« Pokémon : Ecarlate/Violet » : l’art du paradoxe

Remontons le temps de quelques mois. Nous voilà donc revenus en Février dernier, le 26 pour être exact, date à laquelle je publiais mon article sur Légendes Pokémon – Arceus, qui était alors le dernier gros jeu Pokémon en date. Inutile ici de refaire le tableau de ce titre mais il y a un élément de ce que j’y évoquais qui me revient en tête alors que j’attaque le papier que vous lisez aujourd’hui : la critique que j’essayais d’y faire de la fréquence à laquelle les jeux Pokémon sortent. Une critique qui me poussait à affirmer, sans trop m’égarer je pense, que le rythme annuel auquel est soumis la licence depuis 2016 n’est pas tenable si l’on s’attend à ce que les futurs épisodes soient à la hauteur d’exigences telles qu’on peut en formuler dans le paysage vidéoludique actuel. Seulement voilà, Game Freak a voulu me faire avoir tort et le studio a sorti Pokémon : Ecarlate/Violet moins d’un an plus tard…


Avant de parler de ces deux nouvelles versions de Pokémon (notez au passage que j’ai en ce qui me concerne joué à la version Ecarlate), il faut à mon sens recontextualiser tout cela. Comme je le disais dans l’introduction de cet article, Ecarlate et Violet sortent moins d’un an après Légendes Pokémon – Arceus. Une rapidité qui fait tiquer une partie du public (dont moi) dès son annonce le 27 Février dernier, un jour après mon article donc (ce qui n’a pas manqué de me faire rire jaune) et un mois seulement après la sortie d’Arceus.

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Légendes Pokémon: Arceus venait poser un nouveau compas pour guider la licence.

La question qui se pose alors c’est de savoir ce que compte faire Game Freak avec ces nouvelles versions. Ou plutôt, comment ils comptent s’y prendre. Parce qu’en soi, la ligne d’horizon est claire et nette : reprendre toute l’idée d’ouverture d’Arceus, l’élargir en décloisonnant les espaces de jeu et enfin intégrer tout cela dans le moule plus classique de Pokémon, à savoir avec un récit rythmé par les combats d’arènes et différentes péripéties. Le « quoi » est alors là mais le « comment » demeure. Car en effet, comment le studio compte-t-il s’y prendre pour répondre à une telle ambition alors même que le tout récent Arceus affichait toutes les limites auxquelles il se heurte en particulier sur le plan technique ? Au moment d’annoncer Ecarlate et Violet (que j’appellerais parfois E/V dans le reste de l’article par commodité), tout le monde a encore en tête les textures affreuses des lacs et montagnes de la région d’Hisui, le framerate aux fraises des bestioles dès lors qu’elles sont éloignées ou encore la distance d’affichage ridicule de manière générale… Et alors que nous nous remettons doucement de tout cela à grands coups de collyre, Game Freak et Nintendo dégainent deux nouvelles versions en sous-entendant vouloir aller encore plus loin ! Il y a de quoi être circonspects. On l’est d’autant plus que les deux acteurs nous font la promesse d’une aventure plus classique que ne l’était Arceus qui, en dépit de ses souffrances techniques, avait pour lui de proposer une structure générale différente du reste des jeux. Sans renverser la table pour autant, cet essai-là se révélait transformé au final et la rupture que le titre marquait avec le schéma classique d’une progression très linéaire (route, ville, arène, route, ville, arène…) demeurait réjouissante. A titre personnel, je sais que je n’aurais certainement pas passé près de 30 heures sur le jeu si cette recette n’avait pas fonctionné.
Avec E/V, Nintendo et Game Freak semblent donc en route pour ne reprendre qu’une partie de ce qui a fait d’Arceus un succès, mais pas forcément la meilleure en soi. Car si agréables à parcourir que soient les zones ouvertes de ce dernier, cela ne faisait clairement pas tout et il fallait compter sur cette envie de raconter une aventure différemment pour finir de porter le souffle nouveau dont Pokémon a bien besoin. Et si Arceus n’était au final pas parfait du tout, y compris sur cet aspect narratif (le récit s’essoufflait au bout d’un temps), il n’en demeurait pas moins un jeu plein de promesses et qui, nonobstant des défauts trop visibles pour passer inaperçus, fixait un cap intéressant pour l’avenir de la saga. On s’interroge alors sur la pertinence de revenir à un schéma de narration plus classique avec ces nouvelles versions. On se pose également des questions quand on apprend que les développements de Arceus et de E/V ont grosso modo été menés en même temps. En effet, comme nous l’apprenions lors de la Developpers Conference 2022, le développement du premier de ces jeux a démarré fin 2018 tandis que celui des versions Ecarlate et Violet s’est lancé environ un an plus tard, fin 2019, peu ou prou alors que les précédentes versions Epée et Bouclier arrivaient sur les étals.

Désolé, c’est en Japonais mais ce slide révèle bien que les développements des deux jeux ont globalement été menés de front.

Si je souligne cela, c’est avant tout parce que je me demande comment Game Freak et Nintendo peuvent espérer livrer quelque chose de plus solide techniquement qu’Arceus si les nouvelles versions sont développées en même temps ? Après tout, ce dernier a fait montre de faiblesses nettes et l’on sait désormais qu’il était construit en simultané avec ses successeurs à venir. En quoi le résultat pour Ecarlate et Violet devrait-il être différent ? On se le demande d’autant plus qu’en menant ces projets de manière conjointe ou presque, il est quasiment inutile d’espérer un quelconque retour sur expérience avec le recul et le temps nécessaire pour appliquer dans E/V des leçons apprises d’une part par le travail mené sur Arceus et d’autre part sur la base des remarques des joueurs et joueuses. Les premières vidéos de présentation du jeu ne seront d’ailleurs pas les plus à-même de rassurer le public sur ces aspects. Bien que révélant des environnements colorés et plaisants, inspirés par la péninsule ibérique, ces trailers auront aussi permis de constater que le retard pris par Pokémon sur le reste de l’industrie ne va pas se résorber avec ces nouveaux épisodes. L’on retrouvait en effet ces textures trop aléatoires, ces designs certes sympathiques mais partiellement gâchés par des performances en-deçà des attentes qui peuvent être les nôtres en 2022… Bref, il ne fallait de toute façon pas s’y attendre, et avec le recul que l’on a aujourd’hui encore moins, mais non : Ecarlate et Violet ne seront toujours pas ces jeux qui, en matière de technique, feront danser Pokémon avec les standards actuels.

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Vous conviendrez qu’il y a ici quelque chose qui ne va pas…

Ces considérations nous sautent de toute façon assez vite aux yeux dès que l’on se lance dans le jeu.
Tout ce que je mentionnais juste au-dessus concernant les difficultés de performance ne se fait pas désirer longtemps et il suffira de jouer quelques minutes pour les observer dans leur élément. Malgré le soin visiblement apporté aux designs de manière très générale, Ecarlate et Violet souffrent des mêmes maux qu’Arceus avant elles et ces derniers sont présent dès le premier chemin que l’on emprunte, lequel relie la maison de notre personnage à celle de Menzi, l’amicale rivale de l’aventure. Au cours de ces quelques pas, on voit les personnages apparaître au dernier moment et l’on sent l’instabilité du framerate, notamment lorsque l’on se retourne pour voir où sont les trois petits starters qui nous accompagnent jusqu’à destination (le choix parmi les trois n’est pas encore fait à ce moment précis). Quelques cutscenes s’enchaînent au cours de ces premiers instants et rien ne vient véritablement rassurer (je revois encore ce pauvre Chocodile brûler sa pomme dans un élan de technologie digne de la Wii, j’exagère à peine). Je ne suis cependant ni aveugle, ni de mauvaise foi et je reconnais que sur ce court laps de temps, j’ai noté quelques menus progrès, notamment au niveau des décors, lesquels ont vraisemblablement joui d’un meilleur polissage que sur Arceus. La première route du jeu nous amène par exemple à longer la côte et un seul regard vers les étendues maritimes nous révèle déjà une eau bien plus agréable à observer que celle de ce précédent jeu, dont les lacs faits de tuiles juxtaposées nous restent tristement en mémoire. Oh bien sûr ce genre de procédé demeure tout de même, sans grand fignolage, comme sur les flancs de falaises de la capture d’écran ci-dessus (où la caméra flirte, comme très souvent dans le jeu, avec un moment d’out of bounds). Du reste, je me dis très vite que malgré l’indécrottable retard technique accumulé par la licence, ce jeu arrive à s’en sortir un peu mieux que ses plus récents prédécesseurs, qu’il s’agisse en l’occurrence d’Arceus ou même d’Epée et Bouclier.

Peut-être est-ce parce que je suis porté par l’enthousiasme de recevoir ma dose de Pokémon mais tout me semble un peu mieux que quelques mois plus tôt ici. La mer est globalement jolie, les arbres ont l’air d’arbres, il y a un je-ne-sais-quoi qui semble faire tenir la baraque un peu mieux. Bon on ne pourra pas s’empêcher de rigoler sur les 5 images par seconde des bestioles les plus lointaines, sur les PNJ qui apparaissent si tard qu’on croirait un jumpscare ou sur ces brins d’herbe plats et si peu fournis qu’on les imagine plantés un par un et à la main, ne nous mentons pas. Mais malgré cela, il y a un truc, une espèce de sensation qui nous envahit et qui fait que l’on va très vite passer outre. Oui, clairement, on s’en tamponne pas mal de ces problèmes qui n’intéresseront au mieux que les technophiles les plus avertis et au pire les gens qui ont pour leur bonheur tout ce temps à perdre à pointer du doigt ces aspects pas futiles mais presque avec, on l’imagine, un rire goguenard. On s’en balance en fait parce que finalement, ce n’est pas le sujet. Et si, en vieux fan que je suis, je regrette encore et toujours que Game Freak et Nintendo n’osent pas prendre le temps d’un développement plus long pour leurs prochaines itérations de Pokémon  ce qui serait plus que bénéfique pour ancrer la licence dans son époque – je ne peux que me rendre compte que c’est clairement quelque chose que j’ai vite effacé de mon esprit à mesure que je progressais dans le jeu.

Observez ici les falaises en arrière-plan. Le rendu s’y veut moins « sale » que sur le précédent screenshot que je vous proposais et prouve que si le jeu n’est pas non plus particulièrement brillant sur cet aspect, il arrive à fournir l’effort nécessaire et attendu pour ne pas brutaliser nos yeux trop violemment.

Les promesses de Pokémon Ecarlate/Violet ne sont pas là. Elles sont sur du contenu de jeu, sur du game design. On savait de toute façon pertinemment que ces jeux ne viendrait en aucun cas replacer Pokémon dans une quelconque course à la performance. On le sait non seulement parce que Nintendo n’a vraiment plus cette idée en tête depuis bien longtemps et aussi pour les raisons que j’avançais plus haut ainsi que dans mon article sur Légendes Pokémon. Regardons plutôt vers ce que les équipes de développement ont réellement à nous proposer. Or, une fois que l’on s’attarde sur cette question de fond plus que de forme, on voit bien que ces nouvelles versions ont tout un lot de défis à relever, au premier rang desquels ce monde enfin véritablement ouvert dans lequel nous sommes amenés à déambuler.
En soi, on l’oublierait presque, c’est une petite révolution à l’échelle de Pokémon. Les prémices de celle-ci se sont doucement dessinés dans Epée et Bouclier avec les terres Sauvages, puis dans Arceus donc avec les différentes zones de la région d’Hisui où nous pouvions nous promener à notre guise. Jusqu’ici cependant, rien ne s’apparentait à un vrai open world et nous n’avions droit qu’à un bac à sable ponctuel dans le premier cas ainsi qu’à des aires de jeu dissociées les unes des autres et reliées à un hub central (de la même manière que l’on avait par exemple eu les mondes de Super Mario 64 reliés succinctement entre eux uniquement par le château de la princesse Peach). Avec Ecarlate et Violet, Game Freak passe enfin à la vitesse supérieure et voit les choses en grand avec cette map pleinement ouverte. Pas de chargement d’une zone à l’autre ou à l’entrée d’une ville, rien de tout cela. Seule exception : le gouffre central de la région et dans lequel se trouve la Zone Zéro, dont je ne dirai rien ici étant donné que cela concerne des éléments importants de l’intrigue du jeu. Le fait est en tous cas que ça fonctionne redoutablement bien !

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Tu marches tranquillement, tu fais une capture et quand tu te retournes, tu as ces deux-là qui te regardent sans broncher : c’est peu de choses et en même temps, c’est efficace.

Je me remémore en écrivant ces lignes le moment où, enfin, je quittais les petits sentiers battus des deux ou trois premiers lieux du jeu pour enfin pleinement me lancer à la découverte de Paldea. Et ce qui me revient en tête alors c’est ce même sentiment qui m’a étreint lorsque j’ai quitté le Plateau du Prélude dans Breath of the Wild en 2017, celui d’une impression de pouvoir aller partout. Les reliefs environnants m’ont d’abord donné le sentiment que ce n’était peut-être pas aussi possible qu’on nous le laissait espérer mais le jeu nous apprend doucement mais sûrement que si, tout est accessible. Ecarlate et Violet ne perdent pas de temps et nous mettent vite devant le fait qu’on a ici affaire à un open world en bonne et due forme. Il faudra toutefois attendre de quitter l’Académie Orange, peu après le début de la partie, pour enfin toucher du doigt le plein potentiel de ces espaces à explorer, notamment grâce à ce Koraidon ou ce Miraidon (selon que vous jouez à une version ou l’autre) qui nous servira de monture. Au moment de quitter la ville de Mesaledo où se trouve ladite école, deux personnages nous offrent la possibilité de partir soit vers l’Est, soit vers l’Ouest. Ceci fait, libre à nous de faire un choix. C’est alors que Paldea se donne totalement à nous, terre inexplorée à arpenter de long en large. Les soucis techniques du jeu sont alors bien peu de choses face au plaisir pris à errer avec ou sans but dans ces différentes zones sans frontières où nous nous plaisons à observer des Pokémon gambader gaiement dans les prairies, les rivières et sur les flancs des montagnes. Ils sont là et ils sont plutôt nombreux en définitive, donnant à cette nouvelle région des allures vivantes. Le bouchon aurait pu être poussé plus loin, certes, disons jusqu’à carrément donner lieu à des interactions entre différents Pokémon sauvages, élément de decorum qui aurait encore ajouté au naturel de la chose… Mais je chipote et il est déjà si agréable de voir ces petites (ou grosses) bêtes faire leur vie, sauter dans une mare, s’envoler ou s’approcher de nous après toutes ces années qu’on ose à peine en demander plus pour le moment. 


Sans doute est-ce là d’ailleurs que Pokémon: Ecarlate/Violet réalise son meilleur coup, son hold up presque. En offrant au public le plaisir d’explorer une région ouverte dans laquelle il est tout bonnement plaisant de se déplacer. Aussi imparfaite que puisse être l’expérience dans son rendu visuel, elle compense ses lacunes par une espèce de ravissement qui ne se dément jamais. Du début à la fin de mon aventure, j’ai ressenti quelque chose de très agréable à aller et venir dans ces espaces, moins pour leur variété ou leur beauté (quoi qu’ils aient leur charme pour la plupart) que pour l’impression de ne pas simplement marcher dans le vide. Arceus en début d’année touchait assez vite aux limites de l’exercice à dire vrai et si le scénario tachait de continuellement renouveler l’intérêt pour le jeu, son monde ouvert peinait au bout d’un certain temps à maintenir le joueur que je suis captif de sa proposition. Un peu trop vide et surtout redondant, ce semi-open world manquait d’un je-ne-sais-quoi que la région de Paldea semble détenir. La question est alors de savoir ce qui fait ce « je-ne-sais-quoi ». Il est à mon sens multiple.
Il y a d’abord, comme je le mentionnais plus haut, cette joie à avancer au milieu des créatures et à les attraper dans ce contexte. La formule trouve d’ailleurs ici un chouette équilibre entre l’expérience de base de Pokémon (tomber sur une bestiole et engager le combat dans un duel au tour par tour assez classique) et sa version renouvelée de Légendes Pokémon avec cette possibilité de les approcher discrètement pour les prendre par surprise ou celle d’envoyer directement un des membres de notre équipe à l’affrontement dans des combats automatiques. Ces derniers forment une petite nouveauté intéressante dans le sens où ils permettent d’enchaîner les combats assez rapidement (accélérant en cela le gain de points d’expérience) ainsi que pour le fait que certains Pokémon n’évolueront que si on les envoie suffisamment sur le terrain dans ce mode appelé « en avant ». Bien sûr, voilà qui n’est pas suffisant pour profondément révolutionner la licence mais on aime à y voir le signe tout de même d’une envie de remanier la formule, de la décongestionner même en lui conférant un dynamisme nouveau.

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Le mode « en avant » sera la vedette des assauts sur les bases de la Team Star où, avant d’affronter chaque boss, il faudra venir à bout d’une trentaine de Pokémon via ce mode

Un dynamisme qui, de manière générale, est égrainé dans l’intégralité du titre. Un des principaux atouts pour appuyer cette thèse aura notamment été l’idée de proposer non pas une, ni deux, mais bien trois trames scénaristiques. Trois quêtes distinctes les unes des autres qui, si elles se rejoignent en fin de parcours, peuvent être menées au rythme voulu par les joueurs et joueuses. J’évoquais plus haut le fait que le jeu nous lâchait très vite la main concernant la façon d’appréhender l’open world ici construit et faisais pour cela un parallèle avec Breath of the Wild : la comparaison peut de nouveau se faire jour ici en ce sens que le dernier Zelda en date offrait lui aussi la possibilité de prendre l’aventure par le bout que l’on voulait. A titre personnel, je me rends compte avec le recul que j’ai suivi l’affaire selon un parcours me faisant faire le tour de la région dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Une façon de faire que je regrette un petit peu a posteriori mais qui m’a à mon sens été induite par la forme générale de Paldea, conçue telle un donut avec un immense trou en son centre et vers lequel nous ne nous dirigerons de toute façon qu’en fin de voyage. Par cette appréhension somme toute très géographique, j’ai en effet touché aux limites de l’exercice dans lequel les équipes de Game Freak se sont lancées. Car malgré leur bonne volonté affichée de vouloir laisser le cheminement aussi libre que possible aux joueurs et joueuses, on ne peut que ressentir au bout de quelques heures que le jeu n’arrive pas à suivre cet élan de liberté à 100 %.

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Par sa géographie et en raison de ce cratère central autour duquel on ne peut que tourner, on se met vite inconsciemment à suivre un parcours circulaire autour de la région.

Plusieurs choses me viennent à l’esprit pour illustrer cet état de fait et j’en retiendrai ici deux.
La première concerne la quête de ces Pokémon Dominants que nous menons aux côtés de Pepper. Cet aspect de l’aventure implique d’explorer la région de Paldea au sens propre du terme, en en recherchant des Pokémon exceptionnels dans divers recoins de la map. La chose prend alors assez vite la forme d’un appel à la découverte somme toute assez plaisant et auquel on a envie de répondre. Mieux encore, chaque rencontre avec un Dominant donné débouchera sur une nouvelle compétence pour notre Pokémonture. Il pourra alors progressivement apprendre à sprinter, à planer, à grimper, à nager, etc. Et c’est là que la liberté donnée en matière d’exploration touche une première limite. En privant la Pokémonture de ces capacités et en ne les lui rendant qu’une à une à mesure que l’on progresse, le jeu essaie malgré tout de rythmer la progression. Je prends pour cas ce moment où s’étendait devant moi un lac au milieu duquel une île où était censée se trouver l’une de ces créatures hors-normes. Or, mon Koraidon n’avait appris à ce moment-là ni à planer, ni à nager : impossible donc de m’y rendre. Ajoutons à cela que chaque Dominant donnera toujours accès à la même compétence, quel que soit l’ordre dans lequel nous les rencontrons. Le jeu ne réévalue jamais les choses en fonction de la progression qui est la nôtre et vient en conséquence imposer malgré tout un ordre naturel dans lequel rencontrer ces Pokémon particuliers.

L’autre exemple de cette frontière qui se dessine entre ce que le jeu voudrait proposer dans l’idéal et ce qu’il propose finalement dans l’absolu concerne les arènes. Dans cet autre pan de quête, libres sommes-nous encore et toujours de faire les choses dans l’ordre qu’on le souhaite. Poursuivant mon périple anti-horaire, j’ai donc commencé par l’arène du type Plante, d’assez bas niveau, pour ensuite enchaîner avec celles qui se trouvaient sur mon chemin jusqu’au Nord puis en redescendant vers le Sud par l’Ouest de Paldea. A dire vrai, le cheminement m’a semblé tout à fait naturel de cette première arène jusqu’aux deux juchées sur le Mont Nappé, principale zone de reliefs enneigés de la région. Ma progression et celle de mes Pokémon se faisaient selon un rythme certes soutenu et renforcé par les très nombreux combats contre des créatures sauvages et je me retrouvais systématiquement avec un niveau un tantinet supérieurs aux champions et championnes que je défiais. Ni trop, ni pas assez, juste ce qu’il faut pour avancer plutôt sereinement. En revanche, lorsque j’ai descendu les flancs occidentaux du Mont Nappé, c’est là que j’ai déchanté un peu en réalisant alors que les niveaux des arènes sont tout bonnement fixes. Me voilà donc, avec une équipe au niveau particulièrement élevé, à aller affronter Era et ses Pokémon de niveau 14-15 ou encore Kombu et son équipe de niveau 29-30…

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Précisons tout de même qu’avant d’affronter un(e) champion(ne), il est demandé de réussir une épreuve, impliquant ou non des combats de Pokémon et dont l’intérêt est plus que variable.

De nouveau, le jeu nous met face à cette structure un peu rigide où, malgré tout et en particulier malgré son désir d’ouverture et de liberté, il n’arrive pas à transcender sa recette initiale, fondée il y a plus de 25 ans. Ainsi, bien qu’il nous donne l’opportunité de parcourir Paldea comme nous le souhaitons, le titre attend tout de même de nous que nous fassions les choses dans l’ordre, comme un vieux réflexe dont la licence n’arrive pas à se débarrasser. Ou plutôt que d’attendre strictement cela des joueurs et joueuses, disons plutôt qu’il insère cette mécanique de progression linéaire dans cette formule remaniée justement en vue de ne plus l’être, créant par là même un paradoxe. La chose n’est évidemment pas dramatique et on rira volontiers du fait de totalement humilier ainsi les ultimes champions et championnes mais c’est la preuve qu’en dépit des efforts fournis ici, Game Freak a encore du travail à faire pour changer la donne sur Pokémon. J’irais même jusqu’à dire que ces menues incohérences signent le témoignage d’une difficulté entre bien présente à bouger les lignes. De là à dire que tout ce que j’évoquais précédemment concernant le manque de temps alloué au développement des jeux (et, en conséquence, à la réflexion plus en amont sur l’orientation qu’ils peuvent prendre) est encore une fois un coupable désigné, il n’y a qu’un pas que je fais volontiers. J’assois néanmoins ce coupable sur le même banc que la rigidité inhérente à cette licence qui n’a jamais sincèrement cherché à se remettre en question en profondeur, si ce n’est par les quelques esquisses de changement que nous avons pu observer ces dernières années et tout particulièrement avec Arceus et E/V en 2022.

Je n’ai pas pris le temps ici d’évoquer la quête de la Team Star mais il faut convenir que celle-ci néchappe pas à ce que je viens d’évoquer. On aura cependant noté l’effort fourni sur la caractérisation des personnages, notamment les boss, et sur l’envie de livrer un véritable récit, bien que cousu de fil blanc et trop bavard…

En définitive, la question du paradoxe se porte sur l’intégralité de cette nouvelle itération de Pokémon. Car Ecarlate et Violet donnent ce drôle de sentiment, double, de faire de grandes choses avec rien. En effet, si l’on prend un peu de hauteur sur le jeu, si je m’extirpe des plus de 50h que j’ai passées avec bonheur dessus et que j’essaie de regarder les choses aussi froidement que possible, il est difficile de voir en quoi ces versions sont de grands bouleversements. Tout du moins, ça l’est au regard de l’actualité du jeu vidéo, de l’état présent de l’industrie et de ce qu’elle a à proposer. Un monde ouvert, ce n’est pas neuf.
La Téracristallisation, petite nouveauté de gameplay dans la continuité des Méga-évolutions (Pokémon X/Y) et des raids Dinamax (Pokémon Epée/Bouclier), est minime quant à elle. Si cette possibilité de changer le type d’une bestiole (et une seule !) en plein combat apportera un supplément sans doute intéressant pour qui aime s’attaquer à ces jeux sous un angle stratégique, l’affaire ne remue pas ciel et terre pour le public plus « classique ». Elle le fait d’autant moins que son emploi par les champion(ne)s d’arène n’est peut-être pas aussi judicieux qu’il aurait pu l’être. Au lieu, comme on aurait pu l’espérer pour pimenter le duel, de faire passer le dernier Pokémon dudit personnage dans un type différent de celui qui résume son arène, voilà que c’est l’inverse qui se produit. En conséquence, rien ne vient bouleverser le cours du combat et si vous avez été assez malins pour envoyer un Pokémon de type Feu sur le terrain alors que vous affrontez le champion spécialisé dans le type Plante, eh bien il n’y a qu’à continuer. Dommage, cela aurait pourtant pu être une bonne occasion d’illustrer cette nouvelle feature tout en pensant à ajouter un tout petit peu de challenge au titre.

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La plupart des Pokémon auront un type Téracristal similaire à leur type d’origine (comme ici ce Poussacha de type Plante). D’autres verront leur type changer, à l’image du Teddiursa de la championne d’arène Era, qui passera du type Normal au type Insecte.

Ne nous mentons d’ailleurs pas à ce sujet, ces nouvelles versions de Pokémon sont, comme bon nombre des précédentes, particulièrement faciles en comparaison de ce que furent les 2 ou 3 premières générations.
Sortant justement la version Or, que j’ai pris plaisir à refaire cette année, le constat est pour moi criant. L’une des raisons ici de cette facilité renforcée sera d’ailleurs l’omniprésence cependant réjouissante des créatures sauvages. Impossible en effet de résister à l’envie de les affronter, pour les capturer surtout, alors que l’on chemine dans Paldea. Leur présence nombreuse et variée sur ces terres nouvelles constitue en effet un appel au détour qui allongera très naturellement la durée de vie du jeu. Un mal pour un bien donc car quoique cette quête pour tous les attraper conduira à ce gain de niveaux plus soutenu et donc à cette facilité à vaincre les principaux dresseurs du jeu (en arènes comme au Conseil des 4), elle incite en parallèle à la curiosité, à l’envie de passer çà et là et dénicher un éventuel secret ou un Pokémon plus discret et donc moins facile à trouver. Enième paradoxe que voilà puisque, dans le même temps, cette exploration ne regorge pas non plus de tant de secrets que cela. Même les maisons sont fermées à double-tour et ne donnent pas la possibilité d’y entrer ! Hormis les lieux d’intérêt et les boutiques, aucun bâtiment ne peut être visité, ce qui ne manque pas de donner cette impression d’un mur de verre étonnant au sein d’un jeu dont l’ouverture, sans être illusoire pour autant, touche encore une fois à ses limites.

Telle est donc l’impression qui demeure à terme : Pokémon Ecarlate/Violet est une réussite paradoxale. Car le jeu n’a de véritablement innovant que des choses qui le sont par rapport à l’héritage qu’il porte et non vis-à-vis de ses contemporains. Il repose pour l’essentiel sur des mécaniques dont le renouvellement est aussi nécessaire que discret, sur un pilier principal (son monde ouvert) qu’on n’osait plus espérait après tout ce temps, le tout en affichant des performances toujours aussi inégales. Ce nouveau Pokémon aurait facilement pu être un échec. Mais ça n’en est pas un. Aussi étonnant que celui puisse paraître, c’est aussi parce qu’il fait ces efforts qu’il réussit à s’imposer comme l’une des meilleures générations de la licence depuis longtemps. Et tant pis s’ils sont trop timorés ou tardifs ! L’essentiel est là : Ecarlate et Violet offrent une expérience qui répond au fantasme nourri par des tonnes de joueurs et joueuses, de fans, depuis plus de 20 ans. C’est dire la force d’une marque comme Pokémon, si elle est capable de sortir un jeu tel que celui-ci et de tout de même s’en tirer avec les lauriers tout en laissant à une partie de celles et ceux qui l’ont parcouru le sentiment d’avoir joué à quelque chose de véritablement neuf.

Au fond, Ecarlate et Violet ne font qu’apporter une saveur nouvelle (et tout à fait appréciable) à une recette déjà si vieille.

C’est une anomalie presque que ce titre qui dénote clairement dans le paysage vidéoludique moderne par son retard flagrant sur la concurrence mais qui réussit quand même à faire vivre une expérience plus que plaisante. Evidemment, cela remet au centre de la table le vieux débat qui consiste à se demander si un jeu a besoin de performances techniques irréprochables pour être bon, voire très bon. Loin de moi l’idée de répondre à cette question ici, cela ne m’intéresse pas pour le moment. Mais le fait est que Pokémon dépasse ces seules préoccupations-là. Parce que la licence est plus forte qu’elles, que ce soit une bonne ou une mauvaise chose. Elle pèse suffisamment lourd pour que les premiers retours qui s’amusaient de ses errances visuelles et graphiques au lancement de ces deux nouvelles versions ne réfrènent personne : en trois jours, Ecarlate et Violet se sont écoulées à plus de 10 millions d’exemplaires, devenant alors le meilleur lancement d’un jeu Nintendo comme nous le rapportait Jeff Grubb.
En cela, Pokémon a réussi à faire de sa plus grosse faiblesse un outil qu’elle peut utiliser pour se maintenir. En s’assurant des ventes considérables – records même ! – avec un jeu certes très plaisant pour l’expérience manettes en main mais en même temps éminemment perfectible sur bien des points, elle se paie le luxe de se créer un nouveau point de départ. Epée et Bouclier l’envisageait discrètement, Arceus fixant ensuite le cap. Avec Ecarlate et Violet, Game Freak semble avoir la boussole en main pour ne pas perdre ce cap de vue. Ces deux versions étalent tout un lot de détails qui méritent d’être exploités et développés dans l’avenir pour forger le Pokémon qui réussira à mettre tout le monde d’accord.

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Cela pourra sembler galvaudé comme formulation mais il me semble que Pokémon est arrivé à la croisée des chemins, à cet instant où sa destinée va se jouer. Non pas que j’envisage une quelconque possibilité où la licence finirait par mourir à petit feu (Pokémon est au jeu vidéo ce que Les Simpsons sont à la télévision) mais avec l’arrivée d’Ecarlate et Violet, la série semble avoir plusieurs sentiers face à elle. L’un d’eux poursuit les premiers pas faits depuis Epée et Bouclier, concrétisés ensuite avec Légendes Pokémon: Arceus et très nettement confirmés ici. On s’imagine alors avec des mondes ouverts de plus en plus travaillés, un game design qui se mue petit à petit en quelque chose de revu, à défaut de neuf… Oh je ne vois pas les plus grands chamboulements arriver d’ici un an ou deux mais, qui sait, plus tard peut-être…
Et puis il y a l’autre option, celle du statu quo. Celle où Game Freak et Nintendo pourraient se dire que c’est déjà pas mal d’avoir fini par céder sur ce qui fait d’E/V une des générations les plus sympathiques depuis des lustres chez Pokémon. Celle surtout où ils prennent encore plus conscience que, finalement, il n’y a pas tant d’efforts à faire pour que les jeux se vendent quand même par bennes entières. L’option où, tout bonnement, ils s’en foutent pas mal. Cette possibilité me fait déjà un peu plus peur que l’autre et, quand on regarde le passif de la saga, on se dit qu’elle tout sauf inenvisageable. En attendant, on aura toujours eu Ecarlate et Violet pour dérider les vieux fans tels que moi et c’est déjà pas si mal.

Quant à moi je vous quitte sur cet article et m’accorde une petite pause à cheval sur cette fin 2022 et ce début 2023. Je vous souhaite un joyeux Noël, si vous le fêtez, une heureuse fin d’année et je vous donne rendez-vous quelque part en Janvier !

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