Depuis une grosse dizaine d’années, il ne serait pas tout à fait idiot de se dire que le RPG tactique connaît un sacré second souffle. Initiée par Fire Emblem – Awakening, excellent opus de la licence de Nintendo et Intelligent Systems paru sur 3DS il y a tout pile 10 ans, cette revitatlisation du genre aura donné naissance à un sacré paquet de petits. Fire Emblem a enchaîné les épisodes (4 jeux en 7 ans, de Awakening à Three Houses en 2019), d’autres titres ont vu le jour dans différents styles et éventuels sous-genres (Into the Breach, WarGroove, XCOM 2…) et nous allons même avoir droit au remake des deux premiers épisodes de la série Advance Wars ! Bref, le tactical semble avoir le vent en poupe comme ça n’avait plus été le cas depuis bien longtemps. Dernière pierre en date portée à cet édifice, Triangle Strategy est sorti le 4 Mars dernier.

Au-delà du seul retour en force relatif du genre tactical sur nos consoles et PC, Triangle Strategy s’inscrit aussi et surtout dans la continuité du travail initié par Square Enix en 2018 avec Octopath Traveler. Nulle question de stratégie à l’époque, nous étions sur du RPG japonais classique, dans la veine des grandes œuvres du genre. Si les qualités du titre sur le seul plan du game design auront un peu divisé les joueurs et joueuses, Octopath Traveler avait cependant su mettre à peu près tout le monde d’accord avec sa direction artistique. En appliquant une forme de « 2D en HD » immédiatement reconnaissable, Square Enix proposait en effet une aventure où nous incarnions 8 personnages dans le style des sprites d’autrefois, le tout dans des décors somptueux à la finition exemplaire où les textures façon 16-bits venaient très joliment se marier avec des environnements polygonaux. Bref, avec un si beau rendu graphique, Octopath Traveler donnait finalement surtout envie d’en voir plus dans ce style-là. Un vœu exaucé en Février 2021 avec la diffusion du premier trailer de ce qui n’était alors que le Project Triangle Strategy.
D’emblée, la nouvelle production de Square Enix – à l’heure actuelle disponible exclusivement sur Switch – marque nettement l’intention de s’inscrire dans la continuité artistique d’Octopath Traveler (qui fut aussi une exclu Switch avant d’être porté sur les autres machines). Tout bonnement, le studio réunit par ailleurs ces deux jeux sous un seul et même intitulé de gamme, celle de la fameuse « HD-2D ». Au sein de cette dernière, les deux titres ici concernés semblent former un pan à part entière qui vient cohabiter avec d’autre jeux, remakes d’anciennes gloires de l’entreprise telles que, dans un style bien à lui, ActRaiser Renaissance l’an dernier mais aussi et surtout Live A Live, RPG paru initialement en 1994 et qui fera donc son retour après un bon coup de polish en Juillet prochain. On pense également au remake de Dragon Quest III, attendu pour cette année et dont les premiers extraits augurent du meilleur d’un seul point de vue esthétique. Cette stratégie s’inscrit pleinement dans la mouvance rétro et néo-rétro qui anime la sphère vidéoludique depuis plusieurs années maintenant et ne devrait pas s’éteindre tout de suite si l’on en croit les intentions affichées par le président de Square Enix, Yosuka Matsuda.
D’après l’article paru dans Famitsu en début d’année, le studio compte en effet poursuivre ses efforts en la matière et apposer le sceau « HD-2D » sur plusieurs autres licences-maison. Rien de plus précis n’a filtré cependant mais laissons vagabonder notre esprit et imaginons par exemple qu’en complément du remake à venir de Chrono Cross, une réédition dans cette veine de Chrono Trigger pourrait être envisagée.
Concernant Final Fantasy enfin, il est plus difficile de deviner ce qu’il en sera étant donné les directions prises concernant les anciens titres de la licence : entre Final Fantasy VII Remake qui vise clairement à s’inscrire dans son temps et les Pixel Remaster des épisodes IV à VI, rien n’augure pour le moment de remakes « HD-2D ». Mais peut-être ne sommes nous pas au bout de nos surprises et vu la propension de Square Enix à passer Final Fantasy à toutes les moulinettes, rien n’est joué d’avance…
Mais revenons-en à Triangle Strategy. Nous allons d’ailleurs de suite évacuer un point qui en aura fait sourire plus d’un : non, cet intitulé n’est pas folichon. Il le semble encore moins quand on se souvient qu’il n’est que le titre de travail du jeu, auquel on a tout simplement enlevé le terme « Project« . Un peu banal, pour ne pas dire moche, ce choix de nom aurait cependant pu être révélateur ou en tous cas annonciateur des mécaniques à venir in game. En parlant de « stratégie triangulaire », on s’imagine déjà une révision potentielle du fameux triangle des armes, classique du genre, voire son explosion pure et simple pour l’étendre à d’autres aspects de jeu. On imagine également que cela peut faire référence à cette fameuse balance à trois plateaux que nous découvrions dans la vidéo que je vous partageais plus haut. Tout ceci, il n’en est quasiment rien en définitive et le seul triangle qui nous sautera aux yeux au cours de la partie sera purement « géographique », avec cette map sur laquelle se répartissent trois royaumes entre le Nord, le Sud-Est et le Sud-Ouest. L’aspect triangulaire du titre ne renvoie finalement plus qu’à la mise en scène de trois forces en présence qui vont devoir se faire face tout au long du récit.
Pour l’essentiel de ce qu’il a à proposer dans les grandes lignes, Triangle Strategy repose donc surtout sur des concepts et mécaniques qui ont fait leurs preuves depuis bien longtemps. Combats au tour par tour sur des champs de bataille divisés en cases, forces et faiblesses des uns et des autres, spécificités des attaques dans le dos ou en tenaille… La recette de base du jeu ne vient pas là pour révolutionner le tactical de fond en comble. Au contraire, Square Enix et Artdink (que j’aurais presque oublié de mentionner) font ici le choix de construire leur jeu sur des conventions solides et éprouvées par le temps, gage d’une robustesse appréciable. En effet, les phases de bataille de Triangle Strategy n’ont pas grand-chose à se reprocher, voire rien. Epiques, vifs, rendus dynamiques par l’absence – notable pour certain(e)s – de séquences propres aux combats (ceux-ci se déroulant directement sur la map) et par une prise en main plus qu’aisée, ces affrontements sont un véritable plaisir à diriger.
On pourrait croire qu’il est facile de réussir son tactical mais ce serait un peu naïf. La réussite d’un jeu de tactique repose pour beaucoup sur la finesse et la fluidité des mécaniques en place. Oubliez les questions d’ergonomie ou de visibilité par exemple, en vous imaginant que « après tout, ce ne sont que des pions sur un échiquier », et vous prendriez le risque de livrer un jeu imbuvable parce que difficile à manier et donc à parcourir. Le risque était d’autant plus grand en ce qui concerne Triangle Strategy que le jeu cherche à miser autant que possible sur la présence de ses environnements 3D. Plus encore que certains représentants de la concurrence, ce titre-là se plaît en effet à tirer profit de sa technique pour composer des aires de jeux aux reliefs affirmés, parfois dans des décors très verticaux et disposant de nombreux coins et recoins qui peuvent autant être des pièges que des atouts. Il était donc indispensable pour les développeurs de mettre en place un système général qui permette de pleinement tirer profit de ces particularités mais surtout de ne pas les oblitérer derrière une maniabilité qui aurait fait défaut. La mission est ici pleinement accomplie et le jeu se révèle plus que convaincant en la matière. La caméra se déplace avec une souplesse exemplaire et permet aux joueurs et joueuses d’appréhender les cartes dans leurs moindres aspects et par conséquent d’établir les meilleurs stratégies possibles.

La liberté offert aux mouvements de caméra permet d’appréhender les maps sous tous les angles et d’en comprendre facilement toutes les subtilités.
Evoluer et combattre dans ces espaces devient alors un réel plaisir, d’autant que les mécaniques de jeu en tirent autant partie que possible. Oh bien entendu, nulle question là encore de révolutionner l’affaire mais j’ai le sentiment qu’en établissant des aires de jeu aussi détaillées, les différents bonus et malus qu’il est possible d’en tirer n’en devient que plus naturel. Plus que dans un tactical vu de dessus, les questions de dégâts supplémentaires subis ou infligés en fonction de la hauteur par exemple paraissent plus évidents non seulement dans leur mise en scène mais aussi dans la capacité à les envisager, à les prévoir et en conséquent à les intégrer dans notre stratégie. A mon sens, la mise en place de cartes en 3D permettra aussi et surtout de mieux visualiser le champ de bataille, en particulier pour les moins habitué(e)s aux jeux de ce genre. Le tout cumulé à cette caméra facile à mouvoir dans l’espace offre en effet des possibilités en matière de préparation qui ouvre un champ des possibles qui, certes, pouvait déjà exister dans d’autres titres ou dans l’essence-même du tactical mais qui se trouve ici valorisé.
Ce qui passait alors avant tout pour un choix esthétique – sans doute même était-ce juste cela – révèle d’un coup sa face cachée, son ressort inattendu mais plaisant, celui d’une vision élargie du game design qui offrira un confort indéniable permettant aux néophytes de se faire la main dans les meilleures conditions possibles et aux plus ancien(ne)s d’enfiler ainsi des chaussons encore plus douillets qu’on ne s’y attendait. La grande force de Triangle Strategy repose dans cet aspect-là, celui d’un game design et d’un gameplay rompus à toute épreuve par à peu près 30 ans de propositions successives. Square Enix et Artdink apportent en cela la preuve que même sans formuler la volonté de tout transformer il est encore possible d’améliorer des genres pourtant bien établis en venant tout simplement peaufiner des détails qui n’en sont alors plus.
Quelques mots aussi, tant que l’on parle spécifiquement de mécaniques de jeu, pour évoquer le campement. Elément important du jeu, cet espace accessible depuis la map générale mais aussi depuis les préparatifs de batailles contient un certain nombre de composants intéressants. Au-delà des entraînements, c’est aussi ici que nous trouverons deux boutiques, l’un consacrée aux consommables les plus communs (ressources, potions, objets magiques…) et l’autre proposant des items plus pointus que sont notamment les atouts et les médailles. Celles-ci permettent de faire évoluer les unités tandis que les atout vont être des compétences spéciales utilisables une seule fois par combat chacune (mais on peut en utiliser autant que l’on en a). Ces compétences permettent d’obtenir des bonus ou d’infliger des malus à une ou plusieurs unités et peuvent devenir de vrais coups fourrés capables de retourner une bataille qu’on croyait mal partie en notre faveur ! Il devient même à mon sens indispensable de se pencher sur ces atouts et de les choisir avec soin en fonction de notre façon de jouer et des difficultés propres à tel ou tel champ de bataille.
C’est également dans le campement que nous retrouvons le forgeron qui ne sera ni plus, ni moins que le personnage avec lequel discuter pour accéder aux arbres de compétences de nos unités. Assez classiques et même réduits (ce n’est pas plus mal je trouve), ces arbres permettent bien entendu d’améliorer chacun de personnages et de les modeler à notre manière afin que chacun puisse répondre à nos besoins de la meilleure façon possible. Les différentes améliorations se débloquent avec de l’argent et des ressources (bois, métaux, tissus…) que l’on récolte dans les recoins des espaces où nous menons nos investigations mais également sur le champ de bataille, que ce soit dans des coffres ou dans les poches d’un adversaire que l’on viendrait de terrasser.

L’arbre de compétence de Sérénor. Capture : Gamekult.
Pour en revenir aux aires de batailles, il est à noter que cette façon de les construire et de les présenter apporte une dimension au jeu qui, cette fois-ci, touche effectivement beaucoup (voire en priorité) à des questions d’esthétique et de mise en scène. Sur ce dernier point, je pense non seulement à la façon dont les péripéties sont narrées mais aussi à l’image que cela renvoie du récit qui nous est ici proposé. Triangle Strategy s’inscrit en effet dans une démarche qui vise à faire de son scénario, sur lequel je reviendrai ensuite, quelque chose qui reprenne pour lui une partie des codes du théâtre notamment. Divisée en chapitres eux-mêmes scindés en actes, l’histoire de la maison Wolffort et de ses luttes prend très rapidement les allures d’une pièce de théâtre, jusque dans les différentes phases de jeu qui ne sont en l’occurrence ni des missions, ni des quêtes mais bien des scènes, qu’elles soient principales ou secondaires. Ce seul choix de mot nous renvoie directement à cette espèce de filiation qui se forme très naturellement entre la construction du récit et celle d’une pièce.
Dans ce cadre-ci, l’usage de maps en 3D telles qu’elles nous sont présentées dans le jeu prend une saveur nouvelle. D’abord vus comme de magnifiques dioramas qu’on se plait à regarder sous toutes les coutures pour en admirer les subtilités, ces espaces prennent avec cette aura théâtrale qui plane sans cesse au-dessus du récit les allures d’une scène – le lieu cette fois-ci – dont on aurait abattu les cloisons pour profiter de ses décors. Les personnages y évoluent en véritables acteurs d’une dramaturgie de très longue haleine, que ce soit à notre guise lors des séquences de bataille ou bien selon ce que le scénario a prévu dans les cutscenes. Non contentes de souffler un courant d’air bien agréable sur la façon dont elles permettent de prendre les batailles en main, ces aires de jeu réussissent donc également à se muer en une sorte de matérialisation discrète mais bougrement efficace du récit et de sa tonalité générale, empreinte de cette espèce de gravité et de solennité propre aux grandes œuvres classiques d’un théâtre venu raconter les aventures de héros mis face à bien des dilemmes.
Cette théâtralité transpire de toutes façons de tous les pores du jeu. Le mot « scène » employé pour désigner ce que nous aurions nommé ailleurs « missions », « quêtes » ou « objectifs » instille dans Triangle Strategy cette aura et sous-entend finalement la volonté de Square Enix de donner à voir une épopée qu’il convient de prendre au sérieux. Par ailleurs, ce même mot « scène » permet également d’insister sur l’importance accordée au scénario en lui-même et sur la force narrative du titre. Très présente d’un bout à l’autre de l’aventure, la narration le sera peut-être même trop pour une partie des joueurs et joueuses qui se lanceront dans les 30-40h à venir. Particulièrement bavard, pour ne pas dire verbeux, Triangle Strategy ne laisse vraiment pas son récit de côté et en fait même la pierre angulaire du soft, l’intégralité de son contenu jusque dans chaque idée de game design étant mis à son seul service (il n’y a par exemple pas de mort permanente, chaque personnage étant sollicité par le scénario jusqu’au bout). Cette dominante narrative est telle qu’il arrivera parfois de se demander quand aura lieu la bataille suivante ! Pour autant, la chose ne lasse pas et se laisse au contraire suivre avec une attention régulièrement renouvelée par l’usage de péripéties et retournements de situation nombreux et bienvenus. Il faut dire que la composition du récit est tout à fait appréciable. Riche et dense, il est une invitation à suivre une fresque dont nous sommes régulièrement partie prenante, tant par les combats à mener que par les autres formes d’interactions sur lesquelles je reviendrai ensuite. Et surtout, c’est particulièrement bien écrit.

Même les apartés et autres flashbacks ne viennent pas rompre la rythmique. Au contraire, ils participent au chantier de densification d’un lore qui donne toute sa saveur au récit de Triangle Strategy.
Qu’il s’agisse du fil général que nous suivons ou bien des relations entre les nombreux personnages, tout fait preuve d’un naturel et d’une fluidité incontestables. On avance dans le jeu comme on avance dans un roman, se prenant à chaque nouvelle situation, chaque complot, chaque tentative d’assassinat ! La traduction française des textes n’a d’ailleurs rien à se reprocher et réalise même ponctuellement un effort dans le choix des termes qui contribue à l’ambiance du jeu et au ton des différents personnages. Ces derniers n’en apparaissent que plus convaincants et tangibles, d’autant que les personnalités de chacun ainsi que leurs backgrounds respectifs sont enrichis tant par les scènes secondaires que par les scènes spécifiquement consacrées à nos unités. Dans ces autres passages subsidiaires, le jeu donne l’occasion d’en apprendre davantage sur chacun et chacune ainsi que de recruter de nouvelles unités, elles mêmes bénéficiant du même traitement par la suite. Aucune des figures de cette aventure ne sera laissée pour compte et, au terme de cette dernière, on aura eu le sentiment de la vivre aux côtés d’un clan soudé bien qu’appelé à réaliser des choix qui peuvent le déchirer.
Ce dernier point trouve sa concrétisation dans la présence de pas moins de 4 fins différentes au jeu (dont une seule véritablement parfaite, et par conséquent plus difficile à obtenir). Si la présence d’issues multiples est un acquis dans le jeu vidéo et en particulier dans le RPG (tactique ou non), j’ai d’ailleurs trouvé que cette bifurcation obligatoire amenée à un instant crucial de l’épopée sonnait vraie, simplement parce que tout ce qui avait été écrit en amont l’avait été avec talent. Le choix m’est apparu sincèrement difficile, plus encore que tous les autres que j’ai été amené à faire auparavant dans l’histoire, simplement parce que je me suis attaché à tous mes personnages. Par l’attention portée sur la composition de ceux-ci et des événements qu’ils traversent, Square Enix a donc su faire briller l’une des mécaniques principales de son jeu, à savoir ces choix que nous sommes régulièrement amenés à faire. Parce qu’on croit plus que volontiers à la romance entre Sérénor et Frédérica, à l’amitié entre Sérénor encore et Roland, à la sympathie d’Erador ou à la force de caractère d’Hughette, chacun de ces instants déterminants impose de ne pas être pris à la légère.

Une séquence telle que celle-ci fait partie de ces moments où Triangle Strategy fait preuve d’une jolie poésie.
Le seul reproche que je ferais finalement au fait de tant nous en raconter est que si cela nous permet de prendre une certaine hauteur par rapport au récit, nous donnant ainsi l’occasion d’en découvrir bien des aspects, peut-être est-ce un tout petit peu trop. Car en allant proposer des scènes secondaires centrées spécifiquement sur les antagonistes par exemple, n’obtenons-nous finalement pas trop d’informations ? Alors que l’on se plait à avancer et à démêler les intrigues du royaume au même rythme que notre équipe, le fait d’aller fureter en pur(e)s spectateurs et spectatrices dans les quartiers ennemis n’enlève-t-il pas un peu de l’effet de surprise ? En adoptant cette posture narrative proche de l’omniscience, le jeu nous donne l’occasion de lever quelques lièvres avec un coup d’avance et d’anticiper telle ou telle situation, aiguillant même parfois nos choix. Et même s’il n’y a pas à proprement parler de bonne ou de mauvaise décision (à quelques détails près), je trouve que l’acquisition d’informations que nos personnages sont censés ignorer biaise un peu l’une des features principales du titre.
Parlons en d’ailleurs, de cette mécanique centrale. Annoncée dès le premier trailer diffusé, la possibilité de faire des choix influant directement sur la direction que prend le récit est en effet d’une importance nette dans le cours du jeu. C’est quelque chose dont on se rendra par ailleurs très clairement compte en ouvrant l’outil qui permet de voir le cheminement emprunté et, en conséquence, les embranchements que nous avons laissés de côté au gré de notre partie. Le gros de cette fonctionnalité s’observe dans les séquences propres à la détermination du choix en question. Au cours de ces passages, c’est à la personne qui tient la manette qu’il convient d’opter pour une orientation parmi deux ou trois propositions. Cependant, le choix final ne nous revient pas. C’est en effet au reste de son groupe que notre personnage principal, Sérénor Wolffort, s’en remet pour trancher. Pour cela, toutes et tous seront amenés à déposer un jeton dans une balance dont chacun des plateaux correspond à une des issues possible. Notre entrée en jeu au sein de ce système intervient au moment de tenter de convaincre nos camarades de suivre la voie que nous envisageons comme préférable. J’insiste sur « tenter » car il n’est pas garanti que vous arriverez à les faire abonder dans votre sens ! En conséquence, rien ne garantit en dehors de vos éventuels talents de négociation que le choix que vous souhaitez sera suivi par la majorité. Enchaînant les conversations, il faudra se montrer pertinent(e) dans les arguments avancés pour faire pencher la balance de votre côté.

Lors de chaque échange, on demandera à notre personnage d’avancer ses arguments : attention à choisir le plus efficace en fonction de la situation mais aussi de votre interlocuteur !
C’est ici qu’intervient l’autre aspect de ces phases : la collecte d’informations. Celle-ci se scinde en plusieurs temps avec d’une part les conversations que nous pourrons avoir avec les différents personnages non-jouables présents autour de notre petit groupe lors des séquences où le vote doit être réalisé et, d’autre part, les passages clairement identifiés comme des scènes dites d’investigation.
Peu fascinantes en termes de jeu pur et dur, le principal intérêt de ces dernières sera finalement de compléter l’histoire avec différents regards sur les événements qui l’animent ainsi que cette recherche de données qui permettront de peser le pour et le contre lors des votes. Ce point-ci n’est toutefois pas anodin puisque certains arguments ne seront déblocables qu’à condition d’avoir entendu un PNJ évoquer leur contenu lors d’une conversation !
L’intégralité de ce système, en dépit de particularités un peu moins enthousiasmantes, s’avère en tous cas gagnant. Par ce simple procédé, Triangle Strategy réussit à confier à son public un autre rôle, à mettre en balance son rapport à ses personnages et donc à renforcer le sentiment que chacun et chacune développera vis-à-vis d’eux et enfin à densifier une fois de plus ce qu’il a à raconter en nous envoyant à la pêche aux infos. Si l’on pourrait craindre que l’affaire se montre redondante à la longue, il n’en est rien. Cela est dû je pense au fait que le jeu n’abuse pas de ces séquences et les répartit avec un sens certain de l’à-propos dans la partie. Une chance car ces passages amènent fatalement une rupture de rythme qui aurait pu se montrer dommageable si elle s’était produite trop fréquemment. Il n’en est heureusement rien et la fameuse Balance des Convictions arrive toujours à point nommé. Mieux encore, elle s’inscrit parfois dans des moments de tension où le choix nous apparaîtra d’autant plus important et délicat à réaliser qu’il semble devoir l’être au plus vite. Evidemment ce n’est jamais réellement le cas (il n’y a pas de minuteur) et l’on aura tout le temps de mener à bien les séquences concernées mais le jeu, par ses qualités d’écriture, arrive à nous embarquer dans cette impression d’urgence, rendant alors ces passages plus prenants qu’il n’y paraît.

Parcourir les espaces extérieurs permettra de rencontrer des PNJ et d’obtenir des éléments de contexte qui seront autant d’argument à utiliser (ou non) pour négocier avec notre équipe.
« Prenant », voilà un terme qui résume bien Triangle Strategy en définitive. Par la qualité de ses intrigues ou la façon qu’il a de solliciter les joueurs et joueuses de multiples manières, le titre de Square Enix et Artdink s’impose à mon sens comme une valeur plus que sûre du RPG tactique. Je sais que tout le monde ne sera pas d’accord avec moi mais j’irai même jusqu’à dire que ce jeu-là supplante sans souci Fire Emblem : Three Houses qui, en dépit d’indéniables et grandes qualités sur la question des batailles (Intelligent Systems reste un maître du genre), souffrait à mon sens d’une rythmique alourdie par ce château en guise de hub au sein duquel j’avais le sentiment de perdre mon temps… Du reste, si l’un et l’autre partagent bien des qualités et peuvent sans difficulté être considérés comme de très bons représentants du genre, ils se rejoignent également sur un aspect un peu plus regrettable : les batailles sont un peu trop diluées dans l’expérience générale.

En dépit de l’éventuelle frustration de ne pas faire assez de combats, ceux-ci demeurent des passages de très haute qualité à tous points de vue. Capture empruntée à JRPGFR.net après m’être rendu compte que les miennes contenaient des spoils…
Dans le cas de Fire Emblem, le problème venait du fait que la chronophagie de tout ce qui gravitait autour de ces dernières donnait l’impression que le nombre de batailles était faible. Ce n’était pourtant pas le cas mais la lenteur du temps passé entre deux d’entre elles était un poids. En ce qui concerne Triangle Strategy, le souci est globalement le même. Sauf que si Three Houses offrait tout un lot d’escarmouches annexes pour tout de même avoir de quoi combattre en dehors des quêtes principales, ce jeu-ci n’offre aucune bataille secondaire à se mettre sous la dent. Seuls resteront disponibles les entraînements, accessibles depuis le campement, mais dont le nombre se montre régulièrement trop faible et pousse par exemple à refaire plusieurs fois les mêmes exercices lorsque l’on a besoin de faire un peu de farm. Car Triangle Strategy n’est pas un jeu proprement facile. Bien qu’il ne soit pas insurmontable, il offre un niveau de difficulté sans cesse réhaussé et bien que ce dernier augmente au même rythme que nos compétences et notre maîtrise du titre, il arrivera parfois qu’on sois un peu under-level. On aimerait alors avoir des batailles en guise d’à-côtés qui seraient autant d’occasions de gagner de l’expérience et donc des niveaux pour nos personnages. Hélas, la mise au service du scénario des différentes scènes annexes force à se contenter des entraînements, que l’on répétera encore et encore. Leur nombre aura beau peu à peu augmenter avec le temps, ces exercices ne seront jamais suffisamment nombreux pour les joueurs et joueuses qui viendraient vers Triangle Strategy pour batailler tout leur soul. Notez que le farming peut également se faire en recommençant les batailles du scénario jusqu’à la réussite. En effet, en cas d’échec, toute l’expérience gagnée par nos personnages sera conservée malgré tout, impliquant que la tentative suivante se fera avec des unités plus robustes. Mais là encore, qui aurait envie de répéter plusieurs fois la même bataille ? Si cela permet au demeurant d’envisager des stratégies différentes, le fait de recommencer la même séquence un certain nombre de fois jusqu’à la victoire espérée demeure dommage. Heureusement que le gameplay repose sur des rouages qui ne grippent jamais : en étant d’aussi grande qualité, il sauve finalement les meubles et permet malgré tout de prendre du plaisir, même lorsque l’on recommence la même escarmouche pour la troisième ou quatrième fois.
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Je conclus cet article sur un point négatif mais sans doute aurez-vous noté que c’est bien le seul présent dans cette chronique. Rien n’est jamais parfait et Triangle Strategy ne pouvait être exempt de défauts. On lui pardonne cependant ce léger écueil, une fois qu’on l’aura mis en face des incommensurables qualités dont le titre fait preuve du début à la fin de la partie. Inspiré, riche, carré, magnifique à regarder et à écouter, le tactical de Square Enix et Artdink est une petite pépite qui nous fait de nouveau sourire d’aise à l’idée que le genre soit tant revenu à la mode et ait apporté avec lui tant de jeux recommandables. Théâtral dans tous les sens du terme, le jeu est peut-être d’ores et déjà devenu un des incontournables de la Switch.
