Il aura fallu deux ingrédients pour me pousser à démarrer une nouvelle série. Lassé par ce format dans lequel je peine de plus en plus à y trouver de l’intérêt, je ne me lance plus que rarement dans de nouvelles productions télévisuelles, les dernières en date qui m’ont attiré étant les quelques unes de Marvel disponibles sur Disney+ et contre lesquelles je suis désormais vacciné. Il n’était donc pas gagné que le sujet du jour soit une série. Mais d’abord, il y a le fait qu’elle ne compte que trois épisodes. Certes longs (entre 2h20 et 3h) mais néanmoins trois uniquement. Et ensuite, il y a son sujet : les Beatles et l’enregistrement de leur album Let It Be.


Avertissement : cet article contient un petit nombre de révélations sur ce qui peut être montré ou dit dans le documentaire. Si vous souhaitez regarder Get Back, je vous invite donc à revenir lire tout ceci ensuite.


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C’est un sacré chantier dans lequel Peter Jackson s’est lancé. Le cinéaste, connu et reconnu pour les films de genre de ses débuts mais aussi et surtout pour son portage du Seigneur des Anneaux sur grand écran, a en effet décidé de plonger dans les 60 heures et quelques d’images et plus de 150 heures de bandes audio issues du projet initial des Beatles : filmer l’enregistrement d’un album avec, comme point d’orgue, un concert en public et télévisé.

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Michael Lindsay-Hogg aux côtés de Ringo Starr dans les studios d’Apple en 1969

A l’époque (comprenez en 1969), c’est Michael Lindsay-Hogg qui se charge de tourner tout cela. Proche des Beatles, il a déjà collaboré à de multiples reprises avec le groupe, réalisant notamment plusieurs clips dont ceux de Paperback WriterHey Jude ou encore Revolution. En résultera un film, sobrement intitulé Let It Be et sorti en 1970 dans la foulée de l’album. Pendant longtemps et pour tout dire jusqu’à la diffusion de la version de Peter Jackson, le film Let It Be aura fait figure de bible pour décrire la façon dont l’enregistrement de ce disque, le dernier que les Beatles ont sorti, s’est déroulé. De cette plongée dans le quotidien du groupe ressortait alors une ambiance maussade, pour ne pas dire sinistre, et Let It Be se voulait finalement chronique de la fin progressive et inéluctable d’un groupe parmi les plus importants du XXème siècle.

Cela étant, à mesure que les années ont passé, bien des témoignages ont fini par remettre en question cette vision des choses. Alors que l’on nous aura répété ad nauseam que chacun des Fab Four souhaitait que le groupe s’arrête, que personne n’a lutté pour le maintenir en vie ou encore que Yoko Ono aurait été la cause principale de leur séparation, les Beatles eux-mêmes – dans diverses interviews au fil des ans – ou encore différents observateurs auront eu le loisir de peu à peu tordre cette réalité pour en livrer un visage autre. Récemment, on se souvient par exemple de ces enregistrements longtemps restés inédits et dans lesquels nous entendions une réunion des Beatles peu avant leur séparation et où chacun – notamment Lennon – exprimait son opinion quant à l’avenir du groupe, un nouvel album (après Abbey Road et Let It Be) étant même envisagé. Bien sûr, l’histoire nous aura appris que tout ceci fut bien vain, les Beatles mettant quand même fin à leur aventure dès l’automne 1969 avec le départ définitif de John avant d’officialiser tout cela au printemps suivant. Mais ceci aura tout de même été une pierre de plus à l’édifice visant à révéler une vision des choses bien moins sombre que l’on n’aurait pu le croire.

Conscient que la vérité reste encore à établir, Peter Jackson se sera donc lancé dans le visionnage des rushes de l’époque et aura cherché à en extraire ce qui lui semblait le mieux coller à l’atmosphère qui régnait véritablement autour de ces sessions d’enregistrement de Janvier 1969. Cette fouille archéologique, Jackson n’en est cependant pas réellement l’instigateur puisque c’est Jeff Jones (directeur général d’Apple Corps, la compagnie fondée par les Beatles, pas celle de Steve Jobs) qui contacte dans un premier temps le réalisateur courant 2016-2017 (peut-être plus tôt) pour lui proposer l’affaire. Le cinéaste néo-zélandais ne se sera pas spécialement fait prier et aura donc eu le plaisir de découvrir toutes ces bandes, de les remastériser et d’en réaliser un tri afin de trouver ce qui lui convenait le mieux pour, en quelque sorte, rétablir les faits tels qu’ils se sont déroulés.

Côté public, le chantier n’aura été révélé qu’en 2019. Dès lors, les promesses s’enchaînent : présenter les sessions du projet Get Back sous un nouveau jour, inclure l’intégralité du célèbre concert sur le toit du 30 Janvier 1969, composer un documentaire en trois parties mais qui durerait entre 6 et 8 heures au total ! Si l’on pouvait être circonspects de prime abord, la bande-annonce dévoilée en Décembre 2020 aura permis à la fois de rassurer et de décupler tout l’intérêt que l’on pouvait porter au projet.

D’ailleurs, comme le précise Peter Jackson en ouverture de cette vidéo, plus que d’une bande-annonce en bonne et due forme, il s’agissait plutôt d’un avant-goût, d’un moyen de décrire l’ambiance et l’énergie censées se dégager de sa version du documentaire. Et quelle claque déjà devant ces quelques instants. Tout y est : les sourires, la bonne humeur, la folie, les blagues… Le fan des Beatles que je suis bout d’impatience dès lors. Get Back s’annonce grandiose et le second « avant-goût » ultérieurement diffusé ne fait que confirmer cet a priori. Nulle surprise donc à ce que je me sois jeté sur ces trois épisodes dès leur parution sur Disney+, il y a quelques jours seulement.

Ce qui sautera aux yeux très rapidement lorsque l’on commence à regarder Get Back, c’est que si l’objet peut se voir coller l’étiquette de documentaire pour sa façon de nous raconter des événements réels, le tout prend une forme qui s’en détache peu ou prou. Nul narrateur, hormis lors d’une poignée d’encarts textuels visant à contextualiser les choses ou à raconter du hors-champ, ne viendra ainsi émailler la mini-série, aucun témoignage face caméra non plus. Personne ne vient prendre la parole au-delà de ce qui s’est dit à l’époque et que les bandes nous livrent sans filtre.

Par la proximité que cette approche installe de factoGet Back s’apparenterait presque à une forme saine de télé-réalité. On s’imagine aisément, le temps du visionnage, assister à quelque chose de très actuel, de proche de nous. Nous y suivons, comme attendu, les Beatles et leur entourage au quotidien dans leur processus créatif. Evidemment, tout cela nous renvoie directement au film originel, Let It Be, lequel optait pour la même façon de faire. Difficile de toute façon de composer autrement. D’abord parce que le support visuel et sonore demeure le même mais aussi et surtout parce que si c’est la recherche de sincérité qui guide ce nouveau projet, pouvait-on envisager une autre réalisation ? Quoi de plus sincère en effet que les mots dits par les Beatles eux-mêmes, que leurs décisions et leurs gestes retranscrits à l’écran sans analyse tierce, sans commentaire futile ? Ces quatre caractères si forts n’ont de toute façon jamais eu besoin de personne pour s’exprimer mieux qu’ils ne le faisaient naturellement.

En choisissant de livrer ainsi les enregistrements sans ajouts superflus, Peter Jackson permet à son Get Back de devenir un véritable témoignage venu tout droit de Janvier 1969, plutôt que d’en faire un document inutilement tiraillé entre l’envie de montrer et celle de commenter, sinon d’expliquer. Les trois épisodes se suivent alors comme un reportage animalier ou tout autre intervenant que ceux déjà présents à l’époque se fait silencieux pour mieux laisser parler la nature des personnages qui se croisent devant nos yeux. Du trop grand et trop froid studio de tournage de Twickenham (où devait avoir lieu le concert initialement prévu) au confort des locaux d’Apple, nous suivons cette aventure avec passion, invités par la force des choses à nous faire spectateurs attentifs au moindre mot prononcé, à la moindre note jouée, dans une proximité avec les musiciens sans nulle autre pareille.

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Les larmes de Paul sont emblématiques des tourments d’alors du groupe mais elles ne sont qu’une facette de cette période

Bien des ingrédients font que la recette de ce documentaire fonctionne aussi bien, l’un d’entre eux étant la réalisation de Peter Jackson. Dans une chronologie respectueuse des événements, les séquences s’enchaînent avec un naturel déconcertant et l’on s’imagine encore et toujours sans aucun problème vivre ces semaines comme si on y était. Le cinéaste réussit en quelque sorte un joli tour de force en se réappropriant les images tournées par Michael Lindsay-Hogg et en en offrant un montage neuf et radicalement différent. Cette nouvelle « mise en scène » interroge d’ailleurs encore plus que ce n’était le cas le rendu que le réalisateur d’origine avait proposé avec son Let It Be.

Comment diable Lindsay-Hogg a-t-il pu dresser un tableau si sombre sur moins d’une heure et demie alors qu’il avait cette montagne de rushes sous la main ? On pourra toujours arguer qu’en vivant les choses au plus près avec son équipe de tournage, le monsieur aura gardé un souvenir plus morose de ces sessions, lequel transparaîtrait alors dans son propre montage final. Nul doute que d’assister à ces événements complexes et en partie vains a pu laisser une marque sur celles et ceux qui les ont vécu aux premières loges. Si j’emploie le terme « vain », c’est essentiellement parce que ce projet Get Back voulu par les Beatles aura donc été tumultueux – comme le film le laisse voir malgré tout – et sera même un temps remisé au placard, le groupe s’attelant plutôt à l’enregistrement d’Abbey Road au printemps 1969.

On pourra donc toujours accorder un certain crédit à la vision rendue par Lindsay-Hogg en ce sens qu’elle est très certainement influencée par la proximité temporelle de ces péripéties ainsi que par leur exigence sur le plan personnel et moral. On voit d’ailleurs assez nettement la façon dont le réalisateur semble ressentir une pression palpable en certaines occasions du documentaire de Jackson, laquelle rejaillit par ailleurs sur les quatre musiciens et contribue en partie à cette atmosphère pesante qui plane, toujours en dépit des moments plus agréables que cette nouvelle version donne à voir.

Du reste, le tour de force de Peter Jackson ne doit pas être minimisé pour autant. Riche d’un recul que Lindsay-Hogg n’avait peut-être pas pu acquérir en si peu de temps, le voilà qui compose une épopée plus dense, plus objective aussi sans doute, et je ne peux pas m’empêcher de croire que si telle est sa teneur, c’est aussi parce qu’elle sort grosso modo un demi-siècle après que tout ceci se soit déroulé. Ce recul se ressent dans chaque séquence du documentaire par la manière dont celui-ci prend le temps de raconter les choses, de présenter chaque journée de ces sessions avec l’envie d’en extraire tout le jus.

Pour ce faire, la réalisation de Peter Jackson s’accompagne notamment d’une forme de minimalisme, n’ajoutant aux images d’époque que quelques atours dont cet habillage ponctuel en forme de calendrier qui permettra de conserver une vue d’ensemble sur le planning général et dans les cases duquel sont annotées les principales étapes du projet : début, fin, date de l’émission, du concert sur le toit… Tel un véritable journal de bord, la mini-série passe alors d’un jour à l’autre sans discontinuer, n’interrompant que rarement le flot des événements. Aux bandes de Lindsay-Hogg, Jackson n’ajoute presque rien si ce n’est une poignée d’images d’archives antérieures encore à ce mois de Janvier 1969 et qui tombent à point nommé pour illustrer une discussion entre les Beatles sur leur périple en Inde, quelque temps plus tôt.

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Peter Jackson se veut finalement moins narrateur que passeur d’une histoire

C’est un aspect pour lequel Get Back peut être complimenté d’ailleurs : il se concentre sur ce qu’il a à raconter et ne s’encombre jamais de choses superflues. Là où d’autres auraient peut-être essayé de sans cesse compléter par des commentaires ou des précisions plus ou moins pertinentes, Jackson se contente quant à lui de raconter une histoire déjà bien assez dense pour qu’on ne s’embête pas à y adjoindre de quelconques détails. Lorsque la chose sera faite cependant, ce sera d’une part assez rare pour ne pas alourdir le résultat final, et d’autre part ce sera également toujours dans le seul et unique but d’apporter une précision utile – pour ne pas dire nécessaire – à la compréhension d’une discussion ou d’une anecdote entendue.

En définitive, seul le début du premier épisode insistera sur l’avant Let It Be. Dans une jolie introduction, Peter Jackson nous représente les Beatles et leur parcours en appuyant en particulier sur les éléments qui ont conduit à la situation qu’est celle du groupe à la fin des années 1960 : l’émergence à Liverpool au sein de la scène Merseybeat, la lassitude des tournées, l’arrêt des concerts, les tensions grandissantes qui les poussent à ne faire que se croiser pendant l’enregistrement de The Beatles (ou le White Album, si vous préférez), etc. C’est là que se trouve la seule véritable intervention de Peter Jackson dans toute la mini-série avant qu’il ne se cache avec élégance derrière des images bien plus parlantes que n’importe quels commentaires.

Ne reste alors « plus que » cela à découvrir, cette succession d’instants de vie en studio. Des captations précieuses tant elles en disent long sur l’état d’esprit des Beatles à l’époque et qui, passées entre les mains de Jackson, le deviennent d’autant plus qu’elles vont – comme je le disais plus haut – réinterpréter la période. Au final, le travail du cinéaste sur ce documentaire aura surtout été celui d’un historien qui, longtemps après les premières recherches, tache de faire redécouvrir un moment donné d’Histoire pour en rétablir les faits. En résultera cette aura bien plus légère que ne le laissait paraître le film de Lindsay-Hoggan donc. Dès les premiers instants de cette mini-série, nous retrouvons les Beatles tels que nous les aimons : rieurs, blagueurs, inspirés également. Loin de la vision apocalyptique de la précédente proposition, on s’étonne même de les voir évoluer dans une ambiance aussi bon enfant alors qu’ils semblent si usés et conscients des difficultés qu’ils traversent néanmoins.
Cette fatigue, elle se ressentira notamment à travers Ringo Starr, complètement effacé tout du long des trois épisodes hormis en quelques passages où le batteur renoue avec sa bonhomie naturelle et communicative. Au demeurant, Ringo paraît accablé durant ces sessions. Un des témoignages de cette difficulté à tenir le rythme sera par exemple son refus de donner un concert ailleurs qu’en Angleterre. Ereinté, la batteur ne veut plus désormais que jouir de sa vie de famille et composer avec ses potes. C’est d’ailleurs un autre point que Get Back cherchera à mettre en lumière au cours des huit heures et quelques que dure le documentaire : malgré les tensions, les Beatles étaient encore avant tout une bande de copains à l’époque.

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Beaucoup (beaucoup !) plus de rires et de sourires que la légende ne le laissait croire !

Tout se noue atour de cela dans cette version du documentaire, dans cette façon de dévoiler l’équilibre complexe qui existait alors entre l’ambiance « bande de potes », les nécessités de faire un album et un show, la lassitude générale et les envies bien légitimes d’aller voir ailleurs. Bien qu’il cherche à dépeindre la période au mieux de ce qu’elle fut, Peter Jackson n’exclut rien de tout ce qui a fait ces quelques semaines si particulières. Ainsi, les échanges les plus houleux demeurent et viendront même, pour certains, répondre à ce doute qui taraudera peut-être une partie des spectateurs et spectatrices : et si les Beatles se donnaient en spectacle ? Quand on sait quelles personnalités furent les quatre garçons dans le vent, on peut légitimement se demander si, devant les caméras, ils n’en rajoutent pas un petit peu. Une scène bien précise viendra démonter ce doute, celle de ce déjeuner que John et Paul partagent.
Enregistrée à leur insu via un micro planqué dans un pot de fleurs de la salle à manger, la conversation que tiennent les deux compères met fin à toute remise en cause de l’honnêteté de ce qui est montré à l’écran. Ils y tiennent un échange dur, tendu mais en même temps empli de cette sincérité qui émane des plus belles amitiés où chaque mot peut être dit ou entendu sans que cela ne remette en question l’amour qui unit les deux personnes en présence. Rien n’est joué là-dedans, John et Paul se parlent comme ils se sont toujours parlé, avec cette franchise caractéristique qui poussera Lennon en solo à composer la chanson How Do You Sleep? sur l’album Imagine, texte bien vache à l’encontre de McCartney et dont il dira plus tard : « Si je ne peux pas parler comme ça à mon meilleur ami, alors à qui ? ».  C’est la même essence qui alimente cette conversation inédite et intime entre les deux hommes lors de ce déjeuner et c’est cela qui nous assure que oui, tout est authentique, du plus petit tacle à la plus grosse colère.

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George a laissé passer beaucoup de choses au cours de sa carrière avec les Beatles et s’il affirme bel et bien son désir d’émancipation créative, on découvre ici que c’était aussi pour permettre aux Beatles de retrouver une forme de sérénité.

Néanmoins, là encore tout est mis en lumière différemment par Jackson. Les colères contenues de Paul, les sarcasmes de George Harrison… Tout cela se révèle sous une réalité nouvelle, celle d’un groupe en difficulté sur le plan relationnel mais qui, contrairement à ce qu’on a pu croire toutes ces décennies, n’était pas tant au bord de l’implosion que cela. Au contraire, chacun envoie bien des signes pour dire « Oui, c’est dur et on ne s’entend plus aussi bien qu’avant mais on va tenir ! ». Tant John que Paul, George ou Ringo veulent continuer à faire de la musique ensemble. On nous a parfois dit que Paul a été celui qui a fait exploser le groupe à cause de ses allures de chef (dont on découvre comment il les perçoit dans ce documentaire) mais ses larmes si difficilement contenues quand George s’en va, dépité, et que John rechigne à venir travailler, elles en disent long sur son état d’esprit. Les mots de George qui exprime clairement à John son envie de faire de la musique en solo pour ne plus être frustré par son rôle de second plan au sein des Beatles, eux aussi viennent alimenter cela. Au cours des huit heures de Get Back, tous proposeront des solutions pour continuer l’aventure. L’histoire nous apprendra bien que tout ceci n’aura pas porté de fruits au-delà des quelques mois suivants mais cette replongée dans les Get Back sessions remet les pendules à l’heure quant aux efforts fournis ou non par chacun des membres du groupe.

La force principale de Get Back sera donc cette capacité à rétablir l’atmosphère qui régnait véritablement autour des Beatles à cette époque. Alors qu’on nous a souvent vendu l’enregistrement de Let It Be comme une succession de colères et de non-dits frustrés, l’on nous assure enfin que rien n’a été aussi noir que cela. Même le départ de George, que je mentionnais plus haut, n’a pas été aussi violent qu’on nous l’a régulièrement répété. Il a simplement exprimé plusieurs fois qu’il avait besoin de changer sa façon de jouer au sein du groupe et, devant l’apathie de John et Paul sur la question, il s’est levé et il s’en est allé. Pas de cris, pas de bagarres, pas d’accusations. Juste un garçon lassé qui rentre chez lui. Ce sont de cette manière les rôles et les actions de chacun des esprits en présence qui vont être réinstallés, dans ce grand mouvement de rétablissement des faits. Ainsi en va-t-il donc de George, de sa frustration et de ses désirs de musique en solo.

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La jam à laquelle Yoko participe avec John, Paul et Ringo laisse entrevoir le fait qu’elle n’était pas si mal reçue que cela.

Il en sera de même pour John, dont on gardait l’image d’un homme en pleine rivalité avec son vieil ami Paul. La vérité semble finalement toute autre quand on les voit rire ensemble, faire les mêmes blagues et échanger sur le groupe avec bien plus de sérénité qu’il n’y paraissait. On s’amuse aussi à le voir faire constamment l’andouille, non seulement parce qu’il était comme ça mais aussi parce qu’il apparaissait heureux d’être en studio avec ses copains. Quitte à parler de John, évoquons d’ailleurs l’épineux cas de Yoko Ono, muse et compagne du chanteur devenue omniprésente à ses côtés et à laquelle on aura si souvent et volontiers reproché la fin des Beatles, comme si aucun de ces derniers n’avait pu provoquer cela tout seul.

Get Back met un terme à ces hypothèses et théories, ou plutôt tache de les éclaircir : Yoko ne s’est pas tant imposée que ça. Et je ne le dis pas parce que c’est ce que je pense mais parce que c’est ce que Paul McCartney dit lui même à l’époque. On le voit ainsi évoquer le cas de l’artiste japonaise et rire avec un sens certain de la prémonition du fait que « dans 50 ans les gens riront en disant que les Beatles se sont séparés parce que Yoko s’est assise sur un ampli ». Conscient de la place grandissante de cette femme dans la vie de John Lennon mais aussi du sentiment plus ou moins désagréable que cela pouvait faire ressentir aux trois autres Beatles, McCartney semble s’amuser de cela plus qu’il ne s’en offusque finalement. Lui-même concède d’ailleurs que c’est bien John qui impose sa compagne aux autres et non cette dernière qui le forcerait à la traîner partout. Paul reconnaît que c’est l’amour qui s’exprime et qu’il n’y a pas de légitimité à lutter contre cela et ce seul détail pèse dans l’appréciation des événements, là encore plus sereins que prévu.

En définitive, Get Back joue la carte de la rationalité. Tout en nous plongeant corps et âmes dans ces jours de Janvier 1969, il réussit à faire la part des choses, à mettre l’accent où il le faut afin de rendre compte au mieux de la réalité d’une situation finalement plus complexe qu’on ne le croyait. Ou plutôt irons-nous dire qu’elle est complexe différemment, mettant en place des enjeux à la fois similaires et distincts de ce que l’on s’imaginait jusqu’alors. Ce résultat, je pense qu’on le doit pour beaucoup au format de cette mini-série qui n’hésite en aucun cas à prendre le temps de poser son propos. Avec ses trois épisodes qui oscillent entre 2h20 et 3h chacun, Get Back ne lésine pas sur la densité de son contenu. Un choix relativement audacieux qui heurtera sans doute une partie du public, celle-là qui n’est pas forcément fan du quatuor jusqu’au bout des ongles.

Cela étant, je persiste à croire que c’était un des meilleurs choix à faire. Peter Jackson s’applique ainsi à découper sa fresque en trois étapes marquantes (début et constat des difficultés / repartir sur de bonnes bases / conclure le projet) qui trouvent toute leur saveur dans le fait que la narration n’est pas hachée par un nombre d’épisodes trop grand ou une trop courte durée de ces derniers. Jackson prend le temps donc et appuie en cela fortement ce qu’il cherche à exploiter dans ces images et enregistrements qu’Apple lui a confiés. Il s’octroie le luxe d’insister, de mettre une emphase sur une conversation ou une réaction, de mettre en avant tous ces à-côtés jusqu’ici effacés de l’esprit du grand public et qui apportent cet éclairage nouveau sur les Get Back sessions.

Mieux encore, il invite son public par la même occasion à une plongée des plus intéressantes dans le processus créatif du groupe, dont il révèle ainsi cet équilibre incroyable entre le naturel qui en ressort et la complexité qu’il impose en même temps. Nonobstant tout ce qui touche à la situation particulière des Beatles en cet instant précis, c’est un témoignage précieux sur la manière dont un groupe peut fonctionner et sur la grande difficulté d’arriver à conjuguer les aspirations de chacun avec l’objectif commun. Soutenu par un montage d’une redoutable efficacité, le documentaire dévoile alors toute la richesse dont il peut faire preuve au-delà même du cœur de son sujet.

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Le nombre de rires provoqués par John est incalculable !

Je pourrais essayer de continuer à vous parler de ce documentaire, de ce que j’y ai vu et de la façon dont je l’ai vécu sur des pages entières mais cela reviendrait à vous ôter le plaisir de le regarder vous-mêmes. Et il faut que vous le regardiez, fan ou non des Beatles. Parce que c’est une production léchée, efficace et terriblement réjouissante à suivre. Et ce même si le final arrive sur une note douce-amère, où tous les bons moments passés sont contrebalancés par ceux moins glorieux dont on sait qu’ils vont arriver. Mais au cours de ces huit heures, on aura été émus, on aura ri, on aura été surpris aussi. Peter Jackson prouve avec Get Back qu’aujourd’hui encore les Beatles sont loin d’avoir livré toute leur histoire et encore moins tous leurs secrets.
Mon seul regret finalement sera qu’on s’arrête là, qu’il n’existe rien de plus pour étayer le propos et raconter les mois décisifs qui suivent le concert sur le toit. Rien qui ne nous raconte comment le parachèvement de l’album Let It Be a été fait par un Phil Spector peu enclin à considérer les intentions du groupe. Rien non plus qui vienne nous montrer avec autant d’authenticité les tournants qui vont se jouer pour conduire à la fin ferme et définitive des Beatles. Peut-être aurions-nous une nouvelle fois découvert les choses d’une nouvelle manière.

Synthèse Get Back

Une réponse à « « The Beatles – Get Back » : Peter Jackson, seigneur des archives »

  1. Avatar de 2021 : Bilan et Eucalyptus d’Or | Dans mon Eucalyptus perché

    […] été nombreuses et nombreux à apprécier mes textes sur What Remains of Edith Finch, Luca, The Beatles – Get Back et – tenus dans un mouchoir de poche question nombre de vues – les films Mourir Peut […]

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Travaux en cours

Vous l’aurez remarqué, Dans mon Eucalyptus perché a eu droit à un petit lifting…bien involontaire en réalité. Plus supporté depuis 2 ans, mon précédent thème de blog a sombré dans les limbes. Me voici donc avec une nouvelle apparence que j’apprends à connaître avec vous. Aussi, je vous prie de m’excuser pour les éventuels soucis de lisibilité qui pourraient survenir sur ces pages pendant un temps. N’hésitez d’ailleurs surtout pas à me les signaler !
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~ Gaëtan

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