Qu’on se le dise : la deuxième moitié des années 2010 a porté son lot de grands jeux, sinon de chefs-d’oeuvre. Nous avons été gâtés entre 2015 et 2019, c’est indéniable. Pêle-mêle, comment ne pas repenser à Control, Red Dead Redemption II, Breath of the Wild, Death Stranding ou encore NieR Automata ? Mais ce qui frappe surtout, c’est la façon dont la scène indé a su prendre le devant de la scène, presque à part égale avec les ténors de l’industrie. Alors que des Journey ou des Hotline Miami faisaient presque figure d’exceptions au début de la décennie, la fin des années 2010 a vu paraître un bon nombre de titres qui ont sans aucune difficulté su s’imposer comme des incontournables. Dead Cells, Hollow Knight ou encore Celeste nous viennent en tête mais celui que je retiens le plus, à titre très personnel, c’est sans conteste Cuphead. Or, le jeu du studio MDHR a récemment fait l’objet d’une adaptation en série sur Netflix.

Petit bond dans le temps, avant toute chose. Nous sommes en 2014 et Cuphead crée la surprise lors de l’E3. Dévoilé pour la toute première fois à cette occasion durant la conférence Xbox, le premier jeu du studio MDHR (contraction du nom de ses fondateurs, les frères Moldenhauer) a capté l’attention du public pour son style. Entièrement conçu à partir d’animation faite main, à l’ancienne, le jeu reprend en effet un style cartoon nous ramenant sans vergogne aux années 1930, alors que nous entrions doucement dans l’âge d’or de l’animation américaine, celle-là même qui nous donnera Mickey Mouse, Woody Woodpecker, Felix le Chat, Popeye, Betty Boop ou encore Tom et Jerry et les premiers Looney Tunes, rien que ça.
En trente secondes, Cuphead a su marquer les esprits mais il aura tout de même fallu attendre l’année suivante pour s’assurer de son contenu en tant que jeu à proprement parler. De nouveau lors de l’E3, c’est en une minute cette fois-ci que le jeu confirme ce qu’il sera, à demi-mots : un boss rush doublé d’un run and gun. Je vous passe l’intégralité des péripéties qui auront parsemé le chemin jusqu’à la sortie du titre mais il est indéniable que c’est à travers ces deux appellations que Cuphead résume le mieux son game design. Le jeu invite en effet les joueurs et joueuses à passer de niveau en niveau, la plupart étant des combats de boss tout à fait corsés tandis que d’autres sont des parcours linéaires à défilement horizontal, blindés d’obstacles et tout aussi salés.
En définitive, le bon Cuphead s’avérait être une excellent jeu. Quoique particulièrement ardu – dans la pure tradition du die & retry, ce qui aurait pu me pousser, en raison de mes goûts propres, à abandonner l’affaire -, le titre fait preuve d’une excellence indéniable tant dans la qualité de son gameplay que dans son esthétique générale (visuelle et musicale) et sa capacité à faire naître ce sentiment de satisfaction si délicieux au moment de vaincre un boss donné. Il rejoint en cela des œuvres majeures qui ont fondé leurs réputations respectives sur ce difficile équilibre à trouver entre exigence et gratification, le tout dans un spectre allant autant des Dark Souls (et leurs dérivés) à un Super Meat Boy dont la mention ici n’est d’ailleurs pas innocente puis qu’il s’avère que c’est le succès de ce dernier, courant 2010, qui a relancé les deux frangins au travail sur leur propre jeu alors même qu’ils avaient envisagé quelque temps plus tôt de laisser tomber. Un détail que nous apprenions dans cet article paru sur Kill Screen en Juillet 2014. Ainsi, sorti en 2017 – soit 3 ans après son annonce initiale et pas moins de 7 ans environ après le début de son développement – Cuphead s’est doucement mais sûrement taillé une place de valeur sûre dans la scène indé et dans le monde vidéoludique général. Un DLC (qui se sera longuement fait désirer) viendra même prolonger le plaisir avec The Delicious Last Course, qui introduisait un troisième personnage jouable en la personne de Miss Calice.
Mais le plus étonnant avec Cuphead reste encore la manière dont il est venu se décliner par la suite. Si la sortie en vinyle de son exceptionnelle bande-originale faite de jazz et de ragtime n’est pas des plus surprenantes dans un contexte où la musique de jeux vidéo prend de plus en plus de place dans les bacs, il aura par exemple été plus amusant de dénicher quelque temps après des comics mettant en scène le brave Cuphead et son acolyte Mugman. Editées par Dark Horse Comics outre-Atlantique puis par Pix N Love chez nous, ces aventures de papier replongent les fans du jeu dans son univers coloré en reprenant à leur compte la majorité des aspects de cet univers, du style cartoonesque à la personnalité toute espiègle de ses personnages principaux. La parution de ces bandes dessinées (deux volumes disponibles si ma mémoire est bonne) m’avait étonné à l’époque. Bien qu’auréolé d’un succès légitime, Cuphead ne me semblait pas de prime abord avoir atteint le statut qui lui permettait de sereinement s’attaquer à un marché de produits dérivés autre que celui des OST et des figurines. Sans doute étais-je un peu naïf sur le sujet et ce que je croyais être un biais de confirmation par un effet bulle* était en fait le témoignage d’un engouement général autour de la licence naissante.

*L’effet bulle est un phénomène particulièrement présent sur internet consistant à voir autour de soi une majorité d’avis allant dans le même sens que notre opinion personnelle. Nous avons en effet une tendance naturelle et en partie inconsciente à nous entourer, en particulier sur les réseaux sociaux, de contacts qui partagent nos vues, qu’elles soient philosophiques, culturelles, politiques, etc. De ceci découle donc un biais de confirmation dans lequel nous nous fourvoyons en imaginant alors que notre point de vue est globalement partagé alors qu’il ne l’est « que » par la sélection d’individus dont nous avons composé notre environnement social.
Extrait du volume 2 des aventures de Cuphead et Mugman
en comics.
Bien loin de me douter que Cuphead, malgré la difficulté du jeu, avait réussi à tant galvaniser les joueurs et joueuses, vous vous doutez bien que ce que je n’ai pas vu arriver ensuite, c’est l’annonce d’une série animée dérivée. Si cette idée me semble tout à fait naturelle étant données les influences initiales du jeu, il m’est impossible d’affirmer que je me serais attendu à ce qu’une plateforme aussi imposante que Netflix vienne chercher ce titre pour le décliner en une production télévisuelle, a fortiori à destination des plus jeunes principalement (qu’on imagine mal jouer à Cuphead). C’est en Juillet 2019 que le projet a été révélé, la plateforme américaine annonçant son intention de commencer par une saison d’au moins 10 épisodes. Ce premier passage en série des personnages à tête de tasse se fera finalement en 12 chapitres diffusés à partir du 18 Février 2022. J’y reviendrai ensuite mais il est possible d’affirmer dès maintenant que la chose a pris de très belles allures. Et la série d’à son tour rencontrer le succès, à tel point que deux autres saisons comptant respectivement 13 et 11 épisodes, ont été mises en ligne la même année, en Août puis en Novembre !

Ceci fut la première image que nous avons pu voir concernant ce projet de série. Déjà, quelques indices permettent de se dire que le ton du jeu sera au rendez-vous.
Mais avant de revenir sur ce format et ses qualités, arrêtons-nous un instant sur ce que son annonce a suscité en moi comme interrogations. Fan du jeu originel, j’ai évidemment accueilli l’idée d’une série animée avec un certain enthousiasme, même si la mention de Netflix a automatiquement fait naître en moi un doute, la plateforme m’ayant trop habitué à des séries de piètre qualité d’une part et surtout à des annulations en veux-tu en voilà d’autre part. Cependant, je me suis posé des questions quant à ce projet de série, la principale étant : comment transposer Cuphead dans ce format ? Evidemment, le choix de l’animation et, plus particulièrement, d’un style à l’ancienne était évident. Ce n’est pas sur ce point que je me questionnais le plus en matière d’adaptation mais plutôt sur la manière de réinterpréter le déroulé du jeu en tant que tel dans une série. Je m’explique. Comme je le disais plus haut, Cuphead sur nos consoles et PC se divise en deux phases principales : les niveaux de run and gun et les combats de boss. Répartis en trois « chapitres », si l’on veut, ces niveaux offrent une expérience très répétitive en soi. Courir, combattre, courir, combattre, courir, combattre…
Cette redondance ne pose pas de véritable problème dans le contexte d’un jeu et en particulier dans celui-ci, qui mise énormément sur la répétition des actions en vue de s’améliorer et d’enfin décrocher la victoire. En revanche, que penser d’un tel schéma pour une série ? Nul doute qu’une saison de 12 épisodes qui se ressemblent finirait par lasser. Ce serait d’autant plus le cas qu’au fond, la narration dans Cuphead n’est finalement qu’un prétexte : le jeune héros éponyme a vendu son âme au diable et doit, pour la récupérer, aller chercher celles qui figurent sur une liste que lui remet ce dernier en personne. Ce point pourrait certes offrir un fil rouge général efficace pour une quelconque série mais, cumulée à l’effet de répétition que j’évoquais juste avant, je reste convaincu que cela aurait posé problème sur le long terme. Encore une fois, la formule fonctionnait in game mais c’est bien justement parce que c’était un jeu avec un gros sens du challenge. En cela, nous étions profondément actifs devant notre écran et non passifs comme on l’est fatalement dans notre rôle de pur spectateur.
Mon a priori au moment de me lancer dans le visionnage donc, c’est qu’il est impossible (ou plutôt inenvisageable) de chercher à transposer trop fidèlement la trame du jeu dans ces épisodes à venir. Or, The Cuphead Show semble avoir eu parfaitement conscience de l’affaire et a fait le même choix que les comics que je mentionnais plus haut : adapter librement. Les bouquins avaient en effet eu la bonne idée de ne pas « s’encombrer » avec la trame principale du jeu mais de venir étoffer l’univers qui gravite autour de ce scénario. Flirtant sans honte avec les strips à l’ancienne – qui mettaient déjà en scène pour certains des personnages de cartoons -, les deux volumes s’amusent à reprendre à leur compte le monde de Cuphead et ses personnages et à les amener à vivre diverses situations cocasses et loufoques visant essentiellement à faire rire. Certains personnages qui sont pourtant des boss redoutables dans le jeu deviennent alors les protagonistes de petites scènes amusantes où Cuphead et Mugman multiplient les péripéties sans toujours chercher à collecter de quelconques âmes. Et c’est exactement ce que The Cuphead Show fait à son tour, à la différence près que la question du pacte avec le diable, tel que vu dans le jeu, va servir de point de départ à partir duquel fonder les aventures et mésaventures des deux bonhommes à têtes de tasses.
Résulte de ce parti-pris un dessin animé extrêmement plaisant. Au bout des trois saisons, je ressors avec l’impression d’avoir regardé une de ces séries que j’aimais tant étant gamin (et que je continue d’aimer d’ailleurs). Oscillant sans cesse entre des inspirations classiques (Looney Tunes, Disney, Hanna-Barbera) et d’autres plus contemporaines (on sent l’influence de l’école Nickelodeon et Cartoon Network), le Cuphead Show est une bien agréable bouffée d’air frais. Déjanté sans être trop hystérique, trouvant en cela un équilibre qui a pu faire défaut à certaines productions jeunesse des années 2000-2010, il donne à voir des péripéties tout à fait divertissantes, servies par un ton qui rend parfaitement honneur à celui du jeu dont il s’inspire. On notera cependant une certaine tendance à s’écarter un peu de l’esprit général de ce dernier, ou plutôt à le tordre, en grande partie pour réadapter les deux personnages principaux à ce nouveau format. Cuphead et Mugman gardent en effet les principaux traits qui les animaient in game mais s’y font moins insolents, moins « petites crapules ». Je vois dans la façon dont ils sont ici présentés une manière de remettre au goût du jour l’esprit « buddy » que l’on pouvait retrouver dans divers dessins animés d’autrefois et qui mettaient également en scène un duo, allant par exemple des Castors Allumés (Nickelodeon, 1997-2001) à Tic et Tac (tels qu’ils sont apparus à l’origine dans les années 1940). L’on retrouve alors cette idée d’un binôme avec un personnage un peu excentrique/maladroit/tête brûlée (ici Cuphead) tandis que le second est plus sérieux/consciencieux (Mugman en l’occurrence).
Une dualité qui nourrit évidemment les situations comiques, plus que nombreuses, et qui sont un atout indéniable pour la qualité de la série. Car il convient de souligner que The Cuphead Show est très drôle. Humoristique avant tout même, la série cumule les gags sans se priver, multiplie les plans drôles (la tête de Mugman et ses expressions faciales sont une usine à rires) et s’offre ainsi le luxe d’un rythme tout à fait louable. Car au-delà même de l’esthétique et de la seule drôlerie, nous avons ici affaire à quelque chose de très bien écrit. Si tous les épisodes ne se valent pas forcément, il n’est pas un seul des 36 qui composent les trois saisons qui soit véritablement en-deçà des autres. Le plaisir de regarder les deux têtes de tasse se fourrer dans toujours plus de problèmes ne fait jamais défaut et c’est sans conteste aux scénaristes que tout le mérite revient. Ceux-là ont su trouver le juste équilibre nécessaire entre l’envie de donner du rythme à leurs récits (où l’âme d’un ragtime endiablé n’est jamais bien loin) tout en leur accordant suffisamment de respirations pour que la chose ne devienne pas étouffante. Evidemment, à terme le schéma devient assez visible et on repère sans difficulté les principales ficelles de chaque scénario mais cela ne gâche en rien l’efficacité de ce modèle d’écriture. Le fait que chaque épisode (à l’exception de quelques épisodes doubles) soit globalement indépendant des autres assure par ailleurs l’efficacité de cette façon de faire en amenant à chaque fois un nouveau départ plutôt que systématiquement relancer une intrigue principale par des effets de répétition.

La caractérisation de personnages qui n’étaient que des boss dans le jeu (et donc peu développés) est une des réussites de la série.
On se plaît alors à voir Cuphead partir en galère avec Bowlboy (personnage créé pour l’occasion), Mugman se retrouver face au glacier le plus fou qui soit ou encore Papy Bouilloire (aka le sage Samovar dans le jeu) transformer sa chaumière en champ de bataille face à un rat des plus coriaces… Conçus tels des sketches de 20 minutes, chaque chapitre de la série offre ainsi son lot de mésaventures loufoques sans cependant jamais oublier la trame principale, certes succincte, mais qui reprend dans les très (très) grandes lignes celle du jeu d’origine. L’on rira d’autant plus, et je ne pouvais pas ne pas en faire mention, que le doublage est tout simplement excellent. Si j’ai goûté avec plaisir à la VO, je vous avoue cependant que c’est en VF que j’ai regardé la majorité des épisodes du Cuphead Show et quel régal ce fut ! La distribution vocale française de la série est somptueuse, pour ne pas dire impressionnante ! Rassemblant quelques uns des plus beaux noms du métier, elle se marie idéalement avec l’esprit du show et contribue, là encore, à inscrire ce dernier dans un long héritage tiré de l’histoire du cartoon, cette fois-ci dans sa branche française. En vrac mais avec un immense respect, ce sont tout de même Alexis Thomassian, Christophe Lemoine, Dorothée Pousséo, Véronique Augereau, Philippe Peythieux, Patrick Préjean, Jérome Pauwels, Boris Rehlinger ou encore Jean-Claude Donda qui viennent parmi tant d’autres donner corps à la série en Français. Réunis sous la direction de Donald Reignoux, le cumul de ces immenses talents rappelle, car il le faut encore et toujours, que le métier de comédien de doublage est important et précieux, notamment en France.

J’admets avoir eu un peu plus de mal avec la voix du Diable en VF mais Jérémy Prévost a finalement su me séduire.
Il serait en fait facile de venir présenter le Cuphead Show comme un exemple d’adaptation réussie d’un jeu vidéo. Quiconque s’intéresse au sujet sait en effet que la transposition de licences vidéoludiques sur grand ou petit écran n’a pas toujours été facile et des choses comme le Super Mario Bros. de 1993, la saga Resident Evil chapeautée par Paul W.S. Anderson, le film Assassin’s Creed avec Michael Fassbender et Marion Cotillard ou encore Prince of Persia et Tomb Raider se rappellent douloureusement à nous. Je suis certain qu’on trouvera des gens prêts à prendre cause pour ces œuvres-là mais il demeurera toujours le constat que porter un jeu vidéo dans un format ciné ou télévisuel reste un chantier bourré d’écueils. Cela pose alors la question de savoir s’il y a une bonne façon ou non d’adapter un jeu vidéo. Pour y répondre, et amener en cela l’idée que The Cuphead Show tire admirablement son épingle du jeu, il faut finalement chercher à voir ce qui fait qu’à défaut d’une « bonne manière de faire », il est surtout très facile de trouver une « mauvaise manière ».

Ce n’était pas très adroit mais Quantum Break venait en 2016 mêlait jeu vidéo et série télé dans ce qui ressemblait hélas plus à de la juxtaposition qu’autre chose.
Le jeu vidéo et le cinéma (et par extension la télévision) sont des médias que l’on a toujours eu tendance à rapprocher, dans un lien de cousinade qu’on peut difficilement nier. Très tôt en effet, le jeu vidéo a pu chercher à marquer ses gimmicks d’une approche cinématographique, que ce soit en s’inspirant de genres plus ou moins définis ou en essayant de s’approprier des codes de mise en scène par exemple. Si la chose transpire déjà un peu dans les titres parus dans les années 1980, mais il s’observe une accélération de ce mouvement dans la décennie suivante, en particulier sur PS1 ai-je envie de penser, que ce soit avec des sagas comme Resident Evil justement, qui emprunte énormément au cinéma d’horreur et de zombies (notamment George Romero), ou Metal Gear Solid (Hideo Kojima mériterait à lui seul un article, sinon un livre, sur son rapport au cinéma en tant que créateur de jeux vidéo). L’arrivée de studios comme Rockstar plus tard viendra confirmer ces accolades, que ce soit avec GTA ou Red Dead Redemption, tandis que des studios tels que Quantic Dream ou Remedy Entertainment n’ont jamais caché leur envie de brouiller toujours plus la frontière entre jeu vidéo et cinéma (on pense ici en particulier à Beyond: Two Souls, Detroit: Become Human ou plus encore à Quantum Break). Loin de moi l’idée de pousser l’idée plus en-avant ici mais si je précise tout cela c’est aussi pour induire l’idée que le fait de porter des licences vidéoludiques à l’écran pourrait presque être considérée comme naturelle, comme une réciprocité.
Pour autant, a-t-on déjà eu affaire à une tentative pleinement satisfaisante ? Là encore, je ne chercher pas à apporter une réponse ferme et définitive ou à dire que telle ou telle production est la meilleure adaptation de jeu au cinéma/à la télévision, mais bien de souligner les travers dans lesquels une grande majorité de ces projets se sont fourvoyés. Et le principal dans tout cela, c’est clairement cette envie de courir après une forme bien vaine de transposition de l’expérience ludique dans un format qui, par sa nature, ne peut en aucun cas s’y prêter. Ce choix est récurrent, conduisant à des œuvres au mieux bancales sinon vraiment incohérentes et tâchant de multiplier les clins d’œil évoquant le jeu d’origine ou allant jusqu’à singer le jeu vidéo. Comment ne pas penser ici au passage en vue à la première personne du Doom d’Andrzej Bartkowiak en 2005 ? De la même manière, il est un peu à craindre que le prochain film d’animation Super Mario Bros. par Illumination repose pour beaucoup sur l’évocation plus ou moins appuyée (et donc plus ou moins fine) des différentes séries de jeux mettant en scène le plombier de Nintendo…
Mais ce qui me revient le plus en tête ici, c’est très nettement la scène de l’avion dans le récent Uncharted de Ruben Fleischer, qui allait jusqu’à reprendre la même séquence tirée de Uncharted 3 sans trop se poser de question. Ce dernier est d’ailleurs un assez bon exemple de ce qu’une adaptation de jeu vidéo peut faire pour être assez mauvaise. Car au-delà d’être un film somme toute assez banal, Uncharted n’a rien cherché d’autre que reproduire la construction générale d’un jeu de cette licence. Et nous voilà à suivre Tom « Nathan Drake » Holland dans des courses-poursuites qui s’achèvent par des pan-pan-boum-boum après avoir résolu une énigme. Et ainsi de suite… Appliquant rigoureusement le cahier des charges des jeux à son film, Ruben Fleischer ne fait tout bonnement rien de particulier, si ce n’est rendre passive une expérience initialement pensée pour être active. Pire encore, il ne cherche même pas à s’inspirer des influences qui furent celles de Naughty Dog à l’origine. Inutile alors de chercher à déceler un peu d’Indiana Jones dans tout cela par exemple, Uncharted (le film) en a même oublié d’où il vient…
Et c’est très exactement là, sur ce point précis, que le Cuphead Show réussit son pari. En ne cherchant pas à faire du jeu une série mais en valorisant plutôt son univers et en l’adaptant à un nouveau format. Nulle question pour les équipes derrière ces trois saisons de proposer quelque chose qui se rapproche autant que possible de Cuphead : il faut « simplement » construire autour. Creuser du côté de l’état d’esprit, du ton, du propos, voire du récit que le jeu lui-même venait instaurer. L’objectif n’est pas de décalquer mais bien de développer. C’était par exemple ce que tentait de faire – sans grand succès – le film Assassin’s Creed, surfant en cela sur les ambitions transmédia de la licence d’Ubisoft. Et c’est ce que font les récentes productions animées gravitant autour du Cyberpunk 2077 de CD Projekt.
Tout ceci n’est en aucun cas un obstacle au petit plaisir que constitue le fait d’évoquer les éléments de gameplay des jeux concernés, de faire des petits clins d’œil (en particulier quand ceux-ci sont propices à être mis en scène au cinéma ou à la télé) mais il ne faut pas en faire un élément fondamental, sinon un point de départ. Je pense sincèrement (et c’est ici un avis strictement personnel) que le mieux à faire, quitte à adapter des jeux, c’est de s’en détacher autant que possible et de seulement en reprendre soit l’univers, soit l’influence. Dans le premier cas, je suis convaincu que si l’on devait demain avoir un film The Legend of Zelda, il ne faudrait en aucun cas que ce soit une adaptation en ligne droite d’un des jeux de la série mais bien une création originale. Dans le second, il s’agit plutôt de faire graviter une intrigue autour du jeu concerné et c’est pourquoi je suis assez curieux de voir ce que donnera le film Gran Turismo actuellement en production. Réalisé par Neill Blomkamp (District 9, Elysium, Chappie…), il racontera le parcours de Jann Mardenborough, jeune pilote amateur de karting et fan des jeux de courses de Sony qui est devenu pilote professionnel.

Sans jamais nier son origine mais en lui rendant toujours honneur, le Cuphead Show s’est libéré des contraintes inutiles que représente l’envie de « faire du jeu vidéo à la télé ».
Quoiqu’il en soit, il me semble plus pertinent de s’affranchir des codes du jeu vidéo pour qu’une adaptation en film ou série soit convenable, tout bonnement parce qu’ils sont naturellement incompatibles avec ces formats. A la rigueur pourrons-nous conserver des éléments de game design qui sont transposables, car cinégéniques (songeons à l’infiltration d’un MGS, aux assassinats d’un Assassin’s Creed, aux bastons d’un Street Fighter…) mais le plus important – y compris dans ce dernier aspect – c’est bien de savoir saisir l’essence du jeu que l’on veut adapter. C’est en allant explorer de ce côté que les équipes derrière le Cuphead Show se sont donné les moyens de composer une réussite. Au lieu de toujours chercher à être un dérivé en lien trop étroit avec son matériau d’origine, le show va tordre ce dernier de manière à aller toucher à ce qui constitue les influences premières des frangins Moldenhauer, au-delà même des aspects ludiques : les cartoons à l’ancienne.
Après tout, de l’aveu même de Chad Moldenhauer, c’est un personnage dans un cartoon de propagande japonaise des années 1930 qui a inspiré le design des personnages aux têtes en forme de tasse (le personnage en question ici). Quant au diable, c’est aux démons apparus dans certains Betty Boop qu’il doit son apparence, notamment dans Red Hot Mamma en 1934, tandis que The China Shop, issu des Silly Symphonies de Disney, aurait été une autre inspiration. Ajoutez à cela l’influence de la période des années 1930-40, de sa musique et de son cinéma (King Dice est inspiré de l’acteur Clark Gable, tout en évoquant Cab Calloway dans sa façon de chanter et de bouger sur scène) et vous avez un terreau formidable pour composer une série sans vous soucier de fidèlement coller au jeu. Pour tout cela, The Cuphead Show devient un formidable dessin animé avant même d’être une excellente adaptation d’un jeu. Ce dernier aspect s’efface même volontiers derrière l’envie de tout bonnement livrer un divertissement de qualité, voire carrément irréprochable justement parce qu’on n’a pas bêtement tenté de réaliser un copié-collé sans saveur. Découle de ce constat le fait que la série se révèle finalement être une très bonne porte d’entrée pour découvrir l’univers de Cuphead, ses personnages et ses tenants et aboutissants primaires. Se développe ainsi un cercle vertueux d’une grande beauté où les œuvres se répondent avec élégance et sans jamais chercher à empiéter l’une sur l’autre.
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Impossible de ne pas voir en The Cuphead Show une petite merveille. Reprenant à son compte tout le monde coloré et enjoué de Cuphead, le dessin animé réussit un tour de force en sachant adapter un jeu vidéo de la meilleure des façons. Il est à mon sens un exemple de la parfaite application du terme même « adaptation ». Adapter, c’est récupérer, reprendre, tordre, trahir aussi un peu. Réappropriation de la licence mais sans jamais la dénaturer, la série brille par son intelligence, en plus de son humour. S’adressant par ailleurs autant aux plus grands qu’à un public plus jeune, elle jouit enfin d’une écriture de qualité, aux gags à multiples niveaux de lectures et référencés (avec quelques particularités en VF qui feront toujours sourire). Les gens derrière le Cuphead Show l’ont bien compris : le jeu vidéo est déjà une oeuvre en soi alors pourquoi rechercher une reproduction impossible de l’expérience ludique alors que l’on peut parfaitement se « contenter » de travailler, explorer et développer l’univers qu’il a installé ?

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