Voilà un article qui aura mis du temps à venir. Initialement pensé pour paraître au printemps, ce dossier sera finalement un peu la saga estivale du blog. L’idée est toute bête en soi : dresser un bilan, certes tardif, du monde du jeu vidéo durant les années 2010. A l’aube d’une décennie naissante et riche de mille promesses, il est intéressant je crois de regarder un peu en arrière et de voir ce qui a été fait de bien, de mal, d’oublié ou de mémorable en matière de JV durant les 10 dernières années. Pour cela, et plutôt que de pondre un bilan un peu classique, j’ai eu l’envie de dresser une sorte d’abécédaire. Un moyen pour segmenter un peu tout cela car elle fut dense cette décennie. Ce que je n’avais pas prévu en revanche, c’était l’ampleur de la tâche ! Aussi ce dossier sera scindé en trois parties, dont voici la première qui couvrira les lettres A à H. Attention, longue lecture en vue !
A comme Amiibos (et tous les autres)
En 2014, Nintendo s’apprête à chambouler le monde du jeu vidéo avec une de ses dernières trouvailles : les Amiibos. En quelques mots, le principe de ces accessoires est simple : il s’agit de figurines dotées d’une puce NFC permettant de les relier une console compatible. A l’effigie de personnages allant de Super Mario à Kirby en passant par Pikachu et Donkey Kong, la première série d’Amiibos est développée pour accompagner Super Smash Bros sur Wii U et 3DS. In game, les figurines permettent d’obtenir en gros des partenaires d’entrainement que l’on pourra faire combattre à nos côtés ou contre nous, à la guise des joueurs et joueuses.
Le succès est quant à lui immédiat : au cours des deux premiers mois, ce sont pas moins de 5,7 millions d’unités qui sont vendues d’après les chiffres donnés par Satoru Iwata en Janvier 2015. Deux mois plus tard, au terme de l’exercice fiscal 2014-2015, on nous annonce le chiffre de plus de 10 millions d’Amiibos écoulés. Depuis, le succès des figurines de Nintendo ne s’est jamais réellement démenti et ces dernières ont même longtemps été un élément incontournable des stratégies de l’entreprise, déclinant la gamme en diverses séries (Splatoon, Metroid, Fire Emblem, Shovel Knight…). Si l’importance relative au sein des ambitions de Nintendo a reculé ces dernières années, les Amiibos continuent néanmoins de régulièrement paraître, alimentés notamment par le roster sans cesse grandissant de Super Smash Bros. Ultimate.
Ceci étant dit, les Amiibos constituent finalement un peu l’arbre qui cache la forêt et ils furent le porte-étendard d’une tendance qui aura marqué les années 2010 sur le plan vidéoludique : l’essor du jouet-vidéo et des jeux à périphériques de manière générale. Si cela peut aujourd’hui prêter à sourire, le secteur a eu une période où il fut très largement porté sur la chose. Née avec la série Skylanders puis portée par l’exemple de Nintendo et de ses innombrables figurines qui s’arrachaient comme des petits pains (Big N jouant savamment le jeu de la pénurie pour renforcer la demande), la mode du jouet-vidéo s’est très rapidement apparentée à une manne qu’il fallait exploiter autant que possible. Un choix qui revêt par ailleurs un intérêt stratégique primordial dans un secteur où le DLC est devenu monnaie courante : les figurines ne sont ni plus, ni moins que des DLC physiques, ajoutant ainsi une plus-value certaine à cet aspect économique éminemment important pour le jeu vidéo des années 2010. Ajoutez à cela le fait que les joueurs et les joueuses nourrissent pour beaucoup une fibre de collectionneurs/collectionneuses particulièrement forte et vous obtenez le parfait mélange pour toucher le jackpot.
De la même manière que Nintendo donc, nombreux furent ceux à vouloir vendre leurs figurines aussi. Il faut cependant rendre à César ce qui est à César et rappeler qu’en réalité, c’est la série Skylanders qui fut la première à lancer l’idée (ce que l’on a tendance à oublier, le succès des Amiibos l’ayant un peu éclipsée). Dès 2011 et Skylanders: Spyro’s Adventure (dérivée donc des aventures du célèbre dragon mauve), Activision commercialise en effet un certain nombre de figurines permettant d’obtenir de nouveaux personnages jouables dans le jeu. Une bonne quarantaine de jouets alimenteront alors le jeu, dont la licence s’est a priori éteinte avec Skylanders : Imaginators en 2018. Rappelons au passage qu’en 2015, Amiibos et Skylanders ont tâché d’unir leurs forces avec Skylanders : SuperChargers, pour lequel un partenariat entre Activision et Nintendo offrait à la version Wii U deux Amiibos (DK et Bowser).
Dans un autre registre ensuite, comment ne pas évoquer LEGO Dimensions ? Alors que la marque aux briques est présente sur le marché du jeu vidéo depuis un petit moment alors, proposant nombre de jeux à licences dont Star Wars ou Harry Potter, il aurait finalement été inconcevable qu’elle ne saisisse pas cette mode des figurines vidéoludiques au vol : après tout, la figurine, c’est son domaine à la base ! L’on retrouve avec ce jeu le même principe qu’avec Skylanders : les bonhommes et accessoires, vendus en bundle avec le jeu mais aussi et surtout en packs séparés, sont à disposer sur un support prévu à cet effet afin d’obtenir de nouveaux personnages et contenus dans le jeu.
Je passe très vite sur la question (LEGO Dimensions a été arrêté en 2017), tout comme je ne m’éternise pas sur Disney Infinity, réplique de la maison de Mickey Mouse à cette tendance. Là encore, arrêt des machines en 2017. Une année qui, de toutes façons, semble marquer le pas pour les figurines de ce type. Même chez Nintendo, il faudra finalement la sortie de Breath of the Wild pour assister au dernier gros lancement d’une gamme d’Amiibos avant de se lancer sur un rythme moins soutenu, uniquement (ou presque) maintenu aujourd’hui par les personnages de SSBU comme je le mentionnais plus haut. Il n’y aura en fait guère qu’Ubisoft pour encore vouloir tenter le coup en 2018 avec Starlink. Remplaçant les figurines par des vaisseaux que l’on peut modifier à l’envi (et au gré d’achats d’autres modèles en magasins), la nouvelle licence de l’éditeur français ne convainc cependant pas. Arrivant trop tard sur un marché saturé et sur le déclin, Starlink ne décollera jamais réellement et tant le jeu que ses packs de vaisseaux se trouvent désormais très facilement à petits prix à la Fnac ou chez Cultura…
B comme Battle Royale
En 1999, Koshun Takami sort au Japon son tout premier roman, adapté l’année suivante au cinéma par Kinji Fukasaku : Battle Royale. Dans l’un comme dans l’autre nous est dépeinte une société japonaise qui, chaque année, réunit une classe entière de lycéen(ne)s sur une île afin qu’ils s’entretuent et qu’il n’en reste plus qu’un(e). Un concept dystopique venu à l’imagination de l’auteur du livre en écho à ces combats de catch où un certain nombre de combattants se réunissent sur un même ring jusqu’au dernier homme debout. Last man standing : c’est là tout le concept du genre battle royale, qui s’est imposé, dans la deuxième moitié des années 2010 comme un incontournable du monde vidéoludique moderne.
Si l’on en croit le magazine Canard PC dans son n°364, et malgré les références que je viens de donner, c’est aussi et surtout le succès en 2012 du film Hunger Games qui a donné des idées aux développeurs. Ramenant à l’esprit de ces derniers le principe des battle royale (que le film comme le roman original reprend dans son ensemble), le long métrage pourrait en effet bien être la source d’inspiration des personnes qui ont réussi à sortir l’année suivante DayZ. Devenu un jeu en standalone en 2018 après 5 ans d’accès anticipé, le titre était avant toute chose un mod pour ARMA II, titre de Bohemia Interactive.
Mais attention, DayZ, plus qu’un battle royale pur et dur, s’avère finalement plus être un avant-goût de la chose. Et s’il en reprend de nombreuses caractéristiques (une seule et unique vie et l’obligation d’incarner un nouveau personnage si l’on meurt, la nécessité de trouver du matériel et des armes sur le terrain, etc…), la finalité du jeu n’est pas encore à proprement parler celle du dernier debout. Par la suite cependant, Day Z aura su créer pas mal de petits frères chez d’autres studios. Et si certains ont choisi surtout de miser sur le sujet du survival horror post-apocalyptique, d’autres auront au contraire préféré pleinement se plonger dans les questions de battle royale à proprement parler. Ce fut le cas notamment avec Brendan Greene, qui fut à l’oeuvre sur les mods sobrement intitulés Battle Royale pour ARMA II et III. Mais si le nom de Brendan Greene ne vous dit rien de particulier, sans doute son pseudo vous parlera-t-il plus : PlayerUnknown.
En effet, c’est à lui que nous devons, en 2017, la sortie du fameux PlayerUnknown’s Battlegrounds (ou PUBG pour les intimes), premier véritable battle royale à succès de la décennie. Très rapidement, PUBG s’impose auprès du public, dépassant bien vite les deux millions de joueurs connectés simultanément alors qu’il n’était encore qu’en accès anticipé. Neuf jours après sa sortie officielle et complète, la barre des 3 millions de connexions simultanées est dépassée. La même année, c’est Fortnite qui développe et sort son propre mode battle royale. Ce qui est amusant à ce point-là, c’est de noter que la plupart des jeux du genre trouvent leur source dans des modes supplémentaires adjoints à des titres préexistants, dans des spin offs ou dans des mods divers et variés. Il en sera par exemple de même pour Apex Legends par exemple, qui s’inscrit dans l’univers des jeux Titanfall.
Sans m’éterniser sur le sujet, le fait est que le battle royale est devenu une valeur sûre de l’économie vidéoludique actuelle, chacun y allant de son propre mode BR… Même Nintendo s’y est en quelque sorte mis avec Tetris 99 ! Et si le succès de PUBG s’est quelque peu estompé depuis son lancement ou que les différents jeux sortis depuis n’ont pas nécessairement rencontré le même succès immédiat, il en reste un qui vole au-dessus du lot : Fortnite. Véritable phénomène de société, le titre continue de rassembler des millions et des millions de joueurs et joueuses tous les jours. Un succès plein et entier savamment entretenu par les effets d’annonce qu’Epic Games met en place (on se souvient de l’emballement autour du fameux trou noir qui annonçait finalement le nouveau chapitre du jeu après 10 saisons sur le premier) ou encore les événements organisés in game tels que des concerts de Travis Scott ou la diffusion de films de Christopher Nolan. Il sera très intéressant d’observer la manière dont la chose évoluera dans les années 2020 : la bulle finira-t-elle par exploser en vol ou bien assistons-nous sans le savoir à l’émergence d’un nouveau modèle de réseau social multimédia ? Notons enfin que Fortnite aura à son tour donné des idées aux autres : pendant le confinement de ce printemps, Minecraft a également organisé un festival musical en son sein.

Fortnite a fini de poser le battle royale en phénomène, dépassant même les seules sphères du jeu vidéo.
C comme Crunch
En tant que joueurs et joueuses, notre vision du média en question pourrait très aisément (et légitimement) se limiter à la seule pratique du jeu, le plaisir qui en ressort (ou non selon les cas) et basta, fin de l’histoire. Le jeu vidéo étant un produit de consommation culturel, il n’y a même finalement aucun mal à ne le prendre que comme cela. Cependant, si l’on est curieux et que l’on s’intéresse à tout ce qui se cache en amont de la sortie d’un jeu, ce qui nous revient bien vite au visage c’est que le jeu vidéo est avant tout une industrie. Secteur essentiel de l’économie culturelle mondiale, le loisir vidéoludique s’est imposé auprès du grand public afin de devenir aussi important (voire plus !) que le cinéma, lequel trônait fièrement sur le sommet des produits culturels les plus lucratifs. Et qui dit industrie dit également employés, systèmes de production et conditions de travail, entre autres. Or, dans les années 2010, ce dernier point aura fait couler bien de l’encre.

Erin Hoffman fut une des premières à prendre la parole pour dénoncer les cultures d’entreprise toxiques.
Le crunch, c’est cette période dans le développement d’un jeu où l’on accumule les heures de travail, quitte à rompre avec sa vie sociale et familiale. Ce sont des heures supplémentaires à outrance, malheureusement bien souvent non prises en compte sur la fiche de paye. Mais surtout, ce n’est pas un phénomène nouveau dans la production de jeux vidéo. Tout au contraire, cela fait bien longtemps que la chose existe. Il suffit de lire des ouvrages de chez Third Editions ou Pix’n Love, consacrés à l’histoire de licences telles que Metroid ou Metal Gear Solid pour constater que les employés des plus gros studios de développement ont parfois (souvent) travaillé sans compter leurs heures. Le hic, c’est que l’employeur non plus ne les comptait pas et, dans le champ de vision d’un patron : des heures non comptées, ce sont des heures non payées. Toutefois, c’est en 2004 que les langues se délient véritablement une première fois. Cette année-là, une développeuse d’Electronic Arts (dont l’identité ne sera révélée qu’en 2006) publie en ligne une série de témoignages mettant en lumière les conditions de travail au sein du studio. Sous le pseudonyme de EA Spouse, Erin Hoffman évoque notamment la pression mise sur le dos des employés, s’apparentant à du chantage social, ou encore la façon dont son mari s’est retrouvé piégé par EA. Signant un juteux contrat à 5000$/mois stipulant que le monsieur doit rester employé d’EA pendant un an minimum, le contrat l’aura surtout très vite amené à bosser jusqu’à 12 ou 13 heures par jour, tous les jours, pendant des mois ! Un constat édifiant qui, néanmoins, fut assez vite minimisé. EA est alors passé pour le vilain petit canard du secteur et si d’autres voix se sont élevées pour dire que ce genre de pratiques se retrouvaient dans d’autres studios, rien ne fut aussi retentissant.

Quantic Dream, et son patron David Cage, furent largement épinglés pour leurs conditions de travail.
Dans les années 2010 en revanche, la question prend une nouvelle ampleur. Nous sommes alors dans une décennie qui voit naître de très grandes œuvres : GTA V, les deux Red Dead Redemption, le diptyque The Last of Us… Ambitieuses comme aucune ne l’a jamais été auparavant, jouissant de moyens jamais vu dans le domaine, ces productions ont attiré les projecteurs pour leurs envergures, celles des AAA dont le nombre a considérablement augmenté au cours des dernières années. Seulement voilà, à la sortie de chacun de ces énormes titres, les médias se font également le relais de témoignages toujours plus nombreux et toujours moins agréables concernant les conditions de travail dans les studios concernés. En 2012, Capcom et Ubisoft étaient épinglés par William Audureau sur Gamekult*. Et si EA se fait de nouveau écharper au passage de cette grande tempête, trois studios vont être mis au cœur de la tourmente durant la deuxième moitié des années 2010 : Naughty Dog, Rockstar et Quantic Dream. Les deux premières sont les entreprises à qui l’on doit les immenses titres que j’ai mentionnés juste avant. Quantic Dream de son côté est le studio qui aura porté Heavy Rain, Beyond: Two Souls ou encore Detroit – Become Human. En 2017 notamment, Gamekult publie un nouveau papier sur le sujet sous la plume de Nicolas Turcev*. Mais dans la foulée, c’est surtout Mediapart et Canard PC qui vont remuer la merde dans tous les sens. Publiant conjointement une vaste enquête, les deux rédactions mettent notamment au jour les conditions de travail au sein du studio français dirigé par David Cage. Une ex-employée du studio évoque notamment des journées de travail allant de 15 à 20 heures pour répondre à des objectifs et délais que personne ne tient à moduler. Quantic Dream semblait cependant faire preuve d’exception dans le milieu en rémunérant les heures supplémentaires.
La culture du crunch n’en est cependant pas moins présente et elle est toxique. Naughty Dog et Rockstar n’y échappent pas (en 2018, on apprend notamment que les employés travaillant sur Red Dead Redemption II ont fait des semaines de 100 heures de travail !). Le phénomène semble hélas profondément ancré dans la culture de travail autour du jeu vidéo et si les levées de bouclier sont de plus en plus nombreuses pour dénoncer ces méthodes, l’on peut légitimement se demander, au regard du contexte économique qui est le nôtre, si l’on arrivera à s’en débarrasser un jour. En tant que consommateurs enfin, il est de notre devoir de nous interroger sur ce que nous cautionnons ou non. A titre personnel, je le fais mais je n’ai malheureusement aucune réponse à vous donner qui soit meilleure qu’une autre…

La sortie de Red Dead Redemption II fut accompagnée par les révélations autour du crunch final connu pendant son développement.
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D comme Dématérialisé
Le jeu vidéo c’est aussi une longue histoire d’évolutions technologiques. Pêle-mêle et dans divers domaines, on peut penser à l’accroissement constant des performances, au passage à la 3D, à la réalité virtuelle et ce genre de choses. En ce qui concerne les années 2010, on pourra toujours parler de résolutions de plus en plus impressionnantes et de teraflops à ne plus quoi savoir en faire, je crois cependant qu’un mot que l’on gardera en tête lorsqu’il s’agira de parler des principaux pivots technologiques de monde du gaming, ce sera : dématérialisé.
En l’espace de dix ans, les contenus numériques ont explosé sur le marché vidéoludique. Si les DLC étaient déjà quelque chose que nous observions de plus en plus dans le secteur au cours de la deuxième moitié des années 2000, les années 2010 ont encore poussé plus en avant le concept de contenus dématérialisés avec toujours plus d’ambitions en la matière. Cela passe par plusieurs choses. La première concerne les systèmes et services classiques que le démat’ entraîne avec lui : contenus additionnels, offres événementielles… Là-dessus, rien de bien neuf à noter, si ce n’est que les éditeurs de jeux ont de plus en plus pris l’habitude d’intégrer des contenus numériques dans leurs coffrets collectors.

Le Gamepass pourrait être le premier pas vers un véritable bouleversement de l’accès aux jeux vidéo.
Ensuite, le dématérialisé s’est également beaucoup renforcé par la bataille que se livrent Xbox, Sony et Nintendo avec leurs différentes offres d’abonnement. Si Nintendo semble à la traîne sur le sujet (et sur tout ce qui touche au online, on ne va pas se mentir), les deux autres constructeurs ont clairement appuyé sur l’accélérateur. Xbox demeure d’ailleurs, ne vous déplaise, un moteur en la matière. Qu’il s’agisse des services offerts par le Xbox Live Gold, du GamePass ou de la rétrocompatibilité, la firme de Redmond a énormément orienté sa stratégie sur le domaine du numérique. Sony n’est évidemment pas en reste avec ses propres offres et services (PS+, PS Now…) mais à l’heure actuelle, Xbox mène la partie avec un certain talent. C’est toujours ça de pris que Sony n’aura pas à l’heure du bilan d’une décennie où la marque PlayStation a tout écrasé sur son passage. A ce panel de contenus, il faut également souligner la place croissante des applications tierces sur nos consoles : Twitch, Netflix, navigateurs internets, etc… Si l’ambition première de la Xbox One de devenir le centre multimédia du foyer n’a jamais été atteinte, il n’en demeure pas moins que les consoles n’en ont jamais été aussi proches.
Parallèlement à ce pan-ci du dématérialisé, il y a une toute autre facette du sujet qui se fait de plus en plus présente aujourd’hui : le cloud gaming. Il serait facile en l’occurrence de penser directement à Stadia et de se dire que tout cela n’est pas si vieux au final mais ce serait se tromper. Le cloud gaming est en effet un concept qui tâche de se faire une place sur le marché du jeu vidéo depuis le tout début des années 2010. Le pionnier malheureux en la matière fut OnLive. Annoncé en 2009 et lancé l’année suivate, le service semblait pourtant bien parti. Avec une bonne vingtaine de studios partenaires, parmi lesquels Ubisoft, Epic Games, Take Two, Warner Bros ou encore THQ, OnLive avait tout pour plaire, à commencer par les bases de son système. Pour la toute première fois, on nous proposait de jouer à des titres sans achat d’un support physique, ni téléchargement. Grâce à une formule d’abonnement, les client(e)s du service pouvaient accéder à une multitude de jeux stockés sur des serveurs dédiés et sans demander plus à l’ordinateur que de savoir ne serait-ce que lire une vidéo. Pas besoin de grosse carte graphique ou de je ne sais quel super processeur : la machine sur laquelle tourne les jeux n’est pas la vôtre.
Hélas, OnLive ne tiendra le coup que 5 ans avant de s’effondrer, tous ses brevets rachetés par Sony. Mais l’affaire n’était pas entendue pour autant. Toujours en 2015, l’entreprise française Blade lance son propre service similaire : Shadow. Là encore, machines et serveurs à distance, formules d’abonnement, etc… En 2019, 70 000 utilisateurs sont inscrits sur Shadow. Fin des années 2010, rebelotte : Xbox et Google arrivent sur le même secteur. Pour les premiers, ce sera avec le projet xCloud, pour les autres, c’est Stadia. Lancée en Novembre 2019, la plateforme de Google ne rencontre cependant pas un franc succès, remettant partiellement en question la pertinence des plateformes de cloud gaming dans le contexte qui est celui du jeu vidéo aujourd’hui, encore très largement tourné vers les plateformes classiques que sont le PC et les consoles et une logique d’achat qui ne semble pas encore prête à céder le pas à ce qui s’apparente finalement bien plus à de la location ou tout bonnement du jeu à la demande qu’à une véritable acquisition. Notons enfin l’annonce faite il y a quelques jours chez Xbox, qui révélait une offre à venir : l’abonnement à xCloud sera inclus dans le Gamepass Ultimate (lequel comprend déjà pour 12,99€ le Gamepass PC et console ainsi que le Xbox Live Gold) à partir de cette fin d’année.
E comme E-sport, ou l’émergence d’une scène de plus en plus vaste
On s’est souvent demandé si le jeu vidéo est un art ou non. Et si je considère à titre personnel que oui, la question n’a pour autant pas encore trouvé de réponse parfaitement officielle chez les grands pontes de ce monde. En revanche, une autre question à laquelle on a répondu au cours des années 2010 c’est : le jeu vidéo est-il un sport ? Et comment ! Bon, on accole un petit « e » bien moderne, bien numérique, histoire de ne pas trop mélanger les torchons du sport classique avec les serviettes de l’e-sport mais le fait est que le jeu vidéo et sa scène compétitive ont connu un essor prodigieux au cours des dernières années.
L’histoire de l’e-sport est assez longue quand on y pense et des compétitions ont eu lieu bien tôt dans l’histoire générale du jeu vidéo. Dans les années 1990, un des grands rendez-vous les plus marquants en la matière furent les Nintendo World Championships de 1990. Avec de grandes épreuves finales organisées au sein du parc Universal Studios (tiens donc, là où va prochainement ouvrir un parc Nintendo), la firme japonaise avait su, il y a déjà 30 ans, mettre en forme l’esprit de compétition quasi-inhérent aux jeux vidéo pour en faire un grand messe à l’image des plus prestigieuses compétitions sportives. Le concept de ces World Championships maison est cependant bien vite tombé en désuétude.
Parallèlement, comment ne pas évoquer la Cyberathlete Professional League, fondée en 1997 et morte en 2008 ? L’année de sa création, la CPL organise un grand tournoi centré autour du jeu Quake, qu’il convient assez généralement de considérer comme le jeu à avoir réellement lancé l’e-sport. Les choses restent cependant assez fermées sur le seul public déjà acquis au jeu vidéo et il faudra attendre la toute fin des années 2000 pour que les choses commencent à prendre l’envergure qu’elles ont désormais. Cela commence en 2008 avec la fondation de l’Internation Esport Federation, organisation internationale donc qui vise non seulement à organiser des événements e-sportifs mais également à promouvoir cet univers au-delà du seul public gamer. Je ne cite ici que cette fédération car elle a une véritable ambition de regroupement international (47 pays membres, bien que peu soient issus du continent américain et que le Royaume-Uni n’en fasse pas partie non plus, le plaçant au statut d’exception en Europe) et propose un modèle de compétition qui se veuille le plus démocratisé et accessible possible. Il faudra néanmoins bien avoir en tête que, dès les années 2000, le scène e-sport se développe de plus en plus avec diverses compétitions et de multiples organisateurs. Comment ne pas évoquer les compétitions de League of Legends, Overwatch, CS:GO, de Super Smash Bros. Melee, de FIFA et autres PES ou encore de Starcraft, Dota 2 ou encore Hearthstone ? Et que dire évidemment de la place croissante des battle royale justement dans ce domaine ?
Là où les choses prennent un véritable tournant dans les années 2010 en tous cas, justifiant alors la présence de cette section dans cet article, c’est par la reconnaissance de l’e-sport et de ses pratiquants. Là où cet univers de jeu était jusqu’alors plus vu comme un rassemblement de passionnés et d’excellents joueurs et joueuses, il y a eu au cours des 10 dernières années une nouvelle orientation de prise, toujours plus ancrée dans un esprit sportif de haut niveau.
Il ne s’agit pas là seulement de questions d’entraînement et de perfectionnement personnel mais d’une véritable logistique qui s’est mise en place tant en termes d’événements que de méthodes managériales qui est allé porté l’e-sport à un tout autre niveau, bien supérieur à ce qu’il était. Cela s’est fait par l’organisation de compétitions toujours plus grandiloquentes, organisées dans des lieux prestigieux. On pensera par exemple à l’organisation de la finale des League of Legends Championships au palais omnisport de Paris-Bercy (ou Accor Hotel Arena si vous préférez). Qu’une enceinte française comme celle de Bercy accueille un événement mondial pareil, c’était encore impensable il y a 15 ans. C’est le témoignage en tous cas d’une démocratisation de l’e-sport, laquelle passe également par une plus grande présence dans les médias.
Si la presse spécialisée s’est jusqu’ici toujours faite le relais de cette scène, il n’est plus du tout incongru aujourd’hui d’en entendre parler sur des chaines ou stations de radio plus généralistes ou orientées sport dans son acception la plus classique. Ainsi en va-t-il de RMC ou de la chaîne L’Equipe 21 (version télé du quotidien éponyme) qui évoquent désormais assez régulièrement l’e-sport, voire même diffusent des compétitions entières ! Un véritable sursaut qui, là encore, amène la discipline à un autre niveau qui s’est par ailleurs encore renforcé par jeu de circonstances lors du confinement lié au coronavirus, le sport électronique restant la seule pratique encore réalisable là où le foot, le rugby, le tennis et tous les autres ont fatalement dus être purement et simplement annulés. Il n’était ainsi par rare au printemps dernier d’allumer sa radio sur RMC aux horaires des émissions sportives et d’entendre des gens débattre pour savoir qui de G2 ou Vitality (deux équipes de LoL) était la meilleur team. Le site internet du journal L’Equipe propose d’ailleurs désormais toute une section dédiée à l’e-sport. Enfin, pour conclure, on notera que cette nouvelle étape dans le développement du sport vidéoludique est aussi passée non seulement par une reconnaissance de l’activité mais également de ses pratiquants. Le point le plus marquant en la matière fut notamment, en 2014, la toute première reconnaissance de joueurs de League of Legends comme sportifs professionnels par les institutions américaines. Un statut accordé aux compétiteurs afin de plus aisément obtenir les visas nécessaires pour se rendre à la compétition alors organisée à Los Angeles.
F comme Format épisodique
Parmi les nombreuses tentatives pour renouveler le format des jeux vidéo dans les années 2010, il en est un dont le succès a été sans commune mesure ou presque : le format épisodique. Largement portée sur le devant de la scène par feu le studio Telltale, cette proposition aura permis de faire naître nombre de séries qui se voulaient en quelque sorte héritières du bon vieux film interactif et du point’n’click. Sans recourir à la full motion video comme à la grande époque de Dragon’s Lair ou de Night Trap, tout en recourant autant que possible à la gestion des choix faits par les joueurs et joueuses, les titres issus de cette grosse mouvance ont vite été érigés au rang de phénomène.
L’histoire du jeu à format épisodique n’est pourtant pas qu’un long fleuve tranquille et il convient de rappeler qu’il est grandement associé à Telltale. Dès les années 2000, le studio californien fondé en 2004 tâche de lancer la machine en s’acoquinant avec le point’n’click. Pour cela, il va se voir confier la lourde tâche de faire revenir une bonne vieille licence du genre : Sam & Max. Avec trois saison parues entre 2006 et 2010, l’entreprise s’échine à élaborer son concept tout en le peaufinant avec d’autres productions du même tonneau : Strong Bad’s Cool Game for Attractive People en 2008, Wallace and Gromit’s Grand Adventure en 2009 ou encore Tales of Monkey Island, autre rescapé de la grande ère des point’n’click, en 2009 également. Connaissant un succès d’estime, les résultats autour de ces jeux ne sont certes pas faramineux mais demeurent encourageants. Suffisamment pour multiplier les pistes dans les années 2010. Et si Retour vers le Futur (2010) et Jurassic Park : The Game (2011) ne sont toujours pas des foudres de guerre, l’année 2012 marquera un tournant pour le studio et le format : The Walking Dead voit débarquer sa première saison. Je ne parle évidemment pas ici de la série télé adaptée des comics de Robert Kirkman mais bien des premiers épisodes de l’adaptation par Telltale, dans laquelle nous suivions Lee et Clementine. Acclamé par le public et la critique, écoulant 8,5 millions d’épisodes en l’espace d’un an, cette première saison permet au studio d’enfin rencontrer le succès. Avec deux nouvelles saisons et trois spin-offs (400 Days, Michonne et New Frontier), la saga de Kirkman rencontrera avec cette adaptation un nouveau public, finissant ainsi de tranquillement conquérir le monde.
Quant à Telltale, cette réussite sera surtout l’occasion pour le studio de continuer à développer toujours plus de titres sous toujours plus de licences. The Wolf Among Us, autre immense succès du studio, est par exemple adapté d’après Fables, la série de comics de Bill Willingham. Et comment ne pas citer Game of Thrones, Batman, Borderlands, Minecraft ou encore Guardians of the Galaxy ? Malheureusement, après les premiers grands succès que furent The Walking Dead et The Wolf Among Us, les productions Telltale souffrent de la comparaison avec ces illustres prédécesseurs. On leur reprochera notamment un manque de renouvellement accompagné de défauts techniques de moins en moins tolérés par le public et la critique.
Les ventes s’en ressentent et, hélas, le chemin du studio devient de plus en plus chaotique : il dépose le bilan en 2018 avant d’être racheté par LCG Entertainment l’an dernier. Suite à ce rachat, marqué par un renouvellement complet de l’équipe, c’est un peu silence radio. La troisième saison de The Walking Dead fut quant à elle terminée par Skybound Games (studio affilié à la maison d’édition de Robert Kirkman), tandis que le projet d’une adaptation de Stranger Things a complètement disparu des écrans radar. Quant à la nouvelle saison de The Wolf Among Us, elle fut d’abord annulée avant d’être de nouveau confirmée via une bande annonce diffusée après le rachat par LCG Entertainment. Mais depuis, plus rien…
Le format épisodique aura en tous cas marqué la décennie, inspirant plus d’un studio au passage. Et si l’on regarde ailleurs que dans le pré carré de Telltale, il est un autre nom qui s’est largement imposé comme une référence du genre : Life is Strange. Développé par Dontnod et édité par Square Enix, la série fut l’autre grand succès à format épisodique de la décennie. Parallèlement, et lorsque l’on remonte au début des années 2010, on pourrait également citer Alan Wake, le titre de Remedy se scindant en effet en plusieurs épisodes. La différence cependant est ici que l’intégralité des épisodes est directement incluse dans le jeu, là où les productions Dontnod et Telltale s’étalent dans le temps, sortant chaque nouveau chapitre à différentes dates. De la même manière qu’Alan Wake, on pourrait également citer Quantum Break (2016) mais dans un cas comme dans l’autre, on y verra sans doute plus une volonté artistique qu’autre chose. En grattant un peu ensuite, on se rappellera également que Resident Evil : Revelations 2 est aussi sorti en format épisodique en 2015 tout comme un certain nombre de titres plus indés tels que The Council, The Darkside Detective, etc… Evidemment, je zappe beaucoup de jeux, mon objectif ici n’étant pas l’exhaustivité. Je souhaitais seulement rappeler que les années 2010 auront été marquées par l’essor toujours plus grand de ce format autant adulé par une partie du public qu’honni par une autre. Le fait est en tous cas qu’à l’aube des années 2020, le format épisodique paraît bien loin de sa gloire d’il y a seulement 7-8 ans.
G comme Gamergate
Il y aura eu de belles choses durant les années 2010 concernant le jeu vidéo mais il y en aura aussi eu de bien moins jolies. Derrière cette phrase d’un bateau complet se cache le moment où on casse un peu l’ambiance. Fini de rigoler en repensant aux Amiibos, de rêver à un futur possible sans support physique ou de se remémorer les grands moments de l’e-sport : il est temps de parler de sexisme.
Plusieurs scandales auront éclaté durant la décennie passée, certains touchant le jeu vidéo en tant que produit, d’autres l’impactant en tant que sphère et industrie. Le Gamergate est de ceux-là puisque c’est la communauté des joueurs et joueuses qui s’est retrouvée, bien malgré elle pour une grande partie d’entre nous, au cœur d’un des scandales les plus retentissants de ces dix dernières années.
Tout prend racine dans un contexte particulier pour le monde vidéoludique. En 2007 déjà, nous avions observé le Gerstmanngate, un scandale visant à mettre en lumière les liens souvent trop forts entre éditeurs de jeux et organes de presse spécialisée (Jeff Gerstmann s’était ainsi vu renvoyé de Gamespot pour avoir écrit une mauvaise critique concernant un jeu pourtant particulièrement présent dans les encarts publicitaires du site…). En 2012 ensuite, coup double avec d’une part le Doritos Gate (nous y reviendrons à la lettre J, dans la prochaine partie de ce dossier) ainsi que la campagne de financement participatif d’Anita Sarkeesian. La vidéaste avait monté ce crowdfunding afin de financer son projet de documentaire consacré aux stéréotypes féminins dans le jeu vidéo. Résultat : insultes sexistes et menaces de mort à son encontre de la part de la partie la plus puante et exécrable de la communauté gaming.
Puis vint 2014 et le fameux Gamergate. Mon objectif ici ne sera pas de vous analyser le moindre détail de l’affaire ou de ses répercussions mais seulement de vous en dresser un tableau aussi rapide que possible afin de poursuivre l’objectif de ce dossier : chroniquer la décennie écoulée. Aussi, et étant donné le côté vaste et pointu du sujet, je vous présente par avance mes excuses si vous trouvez que je manque de pertinence sur certains de ses aspects. Enfin bref, le fait est que le 16 Août 2014, la développeuse Zoë Quinn est accusée par son ex via un article de blog d’adultère et de mythomanie. Dans un long texte au cours duquel l’ex en question partage de nombreux extraits de messages personnels datant de sa relation avec Quinn, l’auteur affirme par ailleurs que cette dernière a eu de nombreuses relations intimes avec des professionnels du jeu vidéo alors même qu’ils étaient en couple. Dans la foulée, le sujet est récupéré sur 4chan, Reddit ou encore YouTube où les textes et vidéos se multiplient pour ouvertement accuser la jeune femme d’avoir accordé à de multiples reprises des faveurs sexuelles en échange de bonnes critiques pour son jeu, Depression Quest.
Mais le plus farfelu dans l’histoire c’est que, presque immédiatement, les auteurs des accusations et des menaces qui sont tout de suite allées avec se sont très rapidement dédouanés, affirmant que l’objet était moins de mener une campagne de harcèlement ciblé qu’une « lutte pour l’éthique dans la presse vidéoludique » ou, pour paraphraser Adam Baldwin (l’acteur vu dans Full Metal Jacket notamment, soutien du mouvement) : une rébellion envers et contre le politiquement correct… Ce sera par exemple le cas avec une vidéo de Triox, vidéaste pro-Gamergate qui souligne et justifie cette version des faits. Pour autant, et il est impossible avec le recul d’en douter, la chose est entendue : le Gamergate n’est ni plus, ni moins qu’un mouvement sexiste conduisant au harcèlement de Zoë Quinn (et d’autres femmes par jeu de conséquences) sous couvert d’une soi-disant volonté de remettre en question l’impartialité a priori de façade des organes de presse spécialisés. En Octobre 2014, Newsweek commande puis publie une étude statistique des tweets envoyés dans le cadre du Gamergate. Les résultats tendent en particulier à prouver que, parmi les opposants au mouvement, les femmes ont étonnamment reçu beaucoup plus de tweets de la part de soutiens dudit mouvement que les hommes.
Il est vrai cela étant que le Gamergate aura eu des conséquences sur les relations entre journalistes et éditeurs de jeux, certes, mais comment ne pas garder en tête la violence inouïe dont ont fait preuve ses membres à l’égard de leurs cibles et détracteurs ? Bien vite, le Gamergate a pris de lourds penchants complotistes. Un des éléments déclencheurs de cela fut en particulier la suppression de nombreuses vidéos pro-Gamergate en vertu du droit d’auteur (ces vidéos utilisaient des images de Depression Quest sans accord préalable). Le 18 Août 2014, une vidéo intitulée Quinnspiracy cherche à mettre en lumière la façon dont Zoë Quinn elle-même aurait orchestrée son propre harcèlement pour faire parler de son jeu…
Quant à la violence que j’évoquais plus haut (si tout cela ne vous avait pas encore convaincu), elle passe notamment par des insultes et des menaces (de mort comme de viol) mais aussi des révélations sur la vie privée de certaines personnes comme Zoë Quinn donc mais également Sarah Nyberg, sous la plume du journaliste Milo Yiannopoulos, qui se fait également remarquer en 2016 pour ses tweets ciblés à l’encontre du reboot féminin de SOS Fantômes et en particulier de la comédienne Leslie Jones…
On aurait pu naïvement croire que tout ceci ne serait qu’un bien triste épisode dont la conclusion aurait aussi scellé un grand changement dans la culture gaming, alors assainie et débarrassée de ses vieux démons sexistes répugnants. Mais comme il est impossible d’avoir de happy end, la question du sexisme et du harcèlement sexuel dans le monde du jeu vidéo est resté un sujet brûlant tout au long des années 2010.
Et ce ne sont pas ces dernières semaines qui iront nous faire croire qu’on en a vu le bout. Inutile en effet, je pense, de vous rappeler le scandale dont Ubisoft fait actuellement l’objet. Suite à l’enquête de Libération sur le harcèlement sexuel au sein de l’entreprise française, les voix se sont élevées, des têtes sont tombées (mise à pied de Tommy François, démission également de Serge Hascoët, Maxime Béland, Yannis Mallat et Cécile Cornet) et il souffle un vent de changement qui pousse même d’autres femmes à prendre la parole, comme tout récemment chez Insomniac Games par exemple. Le seul problème dans tout cela, c’est qu’on aura beau voir les gens, les entreprises ou les médias s’engager en faveur d’un changement radical d’atmosphère, on ne pourra jamais rater le sursaut des quelques connards qui préféreront toujours restés engoncés dans leurs valeurs moyenâgeuses. Ils sont toujours là et il faut être prêt à les voir venir. Le récent témoignage de la streameuse Mano est là pour nous le rappeler.
H comme Hommes et Femmes du jeu vidéo
Ce paragraphe n’a pas la vocation d’être exhaustif. Ici, je souhaite seulement relater quelques noms qui, d’une manière ou d’une autre, en bien ou en mal, de manière chronique ou ponctuelle, ont marqué le jeu vidéo des années 2010. Je ne prétendrai pas que la liste que je vais dresser ici sera la plus pertinente qui soit et sachez que je ne compte de toute façon pas en mettre trop. Après avoir dressé une première liste d’une vingtaine de personnalités, j’ai progressivement dégrossi pour ne retenir qu’un poignée de noms. Aussi ne trouverez-vous pas dans les lignes suivantes de mention d’Andrew House, de Don Mattrick, des frères Houser ou même de Shuhei Yoshida mais ce n’est pas pour autant qu’ils n’ont pas, eux aussi, marqué les 10 dernières années et contribué à construire le jeu vidéo d’aujourd’hui.
Pas de Don Mattrick mais comment ne pas évoquer celui qu’on a mis au front de Xbox pour sauver le navire après l’échec que fut en soi l’annonce de la Xbox One ? Phil Spencer fut ainsi propulsé patron de Xbox au printemps 2014, en remplacement de Marc Whitten. Quatre mois seulement après le lancement de la console, l’objectif est simple : éviter un ratage complet. Après les errements de l’annonce et la contre-attaque plus que solide de PlayStation, il fallait éviter de se faire écraser. Cela étant, malgré toute sa bonne volonté, le bon Philou n’aura pas réussi à ne serait-ce que chatouiller l’empire Sony. Mais il a d’autres mérites. Celui d’avoir mis l’accent sur la rétrocompatibilité par exemple. Celui d’avoir su construire et proposer un modèle innovant et, surtout, tout à fait efficace et convaincant avec le GamePass, qui s’est largement démocratisé en fin de décennie. Il a aussi le mérite d’avoir mis le sujet du handicap et de l’accessibilité des jeux vidéo à toutes et tous sur la table. Attendu au tournant pour la Series X, Phil Spencer n’aura peut-être pas permis à Xbox de devenir le leader que la marque espérait mais il lui a donné une image au-delà du jeu et ça, c’est déjà un joli coup. Toujours chez Xbox, mais en France cette fois-ci, je tenais aussi à évoquer rapidement Ina Gelbert, récemment nommée à la tête de la branche française de la marque. En succédant ainsi à Hugues Ouvrard, cette dernière est devenue à la fin des années 2010 une des femmes les plus haut placées dans l’industrie vidéoludique mondiale. Evidemment, on ne peut pas encore dire que la personne a d’ores et déjà marqué son temps et il faudra attendre un peu avant de voir si ce sera le cas ou non, mais sa seule nomination est un excellent signal envoyé aux professionnels et au public. On ne peut qu’espérer que les années 2020, qui seront le terrain de jeu d’Ina Gelbert, seront à l’image de cette récente nomination.
Toujours dans le giron des constructeurs, Reggie Fils-Aimé est à noter dans cette liste. S’il n’a pas été l’artisan complet de la réussite de Nintendo au cours de la décennie écoulée (et qu’elle fut particulière pour la firme nippone !), il aura été la vitrine sur laquelle toute la dimension occidentale de Nintendo s’est appuyée pour gagner le cœur du public. Au-delà des plus grandes figures de l’entreprise comme Miyamoto, Aonuma ou même Iwata, Reggie a su donner de sa personne pour maintenir Big N à flot dans une période de son histoire qui figure parmi les plus pourries (2012-2017). L’échec retentissant de la Wii U aura fortement marqué l’entreprise mais cette dernière aura néanmoins su sauver une chose : son capital sympathie. Et Reggie a largement contribué à cela, se mettant volontiers en scène dans les Nintendo Direct (comment oublier Regginator ?). Dans une approche très américaine de la communication de divertissement, Reggie fut donc un pilier mais le véritable maître d’oeuvre derrière tout cela, c’est bien sûr Satoru Iwata. L’ancien PDG de Nintendo, qui nous a quitté en 2015, a clairement été l’une des figures les plus importantes du monde du jeu vidéo des 10 dernières années. Il aura été la figure de proue d’un vaisseau pris dans la tempête, celle-là même qui aura secoué la vie de la Wii U après les pourtant si tranquilles eaux de la Wii. Mais surtout, il aura été le patron qui se met en scène, l’initiateur des Nintendo Direct, créés en 2011. Alors que tout le monde en rigolait à l’époque et critiquaient vivement le fait de privilégier ce format plutôt que la classique conférence dans des rendez-vous comme l’E3, Iwata aura tenu bon et là encore, l’histoire lui aura donné raison : qui aujourd’hui n’a pas conçu son propre petit programme régulier inspiré par les Direct de l’écurie Mario ?
Dans le registre des développeurs, il y a de quoi faire aussi. Je passe très rapidement sur Hideo Kojima, une section de la deuxième partie de ce dossier étant consacrée à son cas, mais il mérite d’être mentionné ici au vu de son parcours durant la décennie qui vient de s’achever. Passons donc pour mieux y revenir plus tard et évoquons à la place Jade Raymond. Ici, nous touchons à une histoire faite de hauts et de bas. Directrice d’Ubisoft Toronto entre 2009 et 2014, Jade Raymond s’est notamment illustrée à la toute fin des années 2000 pour avoir été productrice sur les deux événements d’Ubisoft d’alors : Assassin’s Creed et Assassin’s Creed II. Gagnant du jalon grâce à cela, la jeune femme a réussi à se faire une véritable place au sein de l’industrie. Courtisée par les plus grands, elle quitte Ubisoft en 2014 et s’associe avec EA pour fonder Motive Studios et diriger en parallèle Visceral Games.
Malheureusement pour elle, les expériences sur Mass Effect Andromeda et la licence Star Wars ne se font pas sans heurts et Jade Raymond finit par quitter le monde d’Electronic Arts pour rejoindre un autre géant : Google. C’est en effet elle qui dirige le studio Stadia Games & Entertainment. De là à dire que c’est le meilleur choix de sa carrière par contre… Mais le nom de Jade Raymond est important car il résonne dans l’inconscient collectif. La place qu’elle a su se faire dans le monde du jeu vidéo lui a ainsi valu de nombreuses récompenses qui viennent consacrer ces années de travail. En 2018 par exemple, elle fait partie des quelques personnalités de la sphère vidéoludique à être intégrées à la liste du magazine Variety des 500 leaders qui participent à façonner l’industrie globale du divertissement.
J’avance dans ces lignes et j’avoue me perdre un peu dans qui j’ai envie d’évoquer ou non. Il y a Neil Druckmann qui se dresse en haut de liste mais je me le garde sous le coude pour une autre section prévue pour la 3ème partie du dossier. Je pourrais également mentionner Notch, autant pour avoir créé le phénomène Minecraft que pour ses frasques et autres débilités, notamment dans l’affaire du Gamergate justement mais également en lien avec sa transphobie… Je pourrais tout autant parler de Julie Chalmette et Audrey Leprince, fondactrices du réseau Women in Games, mais là encore, le sujet sera traité ultérieurement.
David Cage aurait également toute sa place dans cette section du dossier pour parler non seulement de ses idées en matière de gameplay et de game design (qu’on en pense du bien ou du mal, des jeux comme Beyond: Two Souls ou Heavy Rain sont en garder en mémoire à l’heure du bilan de la décennie) mais aussi pour l’importance du monsieur à l’égard de l’industrie. Une importance qui se veut autant pour ses bons côtés (fleurons de l’industrie créative et de divertissement française) que ses mauvais (culture d’entreprise toxique et crunch)… Enfin, il serait aussi tout à fait légitime d’évoquer l’ascension de Mark Cerny. Après avoir été derrière nombre de succès depuis les années 1980 (de Marble Madness à God of War III en passant par les licences Crash Bandicoot ou encore Spyro et Ratchet & Clank), l’homme est devenu durant les années 2010 une figure majeure de Sony en se voyant confier le lourd poste de lead architect des PS4, PS Vita et PS5. Et malgré tout cela, je sais que vous trouverez de nombreuses personnalités à ajouter à cette petite sélection. Aussi, ne vous en privez-pas : partagez votre propre liste dans les commentaires ! Je ne peux hélas pas penser à tout.
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Fin de la première partie.
La partie 2 est disponible.
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