Après une attente plus longue que prévue, poursuite aujourd’hui de notre ABC du jeu vidéo des années 2010. Après avoir évoqué les lettres A à H il y a quelques semaines, nous permettant de parler d’Amiibo, de crunch, du Gamergate ou encore de format épisodique, continuons notre retour en arrière avec les lettres I à P. Il sera ici question de jeu indé, de Nintendo, de PlayStation ou encore – pour ne pas trop en dire – d’Hideo Kojima. Alors installez-vous bien, servez-vous à boire et zou, allons-y !
I comme Indé
Evidemment, du jeu indé il y en a toujours eu. Des studios qui composent et éditent leurs propres jeux, on en a eu de tous temps. Mais la question de l’indé a pris une ampleur particulière au cours des années 2010, tout simplement parce que la chose a grandement muté durant ces dix dernières années. Qu’est-ce qu’un jeu indépendant d’ailleurs ? A l’origine, et de manière très simple, c’est un titre développé par un studio qui ne passera pas via un éditeur pour lancer son oeuvre sur le marché, le studio en question s’éditant lui-même. Tout du moins est-ce là une proposition de définition et je ne saurais être catégorique quant à sa validité la plus complète. Elle pose même pas mal de question. Par exemple, quand l’entreprise d’édition dispose de ses propres studios, est-ce du jeu indépendant ? Dans ce cas, Ubisoft ou Square Enix seraient des indépendants, non ? Et, déjà, voilà qui fait tiquer. Pourquoi ? Parce qu’on a du mal à associer la notion de jeu indépendant à celle de grosse entreprise. Mais passons, malgré l’intérêt du questionnement, car là n’est pas le sujet et il faudrait un article entier pour revenir sur ce qui fait ou non le jeu indé de nos jours.
Le fait est qu’au cours de la décennie écoulée, il y a eu un glissement qui semble s’être opéré (avec des prémices dès la seconde moitié des années 2000). Cette évolution a eu lieu sur plusieurs plans. Le premier que l’on pourrait évoquer, c’est celui de la définition ou même de la conceptualisation de ce qu’est le jeu indépendant. Il semble désormais acquis consciemment ou non que ce qui détermine l’appartenance ou non à cette sphère, c’est moins l’indépendance véritable vis-à-vis d’un quelconque éditeur tiers que le style. Progressivement, on a fait bouger nos lignes de façon à moins concevoir la production indépendante selon des critères financiers et de production que comme une sorte de « méga-genre ». Le jeu indépendant est alors devenu le jeu « indé » avec, derrière l’abréviation, le moment où l’on touche du doigt une vision des choses où la part laissée à la liberté créative joue un bien plus grand rôle que de seuls questionnements d’argent, de contrats et de partenariats. Le jeu indé est alors un microcosme à lui seul, regroupant en son sein masse de titres tous aussi variés les uns que les autres mais qui partageraient une même ambition de liberté de création et de construction d’univers qui dénotent par rapport aux plus grosses productions du moment.
Au final, c’est un peu en opposition aux AAA et à leurs graphismes toujours plus réalistes que le jeu indé se construirait, misant sur une démarche artistique qui lui serait propre (retour à la 2D, retour aux pixels ou je ne sais quoi d’autre…). Bien des termes viennent volontiers fleurir les critiques et avis sur ces « petits » jeux : onirisme, poésie, émotion… Peu à peu, l’indé s’est finalement forgé une solide réputation de pourvoyeur d’expériences qui ramènent le jeu vidéo à une de ses fonctions basiques : raconter des histoires. On a souvent l’image de ce jeu indé qui mise sur la simplicité, ou plutôt sur la candeur, toujours en opposition avec les triple-A potentiellement plus bourrins. Néanmoins, il va sans dire que tout cela reste très approximatif, la scène indé regorgeant d’œuvres dures et/ou difficiles par exemple, loin de la contemplation d’un Journey ou d’un Flowers. Tout cela pour dire cependant que si le jeu indé a marqué les années 2010, c’est en partie grâce à cette nouvelle approche (que je résume ici à très très gros traits, vous me pardonnerez).
Ensuite, cette mutation de la scène indé a connu son point d’orgue dans les années 2010 avec la façon dont elle a explosé. Mis sous le feu des projecteurs, c’est un pan immense du jeu vidéo qui a obtenu au cours de la décennie écoulée une reconnaissance nouvelle, portée notamment par quelques grandes œuvres telles que Journey, Fez ou encore Super Meat Boy, pour ne citer que ces trois-là. Une plus grande représentation de ces jeux qui découle en droite ligne de l’immense qualité de certains de ces titres et de la façon dont ils sont rapidement devenus des succès mais aussi et surtout des incontournables. Peut-être est-ce grâce à la proposition qui était la leur, à la façon dont ils ont un peu (ou beaucoup) chamboulé les codes ou permis de révéler bien des talents et des développeurs de génie, mais le fait est que ces nouveautés d’alors sont devenues les classiques d’aujourd’hui. Ayez une conversation sur le jeu vidéo avec quelqu’un dont le parcours de gamer a traversé les années 2010 et il vous évoquera nécessairement au moins un jeu indépendant quelque part. Grâce à cette conjonction de talent et de réussite, cette frange de jeux s’est imposée et a vite gagné une légitimité qu’on lui croyait presque perdue, tant on en entendait peu parler auparavant.
Désormais, la chose n’est plus à prouver : le jeu indé a pris son envol, à tel point que même les plus grands s’y intéressent. Et si à la toute fin des années 2000 on aura pu noter l’apparition de salons et festivals dédiés à la cause (et notamment IndieCade), comment ne pas voir la façon dont les grands acteurs de l’industrie se sont rapprochés ces dernières années de cette autre façon de faire du jeu vidéo ? On pourra penser à Nintendo avec ses Nindies, Xbox avec ID@Xbox ou encore Sony avec PlayStation Indies. D’autres ont carrément fondé de nouveaux labels/studios/moteurs pour promouvoir ces jeux à la grandiloquence moins exacerbée, à l’instar d’Ubisoft par exemple avec UbiArt Framework, qui aura notamment donné naissance à Soldats Inconnus et Child of Light. Enfin, il convient de rappeler l’importance des plateformes comme Steam, qui ont permis à ces jeux d’obtenir une plus grande visibilité et d’être bien plus facile à dénicher.

Développé dans le cadre du Bicentenaire de la Première Guerre mondiale, Soldats Inconnus est une contribution d’Ubisoft à la scène indé.
Et c’est là que se trouve un des pivots de la manière dont on appréhende le jeu indé aujourd’hui : ça se vend. Ça se vend même très bien et c’est ce qui explique cet attrait du public et des producteurs. Pour en attester, il suffit de jeter un œil aux plateformes de financement participatif. A l’heure actuelle, il y a sur Kickstarter 14 501 projets renseignés pour la seule catégorie « jeu vidéo ». Le financement participatif, bien qu’il s’applique à plus ou moins tous les domaines, aura été un pilier plus qu’essentiel pour le développement, la promotion et le soutien des productions indépendantes. Plus accessibles qu’un prêt bancaire, les sous des joueurs et joueuses qu’on aura su attirer avec d’alléchantes promesses et contreparties auront coulé à flot et continuent de le faire.
Que ce soit via Kickstarter ou d’autre plateforme du genre, le jeu indé a donc vu son essor grandir encore et encore en grande partie grâce à cet appui conséquent que représente le crowdfunding. Evidemment, tout n’est pas qu’un long fleuve tranquille et il est impossible que toutes les campagnes de financement aboutissent. Mais cette nouvelle méthode a su devenir indispensable pour un très (très !) grand nombre de studios de petite ou moyenne envergure qui ont ainsi pu concrétiser leurs idées et développer des jeux qui, sans cela, n’aurait peut-être jamais dépassé le stade d’embryons dans l’imaginaire de développeurs et développeuses.
Et justement, puisque l’on parle de tous ces projets qui ne se concrétisent pas malgré une campagne de financement en ligne, il convient d’évoquer le revers potentiel de la médaille. Comme je le disais, le marché a vu le jeu indé prendre une ampleur considérable au cours des dernières années et au milieu des principales sorties de jeux vidéo, ce sont des centaines et des centaines et des centaines de titres indépendants qui sortent à un rythme effréné. Impossible de trier le bon grain de l’ivraie dans tout cela et voilà nos eshops et autres stores remplis à ras la gueule de jeux en veux-tu en voilà. Et surtout, voilà la question : n’y en a-t-il pas trop ? Et dans ce « trop » possible, n’y en a-t-il pas trop de mauvaise qualité ? C’est un point de vue qui fait débat au sein de la théorie dite de l’indiepocalypse, néologisme derrière lequel se cache un crash de la scène indépendante qui pourrait très bien arriver dans les années futures.
En soi, la chose se résume assez simplement en partant du postulat que les mêmes causes entraînent les mêmes conséquences. Sur cette base, les partisans de cette théorie mettent tout simplement en parallèle la situation actuelle du jeu indé avec celle du jeu vidéo de manière générale à l’aube des années 1980. Souvenez-vous qu’en 1983, l’industrie du JV a en effet connu un épisode tragique de son histoire qui aurait très bien pu conduire à son extinction. Victime d’un marché saturé et où les œuvres de piètre qualité se faisaient de plus en plus nombreuses, le secteur a ainsi connu sa première véritable crise, laquelle entraînera la chute de géants tel qu’Atari, qui n’est depuis plus que l’ombre de l’ombre d’elle-même. Or, il se pourrait que le marché indépendant connaisse grosso modo la même catastrophe.
Tout ceci est évidemment à mettre au conditionnel mais l’interrogation demeure légitime. Et si l’appui des principaux acteurs de l’industrie peut permettre à un bon lot de studios de se maintenir à flot, quid de tous les autres ? Qu’adviendra-t-il de ces équipes réduites qui peinent à développer leurs jeux et/ou à réunir l’argent nécessaire ? Ils semblent de plus en plus nombreux à vouloir se lancer dans l’aventure mais y aura-t-il de la place pour tout le monde ? Impossible de le prédire mais on en reparlera sans doute en 2030.
J comme Journalisme spécialisé
La question du journalisme spécialisé jeu vidéo dans les années 2010 peut être abordée sous plusieurs angles. Deux en fait : son évolution d’une part, ses épreuves de l’autre. Ce dernier point, je l’avais déjà rapidement évoqué en traitant du Gamergate dans la précédente partie de ce dossier et nous y reviendrons un peu ensuite. Car si la presse vidéoludique demeure un pilier essentiel à l’égard de l’industrie toute entière, elle n’a pas échappé à quelques périodes difficiles durant ces dix dernières années. Mais avant cela, revenons un peu sur un état des lieux. A ce sujet, je m’intéresserai sur ce point précis spécifiquement à la presse française, ne connaissant que trop mal les homologues étrangers (ou alors uniquement à travers quelques personnalités majeures et divers événements que j’évoquerai peu après).
A l’aube de la nouvelle décennie, la presse JV sort d’une période de transition forte. Amorcée durant les années 2000, cette évolution a connu son apogée au cours des années 2010 et a réussi à installer de manière pérenne à la fois un modèle et une scission, l’une découlant de l’autre. Dès le tout début du XXIème siècle donc, l’émergence toujours plus forte d’internet aura conduit un certain nombre de titres de presse papier à se transformer, sinon à tout bonnement disparaître. Ainsi ont péri Joystick, Joypad, Consoles+ ou encore les fameux magazines officiels des différents constructeurs à la croisée des années 2000 et 2010. Une grande vague d’extinction portée par un investissement de plus en plus massif sur internet, nouvel espace de publication où une véritable triade francophone se dispute désormais le lectorat disponible : Gamekult, Gameblog et JeuxVidéo.com. Trois sites majeurs – dont le plus ancien (JV.com) date tout de même de 1997 – et qui figurent aujourd’hui au sommet des plus consultés dans le domaine, bien installés qu’ils le furent au cours des 10 ans écoulés. Autour d’eux gravitent cependant bon nombre d’autres sites tels que JeuxActu, Millenium (plus spécialisé e-sport en l’occurrence) ainsi que diverses petites structures non-professionnelles mais néanmoins de plus en plus fréquentées et reconnues par les développeurs et éditeurs. Parmi celles-ci, on pensera notamment au site ActuGaming. Une arrivée sur internet qui aura dû, à ses débuts, composer avec la façon dont les usagers perçoivent le web. Globalement pensé de manière consciente ou non comme un espace de gratuité générale (hors frais d’accès), les différents sites que j’ai mentionnés ici ont aussi dû leur succès premier au fait de ne pas avoir à payer pour en consulter les contenus. A grands renforts d’encarts publicitaires qui se sont faits de plus en plus envahissants au fil des années, les sites de jeux vidéo ont ainsi longtemps maintenu leur gratuité.
Mais les années 2010 ont remis tout cela en question avec un accent de plus en plus grand mis sur les offres dites Premium. Variables selon les rédactions, ces offres ont commencé à pointer le bout de leur nez assez timidement avant de devenir des éléments prépondérants des stratégies économiques des différentes structures en ligne. Ainsi en va-t-il notamment de Gameblog, qui propose pour l’essentiel un allègement cosmétique du site via sa formule d’abonnement (suppression des pubs, plus grande liberté dans la personnalisation de son blog…) ainsi qu’un accès privilégié à certains contenus tels que les émissions vidéo. Mais c’est clairement Gamekult qui, au cours des dernières années, a marqué un véritable pas dans le cadre du Premium. Ici, ce sont toutes les émissions qui se retrouvent réservées aux abonnés, tout comme les tests et les différents dossiers composés par l’équipe de rédaction. Seules les news finalement demeure accessible au « tous-publics ».
Mon idée ici n’est pas de vous faire un comparo entre les différentes offres mais plutôt d’expliciter le phénomène qui s’est produit durant les années 2010 : la presse vidéoludique en ligne a entamé (voire concrétisé) son retour à une offre « classique ». Pas classique au sens d’un internet où tout serait gratos, bien au contraire, mais classique au sens où la presse de qualité a un coût. La transition, notamment en ce qui concerne Gamekult, ne s’est pas faite sans heurts ni cris de désespoir de la part d’une partie du lectorat mais il faut bien se rappeler où nous sommes : sur des sites où travaillent des journalistes. Ce qui implique à la fois des salaires mais aussi des investissements. Personne ne renie le fait que la presse papier soit payante : pourquoi diable en serait-il autrement avec la presse en ligne ? Evidemment, des contenus gratuits (qualitatifs ou non, il convient d’être prudents) existent et existeront toujours comme sur JeuxVidéo.com mais dans ces cas-là, il conviendra toujours de se demander comment la machine reste viable. Dans le cas de JV.com, le fait de faire partie du réseau Webedia joue évidemment un rôle prépondérant.
En ce qui concerne la presse papier, nul n’est sans savoir qu’elle connaît de nombreuses difficultés depuis un certain temps, et la presse JV n’y échappe pas. L’affaire Presstalis aura été un exemple criant des problèmes qui secouent ce secteur depuis quelques années. Pour ce qui est de son pendant vidéoludique, on constatera en tous cas une raréfaction progressive des magazines disponibles en kiosque. Découlant d’une part de la transition vers internet et d’autre part des difficultés économiques du secteur, cette raréfaction s’est encore accentuée dans les années 2010 avec la disparition d’un bon nombre de titres tels que ceux que je mentionnais en ouverture de cette section. Pire encore, certains ont tenté l’aventure au cours de cette décennie écoulée mais ont hélas dû mettre clé sous la porte. On pensera notamment à l’éphémère magazine The Game, qui n’aura vécu que 4 ans..
Quelques valeureux titres tiennent cependant fermement la barre encore aujourd’hui comme Jeux Vidéo Magazine, Canard PC ou encore JV. Ce dernier est d’ailleurs assez symptomatique des troubles connus par le secteur durant les 10 dernières années. Fondé en 2013, avec un premier numéro paru en Octobre de la même année, JV en est aujourd’hui à 74 numéros mais le chemin fut long jusqu’en 2020. Le pire survint en 2018 lorsque le magazine est forcé de lancer une campagne Kickstarter pour sauver sa peau. Heurté de plein fouet par l’affaire Presstalis, l’équipe de rédaction voir venir un manque à gagner 32 000€ sur 4 ans qui pouvait tout à fait signer l’arrêt de mort de la publication. La campagne de financement ne fut pas non plus de tout repos puisqu’à quelques jours de sa clôture, les objectifs n’étaient pas atteints. Quelques conséquents dons de dernière minute permirent cependant d’assurer le maintien à flot du magazine. A lui seul en tous cas, JV témoigne des difficultés à proposer un magazine papier de qualité dans les années 2010. Si quelques grands titres paraissent tout à fait à l’abri du besoin, d’autres n’ont malheureusement pas cette chance.
Des difficultés, la presse JV en aura donc connues de sévères durant ces dix dernières années, notamment sur le plan économique. Mais il est un autre domaine dans lequel le secteur a été mis à mal au cours de cette décennie : la déontologie. La période fut en effet marquée par plusieurs remises en question de l’intégrité et de l’éthique des journalistes de jeux vidéo, allant de simples questionnements à quelques bons scandales. Dans tous les cas, le point d’accroche fut le même : la relation entre rédactions et éditeurs de jeux.
Un questionnement dont les premiers sursauts remontent, comme je le disais dans la section consacrée au Gamergate, à 2007 avec le Gerstmanngate (renvoi du journaliste Jeff Gerstmann de Gamespot après une mauvaise critique de sa part sur un jeu très présent dans les encarts pub du site). Mais le vrai gros coup de semonce, c’est en 2012 qu’il a lieu, avec le fameux Doritos Gate. Un scandale dans lequel on aurait tendance à ne mettre en lumière que le nom de Geoff Keighley mais ce serait une erreur. Ce dernier a bien été mis en cause pour la surréaliste vidéo promo de Halo 4 où Keighley se voit entouré par des paquets de Doritos et des bouteilles de Mountain Dew. Deux marques dont les logos sont par ailleurs présents sur l’effigie en carton du Master Chief derrière le journaliste. Or, qu’il y ait un partenariat entre ces marques et le jeu, pourquoi pas ? Mais que vient alors faire l’un des journalistes JV les plus en vue du monde à l’époque au milieu de tout cela ? C’est la question que pose in fine l’article d’Eurogamer publié à l’époque et qui revient sur l’affaire.
Mais Robert Florence, auteur dudit article, ne s’arrête pas là et évoque d’autres cas. Au final, le Doritos Gate n’est qu’un point de départ et de ce premier choc visuel découlent d’autres révélations comme celle où l’on nous parle de Lauren Wainwright et de sa participation pour remporter le titre de meilleure journaliste (et une PS3) aux Game Media Awards. La jeune femme, plutôt mécontente, fera en sorte qu’Eurogamer supprime l’évocation de son nom de l’article en question, provoquant le départ de Robert Florence de la rédaction. L’histoire se poursuit et bien vite resurgiront le passé de Wainwright en tant qu’employée de Square Enix, studio sur les productions duquel elle aura pas la suite écrit en sa qualité de journaliste, générant ainsi une drôle de sensation de conflit d’intérêts…
Tout cela (et d’autres éléments que je ne prends pas le temps d’évoquer dans cette section déjà bien assez longue) aura entraîné durant la décennie passée une grande vague de méfiance à l’égard de la presse spécialisée. Le Gamergate, quand on gratte le peu qu’il reste autour de tous les aspects les plus répugnants du mouvement, en avait fait un de ses chevaux de bataille. Dans la deuxième moitié des années 2010, ce sont également les press tours qui sont pointés du doigt, ces événements organisés par les éditeurs à l’attention des journalistes pour leur faire tester un nouveau jeu tout en leur proposant de petits à-côtés comme, on s’en souvient particulièrement, un tour d’hélico au-dessus de Manhattan… Des conditions de travail rêvées dont on pourra toujours légitimement s’interroger sur l’influence qu’elles peuvent avoir sur un test. Aujourd’hui en tous cas, les médias spécialisés et leurs représentants tâchent de plus en plus de montrer patte blanche et de faire preuve de leur indépendance la plus totale. Gageons que les errances de ces dernières années auront amené une partie de la profession à tirer les bonnes leçons et à revoir ses lignes de conduite en la matière. Je termine enfin en précisant qu’il est vain et stupide de tirer à boulets rouges sur TOUTE la presse vidéoludique et qu’il conviendra, comme toujours, de faire preuve d’autant de recul que possible sur le sujet.
K comme Kojima Vs Konami
Des histoires de bisbilles entre créateurs, studios, développeurs, éditeurs et autres, on pourrait certainement en trouver des centaines à raconter pour toutes les années 2010. Mais d’une part ce serait long, fastidieux et vain, et d’autre part il faut bien admettre qu’il y en a une qui a bien plus marqué les esprits que les autres, et ce pour bien des raisons. C’est l’histoire d’un des divorces les plus houleux que l’on ait connus dans le monde du jeu vidéo : celui de Konami et de son créateur-star, Hideo Kojima.
La relation entre Kojima et Konami fut pourtant longue. Entré au sein de l’entreprise en 1986, Kojima y a progressivement gravi les échelons jusqu’à s’imposer comme LA figure majeure de Konami. Pour résumer les choses plus ou moins brièvement, il y a sorti un an plus tard son premier jeu en tant que directeur, Metal Gear, lequel connaîtra suite avec Metal Gear 2: Solid Snake en 1990 puis avec les Metal Gear Solid parus entre 1998 et 2015, le premier d’entre eux demeurant au passage l’un des jeux les plus importants de la décennie d’alors, sinon de l’histoire du jeu vidéo. L’importance de la saga n’est pas à minimiser, tant pour Konami que pour Hideo Kojima et le média dans son ensemble. Introduisant les premiers vrais éléments directement pris à Hollywood dans le jeu vidéo, les Metal Gear Solid auront fait les beaux jours de Konami sur console durant près de 20 ans, aux cotés notamment de Castlevania (terriblement laissée à l’abandon), PES (dont le retour en grâce est assez marquant de son côté) et Silent Hill, dont on va reparler juste après.
Mais malheureusement, les choses tournent au boudin à la moitié des années 2010 et c’est là que nous revenons pleinement à notre sujet. Révélé lors de la Game Developers Conference (GDC) de 2013, Metal Gear Solid V: The Phantom Pain sera l’ultime et douloureuse collaboration entre Kojima et Konami. A l’époque, le doute commence petit à petit à pointer le bout de son nez chez le public, pour mieux se renforcer dans les semaines et mois qui suivent : Konami efface doucement mais sûrement toutes les mentions de Kojima et de Kojima Productions dans sa communication liée à MGSV. La chose est déjà brutale en soi – on efface le nom du créateur d’une oeuvre – mais elle l’est d’autant plus quand on sait que la mention « A Hideo Kojima game » est une des marques de fabrique dudit créateur.
La situation apparaît plus que tendue. Déjà, en Mars de la même année, Konami annonçait replacer le développement du jeu sous son contrôle direct, grosso modo pour aller plus vite. L’entreprise reproche en effet à Kojima les excès budgétaires de son nouveau jeu ainsi que la durée de développement jugée trop longue. A Los Angeles, le studio de Kojima est par ailleurs rebaptisé Konami Los Angeles Studio. Le 16 Mars, Kojima publie sur Twitter un message que beaucoup interprètent comme une annonce de son départ à venir de Konami. L’on apprend dans la foulée que le développeur devrait quitter ses fonctions exécutives au sein de l’entreprise le 1er Avril de la même année. Les événements se suivent et se ressemblent dans ce dossier dont l’un des derniers points d’orgue sera l’interdiction de Kojima par Konami et ses avocats de se rendre au Game Awards 2015… Quant à MGSV, l’histoire est désormais connue : le jeu est amputé d’une partie de son contenu, notamment de la fin qu’il aurait initialement dû avoir, en raison de l’écartement progressif de son créateur.
Vient ensuite la question du reboot de Silent Hill que l’on nous révèle en 2014, lors de la Gamescom. Mise en ligne dans la foulée, la bande-annonce jouable intitulée P.T. enthousiasme les fans : Kojima est actuellement à l’oeuvre avec son studio Kojima Productions (créé en 2005 en tant que filiale de Konami) sur ce joli projet en compagnie du cinéaste Guillermo Del Toro. Autre atout dans la manche (au-delà des seules qualité inhérentes de ce teaser que tout le monde ou presque reconnaît), l’acteur Norman Reedus pourrait camper le personnage principal de ce Silent Hills. Jusqu’ici, tout semble aller pour le mieux : fort de ce double-projet, Kojima semble maintenir et même toujours plus consolider sa place de choix au sein de Konami. Puis tout bascule l’année suivante. En premier lieu, l’annulation subite de Silent Hills sème le doute. Sans plus d’explication que cela, l’éditeur a en effet choisi de ne pas maintenir ce projet pourtant prometteur. Après quelques jours de rumeurs, l’entreprise publie en Avril 2015 un communiqué dans Kotaku spécifiant que :
« Konami est dévoué à la création de nouveaux jeux Silent Hill. Silent Hills, le projet à l’état embryonnaire développé avec Guillermo del Toro et utilisant l’apparence de Norman Reedus, ne va en revanche pas être poursuivi. Pour ce qui est de l’implication de Kojima et Del Toro, les négociations au sujet de futurs projets Silent Hills sont en cours. Merci de rester à l’écoute de prochaines annonces.«
La chose paraît étrange : on annule le projet mais la saga n’est a priori pas morte pour autant et, en plus de cela, Kojima et Del Toro seraient de nouveau en négociations pour « de futurs projets Silent Hills« . Au final, rien n’aboutira : depuis lors, SIlent Hill est au point mort et Konami n’a vraiment pas l’air dans l’intention de relancer la licence.
Tout ce dossier Kojima vs Konami pose finalement beaucoup de questions mais la principale, c’est celle du rapport au créateur dans le développement de jeux vidéo et en particulier dans ce contexte-ci. En agissant de la sorte, Konami a mené une vaste campagne d’effacement de ce dernier, retirant la moindre mention d’Hideo Kojima jusque sur les jaquettes de The Phantom Pain, et allant même rediriger le site de Kojima Productions d’alors vers celui de MGSV tout en annulant l’autre projet que le développeur souhaitait mener de front. Une affaire dont, encore aujourd’hui, nous ne connaissons finalement que peu d’éléments, les deux parties restant encore très taiseuses sur le sujet. Le divorce s’est en tous cas fait dans la douleur, laissant derrière lui un jeu marqué, aux cicatrices visibles, et des fans plus que déconcertés. Konami n’est certes pas à plaindre d’un point de vue financier malgré tout cela et MGSV s’est à l’époque vendu comme des petits pains mais il y a bien une bataille que l’entreprise a perdue ici : celle de l’image. En agissant avec cette espèce de brutalité qui fut la sienne dans cette affaire, en écartant sans cesse Kojima de son propre travail, en l’empêchant même d’aller chercher sa propre récompense, Konami s’est taillé une solide réputation de bande d’enfoirés, en gros.
Un travail de sape de son image qui s’est évidemment trouvé renforcé par le fait d’avoir tapé sur des licences chères au cœur de bon nombre de joueurs et joueuses de par le monde. Silent Hill et MGS ne sont pas que des séries de jeux vidéo : qu’on les aime ou non, ce sont des monuments. Les deux, dans leurs genres respectifs, sont des étapes incontournables, fondatrices de bien des aspects du jeu d’aujourd’hui. Leur retour était plus qu’attendu et le fait de les voir sacrifiées (surtout Silent Hills donc) sur cet étrange autel qui fut celui où Kojima et Konami se livrèrent bataille n’a fait qu’exacerber la colère des fans. A mon sens, ce dossier créé un véritable précédent dans l’industrie vidéoludique, celui d’une rupture violente entre une entreprise et un de ses employés majeurs mais aussi celui d’une déconsidération du travail de création. Kojima quant à lui s’est bien relevé depuis, fondant de nouveau Kojima Productions en indépendant en Décembre 2015 et marchant main dans la main avec Sony, pour qui il a déjà pu porter Death Stranding l’an dernier.
L comme Littérature
A l’instar de ce que j’ai fait pour la lettre J, sachez en préambule de cette section-ci que je ne traiterai que du pan français de la question. Ce sont en effet via les maisons d’édition françaises que cet aspect du jeu vidéo « au-delà du jeu vidéo » m’est le plus familier. Il convient cependant de bien avoir en tête que ce phénomène n’est absolument pas exclusif à la France et que de nombreux éditeurs dans le monde entier mettent à disposition des lecteurs et lectrices des ouvrages consacrés aux jeux vidéo.
Il est une certitude en tous cas, c’est que durant un bon moment, le monde du livre tiré des jeux vidéo s’est divisé en trois secteurs : les bouquins de soluce, dont nous connaissons principalement ceux édités par Piggyback ; les artbooks ; et enfin les romans et/ou bandes-dessinées adaptées des jeux en question. Sur ce dernier point, on pourra notamment penser à la belle collection de romans tirés de la saga Halo (pas moins de 26 tomes !) ou encore ceux dans l’univers d’Assassin’s Creed. Dans le premier cas, nous avons droit à des récits tirés des jeux mais visant à en accroître l’univers en narrant de nouvelles aventures, même si une partie des ouvrages reprennent grosso modo les événements racontés dans les jeux. Ainsi en va-t-il par exemple des deux premiers romans (La Chute de Reach et Les Floods), directement adaptés du premier Halo. Dans le cas d’Assassin’s Creed ensuite, l’affaire prend une tournure plus intéressante en ce sens qu’elle vise à développer tout un arsenal littéraire visant à nourrir l’univers transmédia voulu par la licence. Entre les romans d’Oliver Bowden – qui se basent strictement sur les jeux mais en offrant parfois une nouvelle perspective (raconté à travers les yeux d’un autre personnage par exemple) – et les nombreuses bandes-dessinées et comics, Ubisoft a pleinement investi le marché des œuvres de papier afin de construire et étendre l’univers de ses Assassins. Le studio va même jusqu’à créer sa propre maison d’édition, Les Deux Royaumes (en référence à Prince of Persia), pour éditer ses propres BD.
Mais ce qui m’intéresse dans cette partie du dossier, c’est moins le pendant littéraire de fiction que celui qui va traiter le jeu vidéo comme objet et comme oeuvre. Je pense, pour faire simple, aux ouvrages dits thématiques, lesquels vont s’intéresser aux jeux vidéo à travers des angles divers et variés : suivre l’évolution d’une licence, le parcours d’un développeur/studio, aborder les jeux sous un angle philosophique même parfois… Et si les ouvrages que j’ai mentionnés plus haut ont certes connu un regain d’intérêt dans les années 2010, cette décennie fut le terrain de jeu privilégié de cette nouvelle littérature qui prend finalement ses racines dans une approche journalistique du média. Ainsi est-ce le cas des éditions Pix’n Love, fondées en 2007 par Florent Gorges et Marc Pétronille (deux anciennes plumes de GameFan, premier magazine rétrogaming français) ainsi que Sébastien Mirc.
L’objectif premier de Pix’n Love n’était d’ailleurs pas de forcément développer cette nouvelle littérature mais plutôt de repenser la presse rétrogaming, ce dont découlera la première publication de la maison, un mook sobrement intitulé Pix’n Love. Pour celles et ceux qui ignoreraient de quoi il s’agit, un mook est une publication à mi-chemin entre le magazine et le livre (le mot est d’ailleurs une contraction anglophone de magazine et book). Ce n’est qu’ensuite que la boite se décide à proposer d’autres types d’ouvrages, lesquels seraient cette fois clairement des livres à proprement parler. Ainsi sont venus combler nos étagères des ouvrages comme la récente Histoire de Rare en deux volumes, la biographie du journaliste AHL par Julien Chièze, L’Histoire du Point ‘n Click par Patrick Hellio, L’Histoire de Nintendo en 4 volumes par Florent Gorges, etc… Il y a derrière ces ouvrages une ambition qui se dessine en premier lieu et qui répond finalement à l’approche initiale de Pix’n Love dans ses publications régulières : raconter l’Histoire du jeu vidéo, effectuer ce travail de reconstitution des débuts à aujourd’hui afin que, comme la musique ou le cinéma, le jeu ait droit aussi à son travail d’historien(ne)s.
Pix’n Love fut donc en quelque sorte un pionnier en la matière. Et qui dit pionnier, dit généralement successeurs. Dans ce domaine, on pensera forcément à deux autres maisons d’édition : Omaké Books et Third Editions. La première est une autre création de Florent Gorges et présente la particularité de ne pas se cantonner au seul champ des jeux vidéo mais d’en exploiter le plein potentiel en offrant à ses lecteurs et lectrices la possibilité de se plonger dans des ouvrages qui touchent à un univers culturel japonais au sens large mais aussi à celui des « influenceurs ». La maison d’édition, bien consciente de la part de ces acteurs modernes du monde vidéoludique, propose en effet des DVD du Joueur du Grenier ou de Hard Corner ou encore – en ce qui concerne la culture populaire nippone – diverses œuvres telles qu’une biographie de Jackie Chan ou des mangas (pour n’évoquer que cette infime partie de leur catalogue). Plus touche à tout que ses confrères, Omaké Books vise donc bien plus une audience qui ne soit pas composée exclusivement de gamers, l’objectif étant d’offrir une approche globale de la culture dite geek, quitte à s’en détacher simplement pour le plaisir d’explorer plus en-avant (on trouvera notamment des livres sur les sushis et les ramens sur le site).
De leur côté enfin, Third Editions annonce la couleur d’entrée de jeu : tapez son nom dans Google et le premier résultat que vous trouverez spécifiera clairement (et tout en majuscules) « A publishing house specialized in video games » (« une maison d’édition spécialisée dans les jeux vidéo »). Le vidéoludique reste donc la base des ouvrages de cette troisième grosse maison spécialisée, scindant son catalogue en plusieurs entités. Il y a d’un côté les sagas, lesquelles peuvent être celles d’une licence (Red Dead Redemption, GTA, Legacy of Kain, Halo, Metal Gear Solid…), d’un créateur (Yoko Taro, Fumito Ueda…) ou d’un studio (Devolver). On trouvera ensuite la section RPG, au nom très évocateur : Pokémon, Final Fantasy ou encore The Witcher feront partie des nombreuses licences abordées dans les livres de cette partie du catalogue. Enfin, toute une section rétrogaming viendra mettre les jeux d’avant à l’honneur. De Skies of Arcadia à Streets of Rage en passant par l’ère de l’arcade chez Sega ou encore Peter Molyneux, il y a là encore de quoi faire.
Il est à noter cependant que si les jeux vidéo composent le principal fond de commerce de Third, la maison a aussi su s’ouvrir à d’autres pans de la culture geek en éditant des ouvrages consacrés notamment à Full Metal Alchemist, Akira, Batman, Spider-Man ou encore The Leftovers. Une intention qui n’est pas sans rappeler la volonté de voir au-delà du jeu vidéo et de s’intéresser à une véritable culture au sens large. Fondée, j’oubliais de le préciser, par Mehdi El Kanafi et Nicolas Courcier en 2015, Third Editions a su maintenir une cadence exemplaire : entre 2015 et 2019 c’est une bonne grosse vingtaine d’ouvrages qui sont ainsi sortis de presse et leur nombre ne cesse d’augmenter !
Trois maisons se tirent donc la bourre en quelque sorte en France et je ne doute absolument pas que d’autres tâchent d’offrir le même niveau de qualité dans divers pays de ce monde. Le fait est en tous cas que les années 2010 ont été marquées par ce renouveau de la littérature vidéoludique, laquelle connaît depuis un engouement certain. Si les ouvrages consacrés aux jeux vidéo ont encore du mal à se faire une vraie belle place dans les librairies non-spécialisées ou les grandes enseignes comme Cultura ou la Fnac, on ne peut cependant nier leur essor nouveau et leur plus grande variété. Le temps des novélisations et des artbooks n’est certes pas terminé mais il doit, depuis cette décennie écoulée, composer avec de nouvelles formes d’ouvrages, plus spécialisés, plus analytiques, plus enclins à considérer le jeu vidéo comme une oeuvre à part entière, un pan entier de culture.
M comme Microtransactions
Les années 2010 n’ont clairement pas été exemptes d’événements moins glorieux que les autres dans le monde du jeu vidéo, on a déjà bien pu le voir jusqu’ici. Celui que je m’apprête à aborder est encore un cas à part en quelque sorte puisqu’au lieu de toucher l’industrie dans ses philosophies et les comportements de ceux qui la composent, elle pose la question de la manière dont elle traite celles et ceux qui la font vivre en lui accordant leur argent. Elle interroge sur la manière dont les studios et éditeurs de jeux envisagent leur clientèle et les moyens qu’ils vont mettre en place pour la fidéliser, voire la piéger s’il le faut. C’est la question des microtransactions et autres lootboxes.
Si l’on remonte à l’origine du phénomène, c’est vers les jeux mobiles de type free to play qu’il faut tourner le regard. Très tôt, et afin de tirer des bénéfices autrement que par les encombrantes publicités qui viennent hacher le jeu, les titres issus de cette famille de jeux ont pris le pli de tout bonnement demander de l’argent à leurs utilisateurs malgré tout. Et nous voilà donc à dépenser 1€, 5€, 10€, 50€ pour débloquer des vies supplémentaires, réduire le temps d’attente entre deux parties ou obtenir de nouveaux items qui viendront faciliter la progression dans le jeu. Pire encore, certains jeux en viennent rapidement à rendre le passage à la caisse obligatoire, l’accès aux plus hauts niveaux demandant sans cela un temps de jeu interminable. Lorsque Nintendo se lancera à son tour avec DeNA dans le monde des free to play, Satoru Iwata préférera d’ailleurs jouer la carte de l’honnêteté en préférant parler de free to start : car si l’acquisition et l’installation du jeu demeurent gratuites, laissant le joueur/la joueuse se lancer dans la partie sans frais, l’usage des microtransactions apparaît finalement presque systématiquement comme un passage obligé pour profiter du titre sur le long terme. Un mode de fonctionnement relativement déplaisant qui, cependant, n’aura pas trop heurté les gamers jusque là puisqu’il restait cantonné aux jeux mobiles, largement déconsidérés par le public des « vrais joueurs », même encore aujourd’hui.
Seulement voilà, ce qui se passait sur nos smartphones et tablettes en aura inspiré plus d’un et nous avons progressivement vu apparaître les mêmes modèles économiques sur nos jeux pour PC et consoles. La chose n’est en réalité pas nouvelle et on pourrait par exemple parler de Second Life pour évoquer un exemple plus ancien.
Cependant, la pratique s’est largement démocratisée durant les dernières années, en particulier dans le cadre des jeux de sport. L’exemple le plus frappant ici est sans conteste celui de FIFA et de son fameux mode FUT. Dans ce nouvel aspect de jeu, il est possible d’acquérir des cartes à l’effigie de joueurs de foot afin de composer sa propre équipe. Un système de transferts est même prévu afin d’échanger ses cartes avec celles d’autres joueurs et joueuses. Cela étant, lorsque l’on joue à FUT il y aune chose qui saute aux yeux très rapidement : les joueurs qu’on nous donne en tout début de parcours sont un peu pourris. Alors on joue des matches tout de même, on gagne un peu de monnaie virtuelle et zou, on s’achète un nouveau pack…qui n’est pas tout à fait plus glorieux que nos joueurs d’origine. Le jeu, bien malin, glisse cependant toujours un joueur un peu au-dessus de la moyenne de notre équipe, histoire de créer de l’envie.
Mais ce qu’il crée avant tout – et c’est l’un des fondements du free to play – c’est de la frustration. Il y a alors trois options possibles : s’en foutre royalement et continuer à jouer avec sa petite équipe pas terrible ; laisser tomber le mode FUT ; ou alors dépenser notre argent (le vrai cette fois-ci) dans des packs de cartes payants, classés selon la rareté et la qualité des joueurs qui se trouvent à l’intérieur et donc fatalement de plus en plus chers. Ce n’est qu’alors qu’on va pouvoir commencer à rassembler des joueurs de renom afin de former une équipe du tonnerre. Attention cependant car il reste une dernière petite douille : on ne sait jamais à l’avance sur qui on va tomber ! Non contents de nous faire payer des packs en plus du prix initial du jeu (rappelons que FIFA n’est absolument pas un free to play), les gens de chez EA se plaisent en plus à nous vendre des choses à l’aveugle, histoire de nous faire claquer toujours plus de fric.
Si j’évoque FIFA spécifiquement pour cet exemple, ce n’est pas innocent et quiconque a suivi l’actu jeux vidéo des 3-4 dernières années voit très bien où je veux en venir. Alors oui, on pourrait évoquer Fortnite, Overwatch et tous les autres jeux de cette trempe. Je pourrais aussi parler de Metal Gear Survive, dans lequel il fallait dépenser de la monnaie virtuelle pour débloquer un nouvel emplacement de sauvegarde, et si vous étiez trop impatient, vous pouviez toujours claquer 10€… De la même manière, la monnaie virtuelle de NBA 2K19 permettait de faire croître les statistiques de nos joueurs mais là encore, on pouvait aller plus vite (le jeu n’était pas généreux en VC, ladite monnaie in game) en utilisant sa véritable carte bancaire. Mais non, c’est sur EA que j’ai choisi de lourdement insister puisque c’est bien cet éditeur qui fut au cœur du scandale en 2017.
Avec Star Wars : Battlefront II, EA comptait bien jouer la carte des microtransactions à pleine balle, instaurant dans son nouveau jeu tout un système de lootboxes qui sont bien vite passées du statut de « bonus sympas » à « contenus qui viennent déséquilibrer l’expérience ». Il est en effet très vite apparu dans le jeu que les joueurs et joueuses qui souscrivaient à l’idée de payer ces fameuses boites obtenaient ainsi des avantages indéniables qui ont rapidement fait passer l’ensemble à un système de pay to win aux yeux du public. En gros, celles et ceux qui ne payaient pas se trouvaient considérablement désavantagés et voyaient les chances de l’emporter fondre en conséquence.
Fort heureusement, plutôt que de réussir à séduire les joueurs et les joueuses, EA n’a fait que provoquer leur ire, qui trouva un écho dans bon nombre de critiques autour du jeu. Pour dire le moins, EA a fait le pas de trop. Le système mis en place dans Battlefront II fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase déjà bien rempli au cours des années précédentes par des DLC toujours plus nombreux. L’affaire aurait pu s’arrêter à la simple colère des joueurs et un rétropédalage en règle de la part d’Electronic Arts mais le champ politique s’est emparé du sujet. Ce fut notamment le cas en Belgique où les lootboxes ont été interdites l’année suivante. En France, une commission de travail parlementaire s’est formée pour travailler sur le sujet. Reste qu’hormis les interdictions dans certains pays, les seules mesures concrètes que l’on observe depuis 2017 en lien avec les microtransactions sont l’apparition d’un logo PEGI pour prévenir de leur présence dans tel ou tel jeu, ainsi que la façon dont leur absence est devenu un élément courant de marketing pour vendre un jeu.
N comme Nintendo
Pour Nintendo, les années 2010 furent essentiellement composées de hauts et de bas, le succès de l’entreprise oscillant sans cesse entre les immenses succès et les échecs conséquents. A l’orée de la décennie pourtant, tout sourit à Big N, qui entame ces dix nouvelles années sur des bases plus que confortables. Les réussites que furent la Wii et la DS, respectivement sorties en 2006 et 2004, ont permis à l’entreprise de relever sa situation après des années Nintendo 64/GameCube plus faibles (si l’on ne compte pas les succès des différentes Game Boy, Advance ou non). L’une comme l’autre ont su faire quelque chose que seule la PS2 pouvait se targuer d’avoir réussi jusqu’alors : conquérir le monde. Les deux consoles ose sont en effet imposées sur le marché en glanant une clientèle qui n’allait pas nécessairement s’orienter vers le gaming avec une PS3 ou une Xbox 360 : les joueurs et joueuses occasionnel(le)s. Entamant alors la grande ère du casual gaming, la Wii et la DS se sont propagées dans tous les foyers ou presque, investissant même des lieux où l’on n’aurait jusqu’alors jamais cru trouver un jeu vidéo (comme les maisons de retraite notamment). Fin 2010, ce sont près de 85 millions de Wii qui se sont écoulées dans le monde, tandis que la DS venait de dépasser les 125 millions d’exemplaires à date du 31 Décembre 2009 (surpassant ainsi la Game Boy et ses 118 millions totaux).
Autant dire qu’à l’époque, Nintendo roule tranquillement sur une concurrence qui ne joue de toute façon pas dans la même cour qu’elle. Car ce qui ressort énormément à la croisée des années 2000 et 2010, c’est que Nintendo a tout bonnement laissé tomber la course à la puissance et assume complètement ce choix. L’objectif pour l’entreprise est moins de proposer des consoles sans cesse plus performantes pour porter des jeux toujours plus impressionnants que de livrer à ses joueurs et joueuses des softs qui sachent offrir avant tout un expérience de jeu. Telle est la philosophie de Nintendo à ce moment de son histoire et si cela lui sera beaucoup reproché dans les années suivantes (et encore aujourd’hui), elle n’a pas l’intention de changer d’orientation. D’autant qu’au début des années 2010, la Wii et la DS (incluant DS Lite, DSi et DSi XL) continuent de très bien se vendre. La première finira ainsi par dépasser les 101 millions de consoles vendues, tandis que la seconde atteindra le chiffre ahurissant de 154 millions d’exemplaires ! Les deux machines restent à ce jour les meilleures ventes de Nintendo.
Cette volonté que j’évoquais juste au-dessus de miser plus sur l’expérience de jeu que sur la seule puissance pour vendre des consoles, c’est exactement ce qui guidera l’élaboration des deux machines suivantes de Nintendo. La première n’est autre que la 3DS, inscrite dans la droite lignée de la DS. La différence principale ? Un écran 3D qui nous promet d’élargir encore le champ de nos expériences vidéoludiques. Sortie en 2011, la 3DS fera son bonhomme de chemin jusqu’en 2019, année de l’officialisation de sa fin de carrière. Après huit ans de bons et loyaux services, la console portable 3D se retire sur un bilan en demi-teinte. Car si l’on peut d’un côté être content de sa longévité, assurée par un flux continu de nouveaux titres durant toute cette période, on ne pourra pas non plus éluder les principaux écueils auxquels la machine a dû faire face.

Sans jamais devenir la plus grande réussite de Nintendo ni même égaler la DS, la 3DS aura été un élément déterminant du maintien à flot de l’entreprise dans la deuxième moitié des années 2010.
On pensera notamment à l’absence d’un deuxième stick, lequel fut d’abord proposé avec un très désagréable accessoire à accrocher à la console puis directement inclus sur la console avec la sortie de la New Nintendo 3DS (XL ou non). On pourra aussi évoquer cette 3D justement, bien trop peu utilisée dans les différents jeux accueillis par la portable, hormis certains titres maison de Nintendo comme Super Mario 3D Land. C’est à tel point que Nintendo finira d’ailleurs par proposer une version de la machine qui ne propose tout simplement plus cette option qui s’est très vite avérée particulièrement facultative : la 2DS (2013). D’abord proposée dans une version « monolithique » non repliable (a contrario de tous ses prédécesseurs depuis la première DS), elle sortira ensuite dans une version XL en 2017, pliable cette fois-ci. Malgré cela, la gamme 3DS aura fait un bien joli parcours que Nintendo aura même eu tendance à éterniser un peu sur la fin et l’on gardera en tête de très chouettes œuvres parues sur cette console : les remakes de Ocarina of Time et Majora’s Mask, le renouveau de Fire Emblem, Metroid : Samus Returns, Animal Crossing : New Leaf ou encore Super Smash Bros. for 3DS, première (et dernière) incursion de la licence sur console portable. Ce sont finalement plus de 75 millions de 3DS (tous modèles confondus) qui se seront écoulées, accompagnées par 384 millions de jeux.
Parallèlement, voilà le gros morceau. Celui qui n’a jamais autant fait crier « Nintendo va mourir », même au temps de la GameCube ou de la Nintendo 64. Je veux bien sûr parler de la Wii U, illustre machine sortie en 2012 et si tristement mal-aimée, mésestimée même. Passant enfin à la HD, la Wii U aurait pu être un beau succès. Le concept était cool sur le papier : jouer sur deux écrans, l’un étant votre télé, l’autre celui présent sur la manette de la console (le fameux GamePad et son gameplay asymétrique). Mieux encore, ce GamePad permet de libérer l’écran de la télé pour continuer la partie sur ce seul petit écran et ainsi laisser quelqu’un d’autre profiter de la télévision. Petit souci cependant avec cette approche, il était impossible de trop s’éloigner de la console. A titre personnel, je ne pouvais même pas traverser le couloir et me poser dans ma chambre sans que la connexion lâche l’affaire…
Les belles idées de base n’auront donc pas suffi. Abandonnée par les éditeurs tiers, à quelques rares exceptions près, la Wii U s’est vite retrouvée en difficulté. En son temps, la Wii non plus ne jouissait pas des meilleures faveurs des éditeurs tiers, ces derniers n’offrant que des versions allégées des titres qu’ils proposaient sur les autres consoles (en particulier vrai pour les jeux de sport et notamment FIFA) ou des softs spécifiquement conçus pour la machine de Nintendo et bien souvent assez décevants, on ne va pas se mentir… Mais en sachant capter le public casual, la machine avait toutefois su tirer son épingle du jeu sans souci, ce que la Wii U n’aura jamais fait. La faute revient notamment à des erreurs de communication, le grand public ne comprenant pas toujours qu’il ne s’agissait pas que d’un accessoire pour la Wii. Au final, la Wii U ne s’est vendue qu’à 13 millions d’exemplaires. Dit comme ça, on pourrait croire que c’est un bon score mais – oh, surprise – pas du tout ! C’est même un échec cuisant aux yeux d’une entreprise comme Nintendo, surtout au moment où celle-ci sort du faste de l’ère Wii/DS.
Et comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, nous avons appris en 2015 le décès de Satoru Iwata. D’abord développeur chez HAL Laboratory, où il entre en 1982, il est celui qui fera en sorte que l’entreprise se lie avec Nintendo, notamment en vue de la sortie de la NES en 1983. C’est à lui également que nous devons l’apparition de Kirby en 1992, un an avant qu’Iwata ne devienne le président de HAL Laboratory, qu’il arrivera à sauver de la faillite durant les années 1990. Iwata était ensuite entré chez Nintendo en 2000 pour finalement en devenir le PDG deux ans plus tard, après le départ à la retraite d’Hiroshi Yamauchi. A l’époque, Nintendo s’était un peu isolée et Iwata contribuera au retour des éditeurs tiers sur les machines Nintendo avec des projets exclusifs à ces dernières.
C’est sous sa présidence que Nintendo connaîtra donc les heures heureuses de la DS et de la Wii puis les difficultés de la Wii U. Difficultés auxquelles Iwata avait d’ailleurs répondu en diminuant son salaire à deux reprises pour minimiser la crise que l’entreprise connaît alors. C’est également à Satoru Iwata que nous devons l’émergence des Nintendo Direct, format de communication devenu depuis monnaie courante et dans lequel le PDG s’adressait directement aux joueurs et joueuses pour leur présenter les nouveautés de Nintendo. C’est aussi avec lui que Nintendo s’est orienté dans cette approche un peu lifestyle du jeu vidéo, avec des jeux comme Wii Sports ou Wii Fit, renforçant encore la « casualisation » du secteur et les comptes en banque de la firme. C’est enfin sous Iwata que Nintendo lance les Amiibos, sur lesquels je ne reviens pas, en ayant déjà largement parlé dans la première partie de ce dossier. Parti suite à une longue maladie en 2015, Iwata n’aura pas eu la chance de voir Nintendo renouer avec le succès grâce à la Switch, sortie deux ans plus tard et qui fut son dernier grand projet.
Et quel projet ! Alors que bon nombre d’observateurs plus ou moins avisés voyaient déjà Nintendo au fond du fond du trou, Big N a sorti l’artillerie lourde avec cette nouvelle machine, si longtemps attendue sous son nom de code NX. Il aurait d’ailleurs été idiot de penser que la situation financière de Nintendo était réellement si critique durant les périodes plus troubles (2013-2017 en gros). En effet, au cours de ces quatre années, l’entreprise a su garder la tête hors de l’eau malgré le naufrage de la Wii U, notamment grâce à des licences maison qui permettaient de subvenir aux besoins mais aussi et surtout grâce aux Amiibos justement, qui se sot vendus à foison et continuent toujours de le faire.
Et Nintendo de nous prouver que cette entreprise née en 1889 a toujours de la ressource, suffisamment pour rebondir.
Son ressort salvateur cette fois, c’est la Switch. Lancée en 2017, la console hybride (à la fois salon et portable) a permis à l’entreprise de renouer avec le succès : d’après les derniers chiffres, ce sont déjà presque 62 millions de Switch qui ont été vendues dans le monde. En cela, la machine est d’ores et déjà le deuxième plus gros succès en matière de consoles de salon pour Nintendo. Et son catalogue ne cesse de s’enrichir, comptant déjà parmi ses rangs quelques très grands succès tels que Breath of the Wild, Super Mario Odyssey, Super Smash Bros. Ultimate ou encore le récent Animal Crossing : New Horizons, véritable best seller qui est devenu en moins de 5 mois le deuxième titre le plus vendu de la console derrière le peut-être pas indétrônable Mario Kart 8 Deluxe (merci le confinement).
Nintendo a donc su surmonter les épreuves et terminer la décennie en beauté, ce qui – courant 2015-2016 – était loin d’être prévisible pour tout le monde. Evoluant toujours un peu en marge du marché où Xbox et PlayStation se livrent la bataille des teraflops, la Switch a su proposer un autre modèle, sorte de synthèse des expérimentations faites par Nintendo depuis près de 15 ans. Et si ce deuxième semestre 2020 laisse un peu perplexe (le seul gros jeu annoncé sur la console pour cette année n’étant plus que Pikmin 3 Deluxe…), la hâte de découvrir les prochains projets de la firme demeure.
O comme Open Worlds
Si l’on pourrait aisément croire que l’histoire des mondes ouverts est assez récente, il faut pourtant remonter à bien des années pour en trouver les prémices. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les open worlds ne sont apparus qu’au tournant des années 2000-2010, les premiers d’entre eux datent en réalité des années 1990. Certains iront même jusqu’à remonter aux années 1980, considérant par exemple Elite (1984) comme le premier véritable monde ouvert dans un jeu vidéo. D’autres penseront aussi à The Legend of Zelda premier du nom, même si la chose reste discutable. Dans les 90s donc, plusieurs jeux tendent déjà à élargir le champ des possibles du point du vue du map design. En 1994 déjà, The Elder Scrolls: Arena est encensé pour son vaste monde. En 1998 ensuite, Ocarina of Time apparaît également comme un monde ouvert pour la variété et la richesse de ses environnements ainsi que la possibilité de les explorer selon son bon vouloir (dans la limite du game design et de l’obtention ou non de certains objets).
Mais c’est à l’aube des années 2000 que le phénomène commence à voir ses contours bouger pour progressivement épouser ceux du monde ouvert tel que nous le connaissons aujourd’hui. GTA III marque un premier pas en avant en 2001 en permettant aux joueurs et joueuses de se déplacer librement dans la ville de Liberty City. Ecoulé à 12 millions d’exemplaires, le premier volet 3D de la licence Grand Theft Auto est ainsi assez généralement reconnu comme le point de départ vers l’élaboration de l’open world moderne. S’il faudrait évidemment prendre en compte d’autres titres sortis plus ou moins dans le même créneau, le succès financier de ce jeu contribue largement à lui accorder ce titre : ce ne sont jamais les jeux les plus discrets qui influencent le reste de la production. A la fin des années 2000, c’est un autre grand nom qui vient poursuivre l’aventure : Ubisoft. Amenant sur la table sa série Assassin’s Creed (avec le premier en 2007 puis le deuxième en 2009), le studio français annonce la vague de mondes ouverts qui va déferler sur le marché dans la décennie suivante. Des aires de jeu de plus en plus grandes, avec des écrans de chargement de moins en moins présents, voilà ce qui va faire le jeu vidéo AAA des années 2010 !
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la recette a très bien pris auprès du public. Chaque nouvel open world s’est vendu à foison, entraînant alors toujours plus de nouveaux titres dans la même veine, et ainsi de suite… Et que de succès dans cette frange de jeux : les Assassin’s Creed (neuf nouveaux épisodes entre 2010 et 2019 !), GTA IV et V, Red Dead Redemption puis sa suite, The Witcher III, Horizon: Zero Dawn… Je ne cite ici que les plus gros succès en la matière (et surtout ceux qui me viennent à l’esprit au moment d’écrire ces lignes) mais le nombre de jeux en mondes ouverts a explosé durant les années 2010. Et qui dit explosion peut aussi envisager deux autres choses : la lassitude et l’évolution.
Dans le premier cas, le sentiment peut découler de plusieurs choses, la première étant le trop grand nombre d’open worlds qui arrivent dans les bacs. Evidemment, on ne pourra pas encore parler de saturation du marché, mais il est apparu – notamment à partir de la moitié des années 2010 -, que leur multiplication allait progressivement de paire avec leur manque d’ingéniosité. Plusieurs titres sortis durant la deuxième moitié des années 2010 pèchent ainsi en ne sachant pas comment rafraichir le concept. Je pense notamment à ReCore, trop engoncé ; aux Assassin’s Creed, annualisés et en conséquence incapables de trouver un moyen en si peu de temps de développement pour se renouveler proprement avant la sortie d’Origins en 2017 ; ou encore à Horizon: Zero Dawn qui – malgré sa beauté et une sortie en 2017 – arrive difficilement à offrir une expérience différente des mondes ouverts de début de décennie. Ainsi, certains gros open worlds n’ont pas su renouveler leur essence-même et donc l’intérêt d’une partie des gamers. Si la chose était sympathique en 2010, voir dans le dernier quart de la décennie un vaste monde de jeu simplement rempli d’objets à collectionner et de ponctuelles quêtes annexes sans grand intérêt (tant d’un point de vue scénaristique qu’en matière de gameplay et de gratification pour le joueur/la joueuse), c’est à la fois banal et rageant. Ça donne l’impression d’une poule aux œufs d’or dont on ne sait plus quoi faire. C’est là le grand drame des phénomènes de mode : une recette fonctionne donc on la démultiplie à l’infini sans trop oser y apporter quoi que ce soit de nouveau pour ne pas prendre le risque de se planter.
Fort heureusement pour nous et pour le jeu vidéo dans son ensemble, il y en aura eu quelques uns pour faire preuve d’audace ! Cette dernière fut notamment technique, s’intéressant tant à des aspects de game design que de capacités technologiques. Ainsi pourra-t-on parler des « bacs à sable ». L’expression est d’ailleurs souvent utilisée à tort et à travers pour désigner un monde ouvert où l’on peut agir librement. Mais ce n’est pas juste le carré dans lequel on s’amuse avec un semblant de liberté.
Contrairement à un GTA par exemple, un bac à sable (ou sandbox) ne va pas reposer que sur le gameplay initialement conçu par les développeurs mais va au contraire miser sur un gameplay dit émergent et même non-linéaire, où les outils mis à disposition des joueurs et joueuses leur permettent de ne pas seulement accomplir les actions que l’on attend d’eux mais bien d’exploiter le plein potentiel du soft afin de se l’approprier pleinement et d’y faire preuve de créativité.
Dans ce cadre-là, la non-linéarité que je vient de mentionner va prendre forme dans la façon dont on va arriver au but tout en ayant ou non expérimenté certaines choses pourtant rendues possibles par les outils mis en place. L’exemple le plus notable en la matière est bien entendu Minecraft, où la totale liberté de création laissée aux gamers épouse parfaitement ce concept. Mais l’on pourra également citer Animal Crossing d’une certaine manière (chaque village sera unique selon ce que le joueur/la joueuse y aura fait ou non) ; MGS V, puisqu’une très grande liberté y est laissée aux propriétaires du jeu concernant la façon d’aborder les missions et d’explorer le monde ouvert ; ou même encore Hitman, où les assassinats peuvent être réalisés de la manière que l’on souhaite dans des niveaux effectivement ouverts. Il y aura toujours des nuances à apporter mais cet aspect « bac à sable » est indéniablement une variante de l’open world qui le sauve de l’ennui le plus profond dans lequel certaines productions de la moitié des années 2010 ont failli le plonger.
Les autres ambitieux enfin, ils se cachent du côté de la génération procédurale. Un concept qui part d’une observation toute bête finalement : puisque les gens se lassent des mondes ouverts où tout est déjà prédéterminé, pourquoi ne pas leur en offrir qui changent tout le temps ? Un monde qui change sans cesse, à chaque nouvelle partie, ou même qui se trouve en perpétuelle expansion ! Un pari fou que Minecraft là encore a contribué à faire émerger, suivi par d’autres titres plus tardifs tels que No Man’s Sky mais qui trouve ses racines dans les Rogue like, héritiers du jeu Rogue paru en 1980 et où les niveaux sont générés avec une grande part d’aléatoire. Du coup, il serait assez faux de dire que ces idées ont été pensées spécifiquement pour le monde ouvert mais il est en revanche tout à fait exact de dire que certains développeurs ont eu l’excellente idée d’en reprendre les bases pour les distiller dans leurs open worlds et permettre à ces derniers d’afficher de nouvelles propositions.
De nouvelles propositions, voilà finalement ce que l’on attend des mondes ouverts, et c’est bien normal. Après 10 ans (15 même, allez) à jouer à des open worlds de plus en plus similaires car toujours plus enclins à appliquer l’exacte même recette à leurs productions respectives, il est bien temps d’enfin élargir les choses. Je ne renie pas l’open world moderne tel qu’on a pu l’avoir jusqu’ici car, au fond, je m’y amuse quand même la plupart du temps. Je prendrai à titre d’exemple le plus récent d’entre eux, Ghost of Tsushima. Si j’y reviendrai plus en détail ultérieurement, le fait est que le jeu repose pour l’essentiel sur le B-A-BA du monde ouvert made in 2010s et que malgré ses quelques idées pour essayer de s’en départir, il se repose encore beaucoup (trop) sur un modèle un peu trop poncé à l’aube des années 2020. Seulement voilà, ça fonctionne quand même car il a ce petit supplément d’âme qui marche et emmène le joueur que je suis avec lui. Ça passe par de petites idées, des à-coups sympathiques qui viennent tout simplement insuffler une ambiance, une identité à l’ensemble.
Et c’est là un autre des points sur lesquels le monde ouvert de 2020 va devoir s’interroger : l’identité. Si les open worlds que nous avons vu naître à la chaîne dans les années 2010 ont été critiqués, c’est aussi pour leur manque de distinction au-delà des seuls aspects de game design. Mais la fin de décennie a su marquer le pas et envoyer le signal d’une nouvelle génération d’open worlds. Celle-là même qui comprend déjà parmi ses rangs des Breath of the Wild, Death Stranding et autres Red Dead Redemption II. Autant de jeux qui réussissent à reprendre les fondements du monde ouvert moderne, au moins en partie, pour en proposer de nouvelles acceptions qui viennent laisser envisager un véritable renouveau. Cela peut passer par une attention plus poussée sur les quêtes annexes afin d’enrichir sans cesse l’expérience ludo-narrative, un travail sur l’ambiance générale ou encore sur la façon dont on va explorer la carte du jeu en s’affranchissant de la minimap et du GPS qui nous guide trop… Cette nouvelle vague d’open worlds en est encore à ses balbutiements et nombreux sont encore ceux qui restent dans le giron des fondations établies par les années 2010, mais on y vient petit à petit : le monde ouvert va changer et les années 2020 pourraient bien en être le théâtre.

Si Breath of the Wild a réellement donné le La du futur des open worlds, quel régal à venir dans ce cas !
P comme PlayStation
Quelle belle décennie ce fut pour Sony et PlayStation, non ? Alors que nous entamons les années 2020, un constat s’impose : la PlayStation est au sommet ! Dominant sans vergogne le marché du jeu vidéo, la filiale gaming de Sony a réussi à devenir le leader incontesté sur un secteur où sa principale concurrente Xbox n’a pas su gérer le passage à la génération actuelle de machines (nous y reviendrons) et où Nintendo a choisi de suivre sa propre voie, comme je le disais plus haut.
Question « vie d’entreprise », la marque PlayStation et tout ce qui gravite autour n’a pas connu de grands bouleversements à l’image de Nintendo. On notera cependant l’arrivée d’Andrew House en tant que patron de Sony Interactive Entertainment en 2012, replaçant ainsi Kaz Hirai devenu patron de Sony la même année. On pourra également rappeler l’arrivée de Mark Cerny comme lead architect de la PS4 en 2013 (il occupe le même poste concernant la PS5 d’ailleurs). mais hormis cela et également le départ en 2019 de Shuhei Yoshida de la tête de Sony Interactive Entertainment Worldwide Studios (SIE Worldwide Studios pour les intimes), il n’y a rien de réellement bouleversant à souligner.
Le fait est en tous cas que l’hégémonie de PlayStation acquise au cours des années 2010 ne s’est pas faite en deux coups de cuillère à pot. Au contraire, Sony a dû travailler dur pour rattraper ce qui était, à la toute fin des années 2000 et au commencement de la décennie suivante, un inattendu retard. Forte du succès de sa PS2 dans les années 2000, l’entreprise avait tout pour elle lorsqu’elle a lancé la PS3 courant 2006-2007. Malheureusement et en particulier en raison d’un coût trop élevé, la nouvelle machine a connu des débuts difficiles, à tel point qu’elle est longtemps restée derrière le mastodonte Wii et le challenger Xbox 360 en termes de ventes.

Sur la dernière partie de sa vie, la PS3 a accueilli de très grands jeux qui ont contribué à réinstaller Sony comme leader.
Si Sony n’a jamais pu rattraper Nintendo sur le plan du nombre de consoles écoulées, elle arrivera cependant à tout de même dépasser la Xbox 360 sur le moyen terme, à grands coups de baisses de prix et surtout de mise sur le marché d’exclusivités toutes plus qu’alléchantes. C’est en effet en misant sur des jeux de grande qualité et jouables uniquement sur sa machine que Sony a su redresser la barre au début des années 2010 avec notamment God of War III en 2010, Uncharted 3 en 2011 et surtout le culte The Last of Us en 2013. Des succès publics et critiques parmi tant d’autres qui viendront booster les ventes de la console dans la dernière partie de sa vie et en faire la deuxième machine la plus vendue de la génération. Un phénomène amplifié par la façon dont la PS3 a su également se vendre en tant que centre multimédia du foyer, proposant non seulement de jouir de jeux vidéo mais également de films (lecteur Blu-Ray, ce dont la Xbox 360 et encore moins la Wii – qui ne lisait même pas les DVD – ne disposaient) ou de musique. Une approche que Xbox tâchera d’ailleurs de reprendre à son compte en annonçant la Xbox One mais qui conduira à un violent échec de communication (nous en reparlerons là encore plus tard).
Sur les quatre années 2010-2013, Sony amorce donc son envol. Courroucée par le démarrage difficile de sa PS3 alors que la PS2 avait envahi le monde entier, l’entreprise a mis les bouchées doubles pour ne pas se laisser écraser par la concurrence. C’est finalement de cette manière, et même si la Wii a trusté les tops de ventes, que Sony a réussi à s’établir comme LA référence pour les joueurs, les « vrais de vrais ». Malgré les défauts que l’on peut trouver à la PS3, cette dernière est devenue en quelque temps le modèle de ce qu’il fallait faire pour conquérir le public : du matos globalement efficace et des exclusivités au potentiel de best sellers. Cette vision d’une console qui sache répondre aux besoins de tous les joueurs et toutes les joueuses, c’est exactement ce que l’on retrouve dans la PS4 et la communication qui l’entoure avec ce fameux slogan « For the Players » , qu’on interprétera facilement comme « Si vous voulez jouer, c’est chez nous qu’il faut venir pour obtenir une vraie expérience », en plus de répondre à l’envie ratée de Xbox d’élargir à outrance la place de la console dans le foyer.
Lancée en 2013 sous le saint patronage de Mark Cerny, la PS4 surfera alors sans aucune difficulté sur le succès (tardif mais conséquent) de sa prédécesseuse. A tel point qu’elle est devenue la console la plus précommandée et la plus vendue day one ! A tel point aussi que le seul fait de n’avoir que Knack, Killzone Shadow Fall et DriveClub comme exclusivités de lancement n’a freiné personne… Il serait cependant sans doute vain de vous refaire ici toute la success story de la console, d’autant que ça peut se résumer en quelques mots : c’est la machine la plus vendue de la génération et loin devant le reste, voilà tout. Ecrasant tout sur son passage, la PS4 n’a connu aucun obstacle, aucune concurrence sérieuse et ce n’est qu’alors que la PS5 approche à très grands pas que les ventes de cette machine commencent à sérieusement freiner. Dans un boulevard laissé plus que libre par une Wii U et une Xbox One incapables de rivaliser, la PS4 a imposé Sony comme grand gagnant de la génération. Une place au Panthéon des constructeurs qui laisse déjà certains observateurs plus ou moins avisés présager du même résultat pour la lutte à venir entre Series X et PS5. La Switch quant à elle a certes réalisés de très bons scores depuis son lancement en 2017 mais elle est arrivée bien trop tard pour se constituer en véritable menace pour la console de Sony, d’autant que les deux machines ne combattent pas franchement dans la même ligue.
Tout ceci étant dit, il ne faudrait pas croire que tout a souri à Sony durant les années 2010. Cette décennie fut aussi celle de tentatives au bilan mitigé ou encore d’échecs complets. Dans la première catégorie, on glissera évidemment une mention de la réalité virtuelle, secteur que la firme fut la seule parmi la triade qu’elle compose avec Xbox et Nintendo a vouloir explorer. Les casques de VR ont pourtant eu le temps de se développer durant les années 2010, dont ils furent le premier véritable terrain de jeu. HTC Vive, Oculus, Hololens… Plusieurs propositions ont été amenées sur ce marché véritablement naissant autant en matière de jeux vidéo qu’en termes d’applications plus diverses. Ces idées se multiplient grandement (cf. ce que l’on avait pu voir au salon Virtuality) et côté gaming, Sony en a profité pour dégainer son PS VR en 2016.
Conçu pour fonctionner avec certains titres compatibles voire carrément exclusifs à cet accessoire, le casque de réalité virtuelle estampillé PlayStation était la promesse d’un premier grand pas dans cette branche. Cependant, en raison d’un coût élevé (399,99€ au lancement, soit plus ou moins le prix d’une bonne console) et d’un public qui n’a pas spécialement répondu présent pour le moment (et j’insiste fortement sur « pour le moment »), le PS VR s’est vite apparenté à un accessoire de luxe pour quelques heureux/euses élu(e)s. Enfin, « quelques », c’est vite dit : plus de 3 millions de casques ont été vendus entre 2016 et 2018, avec une nette augmentation du nombre d’exemplaire écoulés entre 2017 et 2018, ce que l’on pourrait peut-être lier au succès rencontré par Resident Evil VII, sorti en 2017 et compatible PS VR.

A titre personnel : autant je ne ressens pas le besoin ou l’envie d’en avoir un, autant je trouve que le PS VR a de la gueule.
Pas un échec, pas non plus le succès retentissant auquel Sony s’attendait, le PS VR semble avoir de beaux jours devant lui. On ne pourra cependant pas en dire autant des consoles portables de Sony puisque les années 2010 ont marqué leur fin. PlayStation entame 2010 avec déjà une console sur ce secteur : la PSP, sortie en 2004. Une console qui vient concurrencer Nintendo sur le juteux terrain de la DS tout en affichant des ambitions bien plus grandes que la petite machine à double-écran. Avec sa volonté de proposer des performances et des graphismes proches de ce que la PS2 pouvait offrir, la PSP était en gros la console portable la plus puissante. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle a plutôt bien marché, laissant très facilement envisager une mise sur le long terme de Sony pour alimenter cette branche du marché. Avec ses presque 81 millions de machines vendues, la PSP n’a certes pas rattrapé la DS et ses 154 millions d’exemplaires mais elle se sera tout même plus vendue que la 3DS, tous modèles confondus.
Du coup, quand la PS Vita est arrivée en 2011, il était facile de se dire que le succès allait de nouveau être au rendez-vous. Le plus étonnant cependant, c’est que Sony a choisi de faire cohabiter ses deux consoles portables jusqu’en 2014. Sans doute est-ce là une raison parmi d’autres pour expliquer le manque de réussite de la Vita, qui ne s’écoulera finalement qu’à 16 millions d’exemplaires au total… Ne pourrait-on pas aussi y voir un impact du développement du gaming mobile sur téléphones et tablettes ? Ou bien celui d’une console trop orientée vers le marché nippon et qui n’aura pas su se démarquer en Occident ? Avec une production arrêtée en 2019, la PS Vita restera l’un des grands regrets de Sony et d’une partie de son public.
Mais il n’y a pas à chipoter : malgré la PS Vita, malgré le PS VR pas encore au sommet comme Sony le voudrait, l’entreprise n’a pas à se plaindre. En dix ans, elle est devenue l’alpha et l’oméga du business, imposant son ombre sur toute la concurrence. Forte d’une PS4 à qui rien ne résiste, la firme japonaise semble être au sommet d’une montagne et prête à en gravir une nouvelle avec la PS5, attendue pour la fin d’année.
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Fin de la deuxième partie.
La partie 3 est disponible.
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