour ne conserver qu’une approche thématique et émotionnelle donnée ? Est-ce un soin particulier à apporter à l’écriture uniquement ou bien le gameplay a-t-il également sa part à jouer ? Et aussi, faut-il être indé pour être wholesome ? Je ne chercherai pas ici à répondre à toutes ces questions car ce n’est pas l’intention de cet article (nous arrivons à Unpacking d’ailleurs, rassurez-vous) mais j’avais envie de conclure cette « introduction aux wholesome games » sur le rappel que le spectre dans lequel ces derniers se rassemblent est en réalité très large. Par leur tranquillité d’esprit, Stardew Valley ou Animal Crossing sont de ceux-là. Plus engagé et exigeant dans son gameplay, Celeste l’est tout autant par la force thématique qui est la sienne. N’étant pas l’apanage que de la scène indépendante, même le récent New Pokémon Snap peut être vu comme wholesome après tout ! Puis vient enfin Unpacking. Or, le jeu des Australiens de Witch Beam constitue à lui seul une réponse supplémentaire.

Pour la partie d’entre vous qui ne saurait pas encore ce qu’est Unpacking, quelques présentations s’imposent. Il s’agit d’un titre développé comme je le disais juste au-dessus par l’équipe de Witch Beam, et en particulier Wren Brier, qui eut l’idée du jeu en emménageant avec son compagnon Tim Dawson, lui-même co-directeur du petit studio de Brisbane. Annoncé durant l’été 2021 et sorti au mois de Novembre suivant, le titre se présente tout bonnement comme un « jeu de déballage ». Reposant sur un game design qui nous fait penser qu’il porte finalement très bien son nom, il ne nous demandera en effet qu’une chose : sortir des objets de cartons pour mieux les disposer dans les pièces que nous traverserons. Puzzle game assez tranquille, Unpacking se compose donc en une succession de niveaux qui sont autant de logements dans lesquels il va falloir déposer bibelots, ustensiles, livres et autres jeux vidéo dans les placards et sur les étagères à notre disposition.
Pas de score, pas de temps imparti, pas vraiment de bonnes façons de faire (même si le jeu vous reprendra si vous laissez le dentifrice dans la cuisine ou le salon), Unpacking se révèle assez libre dans la manière de le finir. Si vous prenez la cuisine par exemple, il n’a pas eu la bêtise de désigner une étagère bien précise comme celle où vous devez absolument ranger les assiettes et laisse donc un choix assez large aux joueurs et joueuses pour aménager tout cela à leur sauce. Dès lors, le titre répond à l’un des critères – multiples et mouvants – des wholesome games : il nous laisse faire. D’entrée de jeu, il n’a de toute façon aucune envie de nous prendre la main. Au premier niveau, composé uniquement d’une chambre d’enfant, nous nous retrouvons face à la pièce et aux cartons qui nous y attendent et c’est à nous d’y aller à l’instinct pour deviner comment tout cela fonctionne. Fort heureusement, l’équipe de Witch Beam a bien entendu pensé son gameplay de manière à répondre à cette instinctivité. Si quelques commandes apparaissent à l’écran pour quand même filer un tuyau (quel bouton pour tourner un objet par exemple, ce genre de choses), c’est toujours très discret, anecdotique et finalement très peu dirigiste, à l’image du jeu dans son ensemble.
Les niveaux s’enchaînent ainsi, sans véritable pression. Au nombre de huit, ils nous emmènent dans différents environnements domestiques, multiplient les pièces disponibles pour mieux en réduire le nombre par moments. En effet, s’il s’agira d’abord d’aménager une chambre, ce sera plus tard toute une maison qui sera à notre disposition pour déposer les affaires de notre personnage. Un personnage que nous ne voyons d’ailleurs jamais, dont nous ne savons rien de prime abord et qui ne se révélera jamais au-delà de ses seules affaires et d’une poignée de mots. Ceux-là sont rares et rédigés dans un album photo dont l’apparition vient conclure chaque niveau avec une photo de la dernière pièce que nous venons d’aménager. Il n’y a pas de narration au sens classique du terme dans Unpacking, le jeu ne se racontant finalement qu’à travers ce que nous découvrons dans les cartons que nous déballons. Mais nous y reviendrons…
En attendant, retenons surtout ceci : Unpacking est un titre sacrément efficace dans sa proposition. Il l’est car son game design est d’une simplicité désarmante, parce que son gameplay permet de l’exécuter à merveille et enfin parce que son ambiance est d’une douceur incroyable. La musique n’est jamais envahissante même si elle se répète en boucle au cours d’un même niveau. Les morceaux ayant une durée définie, on n’a potentiellement pas encore terminé notre aménagement que la piste est quant à elle déjà arrivée à son terme. La musique a alors l’élégance de se mettre en retrait, d’offrir un instant de silence aux joueurs et joueuses avant de reprendre de plus belle. En cela, Unpacking jouit de respirations très appréciables, rendant l’expérience toujours plus chill.
Cet aspect serein se retrouve également dans ce pixel art léché et joliment détaillé, conférant au jeu un rendu visuel d’une grande douceur. Ajoutez à cela un travail sur le son tout à fait louable et vous obtenez un jeu qui délasse, tout bonnement. Avec une banque de sons exceptionnelle (plus de 14 000 !), l’équipe derrière Unpacking et en particulier son directeur audio Jeff van Dyck ont réalisé un travail considérable, pour ne pas dire colossal. Chaque pose d’un objet donné à un emplacement donné sera accompagné du son que cela produirait en vrai. Un souci de réalisme qui apporte au titre un sacré naturel, renforçant un peu plus le sentiment d’être véritablement dans la pièce concernée à défaire les cartons entassés çà et là.

C’est sans doute là qu’Unpacking réussit son meilleur coup, dans cette capacité à nous transporter dans la réalité de ces chambres, salons et autres salles de bain où nous déposons les affaires de ce personnage qu’on ne voit jamais mais qu’on apprend à connaître et même à aimer malgré tout. On s’est attaché à l’enfant que ce fut, on a aimé voir le passage par l’adolescence et l’on a compati dans les moments les moins drôles de cette vie d’adulte. Car bien que taiseux, Unpacking dit beaucoup de choses. Une idée qui sort tout droit de la tête de Wren Brier justement qui, en déballant ses propres cartons au moment d’emménager avec son compagnon, s’est rendue compte que l’on pouvait apprendre beaucoup de choses sur une personne en ouvrant ainsi ces boites, sans forcément savoir ce qui se trouve à l’intérieur et en en découvrant le contenu petit à petit. Il est vrai que nos biens racontent beaucoup de choses sur nous. Entrez dans le salon d’une personne que vous ne connaissez pas encore bien, observez ses étagères et vous apprendrez déjà bon nombre d’informations sur ce qu’elle aime, ce qu’elle a vécu, ce qui la fait rêver même parfois. Unpacking repose tout entier sur ce principe, celui d’une découverte silencieuse par les biens. En conséquence, le game design repose quant à lui sur un élément d’une importance rare : la narration environnementale.
Comme son nom l’indique plutôt bien selon moi, la narration environnementale consiste à raconter les choses par le biais de ce qui entoure le personnage. Le décor, ce qui le constitue et ce qui s’y trouve deviennent alors des points d’intérêt visant à dévoiler des choses. Bien souvent, la narration environnementale vient en grande partie participer à la construction d’un passé qu’on devine, comme c’est le cas par exemple dans Breath of the Wild. Dans ce Zelda de 2017, nombre de détails viennent émailler la carte du jeu pour donner une idée de ce qui a pu se passer durant le siècle au cours duquel Link est resté en sommeil. Suggérant plus que ne racontant vraiment, ce sont alors des ruines, des fresques ou même une géographie qui viennent étayer l’univers, le rendre dense, riche et plus complet qu’il n’y paraît de prime abord. Nintendo aura même su employer cet aspect pour développer le lore de son jeu au-delà même de ce dernier afin de l’inclure dans la saga dans son ensemble. Les ruines du Ranch Lon Lon viennent en effet directement relier Breath of the Wild à l’illustre Ocarina of Time paru près de 20 ans plus tôt sur Nintendo 64 et qui intégrait le premier ce lieu.
Mais la narration environnementale ne vient pas seulement détailler le passif de l’univers dans lequel se déroule notre jeu. Elle peut en effet totalement s’inscrire dans le présent comme c’est le cas dans la récente trilogie Hitman (n’ayant pas joué aux précédents, je me contente d’évoquer ceux-ci). Dans les trois opus parus entre 2016 et 2021, chaque lieu de mission regorge de détails qui viennent amplement compléter les informations dont nous disposons en amont. Un bureau, une chambre ou même un vestiaire seront tout autant d’espaces dans lesquels dénicher des renseignements utiles non seulement à la compréhension de la situation mais également à tout ce qui va toucher à notre cible. Rappelons que Hitman est un jeu d’infiltration et d’assassinat, dont l’objet principal est donc de venir à bout d’un personnage donné. Chaque mission apportera son lot de détails en guise de briefing mais c’est en explorant un peu les bacs à sable que représentent chaque niveau que l’on arrivera à deviner toujours plus de choses utiles à l’exécution de la mission et donc de la cible visée. Dans ce cas particulier, la narration environnementale joue finalement un double rôle. Car si elle permet de développer un peu l’univers fictionnel dans lequel se déroulent ces trois Hitman, elle permet surtout d’envisager des cheminements différents en vue d’accomplir les tâches données. Elle devient alors un pur ingrédient de game design dans ce sens où elle contribue en grande partie à la rejouabilité du titre, dont les différents challenges appellent de toute façon à répéter les niveaux pour en découvrir autant d’aspects que possible.

A mon sens, la narration par l’environnement est une chose particulièrement intéressante à utiliser dans un jeu. Qu’il s’agisse de simplement raconter quelque chose « hors texte » ou bien de l’intégrer pleinement dans le corps du game design, c’est de mon point de vue une approche de l’écriture qui est à privilégier. Elle l’est d’autant plus que nous avons vu depuis les années 2000 notamment nombre de titres qui ont cherché à développer leurs univers au-delà du seul scénario mais qui l’ont fait avec des moyens moins fins que cela. Je pense aux jeux qui multiplient à outrance les codex divers et variés, les écrits à cumuler ou les fameux audiologs si prisés. Sans aller jusqu’à dire qu’il y a une bonne et une mauvaise façon de faire, ces derniers exemples s’apparentent tout de même pour moi au deuxième cas.
La ressortie récente de Metroid Prime sur Switch me l’a par exemple rappelé avec ces nombreuses données à analyser pour remplir une espèce d’encyclopédie interne à laquelle on finira par ne plus s’intéresser en raison de la nécessité de mettre le jeu en pause pour pouvoir consulter tout cela. La rythmique générale s’en trouve alors hachée, au grand dam d’un titre qui, déjà en 2002, se voulait dynamique pour renouveler un peu l’approche de la série. Le cas de The Callisto Protocol fin 2022 n’aura également échappé à personne avec ses bandes audios qui exigent là encore de mettre le jeu en pause pour pouvoir les écouter… Ceci dit, je me souviens également des cassettes de Metal Gear Solid V, excessivement nombreuses, verbeuses et au contenu aussi varié qu’inégal. Si l’on pouvait certes les écouter librement tout en poursuivant sa progression, il était rare de pouvoir les écouter d’une traite (sinon de les écouter toutes), hormis sur la Mother Base éventuellement.
Pour en revenir à Unpacking, le jeu australien se cale quant à lui dans une optique qui lui serait presque propre en ce sens que la narration environnementale est la seule qui prévaut ici. Nul personnage ne vient en effet raconter des événements, aucun dialogue quel qu’il soit n’accompagne le jeu, aucun récit dans une forme classique n’est proposé. Taiseux comme je le disais plus haut, Unpacking fait le choix de se raconter par son gameplay. Ce sont les objets que nous sortons des cartons qui vont présenter notre personnage, son évolution et enfin son parcours de vie. Au tout début du jeu, tout juste savons nous qu’il s’agit là d’un enfant. Si l’on peut deviner vite fait s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille, rien ne nous sera confirmé avant ce niveau où, au détour de l’aménagement d’une salle de bain, nous nous retrouvons à ranger des éléments qui aiguillent beaucoup plus sur cette question. Evidemment, je ne vous dirai pas ce dont il s’agit, me doutant que parmi mon lectorat il y en a qui n’ont pas encore joué à ce soft. Je ne dis rien parce qu’il me semble par ailleurs essentiel de rentrer pour la première fois dans Unpacking absolument vierge de toute information concernant ce personnage que l’on accompagne. C’est en effet en apprenant à le découvrir (« le » pour « le personnage », n’y voyez pas un indice) en déballant ses affaires que l’on développe peu à peu un attachement à son égard. Il suffira d’un objet particulier, renvoyant peut-être à notre propre vécu, pour construire cette relation étonnante et singulière entre nous et cet autre qui se dévoile progressivement.
Et c’est à mesure que l’on en apprend davantage sur le protagoniste que va se renforcer notre attachement et, avec lui en droite ligne, notre investissement dans le jeu et dans le sentiment développé via ce qu’il nous donne à faire. Que je m’explique, en essayant de ne pas trop en révéler… Alors que les premiers niveaux nous montrent une évolution assez douce du personnage, de l’enfance jusqu’au début de l’âge adulte, vient à un moment un passage où les choses se corsent sur le strict plan du gameplay. Un niveau où, en raison d’un manque de place, on commence à se demander ce qu’on peut bien faire de tous ces trucs qui se sont accumulés dans les cartons jusqu’ici. Au cours de ce chapitre du jeu, on en vient à ressentir quelque chose de nouveau, une sorte d’agacement. Mais le plus fort de la chose viendra lorsque l’on réalisera que ce n’est pas du tout à l’encontre du jeu en lui-même que l’on ressent cela mais bien à l’encontre des éléments qui expliquent ce manque de place. Or, ces éléments ne nous sont induits que par cette fameuse narration environnementale. Pour vous dire les choses telles quelles, je me suis retrouvé ici à la fois presque en colère contre un autre personnage que je ne connaissais pas et plein d’empathie à l’égard de celui que je suivais depuis le début du jeu.
Par la seule intelligence de son game design, de son gameplay et de son style de narration particulier, Unpacking a réussi à me dire des choses et m’en faire ressentir certaines sans un seul mot. Il n’a fait que me faire jouer et c’est l’expérience ludique elle-même qui a été le ressort de ces émotions précises. C’est à ce moment exact que je me suis rendu compte de la réussite du titre. Car qu’est-ce qui peut mieux être qualifié de réussite qu’un jeu qui arrive à autant m’impliquer dans ce qu’il donne à voir tout en reposant sur des ingrédients de game design aussi minimalistes ? La suite de l’aventure me donnera raison dans le sens où chaque nouveau chapitre à compter de celui-ci aura été une occasion supplémentaire de voir de nouvelles émotions m’envahir avec élégance. La disparition de certains objets, le retour d’autres et l’arrivée de nouveaux auront été autant de moments où Unpacking a su me dire quelque chose, me raconter un bout de vie avec une tendresse et une délicatesse sur lesquelles on n’insistera jamais assez. Tout cela jusqu’à ce final d’une douceur idéale.
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Au fond, je me dis qu’Unpacking est à l’image de ce qu’il raconte et met en scène. C’est ce petit truc calé au fond du carton (en l’occurrence le Gamepass en ce qui me concerne) et dont on aurait presque oublié l’existence si on ne s’était pas mis à fouiller un peu. Et au moment de nous arriver dans les mains, c’est l’heureuse surprise d’un jeu bien plus réussi qu’attendu, touchant à souhait et qu’on a envie de poser sur la meilleure des étagères. Fier représentant du courant wholesome qui anime si gaiment la scène indépendante, Unpacking est aussi et surtout doté d’une intelligence remarquable dans sa conception-même. Son game design trouve une résonnance dans chaque instant de jeu et arrive à rendre les mots caducs quand de simples bibelots qu’on installe arrivent à dire tant en silence. Par réflexe, pour libérer de la place sur ma console, j’ai désinstallé le jeu peu après l’avoir terminé. Je sais qu’il sera de retour dans ma ludothèque très rapidement.
