Tandis que Pokémon continue sa longue carrière de son côté, il est indéniable que la licence de Game Freak et Nintendo a suscité des émules. Et si les Digimon nous reviennent évidemment en tête – et avec eux la guéguerre qui opposait les fans de ces derniers à ceux de Pikachu et sa bande -, nombre d’autres titres sont venus essayer de tirer profit de l’aura et de l’impact que Pokémon a eu sur le monde (et pas uniquement le monde du jeu vidéo). Parmi cette vaste sélection d’ersatz plus ou moins réussis et plus ou moins connus, je me suis récemment lancé dans l’aventure de Cassette Beasts et, sans exagérer, j’y ai sans doute trouvé l’un des meilleurs Pokémon-like que je connaisse. Mieux encore, j’y ai trouvé un jeu qui a parfaitement su digérer l’héritage de cette colossale licence et dont cette dernière devrait, peut-être, s’inspirer.

C‘est du côté de Raw Fury que nous découvrons Cassette Beasts. Editeur en vue de la scène indé, la compagnie suédoise s’est fait un nom au cours des dernières années en amenant sur le devant de la scène quelques titres emblématiques, parmi lesquels la fameuse licence Kingdom, dont la dernière itération (Kingdom Eighties) est parue l’an dernier. A côté de ces jeux, Raw Fury a également su mettre en lumière des œuvres pour la plupart iconoclastes telles que Dome KeeperNight CallCall of the Sea ou encore Bad North et le fameux polar/jeu noir Backbone (d’ailleurs rebaptisé Tails Noir depuis). Tout cela pour dire qu’à compter du moment où j’ai vu le logo de Raw Fury s’afficher à l’écran, j’étais déjà plutôt en confiance.

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Lenna’s Inception. Ça ne vous rappelle rien ?

Côté développement en revanche, c’est bien la première fois que j’entends parler de Bytten Studio.

A la manœuvre sur Cassette Beasts, dont c’est le second titre, le studio britannique tourne autour d’une équipe très réduite : trois personnes. Jay et Joel Baylis sont ainsi respectivement art/game director et music/audio director, accompagnés qu’ils sont par Tom Coxon, leur tech/game director.
Ensemble, ils nous ont proposé un premier jeu en 2020, Lenna’s Inception. Puisant déjà dans l’aura de Nintendo, l’équipe avait alors livré un Zelda-like se déroulant dans un royaume non pas sous le coup d’une quelconque malédiction ou autre menace maléfique mais bien d’un glitch. Une idée qui marque déjà une envie de jouer avec les codes, de ne pas seulement revenir sur ce qui a déjà été fait et de prendre le parti de répéter l’expérience (pas comme un certain Prince of Persia récent, donc…).

Ce désir de faire autre chose avec l’existant, c’est un élément que l’on retrouve dans Cassette Beasts, trois ans plus tard. Il faut dire aussi que la naissance de ce jeu arrive dans un contexte où, depuis quelque temps maintenant, une certaine mode du Pokémon-like est (re)venue sur la scène indépendante avec des titres qui cherchent un tant soit peu à renouveler le genre. On pensera donc désormais à Cassette Beasts – pour les raisons que j’évoquerai ensuite – mais bien d’autres titres s’inscrivent dans cette mouvance. Dans des styles et à des fins relativement différentes, comment ne pas penser aux récents Palworld et Temtem ? Difficile aussi de ne pas évoquer Monster Sanctuary en 2020 ou le retour sur Switch de la série Dragon Quest Monsters, née en 1998 sur Game Boy Color et qui a depuis connu de nombreuses itérations sur les consoles portables suivantes de Nintendo.
L’essentiel pour la plupart de ces titres sera alors d’atteindre un double-objectif : proposer une alternative à Pokémon (et donc en reprendre les fondements les plus solides) tout en essayant d’apporter la ou les nuances suffisantes pour qu’on n’ait pas juste le sentiment de jouer à une pâle copie. Parmi les jeux que j’évoquais ci-dessus, Monster Sanctuary faisait par exemple le choix de fondre l’essence de Pokémon (la capture de monstres que l’on emploie au combat) dans une architecture de metroidvaniaTemtem de son côté applique la recette sous la forme d’un MMORPG. Et si un certain nombre de prétendants actuels jouent essentiellement la carte du monde ouvert, on pourra encore évoquer le Adore du studio brésilien Cadabra Games et sa dimension roguelike. Je ne vais cependant pas m’éterniser davantage à vous faire un tour d’horizon de la production actuelle en la matière et vais plutôt vous renvoyer, si vous souhaitez toutefois en apprendre plus sur quelques Pokémon-like récents, vers le numéro 44 du podcast Klub Moutarde dans lequel Foine se livrait à l’exercice.

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Monster Sanctuary était un bon jeu doublé d’un bon mélange entre metroidvania et Pokémon-like, quoiqu’un peu trop « dur pour être dur » à mon goût

C’est dans ce paysage général que Cassette Beasts est donc sorti l’an dernier. Faisant le choix d’une application en open world des fondamentaux de Pokémon, le titre de Bytten Studio ne doit toutefois pas être vu que comme un jeu qui mise uniquement sur cette ouverture de l’espace de jeu, ni même comme un simple fan game. Bien au contraire, le décloisonnement se fait à de multiples étages, dans le level design comme dans le gameplay. Le tout prend alors joliment forme dans un ensemble qui ne pourra jamais nier l’influence de Game Freak sur son propre travail mais qui, tout aussi fermement, pourra toujours brandir son indéniable envie de marquer le coup en tachant d’être ce Pokémon-like qui fera la différence.

Dans l’ensemble, Cassette Beasts pourrait être résumé comme un Pokémon-like en 2D vu de dessus et en monde ouvert. Un écrin dans lequel s’organisent alors toutes les composantes habituelles du genre, lesquelles nous sont rappelées très tôt dans le jeu, qu’il s’agisse des combats ou de la capture des créatures. Dans la tradition de Pokémon, il nous est même demandé de choisir notre monstre de départ, à la différence près qu’on devra ici seulement choisir entre deux options, lesquelles se présenteront à nous sans que nous puissions voir les bestioles en question. On fait donc notre choix au petit bonheur la chance et nous voilà avec notre monstre de départ à devoir affronter un ennemi. Cette première rencontre ne sera évidemment pas difficile et vise surtout à nous mettre en main les bases de gameplay du titre.

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Le principe de fusion est d’autant plus intéressant que l’on peut la réaliser entre n’importe quelles créatures, sans aucune exception. Capture d’écran : ActuGaming

Nous allons alors découvrir plusieurs choses. La première c’est que nous ne combattrons jamais seul(e). En effet, les combats de Cassette Beasts reposent sur un système de binômes formés par notre personnage et un allié, lequel changera selon les circonstances de l’aventure. Qu’il y ait en face de nous un seul, deux ou trois adversaire(s), nous seront toujours deux. Et pour cause ! Ce fonctionnement en duo amène en effet à l’une des principales idées de gameplay du jeu : les fusions. Là réside sans doute tout le sel de la recette remaniée de Cassette Beasts.

Il est en effet possible de fusionner son monstre à celui de son partenaire afin d’en créer un unique mêlant les deux et détenant toutes les capacités que ces derniers détiennent individuellement. Surtout, ces versions fusionnées sont en tous points supérieures aux monstres de base. Plus forts, jouissant d’une meilleure défense, ils sont quasi imbattables. « Quasi » seulement car il peut arriver, au détour d’un combat moins bien géré que les autres, que la fusion soit rompue par les coups adverses, ramenant nos créatures à leurs statuts d’origine. Par ailleurs, il est à noter que le niveau qui sera attribué au monstre fusionné sera une moyenne des niveaux des deux bestioles initiales. Ainsi, si votre partenaire est au niveau 25 et vous au niveau 27, votre fusion sera de niveau 26. Une donnée à prendre en compte afin de ne pas se laisser surprendre le combat venu. Du reste, ces bestioles supérieures demeurent redoutables et, pour tout dire, sont un ressort essentiel de la facilité qui régit le jeu dans son ensemble.

En effet, Cassette Beasts est plutôt facile d’accès et s’il offre un challenge certain en quelques occasions, il demeure très aisé d’en venir à bout. En réalité, il est même tout à fait possible de terminer le jeu en étant systématiquement underlevel. Ce fut mon cas notamment, moi qui ai terminé l’aventure en étant de 10 niveaux inférieur au boss final (et croyez bien que ce n’est pourtant pas le genre d’exploit dont je suis capable en temps normal). Ce sentiment de facilité, il plane de toute façon sur l’ensemble du jeu. Hormis en quelques rares occasions où je me suis mal préparé (pas d’objets de soin à disposition notamment), je n’ai jamais vraiment senti de réelle difficulté dans la progression. Cependant, gardons-nous bien d’y voir là un défaut.

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Une multitude d’allié(e)s se joindront à nous au cours de l’aventure et chacun(e) apportera son propre arc scénaristique

Bien au contraire, cette simplicité est à mon sens un ressort d’accessibilité très plaisant qui rend le jeu éminemment sympathique par cette aptitude à ne pas se forcer à être « plus dur que Pokémon », travers que l’on retrouve dans de nombreux héritiers de la saga et qui relève parfois plus de la posture qu’autre chose. Surtout, cela n’enlève rien au plaisir de jeu, lequel demeure intact grâce à ses mécaniques et sa grande fluidité. On avance dans Cassette Beasts selon une rythmique très agréable, jamais déréglée par un quelconque obstacle tout d’un coup trop grand, ni par une exigence de jeu et de maîtrise qui viendrait entacher le tout.

A titre d’exemple, si la table des types reste un élément primordial de jeu, il s’avère en définitive qu’elle n’est pas si prégnante que cela. Il ne sera pas nécessaire pour progresser de connaître cette table sur le bout des doigts et l’apprentissage – partiel en définitive – se fera par l’expérience acquise en jouant. Elle a pourtant de quoi surprendre cette table puisque les types mis en scène ici peuvent dénoter par rapport à nos habitudes. Les fidèles de Pokémon ne sont en effet pas familier du type plastique par exemple. Mais cela n’est rien et le jeu avance, doucement mais sûrement, nous entraînant avec lui avec plaisir.

La progression d’ailleurs, parlons-en, se fait autour de quêtes, lesquelles se scindent tout naturellement en deux types : les principales et les annexes. Renouant en cela avec les racines profondes du RPG dont Pokémon s’était quant à lui détaché d’entrée de jeu en 1996, Cassette Beasts joue une carte classique mais qui, à la longue, se révèle intéressante ici. Elle l’est parce que le système de quêtes ici présenté se montre assez organique en ce sens que les quêtes principales s’articulent entre elles. Elles le font non pas en se succédant les unes aux autres mais en étant ouvertes simultanément, nous laissant par ailleurs le loisir de jongler de l’une à l’autre à tout moment.
Quant aux secondaires, elles les alimentent parfois, que ce soit en débloquant un élément qui va permettre de progresser dans une quête principale, ou tout simplement parce qu’elles nous auront fait parcourir du terrain. Une exploration qui pourra se montrer fructueuse puisqu’elle nous aura éclairé sur un cheminement jusqu’alors inenvisagé et pourtant essentiel. Evidemment, tout cela ne révolutionne pas le monde mais, appliqué au microcosme si particulier du Pokémon-like, ça fait un bien fou. Les quêtes amènent donc de manière naturelle à découvrir l’île sur laquelle se déroule l’histoire, un monde ouvert d’une taille tout à fait honorable mais qui sait se contenir, évite d’être grand pour être grand, ce qui ôtera donc tout sentiment d’éparpillement. Cet aspect nourrit encore une fois cette progression sans difficultés particulières, le jeu accompagnant ainsi avec élégance les joueurs et joueuses, plutôt que de les guider froidement.

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Par ailleurs, il est à noter que le jeu est très joli, ce qui ne fait qu’ajouter au plaisir de parcourir ses différents environnements

Il y a toutefois une chose que je reprocherais à ces quêtes et missions, et au jeu dans son ensemble en réalité, c’est de se montrer en de régulières occasions un peu trop flou. Rechignant parfois à formuler des indications claires (sans non plus demander qu’on nous mâche le travail, attention), le titre manque de temps à autre d’explicitation de certains détails et oublie tout bonnement de mentionner le fait que les quêtes principales sont parfois intrinsèquement liées. D’une opacité chronique, Cassette Beasts nous amène alors volontiers à cette situation où, alors que nous croyons en avoir terminé avec une grande quête donnée, il se trouve en réalité que non. En toute logique, on se demande alors bien à côté de quoi on a pu passer. 

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Morgante sera le premier Archange que le jeu nous fait rencontrer en début d’aventure et constituera le point d’entrée de le principal récit du jeu

Pour éclaircir un peu ce que je cherche à pointer du doigt ici, il faut comprendre que les quêtes principales du jeu se distinguent en plusieurs grands axes narratifs : la recherche de boss appelés Archanges (monstres légendaires qu’il faut combattre, ce qui compose le récit principal de l’aventure), la lutte contre les Gardes-Terre (sorte de Team Rocket locale dont il faudra vider les bases), les combats à mener contre les Veilleurs (selon la même logique que les champions d’arène de Pokémon), la recherche d’un personnage répondant au nom de Kuneko, etc. D’apparence, les choses sont assez cloisonnées, chacune des ces quêtes s’effectuant dans son propre cadre, certaines même exigeant d’être en compagnie d’un allié bien spécifique.

Toutefois, ce qui n’est pas dit, c’est que la quête des Archanges est en réalité transversale à tout cela. Et lorsque vous aurez cru avoir mené cette quête jusqu’au bout, vous vous rendrez compte qu’il vous manque en réalité un ou deux Archanges. Ceux-là sont à retrouver en accomplissant les autres principaux récits du jeu, ce qui n’est jamais dit, ni même sous-entendu. Or, si l’on aime jouer en évitant de se disperser entre plusieurs quêtes actives simultanément, on finit par être un peu coincés et par se retrouver à tourner en rond sur la map pour s’assurer qu’on n’a pas loupé quelque chose quelque part.

Oh bien entendu, tout ceci n’est pas bien méchant et l’on pourrait même se dire qu’au fond, cela nous renvoie à nos vieux RPG où il suffisait d’arriver devant le boss final et de se faire dégommer en trois tours pour comprendre que les quêtes annexes n’étais sans doute pas si annexes que cela… Avec Cassette Beasts, la question qui se pose ici n’est pas celle d’un farming qui serait tout d’un coup devenu nécessaire après avoir roulé sur tout le jeu mais bien celle d’une nécessité à peut-être un peu mieux communiquer la transversalité de ses objectifs.

Ceci étant dit, impossible d’affirmer que ce problème – finalement bien minime – vient ôter quoi que ce soit au plaisir pris en découvrant le jeu. Bytten Studio a bel et bien su trouver un moyen efficace de renouveler ce style de jeux, sinon de le réinventer. Que ce soit en sachant recomposer l’architecture de la progression in game autour des récits plutôt qu’autour d’un objectif unique ainsi qu’en s’appuyant sur les spécificités propres à un open worldCassette Beasts ne manque pas de finesse dans sa façon de penser le genre. A cela s’ajoutent évidemment les particularités de game design que le jeu propose, notamment dans les combats.

Car si la fusion s’avérera être la principale nouveauté en la matière, il est à noter que les affrontements sont revus jusque dans leurs petits détails par rapport à Pokémon. Puisant dans l’ensemble de l’historique des RPG au tour par tour, Cassette Beasts va par exemple renverser la question des points d’action (en nombre définis et limités dans Pokémon, ici calé sur une jauge qui se remplit et se vide en fonction des attaques choisies). Et c’est sans parler de ce thème de combat absolument prenant qui accompagne chaque rencontre avec un adversaire ou une créature sauvage !

Aussi on pensera au système d’expérience, lequel est double. D’un côté, l’expérience générale gagnée au combat revient non pas au monstre mais au personnage incarné. Ainsi, ce n’est pas votre bestiole qui est au niveau 40 mais bien vous et ce niveau vaudra pour l’ensemble de vos créatures. Mais dans le même temps, les membres de notre équipe ont leur propre échelle d’expérience, basée quant à elle sur un système de grades qui permettront de leur apprendre de nouvelles compétences et, à terme, d’évoluer. A ces deux aspects s’ajoute enfin les gains d’affinité qui se réalisent entre soi-même et son partenaire du moment à l’issue des combats. Cette affinité permettra notamment de rendre les fusions avec les monstres de cet allié plus puissantes encore, entre autres.
Enfin, soucieux de tenir la dragée haute autant que possible aux autres représentants du genre qui se plaisent à faire des affrontements en binômes, le titre ne manque pas également de concevoir son système d’attaques, de buff et de debuff dans un grand ensemble qui n’oublie pas non plus d’intégrer la gestion des types dans l’équation. Il sera ainsi parfois intéressant de lancer une capacité qui provoquera un debuff initial sur le monstre allié mais qui, dans le même temps lui amènera un atout grâce à son type et à celui de l’attaque. Bref, pour faire simple, Cassette Beasts ne donne pas le sentiment d’avoir laissé des choses au hasard et, à bien y regarder, la complexité de ses systèmes internes révèle une sacrée connaissance du RPG dans son ensemble. Alors si en plus cette complexité arrive à ne pas être ressentie manette en mains et réussit à appliquer ses rouages avec la fluidité et le naturel dont ce jeu fait preuve, c’est tout gagné.

J’ai bien conscience que tout ceci pourra sembler assez classique au final. Il serait en effet facile (et pas tout à fait faux) de voir en Cassette Beasts un jeu qui sait habilement faire ressortir la substantifique moelle de ses influences pour mieux se l’approprier et en cela proposer quelque chose qui, certes, va très bien fonctionner mais sans nécessairement marquer d’une pierre blanche l’histoire du genre. Et pourtant, Cassette Beasts mérite que tout le monde lui prête attention. Car si ça fonctionne aussi bien et qu’on prend un tel plaisir à le parcourir en dépit de l’apparent classicisme de ses mécaniques, c’est aussi et surtout parce qu’il vient se comparer à Pokémon.

Cela va de soi, tout ce que je vais dire ne doit en aucun cas remettre en doute les qualités intrinsèques de Cassette Beasts. Quoique pas exempt de défauts, le titre de Bytten Studio est un jeu réussi, plaisant et intelligent, insistons là-dessus. Mais le fait demeure que si ce dernier brille tant, c’est aussi beaucoup parce que la comparaison avec Pokémon lui est favorable.

Pourquoi ça marche Cassette Beasts en définitive ? Eh bien ça fonctionne non seulement pour ses propres atouts, qu’il doit uniquement à lui-même et à son ingéniosité, mais aussi parce que ça change de Pokémon dans un contexte où, paradoxalement étant donné sa nature, la licence peine à évoluer et à se moderniser. On n’ira pas dire que Game Freak n’essaie pas de nouvelles choses mais tout cela demeure bien timide en termes de tentatives, qu’elles soient formulées avec Légendes Pokémon : Arceus ou avec les versions Epée/Bouclier mais aussi et surtout Violet/Ecarlate. Pire encore, c’est extrêmement tardif par rapport à la longévité de la série (bientôt 30 ans, déjà), en plus d’être très approximatif dans les résultats obtenus.

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Les versions Bleu/Rouge ont été fondatrices mais les suites ont rarement eu l’occasion de véritablement expérimenter et d’opérer des changements radicaux

C’est bien là le principal souci de Pokémon en fait, cette incapacité à se reprendre en main et à essayer de coller avec son temps. Engoncée dans une formule héritée des premières versions et qui n’a quasiment pas bougé dans ses grandes lignes depuis, la licence manque cruellement d’audace et d’ingéniosité. Des premiers jeux jusqu’aux années 2010-2020, rien ou presque n’a changé. Se contentant la plupart du temps d’ajuster des éléments de gameplay plutôt que de pleinement revoir son game design général, Game Freak a semblé vouloir simplement se la jouer Pikachu surfeur sur la vague de la Pokémania, ce phénomène qui, à la fin des années 1990, a envahi le monde et a fait que vous avez vu des Pokémon absolument partout, jusque sur des avions grande ligne. Forts de succès, le studio et Nintendo ont pris le parti de répéter la recette ad nauseam, partant du principe que si ça a marché une fois, ça devrait bien le faire de nouveau, surtout vu l’ampleur du phénomène au moment des versions Bleu/Rouge/Jaune puis Or/Argent/Cristal.

Sauf que voilà, la Pokémania n’a duré qu’un temps et s’est en réalité très vite effondrée. Oh bien sûr, Pokémon demeure encore aujourd’hui une machine colossale qui génère des revenus à faire pâlir bien d’autres marques. Mais le fait est que la série a traversé des moments plus tumultueux, voyant son public d’origine vieillir et s’éloigner tandis que la captation de joueurs et joueuses plus jeunes pour renouveler le vivier a présenté des difficultés. Sur ce dernier point, il faut aussi se replacer dans un contexte où ce renouvellement des publics a été un enjeu majeur pour Nintendo, notamment dans les années 2000, conduisant le PDG d’alors, Satoru Iwata, à définir de nouvelles stratégies pour attirer à ses jeux et consoles de nouveaux consommateurs, en visant notamment le grand public jusqu’ici pas acquis aux jeux vidéo, et en particulier de nouvelles consommatrices.

En perte de vitesse, Pokémon a malheureusement eu du mal à comprendre comment rebâtir son succès. Dès les années 1990-2000, des tentatives ont pourtant été abordées afin de penser la licence sous d’autres aspects avec un certain nombre de spin-offs. On pensera bien sûr aux Pokémon Stadium ou à Pokémon Snap mais si la plupart de ces titres s’apparentent plus à de la Pokexploitation¹ qu’autre chose, ce qui nous viendra en tête comme des exemples plus parlants, ce sera essentiellement les épisodes sur Gamecube (Pokémon ColosseumPokémon XD), qui visaient à apposer une touche plus mature à la série, ainsi que la série des Pokémon Donjon Mystère, qui tâchera de faire entrer la licence (avec un certain succès) dans le monde des dungeon crawlers.

Du reste, et en dépit des qualités de ces titres et du plutôt bon accueil qui leur fut réservé, ces essais demeureront au rang d’essais justement et jamais l’influence de ces épisodes annexes ne viendra déposer son empreinte sur la série principale qui, quant à elle, continuera son bonhomme de chemin sans jamais véritablement se remettre en question. De Rubis/Saphir aux ultimes épisodes sur 3DS (Ultra-Soleil/Ultra-Lune), Pokémon manquera plus que régulièrement son rendez-vous avec son temps et finir par devenir une licence parfois considérée comme vieillotte, sinon ringarde, par une partie du public.

¹ Je crois bien que le terme n’existe pas,
faites moi penser à le déposer

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Pokémon Colosseum a opéré un changement de ton clair, net et précis. S’il n’est pas entré dans la légende, cela lui aura permis d’au moins être considéré comme culte par bon nombre de fans encore aujourd’hui

Un des aspects souvent mis en avant pour dénoncer ces lacunes en inventivité, c’est la rythmique que cette recette impose. Classique, attendue, éculée même, elle avance selon un schéma qui variera un chouïa d’un titre à l’autre mais qui, si l’on s’imagine une sorte de graphique où figureraient des pics et des creux en termes d’intensité, gardera globalement une allure très similaire à chaque fois. La faute en revient pour l’essentiel au caractère excessivement linéaire de la progression dans le récit, lequel reste fermement cadré par la quête principale (devenir Maître Pokémon, à quelques variations sémantiques près) et où les événements de quêtes secondaires (Teamsrivaux, etc.) ne viendront jamais offrir la possibilité de s’écarter du sentier. Au lieu de cela, ces blocs narratifs s’imposent au cœur de cette ligne droite comme autant de péripéties inévitables, calculées et à terme prévisibles.

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Tiens, voilà qui me fait penser qu’au milieu de toutes ces quêtes, je n’ai finalement jamais trouvé comment ouvrir cette église…

Sur ce point, Cassette Beasts fait très clairement mieux. Amenant sur la table une vraie rythmique différente au genre du Pokémon-like (sans dire qu’il est le seul à le faire), le jeu réussit joliment à décanter l’expérience sur le long terme, à la rendre moins dirigiste enfin. Héritée en toute logique des RPG, cette rythmique mêle d’une part le temps long, avec des quêtes au long cours, que l’on parcourt non en suivant des objectifs très précis et fléchés mais bien en expérimentant le terrain, en suivant des indices ; et d’autre part le temps court, cette fois-ci avec des étapes de quêtes principales qui s’atteignent assez rapidement dans l’ensemble mais aussi grâce à des quêtes secondaires qui ne trainent jamais en longueur. Ces dernières jouissent par ailleurs de cet élément que j’évoquais plus haut, à savoir qu’elles nourrissent parfois le récit général en apportant de nouvelles pistes ou en ouvrant de nouveaux chemins, ce qui là encore contribue à cette rythmique repensée.

Pour en revenir à Pokémon, il aura fallu attendre la toute fin des années 2010 pour que Game Freak commence enfin à esquisser un semblant de réponse. En 2019, avec Epée/BouclierPokémon propose enfin une tentative de monde ouvert. Cantonnée cependant à une zone bien spécifique de la map et souffrant d’errances techniques un peu tristes (notamment quand on activait le online), la chose ne séduira qu’à moitié et ce n’est qu’avec Légendes Pokémon : Arceus et ensuite Violet/Ecarlate que la série réalisera la toute première véritable mue de son histoire, sa première tentative d’enfin se rapprocher des standards établis chez la concurrence.
Le résultat manquera cependant du panache espéré, lequel est d’autant plus frustrant pour les fans que Pokémon doit jongler avec les fantasmes nés dès les premières versions, ceux d’une ouverture grandissante du monde dans lequel les jeux se déroulent et finalement d’une sorte d’effet de transfert de la part des joueurs et joueuses, lesquel(le)s ont très tôt exprimé le souhait de retrouver dans les jeux une expérience qui serait en quelque sorte celle d’un réel impossible, d’un monde de plus en plus organique et naturel. Au final, on en viendra même à se demander si, après tout ce temps, Pokémon GO n’a pas été la réponse la plus proche de ce souhait…

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Evidemment, Cassette Beasts s’éloigne encore plus du réel que ne le fait Pokémon (c’est même tout le sujet du jeu), mais il renvoie tout de même cette impression que nous pourrions nous-mêmes prendre la route pour partir à l’aventure

Ce qui pose souci je crois, c’est que Pokémon (dans ses dernières propositions) manque de cette capacité à embrasser l’environnement développé in game et à véritablement y intégrer les joueurs et joueuses. On en parlait dans mon article sur les versions Violet/Ecarlate, mais le fait est que l’open world qui y est proposé est paradoxal. Alors qu’il donne à voir un environnement pas forcément exceptionnel mais qui, quand même, donne un sentiment de liberté tout à fait bienvenu, on ressent à la longue la façon dont il n’arrive pas à se conjuguer avec la rythmique de Pokémon justement, laquelle continue de peser lourdement sur la proposition.
Alors que Paldea est un monde totalement ouvert, on se surprend à suivre un cheminement circulaire et où rien n’est pensé pour adapter le jeu à la progression du public. C’est même tout l’inverse qui se produit en fin de compte et le constat est indéniable : Game Freak a eu de bonnes intentions en proposant un open world mais celui-ci a été parasité par une application ratée et guidée par une logique datée et à repenser. Au lieu d’adapter la licence et sa recette à cette ouverture, Game Freak n’a fait que chercher à enfoncer au forceps sa manière de fonctionner vieille de presque 30 ans dans une mécanique qu’il n’a pas cherché à comprendre mieux que cela, ni à intégrer dans son processus.

Or, là où Pokémon peine (voire rechigne ?) à inviter au voyage de la manière aussi complète que la licence le nécessiterait, Cassette Beasts donne envie de s’y plonger et d’aller de l’avant, quitte à se heurter à des zones plus difficiles par rapport à notre niveau actuel. Une démarche qui rappellera celle adoptée – dans une toute autre mesure bien sûr – par les derniers Zelda, avec un rapport à la territorialité qui fragmente l’exploration et construit l’expérience de jeu, ce que nous évoquions dans cet autre article. Le jeu de Bytten se paie alors le luxe de développer non pas un parcours mais plusieurs, suivis par les joueurs et les joueuses à leur guise, selon leurs envies et états d’esprit du moment. Cassette Beasts, comme d’autres d’ailleurs, a compris que l’ouverture d’un monde en jeu vidéo passe non seulement par la liberté de mouvement en jeu mais aussi et surtout par le libre-arbitre de la personne qui tient la manette.


Cassette Beasts est donc une bien jolie petite réussite. Habile et précis dans ses mécaniques, enjoué également, le jeu de Bytten Studio figure à mon sens parmi les petites pépites indés de ces derniers mois. Intelligent dans sa façon de se réapproprier le genre du Pokémon-like et d’essayer de le dépoussiérer, ou au moins de le remanier un coup, il apporte une belle pierre à l’édifice et nous ramène finalement à ce qui ne va pas, ou ce qui ne va plus, avec l’auguste licence dont il s’inspire. Après avoir imposé une nouvelle façon d’envisager le RPG et influencé tant de jeux, n’est-il finalement pas temps pour Pokémon de se nourrir de ses héritiers pour enfin faire le(s) choix nécessaire(s) afin d’assurer une mue radicale de son identité et de sa proposition ? En l’état, Cassette Beasts constitue déjà une très belle source d’inspiration par sa capacité à remanier la formule et les immenses qualités qui en découlent.

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Travaux en cours

Vous l’aurez remarqué, Dans mon Eucalyptus perché a eu droit à un petit lifting…bien involontaire en réalité. Plus supporté depuis 2 ans, mon précédent thème de blog a sombré dans les limbes. Me voici donc avec une nouvelle apparence que j’apprends à connaître avec vous. Aussi, je vous prie de m’excuser pour les éventuels soucis de lisibilité qui pourraient survenir sur ces pages pendant un temps. N’hésitez d’ailleurs surtout pas à me les signaler !
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